Steven Koonin : Climat, la part d’incertitude

Un livre lu par Patrice Cahart
Décembre 2022

Steven Koonin, professeur de physique théorique, est un scientifique américain de premier plan. Il a été sous-secrétaire d’État à la Science dans l’équipe du président Obama. Pendant quelque temps, il a adhéré à la vulgate relative au climat et aux énergies renouvelables. Puis des doutes lui ont venus, et il les a fait connaître à compter de 2014 – ce qui lui a valu des polémiques dont procède le livre d’aujourd’hui. Mais Koonin s’affirme démocrate, et rappelle volontiers son passage chez Obama : ce qui le met à l’abri, semble-t-il, des préjugés idéologiques tendant à minorer la menace qui pèse sur le climat.

Malgré sa relative technicité, l’ouvrage a connu un vif succès aux États-Unis. La traduction française vient de paraître. La polémique débute dans notre pays.

Une évaluation sidérante est présentée dès le deuxième chapitre : l’activité  humaine, dont on nous entretient sans cesse, n’est responsable que de 1 % de  l’énergie qui chauffe la surface du globe.

Le reste est dû au soleil, dont les variations – du moins celles qui ont été observées jusqu’à présent – ont un caractère cyclique. Dans l’un de mes ouvrages, je me suis permis de prévoir que le cycle de Gleissberg, actuellement en phase ascendante, allait se renverser vers 2060,  et donc nous aider [1]. Mais sur la longue période, les effets des cycles se compensent, et on devrait pouvoir les négliger.

Koonin insiste sur le caractère récent de ce 1 % d’énergie, d’origine humaine, qui agit sur le climat. Depuis 1900, observe-t-il, la population mondiale a été multipliée par quatre, et la consommation par tête a été multipliée par dix. D’où, au total, une multiplication par quarante. Par conséquent, à la fin du XIXe siècle et au début du suivant, l’activité humaine ne produisait qu’un quarantième du 1 % actuel – une quantité infime. En 2000, le 1 % « humain » est atteint, et il a engendré, abstraction faite des variations solaires, le degré supplémentaire de température[2] constaté pour le XXe siècle sur  la planète considérée dans son ensemble.

Un degré seulement, alors qu’on pouvait attendre davantage. La température moyenne du globe s’élève aujourd’hui à 288 degrés centigrades – soit 273 degrés du zéro absolu au zéro de l’eau qui gèle, plus 15 degrés au-dessus de ce dernier. En 1900, c’était 287 degrés. Logiquement, un surplus d’énergie chauffante de 1 % aurait dû agir de manière proportionnelle sur ces 287 degrés, et donc élever la température terrestre, durant le XXe siècle, d’environ 2,87 degrés.

C’est là que Koonin avance son second fait sidérant : l’effet décroissant des augmentations de gaz carbonique (ou dioxyde de carbone, ou CO2). La concentration de l’atmosphère en gaz à effet de serre, y compris la vapeur d’eau, étant déjà élevée, elle suffit pour rabattre vers la surface du globe 83 % de la chaleur (infra-rouges) qui en provient. Dès lors, écrit notre auteur, ajouter du gaz carbonique revient à repeindre en noir un carreau déjà noir. En termes plus précis, un doublement de la teneur de l’atmosphère en gaz carbonique n’engendrerait qu’un degré supplémentaire de température – encore un degré.

À ce stade du raisonnement, j’observe qu’en ajoutant ce nouveau degré à celui qui a été acquis au cours du XXe siècle, on retrouverait l’objectif de deux degrés qui avait été proposé par le GIEC – avant que la conférence des États tenue à Paris en 2015 ne le ramène à 1,5 °, sans analyse sérieuse et pour des raisons purement politiques. Ce supplément de deux degrés, nous ne le subirions pas à terme proche. En effet, Koonin nous indique que la teneur de l’atmosphère en gaz carbonique augmente chaque année de 2,3 ppm (parties par million). À cette vitesse, il faudrait 180 ans pour la doubler. De plus, suivant les prévisions les plus largement acceptées, la population du globe atteindra un maximum vers 2070, puis décroîtra un peu. Or la croissance démographique est à présent l’une des principales causes des émissions de gaz carbonique. Les 2,3 ppm devraient s’abaisser en même temps qu’elle.

Je remarque aussi que le degré supplémentaire serait atteint sans compression importante de la consommation d’énergie et sans changement majeur de son  système de production, car l’augmentation annuelle de 2,3 ppm prévue de manière indicative par Koonin prolonge simplement les données du passé proche. L’objectif « zéro carbone en 2075 » (ou a fortiori en 2050), si difficile à atteindre, perd donc son caractère impérieux.

Si les études sur lesquelles s’appuie Koonin sont fondées, les discours effrayants  qu’on nous sert sur le réchauffement et les efforts surhumains qu’on exige de nous appellent une sérieuse révision. Une incertitude importante affecte toutefois le méthane. Ce gaz à effet de serre se transforme, dans l’atmosphère,  en gaz carbonique sur une période d’une douzaine d’année. Il est donc inclus, en principe, dans la progression annuelle de 2,3 ppm mentionnée plus haut. Mais certains spécialistes redoutent un phénomène de spirale, dont ils pensent apercevoir les premiers signes : la chaleur croissante dégèle le sol des régions arctiques, libérant ainsi le méthane qui s’y trouve piégé depuis longtemps (végétaux fossiles) ; ce supplément de méthane fait monter encore la température terrestre, provoquant un nouveau dégel… Ce risque de progression auto-entretenue n’est évidemment pas inclus dans le chiffre de 2,3 ppm, qui reflète le passé, et devrait, pour l’avenir, être corrigé en hausse.

Bien que la menace sur le climat soit sans doute, tout compte fait, moindre qu’on ne le croyait avant le livre de Koonin, la prudence commande de poursuivre quand même la lutte contre le réchauffement – en évitant des mesures déraisonnables qui susciteraient, dans divers pays, des mouvements du type « gilets jaunes » et se retourneraient contre le climat.

La suite de l’ouvrage est consacrée aux effets réels du réchauffement. Les médias ont tendance à lui imputer chaque tempête. Or Koonin montre que la fréquence et la force des ouragans, dans l’Atlantique nord, n’ont pas augmenté sur la période 1851-2020. Il y a de bonnes chances que ce constat soit transposable à l’Europe. De même, la fréquence des tornades (tempêtes très localisées) ne s’est pas accrue aux États-Unis depuis 1954. Voilà des découvertes de taille.

Elles non plus, les précipitations sur la terre ferme ne manifestent depuis 1901,  dans le monde entier, aucune tendance montante ou descendante. Ce constat de Koonin met à mal l’idée selon laquelle le réchauffement accroîtrait de façon significative l’évaporation, restituée ensuite sous forme de pluies. Mais alors, pourquoi tous ces épisodes de sécheresse ? Parce que les pluies sont devenues plus irrégulières, tout en conservant leur volume global. Pourquoi ces incendies de forêts catastrophiques ? L’auteur publie un graphique suivant lequel la superficie des zones incendiées, dans le monde, a en fait baissé. Malheureusement, la courbe ne va que de 2003 à 2015, et plusieurs sinistres spectaculaires se sont produits ultérieurement. Koonin pourrait peut-être, à ce sujet, invoquer la croissance de la population, qui a accru les risques.

Il se montre moins convaincant au sujet de la montée des mers – la conséquence la plus préoccupante du réchauffement. La hausse de 3 mm par an, observée depuis une trentaine d’années, lui paraît reconductible. Sur un siècle, elle n’atteindrait que 30 cm, grandeur supportable. Mais cette prévision s’accorde mal avec les informations récentes dont nous disposons sur la fonte des glaces,  au Groenland, dans les Alpes, dans l’Himalaya, dans l’Antarctique. D’autres chercheurs, apparemment sérieux, avancent des prévisions doubles ou triples de celles de Koonin.

 S’agissant enfin de l’incidence du changement climatique sur la santé des humains, il reproduit une déclaration de l’Organisation Mondiale de la Santé, selon laquelle le problème environnemental le plus grave, dans une grande partie du monde, est celui de la cuisine faite en brûlant du bois, ou en brûlant des déchets. Cette pratique n’est pas due au climat, mais à la pauvreté.

La lutte pour le climat étant malgré tout nécessaire, quelles formes doit-elle prendre ? Koonin s’intéresse à la géo-ingénierie – l’ensemencement des nuages par des particules de soufre, pour renvoyer au soleil sa chaleur. Il signale le faible coût de l’opération (des tirs au canon suffiraient), mais craint des erreurs de réglage et des dissensions entre pays. Il s’intéresse aussi à la capture du carbone à la sortie des usines, et regrette son coût élevé, ainsi que la difficulté de stocker la masse capturée. La fusion nucléaire, encore incertaine, lui semble une autre voie prometteuse.

Je conclus ce compte-rendu par deux remarques. La première vient de Koonin lui-même. La planète proprement dite ne risque rien, au cours des prochains millénaires. Elle a connu des éruptions massives, des glaciations, des concentrations de carbone bien plus élevées qu’aujourd’hui. Elle s’en est toujours tirée. C’est sur ses habitants actuels que la menace pèse, sans qu’on puisse encore préciser l’échéance. Au cours des époques géologiques précédentes, les végétaux et les animaux se sont, nous dit-on, « adaptés » aux forts changements climatiques. Cela signifie que de nombreuses espèces ont disparu, et que d’autres ont surgi.

La seconde remarque, Koonin ne pourrait que l’approuver. La récente conférence sur le climat de Charm el-Cheikh, en Égypte, a réuni 33 000 personnes. Quelle masse de carbone dégagée dans l’atmosphère par les avions qui ont amené et ramené tout ce monde !

 

Le livre : Steven E. Koonin, Climat, la part d’incertitude.  Original américain 2021, traduction française aux Éditions de l’Artilleur 2022. Prix 22 €.

[1] Nicolas Saudray, Nous les dieux, Éd. Michel de Maule, 2015, dernier chapitre.
[2] 1,15° à l’automne de 2022.

Eolien. Retard ? mais quel retard ?

Par Ludovic Grangeon
Octobre 2022

Ancien cadre de la Caisse des Dépôts, Ludovic Grangeon est aujourd’hui un expert en économie et notamment en énergétique. Il publie sur la Toile une lettre d’information, Économie-Matin.

Si un mot s’applique bien à l’éolien, c’est bien celui de « retard » mais ce n’est pas celui qu’on croit. Le Gouvernement est si pauvre en arguments qu’il ne peut justifier l’équipement en « énergies renouvelables » que par le mot « retard », sans rien sur l’efficacité technique, économique et industrielle d’un tel choix, sauf…. un marketing efficace par les mêmes agences qui travaillent pour big pharma ou les pesticides…

On ne peut que saluer la belle réussite de ce marketing financier et spéculatif qui a réussi à nous vendre … du vent… Le siège constant de Bruxelles par de discrètes officines  au budget illimité y est pour beaucoup.

Effectivement, rien ne le justifie. La technologie des éoliennes HAWT dites « Poul La Cour » a 150 ans et elle est obsolète mais très rentable parce qu’elle est complètement amortie. Testée par les laboratoires nationaux dans les années 50, son rendement n’a jamais dépassé le marginal ou l’anecdotique. Les éoliennes tournent 90 % du temps mais elles ne fonctionnent à plein rendement que 20 % de ce temps et le reste en « roue libre ». Les lobbies industriels ont fortement communiqué sur l’image emblématique de ces mâts à hélices qui tournent désespérément dans le vide en ne produisant dans le meilleur des cas que 7 % de notre électricité, 1 jour sur 5, sans jamais savoir quand…

Par ailleurs, il est très étonnant de parler de ces « énergies renouvelables » qui n’en sont pas et de ne pas parler des véritables solutions. La géothermie fonctionne toute l’année. L’hydraulique pèse encore aujourd’hui 3 fois l’éolien.  La pollution par les batteries pèse trois fois l’amiante avec des centaines de morts au lithium. Faut-il rappeler que la simple ingestion d’une minuscule pile de montre par un enfant est mortelle ? Les mines de lithium font des ravages sur les populations.  Par contre les piles actives à combustibles ne fonctionnent pas qu’à l’hydrogène et ne rejettent que de l’eau.

Alors que la France est signataire de la Convention internationale de Florence sur les paysages, elle défigure en zones industrielles rurales des centaines de sites que le monde entier nous envie et vient admirer. Un projet de 30 éoliennes a même été évité de justesse sur le site de l’abbaye du Mont saint Michel… L’implantation massive dans la Beauce est en train d’assécher le grenier à blé français avec des éoliennes dont chacune brasse 35 tonnes d’air à la seconde, soit le plein trafic d’une autoroute à trois voies, et il y a des centaines d’éoliennes disséminées dans les champs…

L’éolien offshore, nouvelle tarte à la crème, est un désastre technique et écologique et une juteuse opération financière à nos dépens. Ces opérations suppriment l’équilibre des seuls milieux de hauts fonds nécessaires à la reproduction et à la diversité des espèces marines, notamment par les vibrations des machines qui portent jusqu’à 30km dans l’eau et perturbent toutes les espèces. Les seules zones de pêche viables sont irrémédiablement sacrifiées, avec des centaines d’emplois régionaux supprimés et non remplacés dans le développement durable. Jamais la reconversion et l’indemnisation des pêcheurs en aquaculture et autres activités n’a été proposée, et il est trop tard pour le faire.

