Réflexions sur un assaillant

Frédéric Tangy, Jean-Nicolas Tournier : L’Homme façonné par les virus.
Livre lu par Nicolas Saudray [1]

31 janvier 2021

Frédéric Tangy, virologue, professeur de vaccinologie, dirige à l’Institut Pasteur un laboratoire qui a mis au point un vaccin contre l’actuelle pandémie. Soit dit en passant, elle ne doit plus être appelée Covid 19, mais SARS CoV-2, pour marquer la parenté avec le premier SARS, cette maladie respiratoire émergée en 2003. Le chercheur s’est associé à un médecin militaire, Jean-Nicolas Tournier, chef de l’Institut de recherche biomédicale des armées, pour célébrer la découverte et la situer dans la longue histoire des virus. L’ouvrage est paru en janvier 2021. Déveine ! Quelques jours plus tard, l’Institut Pasteur faisait savoir qu’il renonçait à ce vaccin. Cela n’interdit pas de réfléchir, en compagnie des deux auteurs.

Après l’annonce initiale, ils présentent de manière vivante une brève histoire des épidémies. Considérée d’après le nombre de morts, l’actuelle fait modeste figure. Son taux de mortalité n’atteint que 2,5%, alors que d’autres, en dernier lieu le Sida, ont atteint ou dépassé les 50 %, et que la grippe « espagnole » a tué cinquante millions de personnes. La terreur que répand notre ennemie d’aujourd’hui tient à la rapidité de sa diffusion, notamment par les transports aériens, et donc à son extension mondiale.

Un virus, c’est un morceau d’acide nucléique enveloppé dans une protéine. Il a besoin d’un hôte (généralement une cellule) pour se répliquer. Les virus sont presque aussi vieux que la vie sur Terre ; dès les débuts des bactéries, ils sont venus s’y infiltrer. Leur présence physique est impressionnante. Les océans contiennent en moyenne trois millions de particules virales par millilitre. Et si on mettait ces particules bout à bout, elles s’étireraient sur dix millions d’années-lumière.

En latin, virus signifie poison. Deux cent mille « espèces » (on dit plutôt « populations ») ont été recensées, et la propension de chacune à muter accroît encore la diversité. Mais 129 seulement de ces formes sont reconnues dangereuses pour l’homme. Les hommes de science ont mis longtemps à identifier les virus, car ils échappent aux microscopes optiques, et ne consentent à paraître que devant un microscope électronique. Pasteur, qui a combattu divers virus avec le succès que l’on sait, ne les avait jamais vus.

Nous devons le premier vaccin, utilisé contre la variole, au médecin anglais Jenner, à la fin du XVIIIe siècle. Le nom de son invention rappelle les vaches dont les pustules ont été utilisées. Napoléon se fait vacciner en 1811, avec son jeune fils le roi de Rome, et prescrit cette précaution pour l’ensemble de ses troupes. S’agissant des nouveau-nés, la vaccination est rendue obligatoire en Grande-Bretagne dès 1840, mais la France attend 1902. On voit la différence des mentalités !  

Aujourd’hui, grâce aux efforts de vaccination de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la variole a disparu. S’agissant d’une maladie propre à l’homme, il n’y a apparemment aucun risque qu’elle se soit réfugiée chez des animaux sauvages, avant de reparaître. Voilà notre espèce délivrée d’un fléau qu’elle subissait depuis au moins cinq mille ans.

L’éradication de la poliomyélite, là encore par la voie du vaccin, figurait également au programme de l’OMS. Elle est en bonne voie. Des résistances à la vaccination persistent néanmoins au Pakistan et en Afghanistan.

La grippe espagnole a sévi pendant deux ans (1918-1920), puis a disparu, avant qu’on ait eu le temps d’inventer un vaccin. En l’absence de réservoir animal connu, on peut tenir l’événement pour définitif. Un laboratoire a eu toutefois l’audace de de reconstituer le virus, d’où critiques, car il s’est mis à la merci d’une libération  accidentelle.

Après avoir ravagé, plus d’une fois, le continent américain, la fièvre jaune s’est retirée sans son Afrique natale, et en Amazonie. Un vaccin a été inventé en 1927. Mais, contrairement à la variole et à la grippe espagnole, elle ne pourra être éliminée en totalité, compte tenu de sa présence chez des singes (comme le Sida).

La rougeole a longtemps été, dans les pays avancés, la première cause de mortalité juvénile. La mise au point des vaccins, à laquelle l’institut Pasteur a contribué, y a mis bon ordre. Dans notre pays, compte tenu de réticences irraisonnées, la vaccination n’a été rendue obligatoire pour les enfants que le 1er janvier 2018. Mais pratiquement plus personne ne meurt en France de la rougeole. C’est surtout en Afrique que le mal persiste. Bien que dérivé de la peste bovine, il  ne bénéficie d’aucun réservoir animal. Il pourra donc, un jour, être éliminé.

À la suite de ces succès, on pouvait penser que le temps des maladies infectieuses était révolu : ou bien elles provenaient de virus, et les vaccins allaient leur barrer la route ; ou bien elles résultaient de bactéries (cas de la peste ou de la tuberculose), et les antibiotiques (impuissants contre les virus) les tenaient en échec. La recherche médicale pouvait donc se concentrer sur les pathologies les plus importantes des pays avancés : les maladies cardio-vasculaires et les cancers. L’apparition du Sida, la remontée de la tuberculose, enfin l’arrivée du SARS CoV-2 ont brouillé ces belles perspectives.

Le pangolin ayant été innocenté, cette dernière maladie paraît provenir d’une espèce de chauves-souris présente en Chine, chez qui elle ne provoquerait  que des maux légers. C’est le passage à l’homme qui la rendrait dangereuse ! Le SARS        CoV-2 fait partie de la famille des coronavirus, dont les premiers identifiés, à la fin des années 1960, ne causaient que des rhumes bénins. On estime qu’au moins cinq cents types de coronavirus sommeillent chez les chiroptères.

Comme on a pu le constater, les humains sont très inégalement réceptifs au SRAS CoV-2. Une raison surprenante en a été donnée. Chercheur renommé, spécialiste de l’homme de Neandertal, l’Estonien Svante Pääbo a calculé qu’un gène ou groupe de gènes légué par cet ancêtre, et particulièrement réceptif à notre nouveau SRAS, est présent chez 8 % des Européens (sans mentionner les Asiatiques). Ainsi Neandertal, que l’on croyait disparu voici quelque quarante mille ans, continue d’influer sur la vie de ses descendants.  Cette révélation suscite trois commentaires de ma part :

¤ si le groupe de gènes néandertaliens en cause a été conservé par l’évolution, alors que d’autres étaient éliminés, c’est sans doute, comme l’observent Tangy et Tournier, parce qu’ils servaient à quelque chose ; mais nous ne savons pas à quoi ; n’accablons donc pas ce pauvre Neandertal ; la mortalité due au SRAS CoV-2 va vraisemblablement limiter la transmission de son héritage, et donc affaiblir certaines protections ;

¤ les gènes néandertaliens se sont répandus en Europe et en Asie, très peu en Afrique ; ce pourrait être l’explication de la bonne tenue de ce continent face au SRAS CoV-2 ; durant l’année 2020, les médias nous inondaient de prédictions apocalyptiques au sujet de l’Afrique subsahariennes ; elles ne se sont pas réalisées ;

¤ dans la lutte contre ce mal, une démarche a priori concevable consisterait à identifier, par analyse génétique, les porteurs des gènes concernés, et à les vacciner en priorité ; mais cela coûterait cher ; mieux vaut encore, d’un point de vue financier, vacciner tout le monde à l’aveuglette comme on a entrepris de le faire.

