Débat sur la sortie du confinement

Le 13 avril 2020

Jusqu’à présent, le site Montesquieu a conservé une distance envers l’actualité. Mais elle devient si prégnante qu’on ne peut plus l’éviter. Nous publions donc un débat sur la sortie du confinement. Jacques Darmon et Patrice Cahart sont inspecteurs des finances (h). Danick Rousseau est ingénieur au corps des Ponts (h), ancien directeur général du Bureau Veritas. Ils expriment des points de vue non médicaux, inspirés notamment par des soucis d’ordre économique. Les opinions divergentes des médecins ont été largement diffusées par la presse et par la télévision.
Tout lecteur pourra ajouter ses remarques à la fin du document.

 

La France face au Coronavirus
Par Jacques Darmon, 10 avril 2020

Le traitement par les pouvoirs publics français de l’épidémie actuelle de Covid-19 ne peut manquer de soulever de graves interrogations.

Au départ, un fait dont on connait toutes les données : une épidémie se répand en Chine. On apprend très vite qu’il s’agit d’un virus faiblement mortel (1% de décès parmi les personnes infectées) mais très contagieux (R –facteur de reproduction –supérieur à 2,2 : chaque porteur peut contaminer plus de 2 personnes).

En supposant qu’une première personne (porteur zéro) ait été directement contaminée par une chauve-souris ou par un porteur du virus à l’étranger, après la vingtième contamination (probablement avant le 30ème jour en supposant un contact d’une personne infectée avec une personne saine tous les deux jours), le nombre de porteurs infectés est de : 1*2 puissance 20 soit 1 046 576. La diffusion de l’épidémie est foudroyante. Le temps est un facteur essentiel.

A l’annonce (tardive ?) de l’épidémie en Chine, en décembre 2019, les Français et leur gouvernement[1] ont d’abord considéré que la maladie était chinoise, due aux mœurs du pays (consommation d’animaux sauvages). Quand le gouvernement chinois a décidé de fermer des provinces entières, on a lu plus d’articles sur le caractère dictatorial du régime communiste chinois que sur la gravité de l’épidémie.

En février 2020, l’épidémie a atteint sévèrement l’Italie : là encore, les commentateurs s’apitoyaient sur le sort de nos voisins, sous-entendant souvent que l’anarchie et le désordre italiens expliquaient la sévérité de l’épidémie.

Les évangélistes de Mulhouse ont enfin réveillé la France.

En fait, à moitié réveillée. Les premières consignes gouvernementales ont été plutôt rassurantes. Pas d’affolement. Puis l’épidémie prend de l’ampleur. Les premières mesures sont annoncées, peu sévères : respecter des distances barrières, éviter les rassemblements de 1000 personnes. Le danger grandit : les interdictions portent sur les rassemblements de 100 personnes, Mais allez voter aux élections municipales du 15 mars 2020 ! L’erreur devient enfin évidente: le 16 mars 2020 est décidé un confinement général de toute la population.

Entre cette décision où nous sommes encore aujourd’hui et le début de l’épidémie en France, se sont écoulées huit semaines ! Alors que l’on savait tout sur le caractère très contagieux du virus.

Ce retard initial, impossible à rattraper, s’est trouvé aggravé par la stratégie médicale choisie.

Le gouvernement savait qu’il ne pouvait avoir recours aux deux méthodes traditionnelles de lutte contre une épidémie : le vaccin et « l’immunité collective » (utilisées notamment contre la grippe saisonnière).

A ce jour, il n’existe aucun médicament [2]. La mise au point d’un vaccin demanderait plusieurs mois, voire deux ans.

« L’immunité collective », recommandée par des spécialistes anglais et retenue par la Suède, consiste à laisser l’épidémie se répandre. Les spécialistes affirment que, lorsque 60 % à 70% de la population aura rencontré le virus, l’épidémie s’éteindra d’elle-même. 95 % de ceux qui seraient infectés s’en sortiraient sans dommage. 5% devraient être hospitalisés. Parmi ceux-ci, une petite minorité décèderait. Petite minorité : probablement de plusieurs centaines de milliers de personnes.

Le gouvernement ne pouvait choisir cette stratégie. Politiquement, humainement, il était impossible de se résigner à la mort certaine de plusieurs centaines de milliers de Français, désignés parmi les catégories les plus faibles ou les moins protégées.