Le risque d’accident aérien est bizarrement occulté. Pourtant, l’Australie a tiré les enseignements des turbulences jusqu’à 14 km d’éoliennes plus petites que celles-ci, survenues sur l’ancien avion du président des USA redressé à 100 m du sol….… s’y ajoute le problème permanent de navigation en mer des navires dans une zone fréquentée à proximité des installations portuaires

Un silence assourdissant plane sur les échecs des liaisons électriques à courant continu comme les éoliennes de l’Allemagne en Mer du Nord avec plus d’une centaine d’incidents techniques et d’interruptions de plusieurs semaines sans production. Ce problème n’est toujours pas résolu.

L’agrandissement de la taille des machines a été fortement critiqué par le directeur du centre d’essais éoliens européen au Danemark, (écarté depuis) en raison de vibrations et risques de casse, baisse de rendement, usure prématurée etc…) confirmés par une wikileak australienne sur les conclusions internes défavorables d’un constructeur éolien (Vestas).

L’Enfer numérique, de Guillaume Pitron

Lu par Nicolas Saudray
Novembre 2021

 

Guillaume Pitron, né en 1980, de formation juridique, a été quelque temps journaliste, notamment pour le Monde diplomatique. En 2018, il s’est fait connaître par sa Guerre des métaux rares, où il a révélé au grand public le problème posé par le besoin croissant de ces métaux, ainsi que des terres rares. Ce livre a été couronné de plusieurs prix bien mérités.

Les Verts vivent encore dans la croyance que grâce à des solutions écologiques draconiennes, le monde pourra se libérer de la pollution. Illusion ! Une pollution va en remplacer une autre, à grands frais.

Le nouvel ouvrage de l’auteur, L’Enfer numérique, se situe dans la même ligne. Le numérique nous apporte beaucoup. Mais à quel prix ! Son empreinte écologique (émissions de carbone, terres rares, etc.) équivaut, pour le monde entier, à celle d’un pays comme le Royaume-Uni ou la France. Et elle augmente vite. Les ordinateurs ne vivent en moyenne que quatre ans. En conséquence, un simple SMS coûte 600 grammes de ressources, tous métaux et tous produits rares confondus.

« Quels seront les impacts écologiques, demande Guillaume Pitron, d’un monde dans lequel des essaims de véhicules autonomes marauderont, vides, à travers des cités endormies, et où des armadas de logiciels en découdront sur le Web, vingt-quatre heures par jour, tandis que nous vaquerons à nos loisirs ? Il nous paraît juste d’affirmer qu’ils seront colossaux ».

À la pollution s’ajoutera la dépendance. Les pays développés répugnent à extraire les substances rares chez eux, en raison des inconvénients écologiques de l’extraction. Ils préfèrent confier cette corvée à d’autres pays. De ce fait, ils se mettent entre leurs mains. De surcroît, ils ont laissé, pour des raisons de coût salarial, un seul producteur de Formose (Taïwan) assurer la moitié de la production mondiale de puces. Les conséquences apparaissent aujourd’hui : l’industrie automobile américaine et européenne se voit contrainte de ralentir sa production, par manque de ces cellules de base.

Un  chapitre inattendu du livre est consacré aux câbles transocéaniques. On s’imagine que les données transitent par les airs. Mais 99 % d’entre elles empruntent des câbles, sous terre ou sous les mers. Or ces liaisons, qui prolifèrent,  sont coûteuses et vulnérables. Les chaluts les endommagent. En 2006, un séisme a isolé Formose durant quarante-neuf jours.  Les navires câbliers passent leur temps à réparer.  

Comment freiner le développement de tout cela ? Guillaume Pitron suggère, discrètement, de rendre payant l’accès à la Toile. Nous sommes si habitués à la gratuité que nous sursautons. Mais cette gratuité devra, un jour ou l’autre, être reléguée au magasin des idées périmées. Dans un premier temps, je pense qu’il conviendrait de taxer les vidéos, particulièrement gourmandes en espace d’ordinateur. Les hébergeurs devraient répercuter cette taxe sur leurs clients, et auraient interdiction de la faire prendre en charge par la publicité. On réduirait ainsi la masse des vidéos de vacances ou de celles qui sont consacrées à nos animaux domestiques. En quoi le patrimoine de l’humanité s’en trouverait-il  réduit ?

L’audacieux Pitron laisse également entendre qu’il serait bon d’entraver la 5G et la voiture autonome. Il s’en prend ainsi, à juste raison, à l’idée suivant laquelle tout progrès technique serait bénéfique et inévitable. La fin du Concorde a prouvé le contraire ; il a fallu abandonner cet avion. Le niveau de performance atteint par la télévision et par l’automobile est bien suffisant. La planète ne peut s’offrir davantage.

Cet Enfer numérique pourra parfois paraître un peu confus. Le lecteur aurait tort de s’arrêter à cela. Les idées, pertinentes, se mettent en ordre d’elles-mêmes.

En refermant l’ouvrage, je me dis que l’homme devient l’esclave de ses propres créations.

Le livre : Guillaume Pitron, L’Enfer numérique, Éd. Les Liens qui libèrent, 2021, 346 pages, 21 €.       

Nucléaire : un livre salutaire de Pierre Audigier

Lu par Nicolas Saudray
Octobre 2021

 

Voilà un livre qui arrive à point. Une déclaration ministérielle vient d’annoncer, sous toutes réserves, que le lancement du programme de six réacteurs, envisagé pour 2023 seulement, serait peut-être avancé d’environ un an. Puisse cet ouvrage conforter nos dirigeants dans cette bonne intention.

Ingénieur général des Mines (h), ancien chef de la mission scientifique de l’ambassade de France à Washington, ancien conseiller de l’Union européenne en matière d’énergie, Pierre Audigier était particulièrement placé pour effectuer un diagnostic du nucléaire. Il le réalise ici pour la France, à la lumière d’exemples étrangers.

L’auteur commence par rappeler la genèse du parc nucléaire français, dont l’objectif principal était de limiter, pour notre pays, l’incidence d’une éventuelle pénurie d’hydrocarbures. Curieusement, nous sommes ramenés aujourd’hui à cette situation : la pénurie de gaz vient, par contagion, de faire flamber les cours de l’électricité.

Or notre nucléaire est menacé, sinon d’un abandon, du moins d’un recroquevillement. Les deux réacteurs de Fessenheim ont été fermés, alors qu’ils pouvaient aisément fonctionner vingt ans de plus ; d’où pour EDF, sur cette durée, une perte de recettes de 16 milliards. Et ce n’est qu’un début. La programmation pluriannuelle pour l’énergie (PPE), suite d’une loi purement politique de 2019, prévoit la clôture prématurée de douze autres réacteurs, d’ici à 2035. Les Verts comptent bien qu’on ne s’en tiendra pas là.

Cette hostilité au nucléaire est essentiellement fondée sur la crainte que ses accidents inspirent au public. Pierre Audigier met les choses au point. L’incident de Three Mile Island, aux États-Unis (1979) ne s’est soldé par aucun dégât humain ou environnemental. Celui de Tchernobyl (1986) résultait d’une technique beaucoup plus sommaire que la nôtre, et les 3500 cancers de la thyroïde qu’il a causés auraient  pu être en grande partie évités par une distribution d’iode. L’incident de Fukushima (2011) relevait d’un grave négligence, car une vague de vingt mètres de haut avait été observée en 1885 dans cette région, et celle qui a inondé les installations ne mesurait que quatorze mètres. Nous sommes dans une très large mesure à l’abri de telles péripéties, car notre Autorité de Sûreté Nucléaire passe, avec l’américaine, pour la meilleure du monde, et est sans doute la plus exigeante.

La majeure partie du public croit aussi que les nuages dégagés par les centrales nucléaires sont porteurs de carbone, alors qu’il s’agit d’une innocente vapeur d’eau. Les hommes politiques n’ont rien fait pour dissiper ce mythe, alors que c’est pourtant leur rôle.

Quant au traitement des déchets nucléaires, notre auteur montre qu’il  trouvé, avec le projet Cigéo de Bure (Meuse), une solution raisonnable et sûre.

Face aux craintes largement imaginaires, Pierre Audigier aligne les avantages du nucléaire :

     ¤ une production régulière et pilotable, s’opposant à l’intermittence de l’éolien et du photovoltaïque ;

      ¤ une longue durée des installations, jusqu’à 80 ans d’après l’exemple américain, alors que les éoliennes ne fonctionnent guère plus de 20 ans ;

     ¤ en conséquence, un coût marginal modéré : seulement 33 € le mégawatt-heure pour les réacteurs en place, alors que pour l’éolien terrestre, il atteint dans les meilleurs cas 60 €, auxquels il faut ajouter le coût très élevé du réseau à mettre en place et d’une force de secours (gazière) destinée à pallier l’intermittence ;

     ¤ l’emploi de 220 000 personnes en France, alors que dans le cas des renouvelables, l’emploi se situe principalement hors de France.

Le public n’a pas encore pris pleinement conscience de cette balance des avantages et des défauts, si favorable au nucléaire. Selon un sondage sur un millier de personnes publié le 30 septembre par le Figaro (juste avant la parution du livre), 51% seulement des sondés ont une « vision positive » de cette énergie, alors que 63 % déclarent avoir une « vision positive » de l’éolien – lequel ne présente pourtant, dans le cas de la France, que des inconvénients. Il reste donc beaucoup de chemin à faire dans les esprits. L’ouvrage de Pierre Audigier y contribuera.

Quel peut être l’avenir du nucléaire dans notre pays ? Flamanville III a pris un retard considérable, en raison notamment d’un manque de soudeurs assez qualifiés ; ce qui révèle une défaillance de notre système de formation. Mais les deux EPR chinois, dont la technique est similaire, ont été mis en place dans des conditions bien meilleures. L’espoir nous est donc permis pour les six nouveaux réacteurs envisagés.

En revanche, Pierre Audigier doute que les petits réacteurs modulaires, en cours de mise au point dans divers pays, et tout récemment célébrés par le discours officiel français, puissent couvrir une part importante de nos besoins. Ce seront plutôt, si tout va bien, des articles d’exportation.

Au niveau mondial, le nucléaire est loin de connaître un déclin : 53  réacteurs sont en construction, dans 19 pays. Dès lors, le contre-exemple allemand ne doit pas nous paralyser. Selon une décision prise sur l’initiative d’Angela Merkel, nos voisins d’outre-Rhin doivent fermer leurs derniers réacteurs en 2022, ce qui les mettra dans la dépendance d’un gaz russe et polluant, acheminé par la conduite Nordstream 2. Mais peut-être l’échéance de 2022 devra-t-elle être différée, si l’actuelle flambée des prix de l’électricité persiste.

Dans ce contexte, les discussions européennes en cours présentent un intérêt majeur. Il s’agit de la « taxonomie », c’est-à-dire de l’établissement d’une liste de sources d’énergie réputées saines et durables. Un groupe de pays emmené par l’Allemagne entend exclure le nucléaire, en raison de ses déchets. Il plaide en revanche pour une inscription « transitoire » du gaz polluant sur la liste. Résultat,  dès maintenant : le produit des « obligations vertes » émises par l’Union peut financer les centrales à gaz, mais non le nucléaire. Si, en fin de compte, celui-ci était rejeté de la liste des « durables », il ne serait pas interdit, mais son financement deviendrait difficile, car les banques et autres institutions financières qui voudraient y participer risqueraient d’être stigmatisées. Pierre Audigier ajoute que, le courant éolien et photovoltaïque étant par hypothèse prioritaire sur le réseau, les centrales nucléaires seraient condamnées à de fréquents arrêts, et la rentabilité espérée des plus nouvelles d’entre elles plongerait.

Dans un avenir un peu moins proche, l’avenir du nucléaire semble appartenir à la « quatrième génération », c’est-à-dire aux réacteurs à neutrons rapides, qui créent plus de combustible qu’ils n’en consomment. La France a manqué ce train deux fois : la première en 1997, par l’abandon du projet Superphénix ; la deuxième en 2019, par le gel du projet Astrid, pour lequel huit cent millions avaient déjà été dépensés. Elle sera trop heureuse, le moment venu, d’emprunter cette technique à d’autres, moyennant redevances.

L’électricité sera de plus en plus au centre de notre économie et de notre vie quotidienne. L’avenir du nucléaire est donc aussi le nôtre.