Les vaccins actuellement homologués – Pfizer, Moderna, Astra Zeneca – sont dits « à ARN messager ». Le laboratoire de Frédéric Tingy, à l’Institut Pasteur, a mis au point une autre formule, inspirée des vaccins contre la rougeole dont on a vu le triomphe. La production a été confiée par avance à la firme autrichienne Themis, qui avait déjà conduit d’autres créations pastoriennes au stade commercial. Themis a été acheté par Merck, le géant américain, concurrent notamment de Pfizer. L’institut Pasteur s’est réjoui de cet achat, qui allait mettre au service de son vaccin une importante capacité industrielle.

Patatras !  Considérant  que le taux de succès du vaccin Pasteur sur les humains est nettement inférieur à celui de ses concurrents, Merck l’a abandonné. L’Institut a dû en faire l’annonce le 25 janvier. Un crève-cœur, après un an de travail acharné !  Succédant aux déboires de Sanofi, cet événement jette une ombre sur la recherche française. Frédéric Tingy et son équipe ne baissent pas les bras pour autant. Ils tracent deux pistes pour un nouveau vaccin : ARN messager, comme leurs concurrents, ou la stimulation des défenseurs que sont les globules blancs.

Vers quel avenir allons-nous ? Le SARS Cov-2 sera sans doute jugulé dans le courant de 2021, malgré les retards des producteurs de vaccins homologués. Le virus restera néanmoins tapi dans des cellules de chauves-souris, prêt à réattaquer dans quelques années, lorsque les immunités acquises se seront affaiblies.

Mais c’est surtout des « nouvelles » épidémies que nous devons nous soucier. Selon nos deux auteurs, 335 maladies infectieuses sont apparues depuis 1940, soit plus de quatre par an ! 60 % d’entre elles sont des zoonoses, c’est à dire des affections à réservoir animal. Elles peuvent être renvoyées temporairement aux forêts et aux toundras, elles ne peuvent être éradiquées. Certes, la plupart n’ont eu, Dieu merci, qu’une faible incidence. Il faut néanmoins citer, en sens inverse, la Sida (dont le réservoir se trouve chez des singes), le premier SRAS (dont le réservoir se trouve chez la civette), et le deuxième SRAS, qui nous occupe tant.

Nous devons donc nous attendre, au cours des prochaines années, à l’irruption de maladies inconnues et parfois périlleuses. Les avancées d’une agriculture incontrôlée facilitent la sortie des réservoirs sauvages. Le livre cite l’exemple de la Malaisie : les forêts équatoriales étant abattues (au profit, notamment, de la dévorante huile de palme), les chauves-souris qui y logeaient se sont perchées dans les arbres proches des habitations ; leurs déjections contaminent les porcs qui contaminent les hommes. Et, par l’effet des transports aériens, la propagation du  virus ainsi sorti de son repaire peut être foudroyante,

Bien écrit, presque toujours compréhensible, le livre de Frédéric Tingy et de Jean-Nicolas Tournier pose les bonnes questions.

     [1] Éd. Odile Jacob, janvier 2021, 298 pages – 21,90 euros.

Comptabilité morbide : des chiffres et une question

Par Jacques Darmon
10 avril 2020

 

 Les médias prennent intérêt à rapprocher la présente épidémie de coronavirus avec deux pandémies antérieures : la peste noire du XIV° siècle et la grippe espagnole de  917-1920. Pourtant l’ampleur de ces pandémies est très différente. 

D’abord, des chiffres :

Au XIV° siècle, probablement venue d’Asie centrale, la peste noire (qui a frappé l’Europe en même temps que la guerre de Trente ans) a tué, entre 1347 et 1352, près de 30% de la population européenne, estimée à 65 millions d’habitants, soit environ 25 millions de décès. (La population française entre 1340 et 1440 a diminué de 17 à 10 millions d’habitants soit -40%). Au niveau mondial, les estimations (très imprécises) font état de 75 millions de décès (sur une population totale de 750 millions, soit 10%).

La  « grippe espagnole » (venue des Etats-Unis) a touché, entre 1917 et 1920, environ 20 millions de personnes (certaines études parlent de 50 millions de morts) dont 4 millions en Europe, soit 1% de la population européenne (400 M) et 1% de la population mondiale (2 milliards). Mais la répartition géographique est beaucoup plus inégale [1].

Il est trop tôt pour évaluer les conséquences de la présente pandémie de Covid-19. Mais il est probable que le nombre de décès (88 000 dans le monde au 10 avril 2020) ne dépassera pas 200 000 en Europe (au sens large) pour une population de 800 millions 0,03%).

Cette pandémie n’est donc pas de l’ordre de grandeur des évènements exceptionnels du XIV° ou du XX° siècle. Ce sont probablement les réactions efficaces des pouvoirs publics de chaque pays (confinement…) et les moyens thérapeutiques de la médecine moderne (réanimation, vaccins ?) qui permettront d’éviter les désastres du passé et de ramener cette pandémie au niveau des grippes saisonnières les plus graves (la question se pose très différemment dans les pays les plus pauvres démunis de ces équipements médicaux).

D’où la question : si l’épidémie de coronavirus, en Europe, n’est pas beaucoup plus grave que la grippe saisonnière, faudra-t-il, quand celle-ci arrivera, en octobre 2020, prendre les mêmes mesures de confinement, de distanciation sociale, d’arrêts d’activité ?

NomAnnéesPopulation (milliards)Reproduction (R0)Infections

Monde (est.)

Décès

Monde

Grippe russe de 1889-18901889-18901,532,1020–60 %

(300–900 millions)

1 million
Grippe espagnole1918-19201,801,8033 % (500 millions)20-100 millions
Grippe asiatique1957-19582,901,658–33 %

(0,25 – 1 milliard)

1–4 millions
Grippe de Hong Kong1968-19693,531,807–28 %

(0,25–1 milliard)

1–4 millions
Grippe saisonnière7,751,285–15 %

(340 millions – 1 milliard)

290 000–650 000/an
Grippe de 2019-20202019-20207,75Inconnu11 % (800 millions)0,45–1,2 million
Pandémie de Covid-192019-20207,752,2
2,68
(1500000)[2]88000+

[1] La grippe espagnole  a provoqué 549 000 décès aux États-Unis, premier pays touché. En France, une étude fait état de 240 000 morts dont 33 000 dans l’armée, au Royaume-Uni de 153 000, en Allemagne de 426 000 morts, au total 2 300 000 pour 14 pays d’Europe occidentale (donc vraisemblablement plus de 4 000 000 pour l’ensemble de l’Europe en comprenant l’Autriche-Hongrie, les autres pays d’Europe orientale et la Russie).
En Inde il y aurait eu au minimum 18,5 millions de morts, soit 6 % de la population. En Chine de 4 à 9,5 millions soit 0,8 à 2 % de la population. Au Japon, près de 250 000.
Dans l’ensemble du monde, la grippe a fait plus de morts que la guerre qui a coûté, dans son ensemble, la vie à 18 600 000 personnes, y compris les victimes civiles. Dans les pays belligérants, la pandémie a été moins meurtrière que la guerre. En revanche, la grippe espagnole a frappé plus massivement les pays n’ayant pas ou peu participé au conflit.
[2] Au 10 avril 2020 – Source : OMS

