Steven Koonin : Climat, la part d’incertitude

Un livre lu par Patrice Cahart
Décembre 2022

Steven Koonin, professeur de physique théorique, est un scientifique américain de premier plan. Il a été sous-secrétaire d’État à la Science dans l’équipe du président Obama. Pendant quelque temps, il a adhéré à la vulgate relative au climat et aux énergies renouvelables. Puis des doutes lui ont venus, et il les a fait connaître à compter de 2014 – ce qui lui a valu des polémiques dont procède le livre d’aujourd’hui. Mais Koonin s’affirme démocrate, et rappelle volontiers son passage chez Obama : ce qui le met à l’abri, semble-t-il, des préjugés idéologiques tendant à minorer la menace qui pèse sur le climat.

Malgré sa relative technicité, l’ouvrage a connu un vif succès aux États-Unis. La traduction française vient de paraître. La polémique débute dans notre pays.

Une évaluation sidérante est présentée dès le deuxième chapitre : l’activité  humaine, dont on nous entretient sans cesse, n’est responsable que de 1 % de  l’énergie qui chauffe la surface du globe.

Le reste est dû au soleil, dont les variations – du moins celles qui ont été observées jusqu’à présent – ont un caractère cyclique. Dans l’un de mes ouvrages, je me suis permis de prévoir que le cycle de Gleissberg, actuellement en phase ascendante, allait se renverser vers 2060,  et donc nous aider [1]. Mais sur la longue période, les effets des cycles se compensent, et on devrait pouvoir les négliger.

Koonin insiste sur le caractère récent de ce 1 % d’énergie, d’origine humaine, qui agit sur le climat. Depuis 1900, observe-t-il, la population mondiale a été multipliée par quatre, et la consommation par tête a été multipliée par dix. D’où, au total, une multiplication par quarante. Par conséquent, à la fin du XIXe siècle et au début du suivant, l’activité humaine ne produisait qu’un quarantième du 1 % actuel – une quantité infime. En 2000, le 1 % « humain » est atteint, et il a engendré, abstraction faite des variations solaires, le degré supplémentaire de température[2] constaté pour le XXe siècle sur  la planète considérée dans son ensemble.

Un degré seulement, alors qu’on pouvait attendre davantage. La température moyenne du globe s’élève aujourd’hui à 288 degrés centigrades – soit 273 degrés du zéro absolu au zéro de l’eau qui gèle, plus 15 degrés au-dessus de ce dernier. En 1900, c’était 287 degrés. Logiquement, un surplus d’énergie chauffante de 1 % aurait dû agir de manière proportionnelle sur ces 287 degrés, et donc élever la température terrestre, durant le XXe siècle, d’environ 2,87 degrés.

C’est là que Koonin avance son second fait sidérant : l’effet décroissant des augmentations de gaz carbonique (ou dioxyde de carbone, ou CO2). La concentration de l’atmosphère en gaz à effet de serre, y compris la vapeur d’eau, étant déjà élevée, elle suffit pour rabattre vers la surface du globe 83 % de la chaleur (infra-rouges) qui en provient. Dès lors, écrit notre auteur, ajouter du gaz carbonique revient à repeindre en noir un carreau déjà noir. En termes plus précis, un doublement de la teneur de l’atmosphère en gaz carbonique n’engendrerait qu’un degré supplémentaire de température – encore un degré.

À ce stade du raisonnement, j’observe qu’en ajoutant ce nouveau degré à celui qui a été acquis au cours du XXe siècle, on retrouverait l’objectif de deux degrés qui avait été proposé par le GIEC – avant que la conférence des États tenue à Paris en 2015 ne le ramène à 1,5 °, sans analyse sérieuse et pour des raisons purement politiques. Ce supplément de deux degrés, nous ne le subirions pas à terme proche. En effet, Koonin nous indique que la teneur de l’atmosphère en gaz carbonique augmente chaque année de 2,3 ppm (parties par million). À cette vitesse, il faudrait 180 ans pour la doubler. De plus, suivant les prévisions les plus largement acceptées, la population du globe atteindra un maximum vers 2070, puis décroîtra un peu. Or la croissance démographique est à présent l’une des principales causes des émissions de gaz carbonique. Les 2,3 ppm devraient s’abaisser en même temps qu’elle.

Je remarque aussi que le degré supplémentaire serait atteint sans compression importante de la consommation d’énergie et sans changement majeur de son  système de production, car l’augmentation annuelle de 2,3 ppm prévue de manière indicative par Koonin prolonge simplement les données du passé proche. L’objectif « zéro carbone en 2075 » (ou a fortiori en 2050), si difficile à atteindre, perd donc son caractère impérieux.