Le livre : Pierre Audigier, Nucléaire – La Grande méprise des antinucléaires. Collection Alerte, Éditions Hugo Doc. 160 pages, 9,95 €.       

Le mystère des eaux perdues, deux excursions alpestres

Par Nicolas Saudray
Août 2021

         Chaque été, Colmars-les-Alpes (Alpes de Haute-Provence), bourg fortifié par François Ier puis par Vauban, à 1240 m d’altitude, devient une petite capitale culturelle grâce à Frank Gétreau et à son équipe. C’est donc par le théâtre que j’ai eu le bonheur de connaître ce lieu d’exception. Mais la haute vallée du Verdon, où niche ce bourg, se prête aussi à de fort belles excursions et à des observations écologiques. En voici deux exemples vécus.

          Première excursion : le lac d’Allos et le col de l’Encombrette

          Parmi les lacs de montagne de notre pays, celui d’Allos (2228 m d’altitude) est sans contredit l’un des plus beaux. Je le connais déjà mais souhaite le revoir. Un taxi me conduit jusqu’à la seconde aire pour voitures créée auprès de ce site. Nous partons de Colmars dès huit heures, dans le froid tonique du matin alpestre. Si nous tardions, nous risquerions d’âtre refoulés, en raison de l’affluence prévisible un 18 août.

         À l’arrivée devant l’aire, nous trouvons les gardes du parc national du Mercantour. Le massif de ce nom s’étend jusqu’à la frontière italienne et est fait de roches primaires. Mais toute mon excursion d’aujourd’hui se déroulera sur sa frange occidentale, calcaire.

         Ne pouvant aller plus loin, le taxi repart. Jusqu’au lac, j’ai trois quarts d’heure de marche (montée puis descente). Cet effort exigé des visiteurs me paraît très sain. Si la route se prolongeait jusqu’au but, ce serait l’invasion.

          Je trouve quand même un peu de monde dans l’unique hameau du rivage, composé surtout d’une auberge et d’une chapelle) : les visiteurs partis plus tôt que moi, et ceux qui ont passé la nuit dans les refuges. De ce belvédère, le regard plonge dans l’eau vert émeraude. À l’arrière-plan, cinq tours massives évoquent les Dolomites. Peut-être sont-elles formées de dolomie ? Les plages de terre ou de cailloux qui bordent maintenant, hélas, les deux tiers du lac sont invisibles. Le site est resté splendide, comme au jour de ma découverte, il y a six ans.

          Tour du lac. Très peu de marcheurs, à  cette heure. Inévitablement, les plages de terre et de cailloux apparaissent. Le niveau d’eau a baissé depuis mes visites précédentes. J’ai peine à le comprendre, car cette année, le printemps a été pluvieux ou neigeux. Le mois de juillet aussi. D’où, normalement, remplissage du lac et moindre évaporation. Or je ne vois point le résultat favorable que j’attendais.

          Le lac d’Allos n’a pas d’émissaire visible. Il perd son eau par les fissures de son fond, qui alimentent un torrent surgi plus loin. Depuis longtemps, une île émergeait de la nappe. Une deuxième île est devenue presqu’île. Selon un dicton local, quand une troisième île apparaîtra, ce sera la mort du lac.

          Ressaisissons-nous. Le visiteur déçu par tous ces cailloux découverts par le retrait des eaux bénéficie de trois consolations. D’abord, le spectacle des montagnes aigües qui font face aux tours, et qu’il voyait mal depuis l’auberge. Ensuite, les épilobes, ces hampes de fleurs roses tirant sur le violet. Favorisées cette année par les pluies, elles hantent les bords du lac, et se trouvent ces jours-ci à leur apogée. Les plus hautes atteignent aisément 1,30 m.

          Enfin, les marmottes, particulièrement nombreuses et heureuses en ces parages. Leur taille est légèrement inférieure à celle d’un chat. J’en vois une sur un rocher à quelques mètres au-dessus de moi. Elle régale les alentours de ses brefs coups de sifflet. En théorie, ce sont des messages d’alerte. Mais cette bestiole, habituée aux passages des humains, n’a manifestement aucune envie de déguerpir. Elle reste là, placide. Je pense que ces émissions sonores sont tout simplement pour elle un moyen de s’approprier le paysage.

         Ma deuxième marmotte se sauve à mon approche. J’ai à peine le temps de l’apercevoir. La troisième, plus curieuse, me dévisage longuement, à moins de deux mètres.

         Le spectacle de ces aimables petites bêtes nous rappelle que la station debout n’est pas un privilège des humains. Eux aussi, les écureuils, les ours, divers singes, se tiennent volontiers sur leurs pattes de derrière. Leurs griffes antérieures leur servent alors à porter leur nourriture à leur gueule.

         Les marmottes paraissent bénéficier ici d’une absence de prédateurs.  En effet, les loups, venus spontanément des Apennins, sont présents dans toutes les Alpes, mais trop gros pour pénétrer dans les terriers. Les renards locaux semblent peu enclins à monter si haut.

          Je m’engage sur le sentier qui, par une pente régulière et assez douce, mène au col de l’Encombrette (2500 mètres). Il surplombe le lac, d’assez loin pour cacher les plages indésirables. La vue embrasse de vastes alpages propices aux marmottes – dont certaines n’ont pas craint de creuser leurs trous au bord du chemin. Deux troupeaux de moutons évoluent dans les parages. Le plus proche doit compter un millier de têtes et descend comme par magie tout un versant, sans que je voie le moindre berger, le moindre chien.

         Au col de l’Encombrette, tout change. À la montée modérée succède un         précipice. Vers l’ouest et le sud-ouest, au loin, des reliefs tabulaires se succèdent, bien différents des montagnes dentelées ou ruiniformes que je laisse derrière moi. Les plus distants sont sans doute les massifs de la Sainte-Victoire et de la Sainte-Baume.

        Peu de randonneurs descendent comme moi de l’Encombrette après être montés depuis le lac d’Allos, car cette descente les mène en un lieu fort éloigné de celui où ils ont laissé leur voiture. La plupart se contentent de la moitié nord ou de la moitié sud de mon itinéraire, et reviennent pas le même chemin, comme je l’ai fait moi-même au cours d’années précédentes. M’étant renseigné en bas, je m’engage sans crainte sur le sentier en lacets bien tracés, qui me fait perdre rapidement de la hauteur. J’atteins le petit lac de l’Encombrette. Puis le relief se resserre. Par moments, je domine un gouffre ou fais face à une paroi verticale –  sans jamais me sentir en danger.

          Les bâtons de marche, que j’essaie pour la première fois, se révèlent fort utiles. Ils amortissent les mille petits chocs de la descente.

          Habillés de vert tendre, les mélèzes font plaisir à voir. Ils ont bien profité des précipitations du premier semestre. Contrairement aux autres conifères, ils perdent leurs aiguilles l’hiver. Mais avant cette chute, la substance vitale remonte vers le cœur de l’arbre. Cette économie de moyens lui permet de monter plus haut que ses confrères d’autres espèces.

        À Giglon, hameau perché de Colmars, je retrouve la route goudronnée. D’obligeants automobilistes me prennent à leur bord et m’épargnent les derniers kilomètres. Au total, j’ai marché huit heures, sans me presser, et sans rencontrer de difficultés. Je n’ai pas eu trop chaud, comme cela arrive dans Colmars l’été. J’ai dû parfois mettre un lainage léger alors même que la pente montait.

          Deuxième excursion : le lac de Lignin

           Me voilà donc encore assez dispos pour la deuxième excursion, le lendemain, dans la vallée d’un petit affluent du Verdon appelé la Lance. Après huit kilomètres d’une bonne route forestière, le taxi me dépose au pont de la Serre. Par la rive droite, qui monte de manière assez paisible (sauf à un endroit), je vais gagner le lac de Lignin, où le torrent prend sa source. Et je redescendrai par la rive gauche, plus accidentée.

          Les reliefs que je longe sont plus arides qu’auprès du lac d’Allos. Je vois des  mélèzes accrochés à des pentes sur lesquelles un homme ne pourrait se tenir. L’une des bergeries se nomme curieusement la cabane des Juges. Une allusion à des personnages sculptés par l’érosion ? Le lieu est surmonté d’une corniche, mais il faudrait de la bonne volonté pour y distinguer trois magistrats. Plus haut, d’après la carte, et invisible de l’endroit où je me trouve, se trouve le trou des Juges. Amusante circonstance pour quelqu’un qui, comme moi, a exercé cette profession.

          Durant la montée, croisement avec trois garçons qui redescendent du lac avec leur tente et leurs sacs de couchage sur leurs dos. Ils espéraient passer la nuit dans la bergerie du lac. Elle était occupée par le berger. Ils ont donc dressé leur tente et, bien équipés, n’ont pas eu froid.

          Plusieurs VTT me dépassent. Interdits dans le parc du Mercantour, ils sont admis ici, car nous nous trouvons hors parc. Mais ces pentes ne sont pas faites pour eux. Le plus souvent, les cyclistes doivent mettre pied à terre et tirer leurs engins.

          Les arbres ont presque disparu. Je gravis un fond de vallée sèche, franchis un modeste col et pénètre dans un cirque de grande ampleur. Les parois des montagnes, tout autour, ont été entièrement râpées. Le petit lac de Lignin est une nappe gris-bleu posée sur une vaste étendue mamelonnée, dont l’herbe rase commence à jaunir. J’aperçois quelques silhouettes humaines, rendues insignifiantes par le décor. Rien ne bouge autour de la bergerie : ni moutons ni maître.

          Le lac de Lignin se trouve à peu près à la même altitude que son grand frère le lac d’Allos, mais donne le sentiment d’être beaucoup plus haut. On se croirait sur la lune !

          Aucun indice, ici, d’un récent retrait des eaux. Les quelques îlots d’herbe de ce lac sont bien verts, et on m’a dit, en bas, qu’ils avaient toujours été là.

         Je redescends par la rive gauche de la Lance, passe près de la bergerie du Mouriès. Quatre chiens patous foncent sur moi en aboyant. Je crie « Bons chiens, bons chiens ! » Aussitôt, miracle, l’attaque cesse. Ces fortes bêtes comprendraient-elles le français ? En tout cas, l’intonation a été efficace. Ajoutons qu’elles doivent être habituées à voir des promeneurs sur ce sentier.

          Originaires des Pyrénées, ces gros chiens blancs ont été importés dans les Alpes. L’une de leurs missions consiste à tenir les loups en respect. Sans doute est-ce leur présence qui explique qu’aucun incident dû à ces méchants cousins n’ait été signalé sur les hauts de Colmars au cours des dernières années.

          Le sentier, en gradins, se rapproche de la Lance. J’apprécie de marcher dans le sens descendant. Des trouées dans la verdure invitent le promeneur à aller vers le torrent, et les auteurs du balisage ont omis de le mettre en garde. Or la Lance se laisse aisément traverser, avec ses vasques et ses marmites de géants, mais pour reprendre pied sur la rive droite, c’est toute une affaire.

         Le pont de la Serre, enfin. À l’Office de Tourisme de Colmars, la carte ne prévoyait que six heures pour aller de ce point au lac de Lignin et en revenir. J’en ai mis près de neuf, y compris de nombreux petits repos. J’avais, il est vrai,  la fatigue de la veille dans les jambes, et j’ai commis une erreur en traversant la Lance au lieu de la suivre.

          Ce n’est pas fini. Ne sachant combien de temps il me faudrait pour arriver au pont de la Serre, je n’ai donné rendez-vous à aucun chauffeur de taxi. Je dois donc continuer par la route forestière qui s’écarte de la Lance et de sa belle cascade terminale. Puis je me laisse tenter par un raccourci vers Colmars, qui m’économise quelques kilomètres, mais se révèle particulièrement pierreux. Mieux aurait valu poursuivre sur la route. Au total, j’ai marché onze heures, petits repos compris. Une épreuve.

          Bilan : deux jours de beauté ininterrompue, qui m’ont largement payé de mes peines. À aucun moment, le septuagénaire assez enclin au vertige que je suis ne s’est senti en péril.

          Reste à résoudre le mystère de la baisse de niveau du lac d’Allos. Celui de Lignin, situé tout près à vol d’oiseau, a échappé à ce sort et bien profité des intempéries récentes. Je livre mon hypothèse aux spécialistes : les fissures du fond du lac d’Allos ont dû s’élargir, par une secousse tellurique ou par l’usure naturelle des roches.