« Il ne faut pas ôter aux aînés leurs raisons de vivre, Madame von der Leyen ! »

Par Patrice Cahart
16 avril 2020

J’avais la meilleure opinion de vous. Élevée à Bruxelles, vous êtes parfaitement francophone et aussi, je crois, francophile. Étudiante, vous avez failli être enlevée par la Fraction Armée Rouge, en raison des fonctions politiques de votre père, et vous avez dû vous cacher. Mère de sept enfants, vous êtes de ceux que Péguy appelait les aventuriers du monde moderne, et vous vous en êtes fort bien tirée. Toute petite parmi ces grands Allemands, vous avez conduit pendant cinq ans et demi le ministère de la Défense de votre pays. Vous êtes la première femme à présider la Commission européenne.

Avec votre ouverture internationale et votre bonne volonté protestante, vous incarnez ce que l’Allemagne a de plus sympathique.

Quelle mouche vous a donc piquée ? Dans le quotidien Bild paru le dimanche de Pâques, vous avez préconisé le confinement des personnes âgées jusqu’à la fin de cette année, en attendant la mise au point et la commercialisation d’un vaccin contre le coronavirus. Donc huit mois et demi de réclusion, s’ajoutant au mois déjà subi.

On veut sauver les personnes âgées, tout en leur ôtant le goût de vivre.

Et sans doute beaucoup plus, car une invention, hélas, ne se décrète pas. Il faudra trouver le bon vaccin, l’expérimenter, le produire à une cadence industrielle. La fin de 2020 risque d’être largement dépassée. La relégation durerait donc plus d’un an.

Au motif de protéger les gens âgés, vous allez en faire des morts-vivants. Et infliger de lourdes sujétions à leurs proches.

Vous êtes docteur en médecine, vous avez été médecin dans une maternité, vous avez épousé un professeur de médecine. Mais comme vous le savez, la santé ne se réduit pas à la médecine. Elle inclut la qualité de la vie, et les rapports à autrui. Pendant neuf mois, voire un an, les personnes âgées ne pourraient plus voir leurs enfants, leurs petits-enfants, leurs amis. Elles seraient réduites à communiquer avec eux par des moyens informatiques que, pour la plupart, elles maîtrisent mal. Tout ce qui fait le prix de l’existence leur serait retiré. On veut les sauver, tout en leur ôtant le goût de vivre.

D’ailleurs le confinement protège peu de la contagion, du moins dans les maisons de retraite (EHPAD), où le virus est introduit de manière involontaire par le personnel.

La précaution draconienne que vous recommandez serait pire que le mal.

Pour l’ensemble de ces raisons, la précaution draconienne que vous recommandez serait pire que le mal.

Pardonnez-moi de citer aussi mon propre exemple. J’ai 77 ans, et reste, Dieu merci, en bonne santé. Je gère, et j’entretiens en partie de mes propres mains un monument historique privé ouvert au public. Je n’ai plus le droit d’y aller. La prolongation de cette situation serait intenable.

Il se trouve également que j’écris des livres. Vous m’objecterez le télétravail. Mais vient un moment où on ne peut remplacer le contact direct avec l’éditeur, les journalistes, le public.

Mon cas n’a rien d’exceptionnel. En France, en Europe, de nombreux seniors mènent des actions bénévoles et utiles. La réclusion proposée les rendrait difficiles, voire impossibles.

Sans être un homme de l’art, je pense qu’un interminable confinement des personnes âgées pourrait être évité par le port obligatoire du masque pour tous ceux qui sortent de chez eux (étant précisé qu’il faudra admettre les masques artisanaux, car nous n’aurons pas assez de masques réglementaires, en France, avant l’été, voire l’automne) ; le dépistage de tous les pensionnaires et du personnel des maisons de retraite, sans attendre qu’un cas d’infection y soit signalé ; à l’exemple de l’Espagne, l’isolement des personnes ainsi détectées, durant une quinzaine de jours, dans des hôtels pris en location par les pouvoirs publics ; des tests dans le reste de la population, en fonction du matériel et du personnel disponibles ; un appel à la prudence, que les personnes âgées, en France comme ailleurs, sont parfaitement capables d’entendre.

Les gens âgés ne sont ni des enfants incapables de discerner leur intérêt, ni des citoyens de seconde zone.

Durant le répit que la baisse des courbes de mortalité laisse espérer, il y a de fortes chances qu’un des médicaments à l’étude, qui ont l’avantage d’exister, contrairement à l’éventuel vaccin, soit reconnu opérationnel, et fabriqué à grande échelle. Il pourrait alors faire échec à une deuxième vague possible du virus. De même, à plus forte raison, pour les injections d’anticorps, relevant d’une technique éprouvée, et qui pourraient être pratiquées, d’après certaines annonces, avant la fin du printemps.

Dans l’espoir qu’une lourde erreur pourra être évitée, je vous prie d’agréer, Madame la Présidente, l’expression de mes respects.

Débat sur la sortie du confinement

Le 13 avril 2020

Jusqu’à présent, le site Montesquieu a conservé une distance envers l’actualité. Mais elle devient si prégnante qu’on ne peut plus l’éviter. Nous publions donc un débat sur la sortie du confinement. Jacques Darmon et Patrice Cahart sont inspecteurs des finances (h). Danick Rousseau est ingénieur au corps des Ponts (h), ancien directeur général du Bureau Veritas. Ils expriment des points de vue non médicaux, inspirés notamment par des soucis d’ordre économique. Les opinions divergentes des médecins ont été largement diffusées par la presse et par la télévision.
Tout lecteur pourra ajouter ses remarques à la fin du document.

 

La France face au Coronavirus
Par Jacques Darmon, 10 avril 2020

Le traitement par les pouvoirs publics français de l’épidémie actuelle de Covid-19 ne peut manquer de soulever de graves interrogations.

Au départ, un fait dont on connait toutes les données : une épidémie se répand en Chine. On apprend très vite qu’il s’agit d’un virus faiblement mortel (1% de décès parmi les personnes infectées) mais très contagieux (R –facteur de reproduction –supérieur à 2,2 : chaque porteur peut contaminer plus de 2 personnes).

En supposant qu’une première personne (porteur zéro) ait été directement contaminée par une chauve-souris ou par un porteur du virus à l’étranger, après la vingtième contamination (probablement avant le 30ème jour en supposant un contact d’une personne infectée avec une personne saine tous les deux jours), le nombre de porteurs infectés est de : 1*2 puissance 20 soit 1 046 576. La diffusion de l’épidémie est foudroyante. Le temps est un facteur essentiel.

A l’annonce (tardive ?) de l’épidémie en Chine, en décembre 2019, les Français et leur gouvernement[1] ont d’abord considéré que la maladie était chinoise, due aux mœurs du pays (consommation d’animaux sauvages). Quand le gouvernement chinois a décidé de fermer des provinces entières, on a lu plus d’articles sur le caractère dictatorial du régime communiste chinois que sur la gravité de l’épidémie.