De plus, les services hospitaliers se seraient trouvés dans l’impossibilité d’accueillir les 5 % qui auraient eu besoin d’être hospitalisés : le taux de mortalité aurait été accru et des scènes insoutenables se seraient produites à l’entrée de ces établissements.

Dès lors, il restait qu’une solution : tenter de limiter au maximum la diffusion de l’épidémie et, à cette fin,  réduire au minimum les contacts entre porteurs du virus et citoyens sains.

L’exemple de plusieurs pays (dont près de nous l’Allemagne) nous montre qu’il était possible d’atteindre ce résultat si nous avions disposé de masques et de tests diagnostiques en nombre suffisant en février. Les tests auraient permis d’isoler les personnes malades. Associés à quelques mesures de distanciation sociale (fermeture de lieux publics, restaurants, écoles..), ils auraient permis de limiter la diffusion de la maladie.

Après avoir (trop longtemps) hésité, ne disposant ni des masques (dont on disait qu’ils étaient inutiles, voire dangereux) ni des tests, le gouvernement a décidé le 16 mars 2020 le confinement de toute la population. Ce qui était devenu inévitable.

Ce qui n’était pas inévitable, c’est la manière dont ce confinement a été géré.

Les pouvoirs publics se sont donné comme objectif essentiel de protéger les services hospitaliers et de s’assurer que les unités de réanimation seraient en mesure de faire face à l’augmentation inévitable du nombre de patients à traiter.

De ce point de vue, le confinement a réussi : à la mi-avril, le nombre de patients en réanimation est stabilisé (environ 7000) et le nombre de lits paraît aujourd’hui suffisant.

Pour atteindre ce résultat, il a fallu le dévouement exceptionnel (qui a parfois été jusqu’au sacrifice de leur vie) de tous les personnels soignants et l’effort des administrations compétentes. Les applaudissements qui manifestent chaque soir la reconnaissance des citoyens sont parfaitement justifiés.

Ceci dit, on peut s’interroger sur l’extrême difficulté d’atteindre ce résultat.

Pourquoi l’hospitalisation de 62 000 malades (entre le 1er mars et le 10 avril 2020) a-t-elle été si difficile dans un système hospitalier qui comprend 400 000 lits et qui reçoit chaque année 12 millions de patients (pour un séjour d’une durée moyenne de 10 jours) ?

Pourquoi est-il si difficile de faire passer le nombre de lits de réanimation de 5000 à 14000 (objectif visé), alors que l’Allemagne (qui dépense la même somme que la France pour la santé : 11,3 % % du PIB) disposait de 28 000 lits de réanimation et a pu rapidement porter ce nombre à 40 000 ?

Ce sont des questions qui mériteront d’être élucidées après la tempête.

Si le confinement de toute la population a pu contenir l’épidémie et sauvegarder le système hospitalier, son coût est énorme :

– La ruine de l’économie française, avec des conséquences gigantesques pour les prochaines années : chômage massif, baisse du niveau de vie, destruction d’une part significative du potentiel industriel et commercial, augmentation importante de la dette publique… et probablement augmentation des impôts ;
– La situation insupportable de ceux qui n’ont pas la chance d’être « agréablement » confinés : au bout de quelques semaines (mois ?), une véritable révolte se lèvera dans certains quartiers ;
– Le sort dramatique de ceux qui sont confinés sans soin : EHPAD, prisons, émigrés, SDF…

Or la sortie du confinement, question majeure, peut-être même vitale [3] est aujourd’hui impossible : dans la situation actuelle, en l’absence de mesures nouvelles, elle se traduirait immédiatement par le redémarrage de l’épidémie. Le gouvernement ruse et prolonge le confinement de 15 jours en 15 jours. Mais chacun sent bien qu’à poursuivre la méthode actuelle, il ne s’agit plus de jours mais de mois !

La sortie du confinement n’est envisageable que si l’on stoppe la contamination, que s’il est possible d’identifier les porteurs de virus et de les séparer des individus non infectés!

Il faut donc tester la population. Les personnes infectées (porteurs de symptômes ou testés positivement) resteront confinés (pour 14 jours environ). Tous les autres citoyens (ceux qui auront été testés non-porteurs du virus et tous ceux qui n’auront pas été testés, et non pas, comme le proposent certains, seulement ceux qui auront été immunisés après contamination, car le nombre sera nécessairement très faible) pourront sortir du confinement avec le port d’un masque [4].