Les Dents de la Maire, Souffrances d’un piéton de Paris

De Benoît Duteurtre, lues par Nicolas Saudray
Mai 2020

L’efficace pamphlet de Benoît Duteurtre a eu la malchance de paraître juste avant l’épidémie. Il serait dommage que ces circonstances lui retirent une audience méritée.
L’auteur, romancier, essayiste et musicologue d’origine havraise, est un arrière-petit fils de René Coty, ce qui ne l’a pas empêché de devoir officier comme vendeur au BHV pour payer ses études. Les auditeurs de France-Musique connaissent bien son émission du samedi matin, Étonnez-moi Benoît, menée avec brio depuis vingt ans, et consacrée à l’opérette ainsi plus généralement qu’à la musique légère.
Or l’auteur de cette euphorie se révèle un homme torturé. Anne Hidalgo, mairesse de Paris, lui apparaît en songe et le soumet à des supplices en riant de toutes ses dents.
Mairesse, ai-je écrit, au risque de provoquer un mouvement d’indignation. Ce terme est supposé péjoratif, comme tigresse et traîtresse. Mais alors, pourquoi princesse, duchesse, comtesse et Suissesse ? Benoît Duteurtre, qui figure parmi les défenseurs de la langue française, ne pourra que m’approuver.
Ce Parisien d’adoption n’a pas de voiture. Moi non plus. Cette situation nous permet, me semble-t-il, de formuler un jugement objectif sur le combat mené à Paris contre les automobilistes, au nom de l’écologie.
Évidents sont les inconvénients des moteurs thermiques, dans notre capitale. Mais est-il raisonnable d’entraver la circulation automobile, alors que le réseau de transports publics est en grande partie saturé, et ne pourra s’améliorer dans l’immédiat ? Est-il équitable de concentrer le tir sur les quatre-roues, alors que les deux-roues, pour le bruit, viennent largement en tête ?
Benoît Duteurtre rappelle l’affaire de la voie expresse Georges Pompidou. Un président lettré avait hélas livré les berges à la voiture. Un maire antérieur à l’actuelle, Jean Tibéri, a pris une décision équilibrée, en restituant cette chaussée aux piétons tous les dimanches – jours durant lesquels une circulation réduite pouvait supporter cette contrainte. Puis est venu l’excès, la prohibition totale des moteurs. D’où, inévitablement, un report du trafic sur les quais de la rive droite, déjà en difficulté. Il n’y a pas si longtemps, ces quais étaient encore des chemins pour amoureux, garnis de boîtes de bouquinistes. Ils ont perdu leur attrait, sont devenus des corridors de bruit. Pour quel bénéfice ? En contrebas, la large voie goudronnée, peuplée de coureurs et de cyclistes, garnie de palmiers minables, n’a rien d’une réussite esthétique.
Et maintenant, c’est le tour de la rue de Rivoli. On a pu voir, durant ces jours de demi-déconfinement, des brigades d’agents de la Ville se démener pour la réserver aux piétons et aux cyclistes. Résultat : un axe presque vide. Espérait-on sérieusement que les habitants de la grande banlieue, handicapés par le fonctionnement partiel des trains et du métro, allaient venir jusque-là à vélo ?
Mieux vaudrait attendre, sans se livrer à toutes ces croisades, que la voiture électrique, encouragée par les pouvoirs publics, se substitue progressivement et sans trop de douleur aux voitures à essence ou au diesel.
Le piéton Duteurtre habite l’île de la Cité. Un privilège, pourrait-on croire. Eh bien non. Les manifestations multiples, les précautions de sécurité prises en conséquence rendent la vie difficile aux habitants (sans même mentionner les conséquences de l’incendie de Notre-Dame).
Le lieu de résidence de notre auteur le rend particulièrement sensible à deux projets horrifiques. L’un, mené à la fois par la Ville et l’Assistance Publique, concerne l’Hôtel-Dieu, édifice d’une bonne architecture néoclassique, qui pourrait être beau si on le ravalait, et renferme une spectaculaire cour-jardin. Ce lieu est idéalement placé pour les urgences hospitalières. Et pourtant, on vient d’en céder le tiers à un promoteur immobilier, qui va le transformer en centre commercial (comme s’il n’y avait pas déjà suffisamment de commerces dans le centre de Paris) et en résidence étudiante.
Le second projet inepte, moins menaçant dans l’immédiat (mais nous ne perdons rien pour attendre), s’attaque à l’un des lieux les plus sympathiques de notre capitale : le marché aux fleurs de la Cité. Suivant une tactique éprouvée, la Ville laisse les pavillons de fer se détériorer, pour pouvoir décréter ensuite qu’il faut tout renouveler. L’idée consiste à recouvrir l’ensemble d’une immense cloche de verre. Au secours !
Le centre de Paris n’est pas, loin de là, la seule victime de ces folies. La majorité du Conseil municipal, prétendument verte, fait détruire une partie des serres d’Auteuil.
Je pourrais, à la lecture de l’ouvrage de Benoît Duteurtre, protester encore durant des pages et des pages contre la mairesse et ses collaborateurs. Je me bornerai, pour conclure, à une dernière offense, qui excède les limites de la Ville : l’autorisation, donnée aux promoteurs, de recouvrir de vastes affiches agressives leurs chantiers de rénovation historique. Ces oripeaux restent en place durant des mois voire des années. Exemple : la place de la Concorde. L’alibi est que ces publicités produisent des fonds pour la restauration. Mais à quel coût psychologique ! Des touristes viennent à Paris une seule fois dans leur vie, et c’est l’image qu’ils en rapportent. La moindre des choses consisterait à prescrire une harmonie entre les affiches et les monuments recouverts : interdiction de représenter des personnages modernes ou des objets modernes, limitation de la taille des caractères…
Nous vivons dans une ville sale, taguée et, au nom d’une idéologie non maîtrisée, éventrée par des chantiers. Parisiens, réveillez-vous !

Bruno Durieux : « Contre l’Écologisme »

Par Nicolas Saudray

Polytechnicien INSEE, ministre successivement de la Santé et du Commerce extérieur, puis inspecteur général des finances, enfin sculpteur et maire du superbe bourg drômois de Grignan (un peu égratigné par les éoliennes), Bruno Durieux a une connaissance particulièrement riche de notre société et de ses ressorts. Il était donc fort bien placé pour disséquer et dénoncer la principale idéologie de notre temps, substitut tant du marxisme que du christianisme : l’adoration aveugle de l’écologie.

Je me permettrai ici une remarque de vocabulaire. En français, on dit psychologue et non psychologiste, cardiologue et non cardiologiste. Le terme « écologiste » devrait donc être remplacé par « écologue ». Encore ne convient-il qu’aux détenteurs d’une connaissance scientifique du sujet, ce à quoi 98 % des militants ne peuvent prétendre. Alors, comment les appeler ? Ce sont, ne leur en déplaise, des écophiles.

Fort bien documenté, Bruno Durieux pointe les divagations de ce mouvement, à commencer par le club de Rome (1972), qui avait prévu l’épuisement de l’aluminium en quinze ans, du cuivre en huit ans, de l’argent en deux ans… On sait ce qu’il en est advenu – ainsi que des autres prédictions apocalyptiques qui se sont succédé. Mais par une sorte d’effet diabolique, ces échecs répétés n’ont nullement entamé la crédibilité de leurs auteurs, et le mouvement écophile est plus puissant que jamais. On ne veut pas voir parce qu’on veut croire.

L’évolution du climat a donné lieu à un belle palinodie. Dans les années 1975-1978, les gourous nous entretenaient du refroidissement inéluctable de la planète. Puis ces gourous se sont retournés sans la moindre gêne, et ne nous parlent plus que de réchauffement.

Bruno Durieux montre que malgré tous les beaux raisonnements, le niveau de vie et le bien-être des hommes ont progressé. La « révolution verte », qui ne doit rien aux écophiles, a donné à manger aux masses, notamment en Inde.  Le nombre de personnes souffrant de la faim est évalué aujourd’hui à 10 % de la population mondiale, contre 33 % en 1970. Et pourtant, entre ces deux dates, l’effectif total a plus que doublé. 91 % de la population mondiale ont aujourd’hui accès à des sources d’eau contrôlées, contre 52 % en 1980. La vie s’allonge, l’analphabétisme se résorbe.

Le polémiste se montre spécialement incisif, à bon droit, au sujet de l’énergie. Les écophiles veulent la mort du nucléaire, alors que c’est une forme d’énergie exempte de CO2, et que l’éolien et le photovoltaïque, fortement intermittents, sont incapables de le remplacer. Ces mêmes militants refusent de considérer que les réacteurs à neutrons rapides, dont l’étude – hors de France, hélas – est fort avancée, permettront dans doute, à moyen terme, de produire beaucoup plus de courant avec autant d’uranium et beaucoup moins de déchets. Quant à la fusion nucléaire, qui est, pour parodier Fourastié, le grand espoir du XXIe siècle, ils ne veulent même pas en entendre parler. En favorisant l’éolien au-delà de toute mesure, ils se comportent en ennemis de l’environnement qu’ils prétendent sauver. Sans s’en rendre compte, les écophiles sont devenus écophobes.

Pour une croissance au service de l’environnement : c’est le sous-titre du livre. Bruno Durieux remarque que, dans un premier temps, le développement économique porte atteinte à l’environnement, comme dans l’Europe et l’Amérique industrielles du XIXe siècle ; c’est le stade auquel se trouvent aujourd’hui la Russie, la Chine, l’Inde. Puis la population, quelque peu délivrée des contraintes, devient plus consciente et améliore son cadre de vie.

Il me semble toutefois que la démographie mériterait davantage de réflexion. Certains écophiles en ont parlé de manière atroce. Ehrlich, auteur du livre à succès La Bombe P., a déclaré en 2015 : L’idée qu’une femme puisse avoir autant d’enfants qu’elle le veut est pour moi la même chose que dire que tout le monde est autorisé à jeter autant d’ordures qu’il le souhaite dans le jardin de son voisin. Mais la plupart de ses compagnons de route européens évitent, par lâcheté politique, d’aborder ce sujet. Ils critiquent donc un phénomène, la croissance de la consommation mondiale, sans s’attaquer à sa principale cause, la progression démographique. Si le Niger continue de donner le jour à 7,2 enfants par femme, si ses voisins continuent de faire à peine moins, l’Afrique noire ne pourra décoller. Et un afflux d’Africains peu formés vers l’Europe y fera baisser le revenu par tête, au grand dam des régimes politiques en place.

Faut-il donc, au terme de ce parcours, condamner vertement les écophiles ? Bruno Durieux dénonce, d’une plume alerte et souvent réjouissante – bien que le sujet soit, au fond, très triste – leurs gesticulations, leurs inconséquences, la naïveté des uns, l’hypocrisie des autres. Encore a-t-il la charité de ne pas s’en prendre à Nicolas Hulot, ce bon apôtre, avec ses quatre voitures, sa camionnette, sa moto BMW et son bateau.

Derrière tout cela, néanmoins, je discerne un sentiment honorable que je puis partager :  les animaux, les plantes, les paysages, la planète elle-même ont eux aussi des droits. L’homme ne doit pas confisquer la Terre.

Le livre : Bruno Durieux, Contre l’Écologisme – Pour une croissance au service de l’environnement. Éditions de Fallois, 264 pages, 18,50 euros.
En librairie le 22 mai 2019.  

Elisabeth Schneiter : « Les Héros de l’environnement »

 Par Nicolas Saudray

Elisabeth Schneiter est une journaliste indépendante, qui a écrit notamment pour « Le Monde », « Le Figaro », « Les Échos ». Depuis quatre ans, elle collabore avec l’association Reporterre, qui enquête sur les agressions envers l’environnement. Elle a également contribué aux combats pour la langue française (autre cas de pollution massive). 

Cet ouvrage présente de façon synthétique et aisée à lire les principaux scandales environnementaux qui ont endeuillé notre planète au cours des dernières décennies, surtout en zone équatoriale ou tropicale.

Cent vingt défenseurs de l’environnement ont été assassinés au Honduras, parce qu’ils s’opposaient à des projets de barrages.

Au Brésil, Chico Mendès luttait contre les éleveurs qui voulaient (et veulent toujours) transformer l’Amazonie en pâtures à vaches. Ce gêneur a été éliminé en 1988. Arrêtés et condamnés, ses assassins se sont évadés. Ils courent encore.

Au Mexique, Isidro Baldonegro se battait lui aussi contre la déforestation., et contre la spoliation des tribus indiennes qui en résulte. En 2003, il a été emprisonné. L’émotion internationale a contraint les autorités à le libérer. Mais en 2017, dès son retour chez lui, il a été tué par balles.

C’est aussi en 2017 que Wayne Lotter, défenseur des éléphants, a été abattu – à Dar-es-Salam, capitale de la Tanzanie.

Plus ancien (1985), et plus connu, est le meurtre de l’Américaine Diane Fossey, qui avait consacré sa vie aux gorilles de montagne du Rwanda, menacés d’extinction. Depuis lors, l’effectif de ces sympathiques animaux a remonté, grâce à quelques mesures de protection. Mais le braconnage mortel se poursuit.

Sur la côte du Nigéria, Saro-Wiwa menait campagne contre les dégradations causées par les compagnies pétrolières. Il a été pendu haut et court en 1995, avec huit autres militants.