En février 2020, l’épidémie a atteint sévèrement l’Italie : là encore, les commentateurs s’apitoyaient sur le sort de nos voisins, sous-entendant souvent que l’anarchie et le désordre italiens expliquaient la sévérité de l’épidémie.

Les évangélistes de Mulhouse ont enfin réveillé la France.

En fait, à moitié réveillée. Les premières consignes gouvernementales ont été plutôt rassurantes. Pas d’affolement. Puis l’épidémie prend de l’ampleur. Les premières mesures sont annoncées, peu sévères : respecter des distances barrières, éviter les rassemblements de 1000 personnes. Le danger grandit : les interdictions portent sur les rassemblements de 100 personnes, Mais allez voter aux élections municipales du 15 mars 2020 ! L’erreur devient enfin évidente: le 16 mars 2020 est décidé un confinement général de toute la population.

Entre cette décision où nous sommes encore aujourd’hui et le début de l’épidémie en France, se sont écoulées huit semaines ! Alors que l’on savait tout sur le caractère très contagieux du virus.

Ce retard initial, impossible à rattraper, s’est trouvé aggravé par la stratégie médicale choisie.

Le gouvernement savait qu’il ne pouvait avoir recours aux deux méthodes traditionnelles de lutte contre une épidémie : le vaccin et « l’immunité collective » (utilisées notamment contre la grippe saisonnière).

A ce jour, il n’existe aucun médicament [2]. La mise au point d’un vaccin demanderait plusieurs mois, voire deux ans.

« L’immunité collective », recommandée par des spécialistes anglais et retenue par la Suède, consiste à laisser l’épidémie se répandre. Les spécialistes affirment que, lorsque 60 % à 70% de la population aura rencontré le virus, l’épidémie s’éteindra d’elle-même. 95 % de ceux qui seraient infectés s’en sortiraient sans dommage. 5% devraient être hospitalisés. Parmi ceux-ci, une petite minorité décèderait. Petite minorité : probablement de plusieurs centaines de milliers de personnes.

Le gouvernement ne pouvait choisir cette stratégie. Politiquement, humainement, il était impossible de se résigner à la mort certaine de plusieurs centaines de milliers de Français, désignés parmi les catégories les plus faibles ou les moins protégées.

De plus, les services hospitaliers se seraient trouvés dans l’impossibilité d’accueillir les 5 % qui auraient eu besoin d’être hospitalisés : le taux de mortalité aurait été accru et des scènes insoutenables se seraient produites à l’entrée de ces établissements.

Dès lors, il restait qu’une solution : tenter de limiter au maximum la diffusion de l’épidémie et, à cette fin,  réduire au minimum les contacts entre porteurs du virus et citoyens sains.

L’exemple de plusieurs pays (dont près de nous l’Allemagne) nous montre qu’il était possible d’atteindre ce résultat si nous avions disposé de masques et de tests diagnostiques en nombre suffisant en février. Les tests auraient permis d’isoler les personnes malades. Associés à quelques mesures de distanciation sociale (fermeture de lieux publics, restaurants, écoles..), ils auraient permis de limiter la diffusion de la maladie.

Après avoir (trop longtemps) hésité, ne disposant ni des masques (dont on disait qu’ils étaient inutiles, voire dangereux) ni des tests, le gouvernement a décidé le 16 mars 2020 le confinement de toute la population. Ce qui était devenu inévitable.

Ce qui n’était pas inévitable, c’est la manière dont ce confinement a été géré.

Les pouvoirs publics se sont donné comme objectif essentiel de protéger les services hospitaliers et de s’assurer que les unités de réanimation seraient en mesure de faire face à l’augmentation inévitable du nombre de patients à traiter.

De ce point de vue, le confinement a réussi : à la mi-avril, le nombre de patients en réanimation est stabilisé (environ 7000) et le nombre de lits paraît aujourd’hui suffisant.

Pour atteindre ce résultat, il a fallu le dévouement exceptionnel (qui a parfois été jusqu’au sacrifice de leur vie) de tous les personnels soignants et l’effort des administrations compétentes. Les applaudissements qui manifestent chaque soir la reconnaissance des citoyens sont parfaitement justifiés.

Ceci dit, on peut s’interroger sur l’extrême difficulté d’atteindre ce résultat.

Pourquoi l’hospitalisation de 62 000 malades (entre le 1er mars et le 10 avril 2020) a-t-elle été si difficile dans un système hospitalier qui comprend 400 000 lits et qui reçoit chaque année 12 millions de patients (pour un séjour d’une durée moyenne de 10 jours) ?

Pourquoi est-il si difficile de faire passer le nombre de lits de réanimation de 5000 à 14000 (objectif visé), alors que l’Allemagne (qui dépense la même somme que la France pour la santé : 11,3 % % du PIB) disposait de 28 000 lits de réanimation et a pu rapidement porter ce nombre à 40 000 ?

Ce sont des questions qui mériteront d’être élucidées après la tempête.

Si le confinement de toute la population a pu contenir l’épidémie et sauvegarder le système hospitalier, son coût est énorme :

– La ruine de l’économie française, avec des conséquences gigantesques pour les prochaines années : chômage massif, baisse du niveau de vie, destruction d’une part significative du potentiel industriel et commercial, augmentation importante de la dette publique… et probablement augmentation des impôts ;
– La situation insupportable de ceux qui n’ont pas la chance d’être « agréablement » confinés : au bout de quelques semaines (mois ?), une véritable révolte se lèvera dans certains quartiers ;
– Le sort dramatique de ceux qui sont confinés sans soin : EHPAD, prisons, émigrés, SDF…

Or la sortie du confinement, question majeure, peut-être même vitale [3] est aujourd’hui impossible : dans la situation actuelle, en l’absence de mesures nouvelles, elle se traduirait immédiatement par le redémarrage de l’épidémie. Le gouvernement ruse et prolonge le confinement de 15 jours en 15 jours. Mais chacun sent bien qu’à poursuivre la méthode actuelle, il ne s’agit plus de jours mais de mois !

La sortie du confinement n’est envisageable que si l’on stoppe la contamination, que s’il est possible d’identifier les porteurs de virus et de les séparer des individus non infectés!

Il faut donc tester la population. Les personnes infectées (porteurs de symptômes ou testés positivement) resteront confinés (pour 14 jours environ). Tous les autres citoyens (ceux qui auront été testés non-porteurs du virus et tous ceux qui n’auront pas été testés, et non pas, comme le proposent certains, seulement ceux qui auront été immunisés après contamination, car le nombre sera nécessairement très faible) pourront sortir du confinement avec le port d’un masque [4].

Mais des personnes, pendant la période d’incubation, qui ne font pas apparaître de symptômes, peuvent être porteuses du virus et contaminer des tiers : il faut donc être en mesure, quand la maladie apparaîtra, de prévenir les personnes qu’elles ont rencontrées et leur demander de s’isoler à leur tour. Il faut donc, par une application informatique, suivre ces personnes et identifier leurs contacts dans les 15 jours précédents, tout en assurant la protection de la vie privée –ce que la technique permet aisément.