Mais des personnes, pendant la période d’incubation, qui ne font pas apparaître de symptômes, peuvent être porteuses du virus et contaminer des tiers : il faut donc être en mesure, quand la maladie apparaîtra, de prévenir les personnes qu’elles ont rencontrées et leur demander de s’isoler à leur tour. Il faut donc, par une application informatique, suivre ces personnes et identifier leurs contacts dans les 15 jours précédents, tout en assurant la protection de la vie privée –ce que la technique permet aisément.

Très probablement, il faudra maintenir pendant quelques mois le principe de distanciation sociale : gestes barrières, interdiction de rassemblements, fermetures de cafés, cinémas, fêtes …

Dans le contexte anxiogène entretenu par la communication gouvernementale, il ne suffira pas d’annoncer la fin du confinement : beaucoup de travailleurs aujourd’hui ne souhaitent pas prendre de  risques pour leur santé et, usant à la fois du chômage partiel, des congés maladie et du droit de retrait, bénéficiant de la couverture sociale, ils n’envisagent pas de reprendre le travail. Il faudra convaincre que le danger est écarté. Il faudra focaliser les aides publiques sur ceux qui sont privés d’emplois.

De toute urgence, il faut donc des tests et une possibilité de suivi des contacts (tracking).

Et pourtant, là encore, le gouvernement tergiverse, comme s’il n’y avait pas d’urgence : on fait semblant d’étudier une application informatique qui est disponible, on réfléchit à la façon de convaincre non pas la population mais le milieu politique,  on fait semblant d’ignorer que le déconfinement suppose des milliards de masques, des centaines de milliers de tests quotidiens et on se réjouit de disposer de 100 000 tests par semaine … en juin [5] !

A noter qu’AMAZON a décidé d’appliquer la méthode proposée (test et tracking) à ses employés, que Google et Apple propose un système de suivi de données sécurisé : encore une fois les GAFA précèderont-elles les Etats ?

Un mot sur des projets de déconfinement qui ne répondent pas aux exigences de l’épidémie.

Une première idée consisterait à prévoir un déconfinement par zones ou par régions : les moins contaminées seraient libérées les premières. Il faut voir que tout déconfinement sans tests et sans tracking, se traduira inévitablement par la reprise de l’épidémie. Ces zones les moins touchées deviendront à leur tour les plus infectées !

Une seconde idée consiste à isoler les « personnes à risques » qui seraient maintenues confinées : on songe aux personnes âgées, mais il  faut immédiatement y ajouter celles qui ont une fragilité quelconque qui accroit le risque : asthme, problèmes cardiaques, obésité… C’est une liste qui est impossible à établir clairement (par qui ?) et qui peut donner lieu à de multiples fraudes. Enfin le contrôle a posteriori de ces personnes à risque parmi 60 millions de Français déconfinés, est de fait impossible !

Mais cette mauvaise solution est peut être, pour un gouvernement aux abois, la seule solution disponible !

Car nous avons pris un retard inacceptable. Les masques vont finir par arriver. Mais le retard pour les tests est dramatique.

Là encore, ce sont des questions qui mériteront d’être élucidées après la tempête.

Dans cette guerre, il nous faudrait un Napoléon qui mène une guerre de mouvement ; nous n’avons que des Gamelin qui cherchent à s’abriter derrière une ligne Maginot !

 

Réponse de Danick Rousseau, 10 avril

A la vérité, je ne vois pas comment on va pouvoir sortir du confinement. Ni nous, ni les autres. Ni même complètement la Corée du Sud. Sauf à se retrancher du monde, ce qui est incompatible avec nos économies et marquerait un retour en arrière considérable. La Chine elle-même n’a pas trouvé de solution.

Quand on y réfléchit, le problème est insoluble sans médicament ou sans vaccin.

La dernière étude est allemande et relative au premier cluster apparu en Allemagne, ce qui a permis un examen « a posteriori », alors que jusqu’ici on n’avait que des études partielles ou « par analogie » avec d’autres coronavirus ou même avec le virus de la grippe.  Cette étude a conduit à un taux de létalité par rapport aux personnes infectées de 0,5%.