Le Cambodge est victime du pillage du bois de rose. Le principal opposant, Ouch Leng, doit vivre caché.

On pourrait aligner les exemples encore longtemps. La France n’est pas innocente :

  • le projet minier russo-canadien de la Montagne d’Or, en Guyane, comportant des traitements massifs au cyanure, n’est toujours pas abandonné malgré les protestations de tous les chefs coutumiers ; bien entendu, c’est l’argument de l’emploi qui est mis en avant ; chacun se souvient du mot de Mme Roland au pied de la guillotine : Liberté, que de crimes on commet en ton nom !; l’exclamation vaut toujours, sauf à remplacer liberté par emploi ;
  • Total a été autorisé à importer de grandes quantités d’huile de palme pour sa raffinerie de La Mède (Bouches-du-Rhône) ; c’est la mort de forêts indonésiennes ou malaisiennes qui seront rasées pour planter les palmiers.

Il faut féliciter Élisabeth Schneiter d’avoir braqué le projecteur sur ces abus inexcusables et souvent criminels. Je partage entièrement son indignation.

xxx

On me permettra, en contrepartie, de présenter quelques remarques.

1/ Je rappellerai, bien que l’ordre de grandeur ne soit pas le même, la présence en Europe, et notamment en France, de nombreuses victimes du fléau inverse : une idéologie écologiste qui trop souvent échappe au bon sens. Les braves gens dont l’existence est bouleversée parce que de grandes éoliennes ont surgi à quelques centaines de mètres de leur habitation ne perçoivent aucune indemnité. Des aigles royaux, espèce précieuse entre toutes, ont été tués par des pales d’éoliennes en Languedoc. Les chauves-souris meurent par milliers, bien que protégées par la loi, en raison des variations brutales de pression causées par ces pales.

Les internautes trouveront dans cette même rubrique du site Montesquieu des articles montrant qu’un supplément d’éolien, dans notre pays, ne présenterait aucune utilité pour le climat.

2/ Les réactions parfois violentes des héros d’Élisabeth Schneiter peuvent se comprendre dans des pays de non-droit. Elles ne sauraient être admises dans un État de droit comme le nôtre. Ainsi, on ne peut tolérer que des adeptes du mouvement vegan attaquent les boucheries. On ne peut davantage admettre que  d’autres zélotes s’introduisent par effraction dans l’enceinte de centrales nucléaires, au risque de provoquer de graves accidents.  Il revient à la loi, et non à tel ou tel illuminé, de distinguer ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Les militants fanatiques d’aujourd’hui me font parfois penser aux premiers chrétiens, briseurs de statues que nous regrettons aujourd’hui.

3/ Les compagnies pétrolières doivent aujourd’hui faire face, notamment aux États-Unis, à des actions collectives de grande ampleur. Une offensive similaire se prépare contre Total. De deux choses l’une :

  • ou bien il s’agit de réagir en justice à une déforestation, ou à la pollution de sols par des effluents nocifs ; ces réactions sont normales et souhaitables ;
  • ou bien l’objectif des requérants est de faire juger que le simple fait d’extraire des hydrocarbures et de les fournir aux consommateurs constitue une pollution coupable ; il y a là une dérive démagogique ; les coupables, j’ai le regret de le rappeler, sont les consommateurs ; les compagnies ne font que répondre à leur demande.

3/ Ces remarques me mènent à une réflexion en amont. Les abus stigmatisés à juste raison par Élisabeth Schneiter ont des causes, principalement deux : l’inflation démographique et l’aspiration des habitants du monde entier à un niveau de vie plus élevé. Tant qu’on n’agira pas de façon efficace sur ces causes, les abus continueront et même s’aggraveront.

Il n’est pas admissible, notamment, que la population d’un pays comme le Nigéria continue de doubler tous les trente ans.

S’agissant de la seconde cause, ne nourrissons pas d’illusions : peu de gens accepteront une baisse de leur niveau de vie, et la plupart des gouvernements ont pour objectif la croissance. Certaines restrictions sectorielles apparaissent néanmoins nécessaires. Je me limiterai à l’exemple du transport aérien, qui continue de progresser grâce à une détaxation du carburant que rien ne justifie. C’est l’un des principaux facteurs de dégagement de gaz carbonique, et la progression du trafic incite à aménager de nouveaux aéroports, meurtriers pour l’environnement : le troisième aéroport d’Istanbul vient d’être mis en service, la construction de celui de Mexico se poursuit malgré son gigantisme…Faire régresser ce mode de transport ? Soyons réalistes, et employons-nous plutôt à empêcher sa nouvelle envolée.

Le livre : Élisabeth Schneiter, Les Héros de l’environnement, Seuil, 2018, 12 €.

La voiture tout électrique. Utopie ou futur possible ?

Par Jacques Desmazures

  • La vogue est à la voiture électrique C’est très séduisant d’un point de vue intellectuel et écologique. Beaucoup de responsables, tant au niveau industriel qu’au niveau étatique, y adhérent fortement. Très bien pour le climat car elle n’émet pas de gaz à effet de serre, et pour la santé car théoriquement elle ne produit pas de microparticules (même si une partie importante des microparticules provient des freins et des pneus) …
    Aujourd’hui la grosse majorité des véhicules utilisés, dans notre vaste monde, fonctionne avec une énergie principalement tirée du pétrole. Il va falloir la remplacer par une autre source d’énergie, de préférence électrique, car considérée comme non polluante, dans tous les sens du terme, lors de son utilisation. Cette énergie sera stockée dans un ensemble de boîtes et non dans un réservoir.
    Pour que cela soit réalisable en tout lieu et en tout temps, il faut :
  • Avoir des sources d’énergie électrique d’origines diverses : éolienne, maritime, solaire, nucléaire, chimique …en nombre suffisant pour ne pas être esclave des effets de la météo,
  • Pouvoir brancher les boîtes pour les alimenter, où l’on veut, voire ou l’on peut, et ce le plus rapidement possible
  • Stocker, chez chaque particulier, et selon ses besoins, cette énergie électrique, dans des conteneurs fabricables, utilisables et recyclables (certains appellent ces ensembles pack batteries).
    Nous nous intéresserons, dans la suite, uniquement au cas de la France actuelle, en ce qui concerne l’énergie électrique qu’il faut fabriquer, et dont il faut disposer pour faire rouler TOUS nos véhicules d’aujourd’hui, voitures, camionnettes et camions.

1 DONNÉES SUR LES VÉHICULES
La France, aujourd’hui, possède environ 50.106 – soit 50.000.000 – voitures et camionnettes et 5.105 – soit 500.000- camions (beaucoup sont étrangers, mais roulent, transitent et/ou résident principalement en France.)
Pour rouler principalement en électrique, avec une autonomie maximale de 300 Km, une voiture (entre 600 Kg et 1700 Kg) doit avoir une batterie possédant une énergie de 60 KWh. Un camion (20 T à 35 T) doit avoir un ensemble de batteries possédant une énergie de 300 KWh.
Une valeur-type moyenne d’utilisation de la voiture est de 6.000 km/an.
Une valeur-type moyenne d’utilisation d’un camion est de 90.000 km/an. Cela
correspond à 100 jours de circulation à deux chauffeurs, le reste du temps étant destiné aux
repos, chargements et déchargements…
Pour une voiture qui réalise 6.000 km/an (20 fois 300 km), on doit faire 20 recharges de batterie par an, à 60 KWh. Pour un camion qui réalise 90.000 KM/an (300 fois 300 KM), on doit faire 300 recharges de batterie par an, à 300 KWh.

2 CAPACITES ET RECHARGES DES BATTERIES
Aujourd’hui, on peut recharger les batteries avec une valeur de charge NORMALE de 7 KWh à 8 KWh par heure, ou avec une valeur dite MOYENNE de 22 KWh à 25 KWh par heure (ce qui est encore peu commun), ou avec une valeur RAPIDE de 50 KWh par heure (encore en début d’essais, mais sans aucune installation dédiée à ce jour). Certains envisagent dans l’avenir des recharges FLASH à 300 KWh par heure, au risque de dégrader rapidement les batteries. Recharger très fort et très vite réduit beaucoup les durées de vie de ces ensembles.
La suite de l’exposé ne concerne que des recharges NORMALES pour les voitures et des recharges MOYENNES pour les camions.
Ainsi, pour une batterie de voiture se chargeant à 7/8 KWh, il faut 8 heures de charge. Pour un ensemble de batteries de camion se chargeant à 22/25 KWh, il faut une demi-journée. Ce n’est pas considérable mais cela implique un temps d’immobilisation du véhicule non forcément acceptable pour un industriel.
Une ligne de charge à 7/8 KW peut donc charger 3 batteries de voiture par jour, et une ligne de charge à 22/25 KW peut charger 2 ensembles de camions par jour.
VOITURES
Un réacteur de centrale nucléaire peut fournir en permanence une énergie de 1.000 MWh. On peut donc faire par jour, avec de nombreuses lignes de charge à 7 KW, 3 x 106 = 7 recharges de batteries, soit 0,43 x106 recharges en dédiant un réacteur nucléaire uniquement à ces recharges.
Il y a 50 x 106 voitures en France, avec 20 recharges de batterie chacune par an ; il faut donc pouvoir effectuer 109 recharges par an, pour l’ensemble de la flotte.
Une journée de réacteur de centrale nucléaire permet 4,3 x105 recharges.
Une année de réacteur de centrale nucléaire permet 365 x 4,3 x 105 recharges, et donc offre une capacité de recharges de 1,55 x108 recharges, à comparer à la demande de 109 recharges.
Il faut donc, rien que pour répondre à la demande en énergie des voitures, consacrer en permanence 6 à 7 réacteurs nucléaires de 1.000 MWh à recharger des batteries d’automobiles. On verra ci-après ce que cela veut dire en termes d’énergies renouvelables
Remarque : si comme l’indiquent certaines statistiques, la valeur moyenne de déplacement des voitures est de 10.000 km, ce ne sont pas 6 ou 7 réacteurs nucléaires qu’il faut y consacrer, mais plutôt 10 à 11 réacteurs nucléaires

CAMIONS
On peut faire le même calcul pour les camions avec une charge moyenne de 22 KWh par heure. Sachant que sur une ligne, on peut avoir deux ensembles de batteries rechargés par jour, une centrale nucléaire permet 2×106 = 22 recharges de batteries, soit 0,91x 105 recharges par jour, en dédiant un réacteur nucléaire uniquement à ces recharges.
Il y a 500.000 camions en France avec 300 recharges de batterie chacun par an. Il y a donc obligation de pouvoir effectuer 1,5 x 108 recharges par an.
Une journée de réacteur de centrale nucléaire permet 0,91 x 105 recharges.
Une année de réacteur de centrale nucléaire permet 365 x 0,91 x 105 recharges, donc elle offre une capacité de recharge de 0.33 x 108 recharges, à comparer à la demande de 1.5 x 108 recharges.
Il faut donc ici disposer encore de l’ordre de 5 réacteurs de centrales nucléaires à consacrer uniquement aux recharges des batteries de camions.

SYNTHESE
Tous les calculs effectués précédemment supposent que les échanges d’énergies étaient affectés d’un coefficient de rendement de 1. Or ces échanges, compte tenu des résistances des divers éléments, des pertes en ligne, et des rendements des convertisseurs, sont plutôt affectés d’un coefficient de rendement de 0,8 voire de 0,7.
Cela veut dire qu’il faut consacrer, en cas de déplacements (voitures et camions) « tout électriques », de l’ordre de 15 réacteurs de centrales nucléaires rien que pour recharger des batteries.
Cela signifie que sur un ensemble nucléaire français de 56 réacteurs aujourd’hui (dont 6 sont le plus souvent en maintenance), 30 % seraient consacrés uniquement aux actions de déplacement…C’est FOU.
Et cela à un moment où on ne parle que de réduire drastiquement la part du nucléaire dans l’énergie électrique… Il est évident que se reconstruiront, dans une telle hypothèse, des centrales à gaz, voire à charbon, comme c’est le cas de l’Allemagne actuelle.