Très probablement, il faudra maintenir pendant quelques mois le principe de distanciation sociale : gestes barrières, interdiction de rassemblements, fermetures de cafés, cinémas, fêtes …

Dans le contexte anxiogène entretenu par la communication gouvernementale, il ne suffira pas d’annoncer la fin du confinement : beaucoup de travailleurs aujourd’hui ne souhaitent pas prendre de  risques pour leur santé et, usant à la fois du chômage partiel, des congés maladie et du droit de retrait, bénéficiant de la couverture sociale, ils n’envisagent pas de reprendre le travail. Il faudra convaincre que le danger est écarté. Il faudra focaliser les aides publiques sur ceux qui sont privés d’emplois.

De toute urgence, il faut donc des tests et une possibilité de suivi des contacts (tracking).

Et pourtant, là encore, le gouvernement tergiverse, comme s’il n’y avait pas d’urgence : on fait semblant d’étudier une application informatique qui est disponible, on réfléchit à la façon de convaincre non pas la population mais le milieu politique,  on fait semblant d’ignorer que le déconfinement suppose des milliards de masques, des centaines de milliers de tests quotidiens et on se réjouit de disposer de 100 000 tests par semaine … en juin [5] !

A noter qu’AMAZON a décidé d’appliquer la méthode proposée (test et tracking) à ses employés, que Google et Apple propose un système de suivi de données sécurisé : encore une fois les GAFA précèderont-elles les Etats ?

Un mot sur des projets de déconfinement qui ne répondent pas aux exigences de l’épidémie.

Une première idée consisterait à prévoir un déconfinement par zones ou par régions : les moins contaminées seraient libérées les premières. Il faut voir que tout déconfinement sans tests et sans tracking, se traduira inévitablement par la reprise de l’épidémie. Ces zones les moins touchées deviendront à leur tour les plus infectées !

Une seconde idée consiste à isoler les « personnes à risques » qui seraient maintenues confinées : on songe aux personnes âgées, mais il  faut immédiatement y ajouter celles qui ont une fragilité quelconque qui accroit le risque : asthme, problèmes cardiaques, obésité… C’est une liste qui est impossible à établir clairement (par qui ?) et qui peut donner lieu à de multiples fraudes. Enfin le contrôle a posteriori de ces personnes à risque parmi 60 millions de Français déconfinés, est de fait impossible !

Mais cette mauvaise solution est peut être, pour un gouvernement aux abois, la seule solution disponible !

Car nous avons pris un retard inacceptable. Les masques vont finir par arriver. Mais le retard pour les tests est dramatique.

Là encore, ce sont des questions qui mériteront d’être élucidées après la tempête.

Dans cette guerre, il nous faudrait un Napoléon qui mène une guerre de mouvement ; nous n’avons que des Gamelin qui cherchent à s’abriter derrière une ligne Maginot !

 

Réponse de Danick Rousseau, 10 avril

A la vérité, je ne vois pas comment on va pouvoir sortir du confinement. Ni nous, ni les autres. Ni même complètement la Corée du Sud. Sauf à se retrancher du monde, ce qui est incompatible avec nos économies et marquerait un retour en arrière considérable. La Chine elle-même n’a pas trouvé de solution.

Quand on y réfléchit, le problème est insoluble sans médicament ou sans vaccin.

La dernière étude est allemande et relative au premier cluster apparu en Allemagne, ce qui a permis un examen « a posteriori », alors que jusqu’ici on n’avait que des études partielles ou « par analogie » avec d’autres coronavirus ou même avec le virus de la grippe.  Cette étude a conduit à un taux de létalité par rapport aux personnes infectées de 0,5%.

Pour qu’un pays comme la France vive tranquillement, et donc reprenne une économie normale, des mathématiciens ont conclu qu’il fallait que 60% au moins des Français aient été infectés. Soit pour la France 60% x 67 millions = au moins 40 millions. D’où 0,5% x 40 millions = 200 000 morts. Impossible à imaginer, tant moralement que politiquement.

Donc en l’absence de médicament ou de vaccin, il n’y a d’autre solution que l’éradication complète du virus le plus tôt possible. C’est peut-être obtenable avec des solutions de confinement complet couplées avec des solutions comme celle de la Corée du Sud. Coût économique ??? Mais après ?

Imaginons la France exempte de virus (mais le raisonnement s’applique à n’importe quel autre pays). Comment pourrait-elle commercer avec le reste du monde … qui nécessairement contiendrait des personnes infectées ? Nous refermer sur nous-mêmes ? Qui serait heureux en dehors de Marine Le Pen ? On ne pourrait même pas commercer entre pays européens puisqu’on ne serait pas sûr de la rigueur des pratiques des vingt-six autres pays. On imagine la chute de notre économie, absolument pas prête à cela. Même chose pour l’Allemagne, le Royaume-Uni, etc. Alors ?

Ouvrir les frontières parcimonieusement et les refermer à chaque infection ? C’est la stratégie du « stop and go » … jusqu’à ce que 40 millions de personnes aient été infectées en x années et… 200 000 morts obtenus étalés dans le temps. Insupportable sur tous les plans, éthique, politique, économique. D’autant plus qu’après tant d’années le virus aura sûrement muté et sera devenu inoffensif (on peut toujours rêver ; le SRAS légitime cela) ou terriblement mortel (tous aux abris) ou sera comme maintenant, mais avec la faculté de réinfecter les guéris.

Je ne vois vraiment de solution que par la mise au point :

    1. D’un vaccin ; les procédures exigent au moins un an. Sanofi travaille étroitement avec l’Institut Pasteur ; selon son président, deux ans sont un minimum.
    2. D’un médicament. Il peut y en avoir de deux sortes :
    • certains, pris dès le début, voire quotidiennement par prudence, comme on prend de la Nivaquine sans être contaminé dans les pays où sévit le paludisme, guériraient rapidement ou empêcheraient le Covid 19 de se manifester sérieusement,
    • d’autres, pris plus tard, quand les formes s’aggravent, feraient avorter la maladie à ce moment-là.

Il y a une différence importante entre les deux sortes de médicaments. Probablement les premiers ne créeraient aucune immunité alors que les seconds permettraient à l’organisme d’en bâtir une.

Clairement, vaccin et médicaments de la seconde sorte apporteraient une solution. Pourrons-nous avoir vite un médicament ? Sommes-nous sûrs d’avoir un jour un vaccin ? De toutes manières, quand on regarde les calendriers des deux hypothèses, l’économie n’est pas bien. Elle est même mal. Très mal. Et j’ai l’impression que tous les pays seront finalement logés à la même enseigne, quelle que soit l’intelligence de leur action en ce moment. Quelqu’un peut-il me rassurer ?

 

Réplique de Jacques Darmon, 11 avril 2020

Je lis tes remarques avec intérêt. Mais je n’arrive pas à me résoudre à ton analyse. Il est certain que le vaccin, qui n’arrivera que dans un an au plus tôt, n’est pas une solution pour cette épidémie.

Attendre le médicament, pour moi, c’est comme aller à Lourdes : attendre un miracle ; cette fois, un miracle scientifique et non religieux ! Trouver ce médicament est déjà extrêmement aléatoire : depuis combien de temps des centaines d’équipes médicales dans le monde recherchent-elles  un médicament contre le cancer ? Admettons qu’il  est plus aisé de trouver un médicament contre une maladie virale. Combien de temps pour le fabriquer et le mettre à disposition de tous ? On nous annonce que les premiers résultats des premières études (toutes n’ont pas commencé !) seront disponibles au plus tôt dans un mois ! Nous ne pouvons rien espérer de significatif avant début septembre. D’ici là, le monde se sera écroulé.