Pour qu’un pays comme la France vive tranquillement, et donc reprenne une économie normale, des mathématiciens ont conclu qu’il fallait que 60% au moins des Français aient été infectés. Soit pour la France 60% x 67 millions = au moins 40 millions. D’où 0,5% x 40 millions = 200 000 morts. Impossible à imaginer, tant moralement que politiquement.

Donc en l’absence de médicament ou de vaccin, il n’y a d’autre solution que l’éradication complète du virus le plus tôt possible. C’est peut-être obtenable avec des solutions de confinement complet couplées avec des solutions comme celle de la Corée du Sud. Coût économique ??? Mais après ?

Imaginons la France exempte de virus (mais le raisonnement s’applique à n’importe quel autre pays). Comment pourrait-elle commercer avec le reste du monde … qui nécessairement contiendrait des personnes infectées ? Nous refermer sur nous-mêmes ? Qui serait heureux en dehors de Marine Le Pen ? On ne pourrait même pas commercer entre pays européens puisqu’on ne serait pas sûr de la rigueur des pratiques des vingt-six autres pays. On imagine la chute de notre économie, absolument pas prête à cela. Même chose pour l’Allemagne, le Royaume-Uni, etc. Alors ?

Ouvrir les frontières parcimonieusement et les refermer à chaque infection ? C’est la stratégie du « stop and go » … jusqu’à ce que 40 millions de personnes aient été infectées en x années et… 200 000 morts obtenus étalés dans le temps. Insupportable sur tous les plans, éthique, politique, économique. D’autant plus qu’après tant d’années le virus aura sûrement muté et sera devenu inoffensif (on peut toujours rêver ; le SRAS légitime cela) ou terriblement mortel (tous aux abris) ou sera comme maintenant, mais avec la faculté de réinfecter les guéris.

Je ne vois vraiment de solution que par la mise au point :

    1. D’un vaccin ; les procédures exigent au moins un an. Sanofi travaille étroitement avec l’Institut Pasteur ; selon son président, deux ans sont un minimum.
    2. D’un médicament. Il peut y en avoir de deux sortes :
    • certains, pris dès le début, voire quotidiennement par prudence, comme on prend de la Nivaquine sans être contaminé dans les pays où sévit le paludisme, guériraient rapidement ou empêcheraient le Covid 19 de se manifester sérieusement,
    • d’autres, pris plus tard, quand les formes s’aggravent, feraient avorter la maladie à ce moment-là.

Il y a une différence importante entre les deux sortes de médicaments. Probablement les premiers ne créeraient aucune immunité alors que les seconds permettraient à l’organisme d’en bâtir une.

Clairement, vaccin et médicaments de la seconde sorte apporteraient une solution. Pourrons-nous avoir vite un médicament ? Sommes-nous sûrs d’avoir un jour un vaccin ? De toutes manières, quand on regarde les calendriers des deux hypothèses, l’économie n’est pas bien. Elle est même mal. Très mal. Et j’ai l’impression que tous les pays seront finalement logés à la même enseigne, quelle que soit l’intelligence de leur action en ce moment. Quelqu’un peut-il me rassurer ?

 

Réplique de Jacques Darmon, 11 avril 2020

Je lis tes remarques avec intérêt. Mais je n’arrive pas à me résoudre à ton analyse. Il est certain que le vaccin, qui n’arrivera que dans un an au plus tôt, n’est pas une solution pour cette épidémie.

Attendre le médicament, pour moi, c’est comme aller à Lourdes : attendre un miracle ; cette fois, un miracle scientifique et non religieux ! Trouver ce médicament est déjà extrêmement aléatoire : depuis combien de temps des centaines d’équipes médicales dans le monde recherchent-elles  un médicament contre le cancer ? Admettons qu’il  est plus aisé de trouver un médicament contre une maladie virale. Combien de temps pour le fabriquer et le mettre à disposition de tous ? On nous annonce que les premiers résultats des premières études (toutes n’ont pas commencé !) seront disponibles au plus tôt dans un mois ! Nous ne pouvons rien espérer de significatif avant début septembre. D’ici là, le monde se sera écroulé.

Les dégâts du confinement prolongé sur plusieurs mois sont gigantesques : non seulement économiquement  (même si certains comme MM. Ruffin et Mélenchon font semblant de s’en désintéresser) mais sur les relations sociales (dans un pays très appauvri, les tensions seront extrêmes) et psychologiques (les personnes fragiles seront les premières touchées).

