La problématique des finances publiques

Par Michel Prada
Juillet 2025

L’analyse de la problématique des finances publiques est relativement complexe, compte tenu d’un paysage institutionnel fragmenté, de la grande diversité des activités, des financements, des liens financiers entre les différentes catégories d’administrations publiques et de la relative instabilité de l’ensemble. L’approche par la comptabilité des administrations publiques, dont la qualité a fait de remarquables progrès depuis la réforme de 2001, permet cependant d’y voir relativement clair, même s’il reste d’importants progrès à réaliser, notamment en matière de consolidation.

Le sujet est, en outre, obscurci par les nombreux poncifs exploités à l’envi dans un débat public passionné, où plumitifs et politiciens stigmatisent à la fois « le train de vie de l’Etat » et les insuffisances de son action, incapables qu’ils sont de distinguer l’accessoire et le principal, de pondérer les données et de situer les évolutions dans leur perspective historique.

Bien que directement impliqué dans la normalisation comptable pour le secteur public « non marchand », je suis suffisamment éloigné de l’opérationnel pour être conscient du risque d’erreur qui s’attache à un travail purement personnel et exprimer, « ab initio », un « caveat » reconnaissant sa probable imperfection.

Mon analyse s’appuie principalement sur le compte général de l’Etat, publié, depuis 2006, selon des principes relativement permanents et dans des délais comparables à ceux qu’observent les plus grandes entreprises, sur les documents annexes aux projets de Lois de Finances, et sur les données de comptabilité nationale concernant les « APU ». J’ai également trouvé d’utiles informations sur le site de FIPECO, source remarquable d’information et de réflexion, gérée par François Ecalle.

Après avoir rappelé les principaux concepts et données de base, je m’attache à analyser la dérive inquiétante des comptes publics et je tente de proposer quelques pistes  d’action pour en enrayer le désastre et revenir à une situation plus saine.

  • Rappel des concepts et des données de base.
  1. S’agissant des acteurs, la Comptabilité Nationale identifie trois catégories et opère une agrégation-consolidation de leurs opérations, les dernières données disponibles étant relatives à l’année 2024.

-Les administrations centrales, l’Etat et ses centaines d’« opérateurs » (établissements publics divers, tels que les universités, le CNRS, par exemple, constituant la catégorie des « ODAC ») directement contrôlés et majoritairement financés par lui.

Mds Euros                                      Etat                 ODAC                               Total

                                                                                                                    non consolidé

Dépenses                                     600,5                    139,1                            739,6

Recettes                                    448,2                    137,3                            585,5

Solde                                         -152,3                  -1,8                                 -154,1

-Les « APUL », collectivités locales et leurs propres « opérateurs » (régies, services publics industriels et commerciaux…). C’est le « mille-feuille » à la française, avec son empilement d’intercommunalités et son enchevêtrement de compétences et de financements qui défie l’analyse du profane (il existe environ 100.000 comptes individuels soit plus de trois fois plus que le nombre de collectivités « indépendantes », communes, départements, régions…)

Mds d’Euros

Dépenses :  329,7
Recettes   :  312,9
Solde         :  -16,8

-Les « ASSO », organismes de Sécurité Sociale qui couvrent les régimes de retraite, la santé, l’assurance chômage, l’action sociale et la famille.

Mds d’euros

Dépenses :  776,8
Recettes   :  778,1
Solde        :    +1,3

Au total, le déficit public s’établit à 169,8 Mds d’euros, à 5,8% du PIB contre 2,5% en 2006, soit presque le double du maximum toléré par le traité de Maastricht, ce qui place la France dans le peloton des pires « élèves » de la classe européenne. Les crises de la covid et de l’Ukraine ont accéléré une évolution qui a commencé il y a plusieurs années, les données postérieures à 2019 marquant un dérapage significatif.

Il faut noter, au passage, l’imperfection des données agrégées, en l’absence de véritable consolidation comptable, qui peut fausser la lecture en raison des financements croisés et de nombreux doubles comptes que la méthodologie de construction des comptes de la nation ne permet pas d’éliminer.

L’analyse intertemporelle et intersectorielle est également affectée par l’instabilité de la répartition des compétences entre les différentes APU (impact de la décentralisation sur les rôles respectifs de l’Etat et des collectivités locales, « débudgétisations »…).