Les dégâts du confinement prolongé sur plusieurs mois sont gigantesques : non seulement économiquement  (même si certains comme MM. Ruffin et Mélenchon font semblant de s’en désintéresser) mais sur les relations sociales (dans un pays très appauvri, les tensions seront extrêmes) et psychologiques (les personnes fragiles seront les premières touchées).

Je persiste à penser que la solution que je propose (test et tracking) est la seule qui permette une sortie rapide du confinement (il est plus facile de fabriquer des tests que l’on connait qu’un médicament qu’on n’a pas encore découvert !). Si cette solution commence à marcher, on peut faire redémarrer la France. Et, si elle marche en France, elle sera immédiatement utilisée dans tous les pays ; le problème des échanges sera donc réglé.

La société Amazon semble préparer cette solution pour ses propres salariés. Google et Apple proposent un système de suivi de données. Encore une fois, les GAFA précèderont –ils les Etats ?

Seconde réponse de Danick Rousseau, 11 avril 2020

La solution que tu proposes est sans doute la meilleure pour un pays d’une taille « normale » où l’État est présent partout (par exemple les pays européens). En Chine, aux États-Unis et dans la plupart des pays du monde, il y aurait quelques problèmes de mise en œuvre. La Chine a l’air d’avoir de grosses difficultés alors que c’est un pays qui ne s’embarrasse pas de contraintes juridiques.

La difficulté, voire l’impossibilité est dans les échanges. Toutes les économies développées, mais aussi la société civile de ces pays par le biais du tourisme notamment, tirent leur vitalité d’un rythme et d’une quantité effrénés d’échanges. Le système que tu proposes ne me semble pas compatible dans la durée. Modifier cette façon de communiquer entre pays aurait un effet délétère important. C’est sûrement mieux qu’un confinement qui perdure, mais cela ne résout pas tout-à-fait le problème. En revanche, c’est peut-être une bonne solution pour attendre un vaccin ou un médicament. Il est toutefois vrai qu’on peut imaginer, si le système est efficace en offrant toutes les garanties de secret concernant la vie privé (mais, sur ce sujet, le jugement variera beaucoup selon les pays, même à l’intérieur de l’Europe), qu’il soit adopté par tous les pays occidentaux et ceux disposant d’un État efficace. Cela reviendrait à mettre en place un système de visas de santé …

Ta remarque sur le cancer n’a pas lieu d’être. Le cancer est dû à une modification du noyau (de l’ADN) de certaines cellules. Le coronavirus entre dans la cellule, dans son cytoplasme exactement, mais pas dans son noyau. Ce n’est pas un rétrovirus comme celui du sida. On a déjà trouvé des vaccins pour des virus. Celui de la rougeole, très efficace, en est un bon exemple.

Une autre différence par rapport aux temps anciens, voire même récents, est que toute la recherche du monde, médicale mais aussi numérique, travaille sur le sujet, et de façon très ouverte, semble-t-il. Il y a bien sûr des délais incompressibles ; celui des tests sur animaux, puis sur groupes d’humains ; mais l’analyse et la recherche seront considérablement accélérés ; c’est le côté positif de la mondialisation.

Pour le moment, Amazon n’envisage pas de dépistage de masse. Son communiqué réserve les tests à « un petit nombre de nos employés en relation directe avec le public ».

La solution proposée par Jacques (et qui est peu ou prou celle appliquée par la Corée du Sud dès le début de l’épidémie) et que je soutiens tout-à-fait, n’est envisageable que si on raréfie le nombre de personnes infectées dans la population … ce qui est l’objectif du confinement.

On pourrait dire que l’objectif du confinement est la raréfaction de la maladie et que la formule de Jacques terminerait le travail en effectuant une éradication analytique.

13 avril 2020, juste après l’allocution présidentielle

Observations de Patrice Cahart

 Emmanuel Macron a annoncé la sortie du confinement le 11 mai. C’est à peu près ce à quoi on s’attendait. Son allocution contient une décision courageuse : la réouverture des écoles, alors que beaucoup préconisaient de la renvoyer à septembre (mais les enseignants vont peut-être se mettre en travers). En revanche, son discours enrobe, rapidement et sans discussion, deux décisions lourdes de conséquences : la poursuite de la relégation des seniors au moins dans un premier temps, et le maintien, pour une durée indéfinie, de la fermeture des cafés, restaurants, théâtres et cinémas.

La date du 11 mai est subordonnée à une condition : il faut que d’ici là, l’épidémie continue à reculer. Nous pouvons être assez confiants. Il y a peu, nous avions six cents morts à l’hôpital en une seule journée [6]. Nous sommes maintenant un peu au-dessus de trois cents. Le désormais célèbre Pr. Raoult a déclaré que les épidémies virales cessent au printemps.

Ces préalables étant posés, j’examine les conditions d’un déconfinement. Un plan doit d’ailleurs être publié par le gouvernement sous quinzaine.

Les tests

Il en existe de deux sortes :

          + les uns permettent de savoir si le sujet est porteur du virus (qu’il présente des symptômes ou non) ; c’est ce dont nous avons besoin ;

           + les autres (sérologiques) permettent de savoir si le sujet est immunisé par la présence d’anticorps ; ils présentent moins d’intérêt dans la situation actuelle, car la proportion d’immunisés, 15 % peut-être, reste loin des quelque 60 % nécessaires, d’après les spécialistes, pour faire cesser l’épidémie ; il est donc hors de question de réserver la sortie du confinement aux immunisés ;  E. Macron a d’ailleurs implicitement écarté cette solution.

          Ne perdons donc pas de temps sur ces tests de la seconde sorte, et concentrons-nous sur les premiers. Le matériel nous manque. De plus, il faut une infirmière pour prélever chaque échantillon, un laboratoire pour l’analyser. Actuellement, on pratique en France 12 000 tests par jour. Le ministre promet de passer à 50 000 d’ici à la fin d’avril. Les supports ne sont pas encore là. Même si nous atteignons l’objectif, on n’aura jamais que 1,5 million de personnes testées en un mois : peu de chose, en regard d’une population de 67 millions d’habitants.

          Des tests salivaires, plus simples, et sans doute moins fiables, sont à l’étude. Nous n’en disposerons pas avant de précieuses semaines.

          D’ailleurs, à quoi nous mènerait une grande campagne de tests ? Elle détecterait un nombre élevé de patients sans symptômes ou faiblement atteints (car les autres sont déjà à l’hôpital, ou ne quittent plus leur logement). Que faire de tous ces détectés ? Les hospitaliser ? Nous n’en avons pas les moyens. Les confiner chez eux ? La plupart le sont déjà, au risque de contaminer leurs proches.