Je persiste à penser que la solution que je propose (test et tracking) est la seule qui permette une sortie rapide du confinement (il est plus facile de fabriquer des tests que l’on connait qu’un médicament qu’on n’a pas encore découvert !). Si cette solution commence à marcher, on peut faire redémarrer la France. Et, si elle marche en France, elle sera immédiatement utilisée dans tous les pays ; le problème des échanges sera donc réglé.

La société Amazon semble préparer cette solution pour ses propres salariés. Google et Apple proposent un système de suivi de données. Encore une fois, les GAFA précèderont –ils les Etats ?

Seconde réponse de Danick Rousseau, 11 avril 2020

La solution que tu proposes est sans doute la meilleure pour un pays d’une taille « normale » où l’État est présent partout (par exemple les pays européens). En Chine, aux États-Unis et dans la plupart des pays du monde, il y aurait quelques problèmes de mise en œuvre. La Chine a l’air d’avoir de grosses difficultés alors que c’est un pays qui ne s’embarrasse pas de contraintes juridiques.

La difficulté, voire l’impossibilité est dans les échanges. Toutes les économies développées, mais aussi la société civile de ces pays par le biais du tourisme notamment, tirent leur vitalité d’un rythme et d’une quantité effrénés d’échanges. Le système que tu proposes ne me semble pas compatible dans la durée. Modifier cette façon de communiquer entre pays aurait un effet délétère important. C’est sûrement mieux qu’un confinement qui perdure, mais cela ne résout pas tout-à-fait le problème. En revanche, c’est peut-être une bonne solution pour attendre un vaccin ou un médicament. Il est toutefois vrai qu’on peut imaginer, si le système est efficace en offrant toutes les garanties de secret concernant la vie privé (mais, sur ce sujet, le jugement variera beaucoup selon les pays, même à l’intérieur de l’Europe), qu’il soit adopté par tous les pays occidentaux et ceux disposant d’un État efficace. Cela reviendrait à mettre en place un système de visas de santé …

Ta remarque sur le cancer n’a pas lieu d’être. Le cancer est dû à une modification du noyau (de l’ADN) de certaines cellules. Le coronavirus entre dans la cellule, dans son cytoplasme exactement, mais pas dans son noyau. Ce n’est pas un rétrovirus comme celui du sida. On a déjà trouvé des vaccins pour des virus. Celui de la rougeole, très efficace, en est un bon exemple.

Une autre différence par rapport aux temps anciens, voire même récents, est que toute la recherche du monde, médicale mais aussi numérique, travaille sur le sujet, et de façon très ouverte, semble-t-il. Il y a bien sûr des délais incompressibles ; celui des tests sur animaux, puis sur groupes d’humains ; mais l’analyse et la recherche seront considérablement accélérés ; c’est le côté positif de la mondialisation.

Pour le moment, Amazon n’envisage pas de dépistage de masse. Son communiqué réserve les tests à « un petit nombre de nos employés en relation directe avec le public ».

La solution proposée par Jacques (et qui est peu ou prou celle appliquée par la Corée du Sud dès le début de l’épidémie) et que je soutiens tout-à-fait, n’est envisageable que si on raréfie le nombre de personnes infectées dans la population … ce qui est l’objectif du confinement.

On pourrait dire que l’objectif du confinement est la raréfaction de la maladie et que la formule de Jacques terminerait le travail en effectuant une éradication analytique.

13 avril 2020, juste après l’allocution présidentielle

Observations de Patrice Cahart

 Emmanuel Macron a annoncé la sortie du confinement le 11 mai. C’est à peu près ce à quoi on s’attendait. Son allocution contient une décision courageuse : la réouverture des écoles, alors que beaucoup préconisaient de la renvoyer à septembre (mais les enseignants vont peut-être se mettre en travers). En revanche, son discours enrobe, rapidement et sans discussion, deux décisions lourdes de conséquences : la poursuite de la relégation des seniors au moins dans un premier temps, et le maintien, pour une durée indéfinie, de la fermeture des cafés, restaurants, théâtres et cinémas.

La date du 11 mai est subordonnée à une condition : il faut que d’ici là, l’épidémie continue à reculer. Nous pouvons être assez confiants. Il y a peu, nous avions six cents morts à l’hôpital en une seule journée [6]. Nous sommes maintenant un peu au-dessus de trois cents. Le désormais célèbre Pr. Raoult a déclaré que les épidémies virales cessent au printemps.

