Le stockage de l’électricité : un rêve lointain

Par Pierre Audigier, ingénieur gl des Mines (h)
Patrice Cahart, inspecteur gl des Finances (h)
Jean-Pierre Le Gorgeu, géophysicien
Georges Sapy, ingénieur Supélec, ancien cadre supérieur d’EDF

Éolien et solaire sont, comme on le sait, des sources intermittentes d’électricité. Non seulement elles fluctuent au gré des vents et de la luminosité, mais elles ne fonctionnent que pour une partie de leur capacité : 23 % et 12 %, respectivement, en moyenne annuelle, et en France métropolitaine. Cette insuffisance a de graves conséquences sur l’équilibre et la gestion du réseau électrique.

C’est en vain qu’on invoque la compensation entre régions : chaque année, il y a des jours de grand froid sans vent où la production éolienne de l’ensemble de la France tangente le zéro, alors que la consommation atteint son maximum. De même pour la compensation entre pays voisins : quand un grand froid sans vent s’installe en France, le reste de l’Europe occidentale est généralement affecté lui aussi. Les statistiques allemandes récentes font apparaître des périodes peu ventées – jusqu’à dix jours d’affilée – durant lesquelles la production éolienne tombe, malgré l’importance du parc installé outre-Rhin, à moins de 1 % de la production totale du pays.

Actuellement, l’éolien et le photovoltaïque ne fournissent que 5 % de la production électrique française. Faut-il vraiment s’orienter vers une contribution de l’ordre de 30 % ? Cet objectif suppose, de manière impérative, qu’une solution soit trouvée au problème de l’intermittence. Or il n’en existe que trois, et aucune n’est tant soit peu satisfaisante, à court ou moyen terme.

1/ Combler les manques éoliens en recourant au gaz, voire au charbon.
C’est ce que font les Allemands (augmentation de la production de lignite, particulièrement polluant), et qu’on devra faire en France, si les implantations éoliennes se poursuivent. Présenté comme utile au climat, l’éolien devient alors son ennemi. Cette solution doit être résolument écartée.

2/ Convertir une partie du potentiel nucléaire actuellement en service en un complément de l’éolien (et accessoirement du photovoltaïque).
Cela reviendrait à imposer des arrêts fréquents ou des mises en veilleuse aux centrales nucléaires existantes, dont pourtant le fonctionnement, une fois les travaux de sécurité réalisés, ne coûte presque rien, pour faire place à des éoliennes qui sont à créer de toutes pièces, et devraient être desservies, dans toute la France, par de nombreuses extensions du réseau existant. Cette solution, irrationnelle et coûteuse, multiplierait en outre les affrontements avec les populations rurales, dont nous vivons déjà de nombreux épisodes (entre autres, Bouriège dans l’Aude et St Victor-et-Melvieu dans l’Aveyron).

2/ Stocker les pointes de production éolienne et photovoltaïque, afin de les restituer durant les pointes de consommation.
Cette note montre les limites d’une telle approche.

a/ Le meilleur moyen de stockage consiste en Stations de Transfert d’Energie par Pompage (STEP). L’électricité excédentaire de certaines périodes est utilisée à pomper d’un plan d’eau inférieur vers un plan d’eau supérieur ; lors des pointes de consommation, l’eau redescend par des turbines pour produire de l’électricité. La France métropolitaine compte six STEP de grande capacité, avec des dénivelées pouvant atteindre neuf cents mètres. Mais les sites montagnards sont à peu près tous équipés. Si l’on voulait installer des STEP sur nos côtes, il faudrait, en contrepartie de la faiblesse des dénivelées (une centaine de mètres, dans les meilleurs cas), disposer de volumes d’eau considérables, et donc noyer des zones étendues, y compris sans doute des hameaux et des villages. On se heurterait en outre aux règles de protection des sites pittoresques ou touristiques.

À l’heure actuelle, les STEP constituent 3,2% de notre potentiel électrique et fournissent moins de 1% de l’électricité produite. Un seul des cinq scénarios présentés par RTE dans son Bilan prévisionnel de 2017 prévoit un recours accru à cette formule – sans dire où. Le supplément de courant espéré n’atteindrait que 0,5 % de la production française.

b/ Les batteries ont fait de gros progrès et leurs coûts sont à la baisse. Mais elles ne sont adaptées qu’au stockage à petite ou moyenne échelle,  de l’ordre de la journée. Leur usage pour stocker l’électricité à grande échelle ou sur une longue durée serait hors de prix et le restera selon les projections actuelles.

Seules des applications domestiques ou tertiaires utilisant des batteries sont économiquement accessibles. Mais le chargement s’effectue le plus souvent de nuit ; il ne corrige donc pas les pointes photovoltaïques, ni les pointes diurnes de l’éolien.

c/ Les excédents éoliens (et accessoirement photovoltaïques) pourraient être utilisés à l’électrolyse de l’eau. L’oxygène produit serait dirigé vers l’industrie ; l’hydrogène serait consommé par des véhicules (ce qui supposerait la mise en place d’un réseau de distribution) ou injecté dans le gaz naturel distribué aux usagers (ce qui n’est possible que dans des proportions très limitées).

Dans son document déjà cité, RTE observe que l’électrolyse est coûteuse en capital, et que, pour amortir l’équipement, il faudrait le faire fonctionner au moins la moitié du temps : ce que les excédents en cause ne permettraient pas, loin de là. De toute façon, cette solution, sans effet pour les consommateurs d’électricité, ne résout pas le problème de la l’alimentation des consommateurs d’électricité par temps couvert et sans vent.

Une variante consisterait à brûler l’hydrogène pour produire à nouveau de l’électricité quand on en a besoin. Elle est techniquement réalisable, mais présente l’inconvénient majeur d’un coût très élevé.

Il n’existe actuellement dans le monde, hormis de petites installations expérimentales, aucune usine d’électrolyse de taille industrielle. Aucune n’est annoncée, car le coût de l’électricité produite la rendrait invendable.

d/ La filière consistant à synthétiser du méthane à partir des   surplus éoliens ou photovoltaïques, et à injecter ce méthane dans le gaz naturel distribué aux usagers, peut également fonctionner, mais serait encore plus coûteuse que la filière hydrogène.

Fait notable, aucun des cinq scénarios de RTE, à horizon 2035, ne recourt de façon significative aux batteries, à l’hydrogène ou au méthane.

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À ces remarques, on objectera peut-être le progrès technique, qui peut rendre possible demain ou après-demain ce qui est impossible aujourd’hui.

Mais le progrès technique ne se décrète pas, et ne peut être prévu de manière précise. Dans le meilleur des cas, il faudra plus de vingt ans pour rendre rentable l’une des filières qui viennent d’être présentées. Or, la durée de vie d’une grande éolienne est de l’ordre de vingt ans.

Il serait absurde de continuer à lancer des projets de grandes éoliennes, en comptant sur le progrès des moyens de stockage pour permettre leur insertion rationnelle dans le système de production. Le temps que ce progrès espéré se concrétise, les éoliennes se trouveraient hors d’usage.

Le problème de l’intermittence demeure donc, aussi loin qu’on puisse prévoir, sans solution acceptable à l’échelle du pays.  Ce constat doit conduire à une remise en cause de l’expansion éolienne.

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