La TVA sociale est-elle possible ?

Patrice Cahart, ancien directeur de la Législation fiscale
Août 2025  
Cet article a été publié dans Les Echos du 7 juillet 2025

 

Le président Macron a relancé une vieille idée, la TVA sociale. Elle recouvre deux formules bien différentes.

Instaurer une TVA sociale, ou plutôt accroître celle qui existe déjà (puisqu’une fraction importante des recettes de cet impôt finance dès à présent la protection sociale), cela consiste à abaisser les cotisations sociales et, en contrepartie, à relever un ou plusieurs taux de TVA. Ainsi, une partie de notre protection sociale, au lieu d’être financée par le travail français, le serait par les consommateurs, y compris ceux qui achètent des produits importés.

Si l’allègement porte sur les cotisations du salarié, l’opération, pour lui, sera en principe blanche, la TVA lui reprenant son supplément de salaire. Si l’allègement porte au contraire sur les cotisations patronales, les employeurs pourront  augmenter leurs marges bénéficiaires, et c’est là que le bât blesse, du point de vue syndical.

Écartons d’emblée l’objection selon laquelle la TVA serait socialement régressive, car l’épargne des milieux aisés y échappe. Une épargne ne vaut que par son pouvoir d’achat. Or la TVA relève le niveau des prix. Elle affecte donc l’épargne autant que la consommation.

Mais les expériences qui ont été tentées laissent perplexe. Le gouvernement Couve de Murville a supprimé la taxe sur les salaires, équivalent d’une cotisation patronale. En contrepartie, il a augmenté la TVA. La France a quand même dû dévaluer sa monnaie un an plus tard.

A la fin de 1995, Alain Juppé a fait adopter une hausse de deux points du taux normal de la TVA. En contrepartie, il a abaissé les cotisations patronales (et non salariales) portant sur les bas salaires. L’objectif n’était pas, comme aujourd’hui, de revaloriser le travail, mais de réduire le chômage des travailleurs non qualifiés. Le succès obtenu s’est effacé à partir de 2001. Dès 1997, le gouvernement Juppé avait perdu les élections.

Le Danemark, lui, a remplacé l’essentiel de ses cotisations sociales par de la TVA. Le coût de la vie y est d’environ 15 % plus élevé qu’en France.

Comment imaginer, dans l’ambiance actuelle, que les salariés français acceptent une augmentation du coût de la vie sans progression corrélative de leurs salaires ?   Seule la baisse des cotisations salariales paraît possible. Elle serait neutre pour la puissance publique, car compensée par un supplément de TVA ; neutre aussi pour les salariés, globalement. Elle aurait surtout pour mérite de mieux montrer à ceux-ci le fruit de leur travail. Aujourd’hui, quand un employeur paye 100, le salarié moyen ne perçoit que 55, après cotisations et CSG.

Mais que de difficultés à résoudre ! En équité, la réduction de cotisations sociales devrait être étendue aux travailleurs indépendants, car ils subiraient eux aussi la hausse des prix de détail. Et les retraités, et les chômeurs ?

Une réduction d’un point de cotisation sociale ou de CSG pour l’ensemble des salariés et des travailleurs indépendants coûterait 17 milliards. Or un point du taux normal de la TVA rapporte un peu plus de 8 milliards. Pour rendre le changement manifeste aux yeux des Français, il faudrait à mon sens abaisser les cotisations d’au moins trois points et donc relever le taux normal de TVA de six points. Cela  suppose un gouvernement fort, très fort.

Quoi qu’il en soit, notre salut exige des mesures d’une tout autre ampleur. Au Japon, une retraite à 70 ans est considérée comme normale. Le Danemark a décidé de passer progressivement à cet âge. Nous y sommes nous aussi condamnés.  Mieux vaut nous y mettre avant qu’il ne soit trop tard.