Ces préalables étant posés, j’examine les conditions d’un déconfinement. Un plan doit d’ailleurs être publié par le gouvernement sous quinzaine.

Les tests

Il en existe de deux sortes :

          + les uns permettent de savoir si le sujet est porteur du virus (qu’il présente des symptômes ou non) ; c’est ce dont nous avons besoin ;

           + les autres (sérologiques) permettent de savoir si le sujet est immunisé par la présence d’anticorps ; ils présentent moins d’intérêt dans la situation actuelle, car la proportion d’immunisés, 15 % peut-être, reste loin des quelque 60 % nécessaires, d’après les spécialistes, pour faire cesser l’épidémie ; il est donc hors de question de réserver la sortie du confinement aux immunisés ;  E. Macron a d’ailleurs implicitement écarté cette solution.

          Ne perdons donc pas de temps sur ces tests de la seconde sorte, et concentrons-nous sur les premiers. Le matériel nous manque. De plus, il faut une infirmière pour prélever chaque échantillon, un laboratoire pour l’analyser. Actuellement, on pratique en France 12 000 tests par jour. Le ministre promet de passer à 50 000 d’ici à la fin d’avril. Les supports ne sont pas encore là. Même si nous atteignons l’objectif, on n’aura jamais que 1,5 million de personnes testées en un mois : peu de chose, en regard d’une population de 67 millions d’habitants.

          Des tests salivaires, plus simples, et sans doute moins fiables, sont à l’étude. Nous n’en disposerons pas avant de précieuses semaines.

          D’ailleurs, à quoi nous mènerait une grande campagne de tests ? Elle détecterait un nombre élevé de patients sans symptômes ou faiblement atteints (car les autres sont déjà à l’hôpital, ou ne quittent plus leur logement). Que faire de tous ces détectés ? Les hospitaliser ? Nous n’en avons pas les moyens. Les confiner chez eux ? La plupart le sont déjà, au risque de contaminer leurs proches.

  1. Macron, qui sait tout cela, se contente de nous dire qu’à compter du 11 mai, le système sanitaire sera capable de tester tout porteur de symptômes. Cela ne me paraît pas suffisant en ce qui concerne les EHPAD : lorsque des symptômes apparaissent sur l’un des pensionnaires, on constate en général qu’une bonne partie de l’établissement est déjà infectée. Je recommande donc, dès maintenant si possible, un dépistage systématique des pensionnaires et du personnel de tous les EHPAD, qu’il y ait des symptômes ou non. Les détectés sans gravité seraient isolés durant quinze ou vingt jours dans des hôtels pris en location par les préfets. Le personnel de service de ces hôtels convertis serait embauché pour la circonstance et préalablement testé. Eu égard au caractère autoritaire de cette mesure, son coût se trouverait inévitablement à la charge de l’État. À noter qu’en Espagne, neuf mille chambres d’hôtel ont été réservées pour ces cas.

          Si nous parvenons à traiter ainsi la totalité des EHPAD, ce sera beau.

          Le traçage

          L’application « Stop Virus » (on aurait quand même pu parler français) est presque prête. E. Macron a confirmé qu’elle serait mise en œuvre sur la base du volontariat, après consultation du Parlement, et n’a guère insisté. Selon les autres sources officielles ou officieuses disponibles, elle servirait uniquement à avertir les participants qu’ils ont été en contact tel jour avec une personne infectée. Si j’ai bien compris, le fonctionnement serait le suivant :

          + vous êtes volontaire, vous téléchargez l’application sur votre smartphone (via Bluetooth) ;

          + vous sortez de chez vous ; vous avez pensé à prendre votre smartphone et vous le laissez allumé ;

           + vous rencontrez quelqu’un ou vous le croisez ; si cette personne est également participante, et munie d’un smartphone allumé, les deux smartphones se signalent mutuellement leurs identifiants ; cette personne n’est pas malade, sinon elle ne circulerait pas ; elle peut être porteuse du virus, mais elle l’ignore ;

            + les signaux échangés sont transmis à un serveur placé sous l’autorité des services de santé (et non de la police) ; le lieu de la rencontre n’est pas indiqué, sinon il pourrait servir à des investigations de police.