Si les études sur lesquelles s’appuie Koonin sont fondées, les discours effrayants  qu’on nous sert sur le réchauffement et les efforts surhumains qu’on exige de nous appellent une sérieuse révision. Une incertitude importante affecte toutefois le méthane. Ce gaz à effet de serre se transforme, dans l’atmosphère,  en gaz carbonique sur une période d’une douzaine d’année. Il est donc inclus, en principe, dans la progression annuelle de 2,3 ppm mentionnée plus haut. Mais certains spécialistes redoutent un phénomène de spirale, dont ils pensent apercevoir les premiers signes : la chaleur croissante dégèle le sol des régions arctiques, libérant ainsi le méthane qui s’y trouve piégé depuis longtemps (végétaux fossiles) ; ce supplément de méthane fait monter encore la température terrestre, provoquant un nouveau dégel… Ce risque de progression auto-entretenue n’est évidemment pas inclus dans le chiffre de 2,3 ppm, qui reflète le passé, et devrait, pour l’avenir, être corrigé en hausse.

Bien que la menace sur le climat soit sans doute, tout compte fait, moindre qu’on ne le croyait avant le livre de Koonin, la prudence commande de poursuivre quand même la lutte contre le réchauffement – en évitant des mesures déraisonnables qui susciteraient, dans divers pays, des mouvements du type « gilets jaunes » et se retourneraient contre le climat.

La suite de l’ouvrage est consacrée aux effets réels du réchauffement. Les médias ont tendance à lui imputer chaque tempête. Or Koonin montre que la fréquence et la force des ouragans, dans l’Atlantique nord, n’ont pas augmenté sur la période 1851-2020. Il y a de bonnes chances que ce constat soit transposable à l’Europe. De même, la fréquence des tornades (tempêtes très localisées) ne s’est pas accrue aux États-Unis depuis 1954. Voilà des découvertes de taille.

Elles non plus, les précipitations sur la terre ferme ne manifestent depuis 1901,  dans le monde entier, aucune tendance montante ou descendante. Ce constat de Koonin met à mal l’idée selon laquelle le réchauffement accroîtrait de façon significative l’évaporation, restituée ensuite sous forme de pluies. Mais alors, pourquoi tous ces épisodes de sécheresse ? Parce que les pluies sont devenues plus irrégulières, tout en conservant leur volume global. Pourquoi ces incendies de forêts catastrophiques ? L’auteur publie un graphique suivant lequel la superficie des zones incendiées, dans le monde, a en fait baissé. Malheureusement, la courbe ne va que de 2003 à 2015, et plusieurs sinistres spectaculaires se sont produits ultérieurement. Koonin pourrait peut-être, à ce sujet, invoquer la croissance de la population, qui a accru les risques.

Il se montre moins convaincant au sujet de la montée des mers – la conséquence la plus préoccupante du réchauffement. La hausse de 3 mm par an, observée depuis une trentaine d’années, lui paraît reconductible. Sur un siècle, elle n’atteindrait que 30 cm, grandeur supportable. Mais cette prévision s’accorde mal avec les informations récentes dont nous disposons sur la fonte des glaces,  au Groenland, dans les Alpes, dans l’Himalaya, dans l’Antarctique. D’autres chercheurs, apparemment sérieux, avancent des prévisions doubles ou triples de celles de Koonin.

 S’agissant enfin de l’incidence du changement climatique sur la santé des humains, il reproduit une déclaration de l’Organisation Mondiale de la Santé, selon laquelle le problème environnemental le plus grave, dans une grande partie du monde, est celui de la cuisine faite en brûlant du bois, ou en brûlant des déchets. Cette pratique n’est pas due au climat, mais à la pauvreté.

La lutte pour le climat étant malgré tout nécessaire, quelles formes doit-elle prendre ? Koonin s’intéresse à la géo-ingénierie – l’ensemencement des nuages par des particules de soufre, pour renvoyer au soleil sa chaleur. Il signale le faible coût de l’opération (des tirs au canon suffiraient), mais craint des erreurs de réglage et des dissensions entre pays. Il s’intéresse aussi à la capture du carbone à la sortie des usines, et regrette son coût élevé, ainsi que la difficulté de stocker la masse capturée. La fusion nucléaire, encore incertaine, lui semble une autre voie prometteuse.

Je conclus ce compte-rendu par deux remarques. La première vient de Koonin lui-même. La planète proprement dite ne risque rien, au cours des prochains millénaires. Elle a connu des éruptions massives, des glaciations, des concentrations de carbone bien plus élevées qu’aujourd’hui. Elle s’en est toujours tirée. C’est sur ses habitants actuels que la menace pèse, sans qu’on puisse encore préciser l’échéance. Au cours des époques géologiques précédentes, les végétaux et les animaux se sont, nous dit-on, « adaptés » aux forts changements climatiques. Cela signifie que de nombreuses espèces ont disparu, et que d’autres ont surgi.

La seconde remarque, Koonin ne pourrait que l’approuver. La récente conférence sur le climat de Charm el-Cheikh, en Égypte, a réuni 33 000 personnes. Quelle masse de carbone dégagée dans l’atmosphère par les avions qui ont amené et ramené tout ce monde !

 

Le livre : Steven E. Koonin, Climat, la part d’incertitude.  Original américain 2021, traduction française aux Éditions de l’Artilleur 2022. Prix 22 €.

[1] Nicolas Saudray, Nous les dieux, Éd. Michel de Maule, 2015, dernier chapitre.
[2] 1,15° à l’automne de 2022.