3 ENERGIES RENOUVELABLES
On peut évidemment lancer un vaste plan de remplacement du nucléaire par du solaire ou par de l’éolien. Les calculs sont assez simples :
1 m2 de panneau solaire donne au mieux 100 Wh, fonction de son orientation. Nous considèrerons que c’est de l’ordre de 70 Wh et cela s’il y a du soleil.
Une éolienne fournit aujourd’hui de l’ordre de 2,5 à 3 MWh, et cela avec un vent ni trop faible (car elle ne peut alors tourner), ni trop fort (car alors on doit la brider).
Cela conduit aux résultats suivants :
SOLAIRE photovoltaïque
Un réacteur nucléaire donne 109 Wh, donc équivaut à une surface de panneaux solaires de 109: 70 m2, soit 1,42 x 107 mètres carrés ou 14,2 km2. Remplacer 15 réacteurs nucléaires par des panneaux solaires revient à construire 2×14,2 Km2 (28.400 hectares) de panneaux solaires, car le jour moyen est de 12 heures. Bonne pioche pour les constructeurs et les fabricants…Bien évidement il faut y adjoindre les capacités de stockage de l’énergie.
EOLIEN
Avec les technologies actuelles (éoliennes de 3 MWh), il faut de l’ordre de 330 éoliennes pour remplacer un réacteur nucléaire, si elles fonctionnent à temps complet. Or on sait que ce n’est pas le cas : il y a donc un coefficient multiplicatif à prendre en compte. Ici aussi il ne faut pas oublier les obligatoires capacités de stockage de l’énergie. Donc pour remplacer 15 réacteurs il faudrait construire environ 5.000 éoliennes, mais en fait bien plus compte tenu de leur fonctionnement intermittent.
A NOTER :
Les États-Unis ont construit et essayent actuellement un monstre éolien de 12 MWh (250 mètres de haut avec des pales de 200 mètres). Si cela fonctionne, on voit qu’il n’est plus nécessaire de consacrer 5.000 éoliennes aux voitures électriques, mais de l’ordre de 1.200 éoliennes, avec le coefficient multiplicatif associé.
Les 7 parcs éoliens maritimes français dont on se glorifie, et qui n’ont toujours pas donné lieu au premier coup de pioche, font chacun 60 à 80 éoliennes. Cela représente 500 à 600 éoliennes, bien loin du compte de 5.000. Evidemment, on peut implanter des éoliennes de 12 MWh. Mais cela obligera à réviser tous les marchés passés par l’Etat français, et retardera sensiblement la date de mise à disposition des parcs.

4 RECHARGER SA BATTERIE. INFRASTRUCTURES VOITURES
Cette opération nécessite d’avoir les lignes adéquates de charge, et d’en posséder suffisamment et bien réparties sur le territoire. Une norme européenne donne quelques principes de fonctionnement. Elle indique qu’une ligne de charge peut servir à 10 véhicules. La France, toujours plus exigeante dans ces affaires européennes, indique qu’une ligne est nécessaire pour 7 véhicules. La répartition des capacités des lignes de charges actuellement retenue au niveau européen est de 30% pour la charge NORMALE à 7KWh, 60% pour la charge MOYENNE à 22 KWh et 10% pour la charge FLASH à 50 KWh ou plus.
Si on considère les 50.000.000 de véhicules, on peut penser qu’une première moitié peut être rechargée habituellement à partir des locaux (garages, prises extérieures…) de leur propriétaire à 7 KWh, et qu’une seconde moitié dort dans la rue, plus particulièrement dans les villes.
La première moitié ne devrait pas poser de problèmes au titre des maisons individuelles. En ce qui concerne les ensembles urbains avec de nombreux copropriétaires, l’installation de bornes risque de mettre la copropriété dans la difficulté, compte tenu des désirs individuels de chacun, de la gestion de l’ensemble et des coûts mensuels de recharges qui devront être financés.
La seconde moitié a besoin de bornes de chargement dans la rue. Ces 25.000.000 de véhicules doivent disposer de 2.500.000 bornes avec la répartition européenne recommandée suivante sur le territoire français :
30% de bornes NORMALES (7 KWh), soit 750.000 bornes (faciles à installer) ;
60% de bornes MOYENNES (22 KWh, soit 1.500.000 bornes (travaux spécifiques de difficulté moyenne, pour les installer) ;
10% de bornes FLASH (50 KWh ou plus), soit 250.000 bornes (travaux spécifiques d’installation nettement plus compliqués).
De gros travaux de construction, d’aménagement et d’installation dans l’espace public sont donc à prévoir pour couvrir le territoire, de façon homogène et souple, au sens de la circulation routière.
En outre, il ne faut pas oublier le problème des voitures qui dorment en permanence dans la rue ; il va bien falloir installer les bornes de rechargement. Les places prises par ces bornes seront autant de places de parking en moins. Il faudra donc construire des parkings ailleurs, de préférence à l’entrée des villes. Il ne peut y avoir confusion entre place de parking et emplacement de recharge des batteries.
CAMIONS
Sachant qu’il faut des bornes spécifiques à grande puissance de charge permettant des recharges de camions entre 150 et 350 KWh/H, on obtient, en appliquant la norme européenne, le chiffre de 50.000 bornes reparties entre les entreprises de transport et les routes et autoroutes.
Les travaux relatifs à ces implantations peuvent être qualifiés d’importants, voire de très importants.
AUJOURD’HUI
La France possède actuellement de l’ordre de 21.000 bornes de chargement, réparties en 7.600 stations. Le groupe Bolloré a promis de mettre en place 16.000 bornes supplémentaires de chargement avant fin 2019… mais rien n’a encore été lancé ! En 2019, à la suite de l’implantation de ces bornes, on atteindra un total de 21.000 + 16.000 = 37.000 bornes, ce qui permet au sens européen du terme de recharger 370.000 véhicules, soit 0,75% de l’ensemble du parc automobile français.
Par ailleurs, la société IONITY, spécialisée dans l’industrialisation de ces bornes, prévoit d’installer, d’ici à 2020, 400 bornes FLASH (pouvant ultérieurement permettre 350 KWh). Elle estime la construction et l’implantation de ces bornes à 800 M d’euros, soit 2 M d’euros la borne FLASH…. CE N’EST PAS DONNÉ !
La question du coût va donc se poser, compte tenu des frais d’installation des bornes et des lignes électriques à implanter. De surcroît l’État n’aura plus les bénéfices des taxes pétrolières. On peut imaginer de sérieuses discussions pour fixer le prix des recharges, qui feront forcément l’objet de péréquations compliquées.

PROBLEMES
La charge simultanée d’un grand nombre de batteries, par exemple en début de soirée ou dans la nuit, va conduire à des demandes d’énergie faramineuses, pouvant induire des disjonctions électriques, surtout en ville. Une organisation adéquate devra être mise en place, au moins au début. (à l’instar de ce qui se passe en agriculture, dans les zones utilisant des systèmes d’arrosage par canaux).
La différence entre l’existant et un futur réaliste est énorme. Accéder au futur représente, dans ce domaine, une véritable révolution pour la France.

5 MATERIAUX ET MATIERES PREMIERES BATTERIES
Aujourd’hui les recherches battent leur plein pour assurer les stockages d’énergies électriques dont il faudra disposer. On tente de mettre de plus en plus d’énergie dans la même boîte, en mixant les divers composants de base. Ces recherches sont menées pour les grosses capacités par EDF qui voit avec inquiétude les problèmes se profiler (diminution du nucléaire), et pour les petites capacités par les industriels.
Plus on promeut les batteries, mieux il faut savoir contrôler leur charge et leur puissance, en évitant les emballements thermiques (voir les affaires des batteries ions /lithium des avions Boeing et des portables Samsung ; nous avions été confrontés aux mêmes problèmes sur des avions militaires en 1995).
Ces batteries, il faudra les fabriquer, les utiliser correctement sans les faire vieillir prématurément, et les recycler en fin de vie. Cela doit coûter bien de l’énergie.
Actuellement ces batteries sont essentiellement à base de lithium ou de cobalt. Aujourd’hui, 40% du cobalt produit dans le monde et la grosse majorité du lithium sont utilisés pour ces batteries. Une batterie classique nécessite de l’ordre de 20 Kg de ces métaux. On espère dans le futur pouvoir utiliser le nickel qui existe en proportions bien plus considérables.
Deux problèmes restent inhérents à ces batteries :

  • Pour les économiser et assurer une certaine capacité kilométrique, il faut une conduite automobile souple, sans grosse demande de puissance,
  • il faut privilégier les recharges à puissance MOYENNE, en évitant le plus possible les charges FLASH qui abrègent la vie de ces batteries.

MATIERES PREMIERES
Les matières premières que nécessite le « tout électrique » peuvent se répartir entre deux grandes familles.
La famille des métaux classiques (lithium, cobalt, nickel….). On les trouve en grandes quantités car certains sont des sous-produits de l’industrie du cuivre. Mais ces métaux, maintenant consommés en importance, se raréfient et on commence à s’inquiéter pour leur pérennité. Il sera nécessaire de leur assurer un recyclage total, en fin de vie des batteries, et de développer les recherches minières.
La famille des terres rares. Fondamentales, pour tout circuit électrique que l’on veut « pousser », pour toute batterie puissante, et pour les aimants des moteurs électriques, elles sont rares et pour leur grande majorité sises en Chine. Cette dernière commence du reste à réfléchir à leur exportation. On les trouve communément au fond des mers, dans des nodules métalliques, mais à grande profondeur. L’utilisation des terres rares est obligatoire si on veut promouvoir les véhicules électriques en les allégeant.

6 FUTURE MOBILITE
Malgré l’engouement actuel, la mobilité « tout électrique » n’est donc pas simple. Quelles sont les autres solutions ?

  • Ne négligeons pas le cheval et le vélo… Le premier revient, principalement dans les vignes en terrain escarpé, et le second pour les petits déplacements…..On pourrait aussi parler de la trottinette
  • Le GPL ; c’est un comburant dangereux qui est peu à peu abandonné,
  • L’hydrogène pur, donc dans des conteneurs très protégés. Il est aussi dangereux que le GPL, avec en plus une tendance à causer de violentes explosions. Si des sécurités d’emploi sont mises en place, il peut être employé pour des transports en commun (trains, cars, mais pas, à mon avis, pour les véhicules particuliers,
  • La pile à combustible. Elle ne semble pas totalement au point actuellement, mais peut être une source intéressante dans un futur pas très éloigné,
  • Le gaz classique : encombrant sauf sous forme liquide, agréable sûrement, mais posant des problèmes de sécurité, surtout en cas d’accident.
  • L’hybride. C’est certainement une bonne façon de se déplacer actuellement. Mais c’est une technologie chère, car elle nécessite deux moteurs (l’électrique et le thermique), ainsi que des batteries et des systèmes électroniques sophistiqués pour contrôler les interfaces divers
  • Les voitures thermiques à FAIBLE CONSOMMATION. Les recherches tendent à obtenir des consommations de 1,5 à 2 litres d’essence ou de diesel aux 100 km, avec filtres à particules.
    Deux choses à noter :
    Les rejets de particules dans l’atmosphère sont dus non seulement à la combustion, mais aussi aux frottements des pneus et des freins.
    Une voiture électrique est, énergiquement parlant, plus vorace à la construction qu’une voiture thermique. L’équilibre serait atteint après 80.000 km parcouru par la voiture électrique.

7 CONCLUSIONS
Affirmer que l’avenir dans les déplacements est « au tout électrique » impose de lourdes contraintes qu’il vaut mieux avoir analysées avant de s’y lancer :

  • De quelle production d’énergie de base disposons-nous pour permettre les recharges des batteries assurant le fonctionnement de dizaines de millions de véhicules électriques ? Cette énergie existe-t-elle aujourd’hui ? Sinon, quelles installations de production faut-il construire pour l’obtenir ?
  • Avons-nous des ressources minières, plus particulièrement pour les terres rares, autorisant la construction de la multitude de batteries et éléments électriques nécessités par le « tout électrique » ? Y a-t-il des avancées techniques permettant d’accroître l’efficacité de ces batteries ?
  • Y a-t-il une planification, à l’échelle des villages, des villes et du pays, des travaux indispensables à l’implantation des bornes de rechargement ? Et cela en termes de travaux publics, de stations de recharges, de raccordements aux réseaux électriques et de protection de ceux-ci ?
  • Existe-t-il une approche de sécurisation des circuits d’alimentation électrique permettant d’éviter surcharges et disjonctions, lors des pointes de charges, généralement en fin de journée?
  • A-t-on une idée approximative des futurs prix de facturation des recharges de batteries ?
    Toutes ces questions, aujourd’hui latentes compte tenu du faible nombre de véhicules électriques, devront être très largement abordées avant de se lancer dans le « tout électrique ».

Trois catégories de véhicules, voire quatre à plus long terme, peuvent être considérées comme propres et «écologiques » :

  • les véhicules hybrides et hybrides rechargeables ; ces deux types sont actuellement les plus chers, compte tenu de l’existence de deux moteurs et des équipements électriques et électroniques embarqués,
  • les véhicules à moteur thermique à faible consommation ; ce type de véhicules est sûrement le plus facile à utiliser et celui qui permet l’adaptation logistique la plus minime,
  • les véhicules « tout électriques », uniquement équipés de batteries ; ce sont ceux qui nécessitent le maximum de développements et de travaux pour assurer un support logistique adapté et flexible.

Le futur consistera vraisemblablement en un assortiment de ces quatre catégories, dont les proportions seront décidées en fonction du coût des dépenses de logistique – facteur aujourd’hui négligé par la réflexion. En restant réaliste, on peut penser qu’il faudra limiter le nombre de véhicules « tout électriques » à quelques millions, sans dépasser 15% du parc automobile.
Bien évidemment, l’arrivée de véhicules utilisant la pile à combustible pourrait changer la donne.