             + quelques jours plus tard, la personne que vous avez rencontrée est identifiée comme porteuse du virus ; son médecin, son infirmière ou elle-même l’indiquent au serveur ;

              + le serveur vous adresse alors un message suivant lequel tel jour, à telle heure, vous avez rencontré une personne infectée, dont il ne vous dit pas le nom ;

               +le serveur vous donnera-t-il des ordres, comme dans les pays d’Extrême-Orient ? j’imagine qu’il vous donnera au moins le conseil très pressant de vous faire tester (même si objectivement cela ne se justifie pas), et qu’il vous relancera dans les jours suivants ; ce n’est pas un inconvénient majeur, tant qu’il n’aboutit pas à des mesures coercitives.

          Réciproquement, si vous tombez malade ou si vous êtes reconnu porteur, tous les participants au système que vous avez fréquentés ou croisés durant les quinze jours précédents seront informés, sans indication de votre nom ni de vos coordonnées.

         Un problème évident de réglage se pose. Si vous avez simplement croisé la personne en cause, sur un trottoir, à un mètre ou même à 70 cm de distance, le risque de contamination est à peu près  nul. En notant néanmoins ce type de contacts, on encombrerait le serveur de données superflues, et on inquièterait inutilement les gens. Cela dit, la station assise durant dix minutes dans le métro, dans un autobus, dans un train à côté d’une autre personne comporte un risque incontestable. Il faut donc prévoir une durée minimale de contacts. Laquelle ?

        Autre question pratique : les enfants sont rarement victimes de l’épidémie, mais ils peuvent être porteurs de virus. Doit-on les munir de smartphones et y charger l’application ?

         Le traçage a donné de bons résultats en Corée du Sud, mais il est assorti d’une surveillance policière de toute la population, inconcevable en France. À Singapour, où il est resté facultatif, on n’a eu que 20 % de volontaires. Dans notre pays, de tradition plus individualiste, ce sera encore moins. Or le système ne protège vraiment ses adhérents que s’ils sont nombreux.

          Je ne vois pas d’objection à un traçage réellement facultatif et encouragé par le gouvernement. Cette facilité fera bel effet dans le tableau de mesures accompagnant le déconfinement. Il ne faut pas trop en attendre. Telle semble être aussi l’opinion d’E. Macron.

          Je mets en garde contre une solution à la Tartuffe : « Vous êtes totalement libre de refuser le traçage, mais vous ne pourrez plus sortir de chez vous ». Une grande partie de la population n’est pas équipée de smartphones. C’est mon cas ; en temps de paix, je n’en ai pas ressenti le besoin. Certains pourraient ajouter qu’ils n’ont pas les moyens de s’en offrir : un pour monsieur, un pour madame, un pour chaque grand enfant…

          Les masques

           La sortie du confinement doit être accompagnée d’une mesure générale et massive, de nature à éviter la rechute, et à rétablir la confiance de la population. Les tests et le traçage ne pouvant remplir ce rôle, il ne reste plus que la généralisation des masques. E. Macron a promis une large distribution, sans plus de précisions.

         À noter qu’en Espagne, où la corona-mortalité est plus élevée qu’en France, la réouverture, aujourd’hui, d’un grand nombre d’entreprises s’accompagne d’une distribution de masques à la sortie des stations de métro et des gares. Et qu’en Pologne, on trouve des masques dans des distributeurs automatiques.

         Des objections peuvent être formulées

       ¤  le Danemark a refusé la généralisation des masques, au motif qu’elle donnerait un faux sentiment de sécurité, et inciterait les porteurs à enfreindre les distances ; la mesure implique donc, de la part du gouvernement, un effort particulier de communication ;

      ¤  l’Italie a généralisé le port du masque depuis quelque temps, et pourtant elle se trouve dans une situation pire que la nôtre ; mais d’autres facteurs, notamment l’insuffisance de l’équipement hospitalier, peuvent expliquer la différence.

          L’objectif souvent proposé consiste à équiper les soignants et autres professionnels exposés de masques de haute qualité, et le reste de la population, de masques plus sommaires, appelés néanmoins « chirurgicaux ». Mais nous manquons de tous ces masques. Les commandes massives passées à la Chine ne seront honorées, ai-je lu, que courant juin. C’est trop tard. On ne peut différer le déconfinement si longtemps. De toute façon, ces livraisons ne suffiront pas, loin de là, pour l’ensemble de la population.