  1. Macron, qui sait tout cela, se contente de nous dire qu’à compter du 11 mai, le système sanitaire sera capable de tester tout porteur de symptômes. Cela ne me paraît pas suffisant en ce qui concerne les EHPAD : lorsque des symptômes apparaissent sur l’un des pensionnaires, on constate en général qu’une bonne partie de l’établissement est déjà infectée. Je recommande donc, dès maintenant si possible, un dépistage systématique des pensionnaires et du personnel de tous les EHPAD, qu’il y ait des symptômes ou non. Les détectés sans gravité seraient isolés durant quinze ou vingt jours dans des hôtels pris en location par les préfets. Le personnel de service de ces hôtels convertis serait embauché pour la circonstance et préalablement testé. Eu égard au caractère autoritaire de cette mesure, son coût se trouverait inévitablement à la charge de l’État. À noter qu’en Espagne, neuf mille chambres d’hôtel ont été réservées pour ces cas.

          Si nous parvenons à traiter ainsi la totalité des EHPAD, ce sera beau.

          Le traçage

          L’application « Stop Virus » (on aurait quand même pu parler français) est presque prête. E. Macron a confirmé qu’elle serait mise en œuvre sur la base du volontariat, après consultation du Parlement, et n’a guère insisté. Selon les autres sources officielles ou officieuses disponibles, elle servirait uniquement à avertir les participants qu’ils ont été en contact tel jour avec une personne infectée. Si j’ai bien compris, le fonctionnement serait le suivant :

          + vous êtes volontaire, vous téléchargez l’application sur votre smartphone (via Bluetooth) ;

          + vous sortez de chez vous ; vous avez pensé à prendre votre smartphone et vous le laissez allumé ;

           + vous rencontrez quelqu’un ou vous le croisez ; si cette personne est également participante, et munie d’un smartphone allumé, les deux smartphones se signalent mutuellement leurs identifiants ; cette personne n’est pas malade, sinon elle ne circulerait pas ; elle peut être porteuse du virus, mais elle l’ignore ;

            + les signaux échangés sont transmis à un serveur placé sous l’autorité des services de santé (et non de la police) ; le lieu de la rencontre n’est pas indiqué, sinon il pourrait servir à des investigations de police.

             + quelques jours plus tard, la personne que vous avez rencontrée est identifiée comme porteuse du virus ; son médecin, son infirmière ou elle-même l’indiquent au serveur ;

              + le serveur vous adresse alors un message suivant lequel tel jour, à telle heure, vous avez rencontré une personne infectée, dont il ne vous dit pas le nom ;

               +le serveur vous donnera-t-il des ordres, comme dans les pays d’Extrême-Orient ? j’imagine qu’il vous donnera au moins le conseil très pressant de vous faire tester (même si objectivement cela ne se justifie pas), et qu’il vous relancera dans les jours suivants ; ce n’est pas un inconvénient majeur, tant qu’il n’aboutit pas à des mesures coercitives.

          Réciproquement, si vous tombez malade ou si vous êtes reconnu porteur, tous les participants au système que vous avez fréquentés ou croisés durant les quinze jours précédents seront informés, sans indication de votre nom ni de vos coordonnées.

         Un problème évident de réglage se pose. Si vous avez simplement croisé la personne en cause, sur un trottoir, à un mètre ou même à 70 cm de distance, le risque de contamination est à peu près  nul. En notant néanmoins ce type de contacts, on encombrerait le serveur de données superflues, et on inquièterait inutilement les gens. Cela dit, la station assise durant dix minutes dans le métro, dans un autobus, dans un train à côté d’une autre personne comporte un risque incontestable. Il faut donc prévoir une durée minimale de contacts. Laquelle ?

        Autre question pratique : les enfants sont rarement victimes de l’épidémie, mais ils peuvent être porteurs de virus. Doit-on les munir de smartphones et y charger l’application ?

         Le traçage a donné de bons résultats en Corée du Sud, mais il est assorti d’une surveillance policière de toute la population, inconcevable en France. À Singapour, où il est resté facultatif, on n’a eu que 20 % de volontaires. Dans notre pays, de tradition plus individualiste, ce sera encore moins. Or le système ne protège vraiment ses adhérents que s’ils sont nombreux.

          Je ne vois pas d’objection à un traçage réellement facultatif et encouragé par le gouvernement. Cette facilité fera bel effet dans le tableau de mesures accompagnant le déconfinement. Il ne faut pas trop en attendre. Telle semble être aussi l’opinion d’E. Macron.

          Je mets en garde contre une solution à la Tartuffe : « Vous êtes totalement libre de refuser le traçage, mais vous ne pourrez plus sortir de chez vous ». Une grande partie de la population n’est pas équipée de smartphones. C’est mon cas ; en temps de paix, je n’en ai pas ressenti le besoin. Certains pourraient ajouter qu’ils n’ont pas les moyens de s’en offrir : un pour monsieur, un pour madame, un pour chaque grand enfant…

          Les masques

           La sortie du confinement doit être accompagnée d’une mesure générale et massive, de nature à éviter la rechute, et à rétablir la confiance de la population. Les tests et le traçage ne pouvant remplir ce rôle, il ne reste plus que la généralisation des masques. E. Macron a promis une large distribution, sans plus de précisions.

         À noter qu’en Espagne, où la corona-mortalité est plus élevée qu’en France, la réouverture, aujourd’hui, d’un grand nombre d’entreprises s’accompagne d’une distribution de masques à la sortie des stations de métro et des gares. Et qu’en Pologne, on trouve des masques dans des distributeurs automatiques.

         Des objections peuvent être formulées

       ¤  le Danemark a refusé la généralisation des masques, au motif qu’elle donnerait un faux sentiment de sécurité, et inciterait les porteurs à enfreindre les distances ; la mesure implique donc, de la part du gouvernement, un effort particulier de communication ;

      ¤  l’Italie a généralisé le port du masque depuis quelque temps, et pourtant elle se trouve dans une situation pire que la nôtre ; mais d’autres facteurs, notamment l’insuffisance de l’équipement hospitalier, peuvent expliquer la différence.

          L’objectif souvent proposé consiste à équiper les soignants et autres professionnels exposés de masques de haute qualité, et le reste de la population, de masques plus sommaires, appelés néanmoins « chirurgicaux ». Mais nous manquons de tous ces masques. Les commandes massives passées à la Chine ne seront honorées, ai-je lu, que courant juin. C’est trop tard. On ne peut différer le déconfinement si longtemps. De toute façon, ces livraisons ne suffiront pas, loin de là, pour l’ensemble de la population.

          Force est donc d’admettre les masques artisanaux, confectionnés par chacun.  Ils ne seront pas parfaits, c’est évident. Mais ils arrêteront l’essentiel des gouttelettes qu’on émet en parlant ou en toussant. Ils doivent être lavables, et donc réutilisés quelque temps. L’idée selon laquelle chaque Français doit consommer deux masques par jour est une idée folle. En ce domaine, le perfectionnisme, c’est la mort.

         Les médicaments

        Je laisse de côté l’éventuel vaccin, qui ne sera disponible avant un an moins. En revanche, cinq ou six médicaments sont candidats contre le nouveau fléau. Ils existent, on n’a pas besoin de les inventer. Ils ont déjà été essayés, avec plus ou moins de succès, sur d’autres maladies. On les essaie actuellement sur le coronavirus, pour voir s’ils sont efficaces et ne produisent pas trop d’effets secondaires.