Jacques Desmazures est ancien directeur des essais en vol et directeur technique des programmes, chez Dassault Aviation.

Linky : une illusion

Groupe Indépendant de Réflexion sur l’Énergie
Pierre Audigier, ingénieur général  des Mines (h) 

Patrice Cahart, inspecteur général des Finances (h)
ancien conseiller de la Commission Européenne ancien conseiller à la Cour de cassation                                       

Hugues Hourdin, conseiller d’État (disp.)
ancien membre du collège de la Commission de Régulation de l’énergie

          Notre groupe de réflexion, totalement indépendant, étudie depuis plusieurs années les problèmes de l’énergie, sous leurs aspects techniques, juridiques, économiques et financiers. Cette note a été établie par trois de ses membres, issus de grands corps de l’État et donc formés à la prévention des gaspillages ou autres abus.

         Le déploiement des « compteurs communicants » Linky sur l’ensemble du territoire a été décidé par un décret du 31 août 2010. Ce texte n’a pas été précédé de la consultation du public prévue pour les plans et programmes relatifs à l’environnement par l’article 7 de la convention d’Aarhus du 25 juin 1998 (elle-même publiée au JORF par décret du 12 septembre 2002). Or l’opération en cause concernait l’environnement à trois égards :

  • émissions, dans une certaine mesure, de champs magnétiques (voir ci-dessous) ;
  • multiplication des antennes-relais ;
  • présentation de Linky comme permettant de réduire la consommation d’électricité et donc, selon les auteurs du projet, certaines pollutions.

         On peut donc s’interroger sur la légalité de l’ensemble de la procédure. En tout cas, Linky souffre dès l’origine d’un déficit démocratique.

         Nous nous sommes attachés à examiner son coût économique, et les autres inconvénients qui lui sont reprochés. Cette étude nous conduit à quelques recommandations.

        I/ Le bilan économique de Linky est déséquilibré

        A/ Rappelons d’abord qu’une grande partie de l’actuel parc de compteurs est moderne. Ce sont des compteurs électroniques, d’une conception intermédiaire entre les anciens compteurs électro-mécaniques et les compteurs du type Linky. Ils permettent de distinguer six plages tarifaires au cours d’une même journée (contre deux seulement pour les compteurs électromécaniques). On a critiqué la fixité de ces plages, que le consommateur ne peut moduler à sa guise. Elles sont néanmoins adaptées aux besoins de la majeure partie de la population. Les relevés à distance (sans dérangement du  consommateur) sont possibles avec ou sans fil.

          Par rapport à ces compteurs électroniques déjà évolués, Linky ne saurait  apporter un progrès décisif. Il permet certes de suivre de façon distincte jusqu’à douze appareils, mais le client ne connaît que sa courbe de consommation globale.

          Les compteurs électroniques ont été installés à compter de 1996, et leur durée de vie est estimée à cinquante ans. Les plus anciens devraient donc durer, normalement, encore vingt-huit ans. Et les plus récents, une bonne quarantaine d’années. Leur remplacement prématuré par des Linky constitue un gaspillage.  

         B/ La CRE a fait établir, en 2011, un bilan économique prévisionnel de Linky, et l’a mis à jour en 2014, pour la période 2014-2034 :

  • d’un côté, les coûts, dont celui de l’investissement, évalué à 5,7 milliards € courants – ou encore, en termes actualisés, à 4,5 milliards d’euros de 2014 ; ainsi que les dépenses d’exploitation, évaluées à milliard actualisé ; d’où un total de 5,5 milliards actualisés :
  • de l’autre côté, les économies espérées et les dépenses évitées, pour un total de 5.7 milliards actualisés (non compris les économies problématiques que procurerait un meilleur pilotage de la consommation des particuliers).

          Dans son rapport public de 2018, la Cour des Comptes a ajouté un coût de 300 millions € au titre des systèmes d’information, et conclu à un léger déficit du bilan économique.

       Nous pensons que le déséquilibre sera beaucoup plus marqué. En effet,  à l’origine du projet, les compteurs Linky étaient censés durer quinze ans seulement ; ce chiffre a été porté à vingt ans ; la Cour des comptes a elle-même émis une réserve à ce sujet. Et surtout, les compensations présentées en face des coûts sont d’une fiabilité très inégale :

      a/ Dans son principe, le milliard actualisé prévu au titre des télé-réparations qui seront effectuées sans déranger le réparateur paraît légitime.

      b/ La dépense évitée, c’est-à-dire le remplacement des compteurs anciens par des compteurs électroniques nouveaux, qu’il aurait fallu effectuer en l’absence de Linky, est chiffrée à 1,9 milliard actualisé. Mais il y a là une erreur d’optique, en raison de la durée de vie des compteurs anciens, de l’ordre, comme on l’a vu, de cinquante ans. Si l’on raisonne, non plus sur la période 2014-2034, mais sur la période 2014-2064, la dépense d’investissements en compteurs Linky vient au moins deux fois, tandis que la dépense évitée ne peut être comptabilisée qu’une fois.

         c/ Quant au 1,9 milliard actualisé prévu au titre de la résorption des vols d’électricité, il appelle l’analyse suivante :

  • une partie des branchements illégaux sont situés en amont des compteurs domestiques ; Linky ne pourra donc les déceler ; certes, l’installation des Linky fournira une occasion de les découvrir, mais le remplacement, le moment venu, des compteurs les plus anciens par des compteurs électroniques aurait fourni une occasion semblable ; on ne peut donc porter la totalité de cette économie au crédit de Linky ;
  • s’agissant des piratages situés en aval des compteurs domestiques, ils sont déjà signalés, dans le système traditionnel, par des consommations anormales, au détriment des abonnés ; Linky n’améliorera guère leur information ; pour déceler de manière nette un piratage, il faut arrêter tous les appareils du logement, et constater sur le compteur (classique ou Linky) que la consommation continue de progresser ; or plusieurs appareils (réfrigérateurs, boîtes de connexion des ordinateurs) fonctionnent de manière quasi-permanente ;
  • quant aux « petits malins » qui faussent les compteurs classiques pour minorer leur consommation, on peut craindre qu’ils n’apprennent rapidement à fausser aussi les compteurs Linky.

         C/ Même si le bilan économique de Linky était à peu près équilibré – ce qui serait fort étonnant, compte tenu des remarques qui viennent d’être présentées –  cela ne suffirait pas, comme la Cour des Comptes l’a observé, pour rendre Linky acceptable. En effet, notre pays va devoir effectuer d’importants investissements, en particulier dans les domaines de la production d’énergie et du logement. Il ne doit pas distraire une partie de ses ressources au profit d’opérations douteuses. Seules doivent être retenues celles qui comportent une rentabilité économique ou sociale évidente.

         Comment améliorer celle de Linky ? En faisant valoir que les clients ne seront plus dérangés lors des relevés de compteurs ? Ce n’est pas à l’échelle du problème. Depuis des années, EDF et ses filiales conseillent aux abonnés dont le compteur se trouve à l’intérieur du logement et qui ne peuvent être présents lors d’un passage du releveur de déclarer eux-mêmes leur consommation. Il existe aussi des possibilités de télé-relève, avec ou sans fil ; des firmes privées insèrent à ce sujet des publicités sur la toile. Certes, ces opérations sont payantes, mais l’investissement en Linky a lui aussi un coût – ô combien – qui contribue de manière générale, dès maintenant, au renchérissement des factures d’électricité domestique.

          Quant à l’espoir que les clients régulent leur consommation d’électricité grâce à Linky, il est chimérique. Les ménages ne sont pas des entreprises. Ils ne vont pas changer leurs heures de repas, ni couper leur chauffage en plein hiver, en fonction du coût du courant. Et les lavages ? Même sans Linky, Enedis peut faire campagne pour qu’ils n’aient pas lieu aux heures de pointe. L’existence de six plages tarifaires sur les compteurs électroniques lui permet d’ailleurs de sanctionner les abus, en ce domaine. On voit donc mal l’apport de Linky.

        De surcroît, les modalités pratiques de ce système n’incitent aucunement les consommateurs à un pilotage minutieux. D’après le rapport de la Cour des comptes (p. 265) :

  • les abonnés pourvus de compteurs Linky ne reçoivent des informations détaillées sur leur consommation qu’une fois par semestre ;
  • il leur a été proposé, en sus, une information quotidienne par internet ; 1,5 % seulement des intéressés ont accepté ; cette faible proportion révèle que le public est, d’une manière générale, surinformé, et que la Toile ne peut plus jouer le rôle qui était naguère le sien ;
  • l’information du consommateur en temps réel requiert un appareil supplémentaire, « l’afficheur déporté », posé sur option, et non encore disponible ; la décision de lui conserver un caractère facultatif a été prise pour des raisons de coût ; en effet, son prix de revient unitaire est de l’ordre de 50 €, plus 24 € de pose ; multipliés par 35 millions de compteurs, ces chiffres donnent un supplément de 2,6 milliards ;
  • pour éviter le coût de l’afficheur, et ses inconvénients esthétiques – car il devrait être placé dans un endroit accessible du logement – les personnes intéressées par Linky préfèreraient sans doute recevoir leur courbe de consommation sur leur mobile (smartphone) ; mais cette réception est techniquement difficile (rapport de MM. Flüry-Hérard et Dufay, ingénieurs généraux des Ponts et Chaussées, page 22) ; de toute façon, ce mobile donne accès à tant d’informations, en tous domaines, que Linky ne serait pas consulté souvent ;
  • l’afficheur comme le mobile ne fournissent, au demeurant, que la courbe de consommation globale (les textes ne prévoyant aucune ventilation entre les différents appareils domestiques) ; et il s’agira de kwh, alors que pour être efficace, cette information devrait être exprimée en euros ; la décision s’explique par les changements probables du prix de kwh, qui contraindraient à adapter chaque fois les compteurs Linky ; mais en faisant ce choix, on a privé le système de toutes chances d’être un jour utile.

Or c’est cet espoir chimérique de réguler la consommation qui a été à l’origine de Linky, et l’a fait retenir par le gouvernement de l’époque !

         Dès janvier 2017, le rapport Flüry-Hérard/Dufay avait donné l’alerte à ce sujet. La mise en place des compteurs Linky s’est poursuivie comme si de rien n’était.

          D/ Nous notons enfin, sur ce chapitre, que les compteurs Linky sont en principe assemblés en France, mais que des exceptions ont été tolérées, et que la carte automatique qui en constitue l’essentiel est principalement fabriquée hors de nos frontières. Pour l’industrie française, qui fournissait les compteurs électroniques, le passage à Linky n’est donc pas avantageux.

          II / Linky encourt aussi d’autres critiques

          Nous pourrions nous en tenir là. Il nous a paru souhaitable, néanmoins, de mentionner d’autres critiques adressées à Linky.

          A/ L’émission de champs magnétiques

         Les incidences magnétiques de Linky ont été exagérées. On ne peut les négliger tout à fait, car elles viennent s’ajouter, dans chaque logement, à ceux de toute une panoplie d’appareils. En effet :

  • quotidiennement, chaque compteur Linky est interrogé ou contrôlé par l’unité centrale, et émet des informations dans sa direction ; en son avis de 2016 révisé le 7 juin 2017, l’Agence Nationale pour la Santé et la Sécurité (ANSES) a indiqué (page 10) qu’il en résultait un champ magnétique un peu inférieur à celui d’un téléphone portable et très inférieur à celui d’une plaque chauffante, mais double de celui d’un écran de télévision et quadruple de celui d’un chargeur d’ordinateur ; cela dit, ces échanges entre le compteur et l’unité centrale ne durent que quelques minutes par jour ;
  • le reste du temps, le compteur Linky est en veille, et enregistre les consommations ; il n’émet pas d’ondes significatives ;
  • les afficheurs, situés dans des endroits accessibles, seront reliés par ondes aux compteurs, situés dans des endroits reculés ; dès lors, les abonnés dotés d’un afficheur se trouveront, du point de vue des rayonnements, dans une situation comparable à celle du détenteur d’un wi-fi ; mais le nombre des intéressés restera sans doute faible, et c’est d’ailleurs l’un des défauts de Linky.

         Le rapport officiel Flüry-Hérard/Dufay de janvier 2017 a exprimé toutes réserves (page 24) au sujet de l’installation de compteurs Linky dans des chambres d’étudiants ou de bonnes, trop exigües pour que l’occupant puisse se  distancier du champ magnétique.

         Dans son rapport rendu public le 27 mars 2018 (un document de 359 pages, qui a mobilisé quarante experts pendant quatre ans), l’ANSES a mis en évidence, pour une fraction de la population, une hypersensibilité électromagnétique, se traduisant notamment par des maux de tête, de la fatigue et des troubles du sommeil ; cette fraction est évaluée à 5 % de la population française (soit 3,3 millions de personnes). Linky n’y contribuera que pour une petite part – mais non pour une part nulle.