          Force est donc d’admettre les masques artisanaux, confectionnés par chacun.  Ils ne seront pas parfaits, c’est évident. Mais ils arrêteront l’essentiel des gouttelettes qu’on émet en parlant ou en toussant. Ils doivent être lavables, et donc réutilisés quelque temps. L’idée selon laquelle chaque Français doit consommer deux masques par jour est une idée folle. En ce domaine, le perfectionnisme, c’est la mort.

         Les médicaments

        Je laisse de côté l’éventuel vaccin, qui ne sera disponible avant un an moins. En revanche, cinq ou six médicaments sont candidats contre le nouveau fléau. Ils existent, on n’a pas besoin de les inventer. Ils ont déjà été essayés, avec plus ou moins de succès, sur d’autres maladies. On les essaie actuellement sur le coronavirus, pour voir s’ils sont efficaces et ne produisent pas trop d’effets secondaires.

         Le temps que ces essais se concluent, et qu’une production industrielle démarre, nous nous trouverons sans doute en septembre.  Le ou les médicaments n’aideront donc pas, dans l’immédiat, le déconfinement. Mais ils pourront être utiles, espérons-le, contre la vague d’automne. A fortiori les injections de plasma de patients guéris, porteurs d’anticorps : c’est une technique éprouvée, et des annonces laissent espérer sa mise en œuvre, dans le cas du coronavirus, avant la fin du printemps.

xxx

Au terme de cet inventaire, un déconfinement le 11 mai paraît réalisable, à condition de l’assortir des annonces suivantes :

+ généralisation du port du masque (artisanal, au besoin), au moins dans les transports en commun, puis, si l’épidémie persiste, dans la rue ;

+ tests aussi nombreux que possible, et couvrant notamment l’ensemble des EHPAD ;

+ traçage vraiment facultatif ;

+ mise en œuvre prochaine des injections d’anticorps ;

+ probabilité d’un médicament à l’automne, contre une deuxième vague éventuelle.

         Cet ensemble, rendu public dans un contexte de mortalité en forte baisse, devrait rassurer les Français et leur rendre l’envie d’aller à leur travail.

          Le maintien de la fermeture des cafés, des restaurants, des cinémas, des théâtres détruirait  un grand pan de notre économie. Une solution limitant la promiscuité consisterait, comme dans certains pays d’Asie, à interdire le service au comptoir et à limiter les présences dans la salle à une personne par table, sauf si elles vivent sous le même toit. C’est aussi ce que recommande, en Allemagne, l’académie Léopoldina. Les convives ne pourraient conserver leurs masques, mais le personnel le devrait, et il faudrait assurer des contrôles aléatoires, surtout dans les cuisines.

          Je m’élève bien sûr contre la suggestion d’Ursula von der Leyen tendant à confiner les seniors jusqu’à la fin de l’année ! Malheureusement, l’écho s’en trouve chez E. Macron, d’une manière assourdie. Ce serait faire de ces aînés des citoyens de seconde zone, et imposer une lourde sujétion à leurs proches. La mesure suggérée plus haut au sujet des EPHAD, le port obligatoire du masque et un appel à la prudence devraient ramener le risque à un niveau raisonnable.

         Que de soucis, pour une épidémie que nos ancêtres auraient considérée comme une vaguelette !

[1] 24 janvier 2020 : « le risque d’importation depuis Wuhan est pratiquement nul » (Agnès Buzyn, ministre de la santé- 24 février 2020 : « il n’y a pas de circulation du virus sur le territoire national » Olivier Véran, ministre de la santé

[2] On n’évoquera pas ici la chloroquine qui – semble-t-il – a pour effet d’accélérer la guérison de malades faiblement atteints mais qui ne réduit pas le taux de mortalité (même ce point est contesté).

[3] Le danger pour l’économie française sera accru si des pays voisins comme l’Allemagne ou même l’Italie sortent du confinement longtemps avant nous.

[4] Et sous réserve qu’elles acceptent le tracking

[5] L’objectif affiché aujourd’hui : passer  de 10 000 à 50 000 tests classiques par jour d’ici mai ; passer de 30 000 à 100 000 tests rapides en juin (alors que l’Allemagne aujourd’hui teste 500 000 personnes par jour !

[6] Je laisse de côté les résultats des EHPAD, qui arrivent de manière irrégulière. Mais ces établissements tendent à devenir le principal foyer de mortalité.