         Le temps que ces essais se concluent, et qu’une production industrielle démarre, nous nous trouverons sans doute en septembre.  Le ou les médicaments n’aideront donc pas, dans l’immédiat, le déconfinement. Mais ils pourront être utiles, espérons-le, contre la vague d’automne. A fortiori les injections de plasma de patients guéris, porteurs d’anticorps : c’est une technique éprouvée, et des annonces laissent espérer sa mise en œuvre, dans le cas du coronavirus, avant la fin du printemps.

xxx

Au terme de cet inventaire, un déconfinement le 11 mai paraît réalisable, à condition de l’assortir des annonces suivantes :

+ généralisation du port du masque (artisanal, au besoin), au moins dans les transports en commun, puis, si l’épidémie persiste, dans la rue ;

+ tests aussi nombreux que possible, et couvrant notamment l’ensemble des EHPAD ;

+ traçage vraiment facultatif ;

+ mise en œuvre prochaine des injections d’anticorps ;

+ probabilité d’un médicament à l’automne, contre une deuxième vague éventuelle.

         Cet ensemble, rendu public dans un contexte de mortalité en forte baisse, devrait rassurer les Français et leur rendre l’envie d’aller à leur travail.

          Le maintien de la fermeture des cafés, des restaurants, des cinémas, des théâtres détruirait  un grand pan de notre économie. Une solution limitant la promiscuité consisterait, comme dans certains pays d’Asie, à interdire le service au comptoir et à limiter les présences dans la salle à une personne par table, sauf si elles vivent sous le même toit. C’est aussi ce que recommande, en Allemagne, l’académie Léopoldina. Les convives ne pourraient conserver leurs masques, mais le personnel le devrait, et il faudrait assurer des contrôles aléatoires, surtout dans les cuisines.

          Je m’élève bien sûr contre la suggestion d’Ursula von der Leyen tendant à confiner les seniors jusqu’à la fin de l’année ! Malheureusement, l’écho s’en trouve chez E. Macron, d’une manière assourdie. Ce serait faire de ces aînés des citoyens de seconde zone, et imposer une lourde sujétion à leurs proches. La mesure suggérée plus haut au sujet des EPHAD, le port obligatoire du masque et un appel à la prudence devraient ramener le risque à un niveau raisonnable.

         Que de soucis, pour une épidémie que nos ancêtres auraient considérée comme une vaguelette !

[1] 24 janvier 2020 : « le risque d’importation depuis Wuhan est pratiquement nul » (Agnès Buzyn, ministre de la santé- 24 février 2020 : « il n’y a pas de circulation du virus sur le territoire national » Olivier Véran, ministre de la santé

[2] On n’évoquera pas ici la chloroquine qui – semble-t-il – a pour effet d’accélérer la guérison de malades faiblement atteints mais qui ne réduit pas le taux de mortalité (même ce point est contesté).

[3] Le danger pour l’économie française sera accru si des pays voisins comme l’Allemagne ou même l’Italie sortent du confinement longtemps avant nous.

[4] Et sous réserve qu’elles acceptent le tracking

[5] L’objectif affiché aujourd’hui : passer  de 10 000 à 50 000 tests classiques par jour d’ici mai ; passer de 30 000 à 100 000 tests rapides en juin (alors que l’Allemagne aujourd’hui teste 500 000 personnes par jour !

[6] Je laisse de côté les résultats des EHPAD, qui arrivent de manière irrégulière. Mais ces établissements tendent à devenir le principal foyer de mortalité.

La Peste, vue deux fois par Albert Camus

Par Nicolas Saudray – 19 mars 2020

         En ce délire du coronavirus, il n’est pas mauvais de relire Camus, qui s’est intéressé deux fois, coup sur coup, à la peste : la première dans son roman du même nom, publié en 1947 mais commencé quelques années plus tôt, la seconde dans sa pièce L’État de Siège, représentée en 1948. Ce sont deux faces d’une même œuvre.

         Pourquoi, chez lui, cette obsession de l’épidémie, alors que l’époque n’en avait pas connu ? Parce qu’elle figure, dans l’esprit des lecteurs d’alors, la guerre, l’oppression, l’Occupation.

          Le roman n’y fait pourtant aucune allusion directe. C’est vraiment le récit d’une vague de peste, écrit d’une manière sobre et efficace. Ne nous attardons pas sur les principaux personnages, qui manquent de relief, y compris le docteur Rieux, porte-parole de l’auteur. Presque interchangeables, ils illustrent le mot fameux de Gide selon lequel on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments.

         Heureusement, Camus excelle dans les détails : les rats, les chats, les chiens, la passivité, l’habitude vite prise, les cafés où l’on vous demande d’apporter votre sucre, les trams dont les passagers se tournent le dos pour limiter la contagion, les enterrements à la sauvette, les chômeurs devenus infirmiers ou fossoyeurs. On croirait qu’il a vécu ces épisodes. Il nous émeut du triste sort d’un gamin, à la suite de laquelle le médecin confie à un  prêtre : Je refuserai jusqu’à la mort d’aimer cette création où des enfants sont torturés. Quelques invraisemblances seront pardonnées – les stades pleins, les cinémas pleins. Sans doute le romancier, tuberculeux guéri, pensait-il que l’appétit de vivre des pieds-noirs triompherait de toute prudence. En tout cas la ville est close, on ne peut en sortir.

         La peste avait supprimé les jugements de valeur, précise l’auteur. Et cela se voyait à la façon dont personne ne s’occupait plus de la qualité des vêtements ou des aliments qu’on achetait. On acceptait tout en bloc.

         Parfois, quand même, une envolée : La grande cité silencieuse n’était plus alors qu’un assemblage de cubes massifs et inertes, entre lesquels les effigies taciturnes de bienfaiteurs oubliés ou d’anciens grand hommes étouffés à jamais dans le bronze s’essayaient seules, avec leurs faux visages de pierre ou de fer, à évoquer une image dégradée de ce qui avait été l’homme.     

          Pour prendre quelque distance, cet Algérois a situé l’action à Oran. Il en a fait une ville essentiellement française, alors que les Arabes formaient près de la moitié de la population !

          Autant le roman est dépouillé et précis, autant la pièce est flamboyante et symbolique. Elle a bénéficié, à sa création, des meilleurs acteurs. La Peste (Pierre Bertin) arrive avec sa secrétaire la Mort (Madeleine Renaud) et prend le contrôle de la cité. Un jeune héros (Jean-Louis Barrault) organise la résistance à l’épidémie, sans masques de tissu ni sérums, mais par la force de sa volonté et celle de ses amis. Il se considère comme toujours libre (le problème central de Camus), alors que les personnages du roman avaient discrètement reconnu la perte de leur liberté. Ayant cependant constaté que sa dulcinée allait mourir (Maria Casarès, avec qui Camus a une liaison), ce jeune homme obtient d’échanger son destin contre le sien.

         Comme on le voit, le licencié en philosophie joue avec les idées. Néanmoins, son État de Siège ne manque pas de grandeur. Et l’on peut dire qu’il préfigure Ionesco.

         Cette fois, la Peste se trouve clairement identifiée. C’est la dictature. Hitler ?  Staline ? Franco ? Vous avez le choix.

        Par comparaison avec la double peste camusienne, notre coronavirus paraît presque bénin. À ce jour, et donc après trois mois de virulence, il n’a causé que quelques milliers de morts dans son pays d’origine, la Chine ; ce qui, à l’échelle de cet empire, n’est rien.