          B/ La protection des données personnelles

          Linky fournit de nombreuses informations sur le mode de vie des clients et permet d’évaluer le nombre de personnes présentes dans le logement. Le décret du 10 mai 2017assure aux abonnés un libre accès aux données collectées sur leur compte. Il ne saurait les garantir réellement contre la cession clandestine de ces données à des tiers ni contre le piratage, aisé à effectuer puisqu’entre les concentrateurs et l’unité centrale de Linky, elles empruntent une voie hertzienne, et que le cryptage n’a qu’une efficacité relative.

          Tout récemment encore, les appréhensions exprimées à ces sujets étaient accueillies avec ironie. Le scandale de Direct Énergie, ce fournisseur d’électricité  qui s’était procuré les données personnelles des clients d’Enedis sans l’autorisation de ceux-ci, vient de montrer que les craintes n’étaient pas sans fondement (la presse des 28 et 29 mars). Direct Energie a été rappelé à l’ordre par la CNIL. Demain, sans doute, d’autres se montreront plus habiles et passeront à travers les mailles.

          Malgré la différence d’échelle, cet incident n’est pas sans parenté avec celui de Cambridge Analytica, ce prestataire britannique qui avait acquis de Facebook une masse de données personnelles afin, d’une part, de faciliter l’élection de R. Trump, et d’autre part, de peser en faveur du Brexit. Dans ce cas, comme dans celui de Direct Energie, l’abus commis a été découvert grâce à des lanceurs d’alerte ; rien ne garantit qu’il s’en trouvera toujours un.

         Les données personnelles intéressent toutes sortes de publicitaires et de démarcheurs ; donc elles valent cher ; donc elles risquent en permanence d’être détournées ou vendues.

          C/ Vers une régulation autoritaire de la consommation ?

          Linky permet d’allumer ou d’éteindre à distance certains appareils.

          Conçu comme un outil entre les mains du consommateur, ce système va vers l’échec. La régulation spontanée que l’on espérait ne sera pas obtenue. Grande sera alors, chez certains, la tentation d’y suppléer par une régulation autoritaire, en mettent en avant le sauvetage de la planète. Utopie ?

           III/ Recommandations 

          1/ Nos observations plaident en faveur d’un arrêt de l’expansion de Linky, sans remise en cause, bien sûr, des compteurs déjà implantés (environ sept millions sur trente-cinq).

          2/ Pour le cas où il n’apparaîtrait pas possible d’arrêter la course du char lancé à pleine vitesse, il conviendrait de s’inspirer de l’exemple de pays voisins. Huit pays de l’Union européenne ont renoncé à une couverture totale par les compteurs « intelligents ». Parmi eux, l’Allemagne (annonce de février 2015) : ces compteurs sont réservés aux logements neufs ou entièrement rénovés, aux producteurs d’énergies renouvelables et aux foyers consommant plus de 6 000 kwh par an – soit au total 30 % de la population.

          L’idée n’est pas mauvaise, mais le seuil de 6 000 kwh nous paraît beaucoup trop bas pour la France. La consommation d’une maison de 70 m2, donc très modeste, chauffée à l’électricité est évaluée à 9 900 kwh. La plupart des  consommations élevées sont relatives à des familles nombreuses ou ayant fait le choix, écologiquement judicieux, d’un chauffage électrique. Ces ménages ont peu de possibilités de comprimer leurs consommations. Et si on les poussait à abandonner le chauffage électrique, ce serait au profit de systèmes polluants (fioul et gaz).

       3/ Les propriétaires des réseaux électriques basse tension sont les communes, et non Enedis, simple concessionnaire. On ne sautait leur imposer de devenir propriétaires de compteurs Linky qu’elles ne souhaitent pas. Nous ne sommes plus au temps de Napoléon ! Il faut donc cesser d’attaquer devant les tribunaux administratifs les délibérations communales s’opposant à l’introduction de Linky.

         4/ Le droit de refuser l’installation d’un compteur Linky semble reconnu aux particuliers. Mais Enedis aurait l’intention de faire céder les récalcitrants en leur facturant les déplacements des releveurs de compteurs. Cette initiative, contraire à la fois à un principe d’équité et au droit positif, ne saurait être autorisée :

  • eu égard aux incertitudes qui viennent d’être exposées, tout particulier a le droit de refuser Linky, s’il l’estime nécessaire ; il serait peu démocratique de lui retirer ce droit par un biais ;
  • les relevés de compteurs (et surtout ceux des compteurs classiques) ne sont pas des prestations de services ; effectués dans l’intérêt du fournisseur, et non du consommateur, ils ne doivent pas être facturés à ce dernier ; la prestation facturable, c’est la fourniture de courant ; les frais généraux de l’entreprise, dont le coût des relevés, ont vocation à être couverts, d’une manière non personnalisée, par l’ensemble des factures émises.

xxx

        À l’origine, les concepteurs de Linky se trouvaient devant un dilemme :

  • ou bien ils créaient un outil permettant (sans garantie de succès) un véritable pilotage, par les particuliers, de leur consommation électrique ; mais alors, le système était hors de prix ;
  • ou bien ils allégeaient leur dispositif, et lui faisaient perdre son utilité éventuelle.

          Ils ont choisi un moyen terme. Le résultat, c’est que Linky cumule les deux défauts : aucune régulation significative de la consommation n’en résultera ; et pourtant, il demeure cher, ce qui conduit à un bilan économique déséquilibré.

          Dès lors, Linky ne saurait devenir une sorte de devoir citoyen. Chacun doit rester libre, en fait comme en droit, d’en rester à un compteur classique.

Le stockage de l’électricité : un rêve lointain

Par Pierre Audigier, ingénieur gl des Mines (h)
Patrice Cahart, inspecteur gl des Finances (h)
Jean-Pierre Le Gorgeu, géophysicien
Georges Sapy, ingénieur Supélec, ancien cadre supérieur d’EDF

Éolien et solaire sont, comme on le sait, des sources intermittentes d’électricité. Non seulement elles fluctuent au gré des vents et de la luminosité, mais elles ne fonctionnent que pour une partie de leur capacité : 23 % et 12 %, respectivement, en moyenne annuelle, et en France métropolitaine. Cette insuffisance a de graves conséquences sur l’équilibre et la gestion du réseau électrique.

C’est en vain qu’on invoque la compensation entre régions : chaque année, il y a des jours de grand froid sans vent où la production éolienne de l’ensemble de la France tangente le zéro, alors que la consommation atteint son maximum. De même pour la compensation entre pays voisins : quand un grand froid sans vent s’installe en France, le reste de l’Europe occidentale est généralement affecté lui aussi. Les statistiques allemandes récentes font apparaître des périodes peu ventées – jusqu’à dix jours d’affilée – durant lesquelles la production éolienne tombe, malgré l’importance du parc installé outre-Rhin, à moins de 1 % de la production totale du pays.

Actuellement, l’éolien et le photovoltaïque ne fournissent que 5 % de la production électrique française. Faut-il vraiment s’orienter vers une contribution de l’ordre de 30 % ? Cet objectif suppose, de manière impérative, qu’une solution soit trouvée au problème de l’intermittence. Or il n’en existe que trois, et aucune n’est tant soit peu satisfaisante, à court ou moyen terme.

1/ Combler les manques éoliens en recourant au gaz, voire au charbon.
C’est ce que font les Allemands (augmentation de la production de lignite, particulièrement polluant), et qu’on devra faire en France, si les implantations éoliennes se poursuivent. Présenté comme utile au climat, l’éolien devient alors son ennemi. Cette solution doit être résolument écartée.

2/ Convertir une partie du potentiel nucléaire actuellement en service en un complément de l’éolien (et accessoirement du photovoltaïque).
Cela reviendrait à imposer des arrêts fréquents ou des mises en veilleuse aux centrales nucléaires existantes, dont pourtant le fonctionnement, une fois les travaux de sécurité réalisés, ne coûte presque rien, pour faire place à des éoliennes qui sont à créer de toutes pièces, et devraient être desservies, dans toute la France, par de nombreuses extensions du réseau existant. Cette solution, irrationnelle et coûteuse, multiplierait en outre les affrontements avec les populations rurales, dont nous vivons déjà de nombreux épisodes (entre autres, Bouriège dans l’Aude et St Victor-et-Melvieu dans l’Aveyron).

2/ Stocker les pointes de production éolienne et photovoltaïque, afin de les restituer durant les pointes de consommation.
Cette note montre les limites d’une telle approche.

a/ Le meilleur moyen de stockage consiste en Stations de Transfert d’Energie par Pompage (STEP). L’électricité excédentaire de certaines périodes est utilisée à pomper d’un plan d’eau inférieur vers un plan d’eau supérieur ; lors des pointes de consommation, l’eau redescend par des turbines pour produire de l’électricité. La France métropolitaine compte six STEP de grande capacité, avec des dénivelées pouvant atteindre neuf cents mètres. Mais les sites montagnards sont à peu près tous équipés. Si l’on voulait installer des STEP sur nos côtes, il faudrait, en contrepartie de la faiblesse des dénivelées (une centaine de mètres, dans les meilleurs cas), disposer de volumes d’eau considérables, et donc noyer des zones étendues, y compris sans doute des hameaux et des villages. On se heurterait en outre aux règles de protection des sites pittoresques ou touristiques.

À l’heure actuelle, les STEP constituent 3,2% de notre potentiel électrique et fournissent moins de 1% de l’électricité produite. Un seul des cinq scénarios présentés par RTE dans son Bilan prévisionnel de 2017 prévoit un recours accru à cette formule – sans dire où. Le supplément de courant espéré n’atteindrait que 0,5 % de la production française.

b/ Les batteries ont fait de gros progrès et leurs coûts sont à la baisse. Mais elles ne sont adaptées qu’au stockage à petite ou moyenne échelle,  de l’ordre de la journée. Leur usage pour stocker l’électricité à grande échelle ou sur une longue durée serait hors de prix et le restera selon les projections actuelles.

Seules des applications domestiques ou tertiaires utilisant des batteries sont économiquement accessibles. Mais le chargement s’effectue le plus souvent de nuit ; il ne corrige donc pas les pointes photovoltaïques, ni les pointes diurnes de l’éolien.

c/ Les excédents éoliens (et accessoirement photovoltaïques) pourraient être utilisés à l’électrolyse de l’eau. L’oxygène produit serait dirigé vers l’industrie ; l’hydrogène serait consommé par des véhicules (ce qui supposerait la mise en place d’un réseau de distribution) ou injecté dans le gaz naturel distribué aux usagers (ce qui n’est possible que dans des proportions très limitées).

Dans son document déjà cité, RTE observe que l’électrolyse est coûteuse en capital, et que, pour amortir l’équipement, il faudrait le faire fonctionner au moins la moitié du temps : ce que les excédents en cause ne permettraient pas, loin de là. De toute façon, cette solution, sans effet pour les consommateurs d’électricité, ne résout pas le problème de la l’alimentation des consommateurs d’électricité par temps couvert et sans vent.

Une variante consisterait à brûler l’hydrogène pour produire à nouveau de l’électricité quand on en a besoin. Elle est techniquement réalisable, mais présente l’inconvénient majeur d’un coût très élevé.

Il n’existe actuellement dans le monde, hormis de petites installations expérimentales, aucune usine d’électrolyse de taille industrielle. Aucune n’est annoncée, car le coût de l’électricité produite la rendrait invendable.

d/ La filière consistant à synthétiser du méthane à partir des   surplus éoliens ou photovoltaïques, et à injecter ce méthane dans le gaz naturel distribué aux usagers, peut également fonctionner, mais serait encore plus coûteuse que la filière hydrogène.

Fait notable, aucun des cinq scénarios de RTE, à horizon 2035, ne recourt de façon significative aux batteries, à l’hydrogène ou au méthane.

xxx

À ces remarques, on objectera peut-être le progrès technique, qui peut rendre possible demain ou après-demain ce qui est impossible aujourd’hui.

Mais le progrès technique ne se décrète pas, et ne peut être prévu de manière précise. Dans le meilleur des cas, il faudra plus de vingt ans pour rendre rentable l’une des filières qui viennent d’être présentées. Or, la durée de vie d’une grande éolienne est de l’ordre de vingt ans.

Il serait absurde de continuer à lancer des projets de grandes éoliennes, en comptant sur le progrès des moyens de stockage pour permettre leur insertion rationnelle dans le système de production. Le temps que ce progrès espéré se concrétise, les éoliennes se trouveraient hors d’usage.

Le problème de l’intermittence demeure donc, aussi loin qu’on puisse prévoir, sans solution acceptable à l’échelle du pays.  Ce constat doit conduire à une remise en cause de l’expansion éolienne.