Bienvenue dans le Dataïsme

Un livre de Laurent Darmon, lu par Nicolas Saudray
Juin 2025

Laurent Darmon, docteur en Sciences de l’Information et de la Communication, est le directeur de l’Innovation du Crédit Agricole

Le terme de dataïsme a été inventé en 2013 par David Brooks, journaliste américain né en 1961. Il concerne la fourniture de données de toutes sortes à des machines qui les traitent. L’une de ses composantes est l’intelligence artificielle, aux progrès foudroyants. OpenAl revendique 400 millions d’utilisations par mois pour son système ChatGPT, pourtant récent. Allons-nous vers une nouvelle civilisation ?

Conscient, bien sûr, des abus et des dérives possibles, Laurent Darmon se montre quand même plutôt rassurant. La traduction automatique fonctionne déjà depuis des années, et elle constitue un grand progrès, à condition, néanmoins, qu’un être humain qualifié relise ce qui sort de la machine. Au médecin, à l’avocat, au juge même, l’IA va faire gagner beaucoup de temps : elle leur fournira en un clin d’œil toute la gamme des précédents dont ils ont besoin, et leur épargnera de longues recherches. Avant peu, c’est elle qui rédigera les ordonnances médicales et les jugements des tribunaux, mais ce seront des êtres humains qui l’auront mise sur telle ou telle piste, et discuteront des résultats. La médecine cessera d’être engorgée, la justice sera moins lente sans être nécessairement moins bonne.

Malgré la pertinence de ces remarques, je suis moins rassuré que Laurent Darmon. Tout d’abord, la machine peut se tromper. Chacun en a fait l’expérience, au cours de recherches sur internet : parfois, les résultats n’ont rien à voir avec ce qui était demandé, l’ordinateur ayant été égaré par la similitude de certains termes. La fiabilité du système repose donc sur la vigilance de l’opérateur humain.

Je dois aussi poser la question de la loyauté. L’opérateur humain qui veut fabriquer un article ou un livre reçoit de la machine un texte paré du prestige de la science, mais il dont il ignore les sources. S’il est jeune ou naïf, il a tendance à y voir une vérité révélée, sans comprendre que la machine a malaxé des données prélevées, voire pillées, à droite et à gauche. Ces sources, il faudrait les indiquer à chaque recherche. Les fournisseurs d’intelligence artificielle y répugnent,  d’abord parce que ce serait lourd, ensuite parce qu’ils devraient verser des redevances.

Pour parer à ces critiques, Laurent Darmon observe qu’on n’a jamais écrit autant de livres, même en écartant les produits de l’intelligence artificielle.  C’est dû, à mon sens, aux progrès de l’instruction. Il y a aujourd’hui beaucoup plus d’auteurs potentiels qu’hier. Donc bien plus de livres, mais ils sont bien moins lus (quelques titres mis à part), à cause de la télévision et du numérique.

Rappelons un fait fondamental : si grosse qu’elle soit, la machine ne peut pas inventer. Elle ne peut que restituer, sous une forme mieux organisée, les données qu’on lui a servies, et qu’elle a traitées suivant les programmes insérés en son sein. Si tel ordinateur a battu tel champion d’échecs, c’est parce qu’un concepteur humain, spécialiste de la matière, lui avait confié des méthodes d’offensive, de parade et de réplique. Pour que l’humanité continue de progresser, il faudra que des hommes continuent de réfléchir par eux-mêmes, quitte à faire exploiter leurs inventions par la machine. En fin de compte, l’homme conserve la primauté.

Laurent Darmon note, parmi les produits du dataïsme, les cryptomonnaies. Je m’étonne, pour ma part, que les responsables financiers de la planète aient toléré  des moyens de paiement si opaques, si dangereux par leurs variations brutales, si coûteux en électricité, et si nuisibles par le blanchiment d’argent qu’ils permettent. Qui dit monnaie dit confiance, et qui dit confiance dit contrôle à un haut niveau. Maintenant que deux proches de Trump ont investi dans les cryptos, la marche arrière va être difficile.

L’auteur salue, non sans raison, les grands barons des GAFA, dont la réussite est fondée sur le dataïsme, mais émet à leur endroit une remarque judicieuse : si riches qu’ils soient, ils n’ont aucun pouvoir politique. La brouille d’Elon Musk avec Trump, survenue après l’impression du livre, confirme ce propos. Faut-il s’en réjouir, ou le regretter ? Dictée par des robots, les politiques de bien des dirigeants du monde, à commencer par Trump, Poutine, Netanhyahou et Khameneï, deviendraient plus rationnelles. Mais nous n’aurons pas cette chance.

Mes différentes observations sont autant de raisons de lire l’ouvrage de Laurent Darmon, très bonne synthèse effectuée par un homme qui sait son métier.

Le livre : Laurent Darmon, Bienvenue dans le Dataïsme, Éd. Rémanence, 2025, 260 pages, 18 €

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