L’analyse « politique » est enfin troublée par l’ambiguïté des liens juridiques entre l’Etat central, les collectivités locales (supposées indépendantes) et les ASSO (dont la gouvernance repose sur la théorie de moins en moins effective de la gestion tripartite conçue après-guerre). A cet égard, la France se situe entre le fédéralisme américain et le centralisme britannique (11000 collectivités très dépendantes de l’Etat et une Sécurité Sociale « fiscalisée »), avec, depuis la réforme des lois de programmation des lois de programmation de la sécurité sociale, une nette reprise en main par l’Etat.

     B L’analyse des recettes.

On peut, selon une analyse cavalière, distinguer trois catégories de recettes publiques : les prélèvements obligatoires, les recettes diverses et la dette.

-Les prélèvements obligatoires (P. O.) sont des recettes « régaliennes », levées sur les différents agents économiques sans contrepartie directe, immédiate, et sans possibilité de choix de la prestation financée : impôts, taxes, cotisations sociales. Un des principes originels de ces dispositifs était la « non- affectation ». Il connaît aujourd’hui nombre d’exceptions. Les P.O. financent des dépenses « mutualisées » et sont, en principes, cohérents avec une politique de « socialisation » plus ou moins avancée.

Le produit de ces « P.O » dépend, à la fois, de la législation et de l’évolution des bases de leur « assiette » (taux de croissance, revenus, consommation etc…). Les P.O. atteignent 42,8% du PIB en 2024, un des taux les plus élevés des pays de l’OCDE. Ils sont, comparativement à nos partenaires et concurrents, plus élevés en ce qui concerne les prélèvements assis sur la production, ce qui affecte, bien entendu, la compétitivité de nos entreprises et explique, en partie, le phénomène de délocalisation qui a dramatiquement accéléré la désindustrialisation et la perte de souveraineté de notre pays en de nombreux domaines.

-Les recettes diverses (rémunérations de services rendus, revenus des participations dans des entreprises, transferts reçus de l’Union européenne…) ne sont pas négligeables et représentent 8,5% du PIB.

-La France doit donc recourir à l’endettement pour couvrir le solde des dépenses non financées, soit 5,8% du PIB. Elle place cette dette, à peu près à parité, auprès de prêteurs français et de prêteurs étrangers et se trouve, ipso facto, dans une situation de relative dépendance, compensée, il est vrai, par son poids « politico-économique » qui en fait un emprunteur encore jugé relativement fiable. Pour combien de temps ?…

C  L ’analyse des dépenses.

On peut grossièrement distinguer cinq catégories de dépenses publiques.

-Les dépenses de fonctionnement courant des administrations publiques, soit 539,3 Mds  d’euros en 2024, couvrent, à la fois, des charges de services « support » (les pouvoirs publics stricto sensu, qui ne délivrent pas de prestation individualisable et sont volontiers stigmatisées par les plumitifs comme « le train de vie de l’Etat ») et des charges correspondant aux prestations de service « mutualisées » entre les citoyens (éducation, santé, justice, police, défense, etc…).

Pour une part essentielle, il s’agit des rémunérations des agents publics, soit 362,1 Mds d’Euros en 2024, et près de 6 millions d’agents dont 1,2 million de contractuels (chiffres de 2022), effectif en croissance quasi constante depuis de nombreuses années, notamment dans le secteur local.

-Les prestations sociales se sont élevées à 747,6 Mds d’Euros en 2024. Il s’agit du paiement des retraites, des prestations d’assurance maladie, des prestations familiales, des allocations chômage et de l’action sociale.

-Les transferts et subventions diverses en application de « politiques publiques » de soutien à certaines activités, personnes, ou comportements (l’allocation adultes handicapés, le plan vélo et la « mobilité douce », le chèque « énergie », le bouclier tarifaire électricité…) se sont élevées à 194,1 Mds d’euros en 2024.

_Les « achats d’actifs non financiers » ont atteint 122,7Mds d’Euros en 2024. Il s’agit d’investissements portés, pour une part importante, par les collectivités locales.

-Enfin, la charge de la dette publique (les intérêts dus au titre d’une dette qui atteint les 3300 mds d’euros) s’élève à 58,1 Mds d’euros en 2024 et devient l’un des premiers budgets de la France, avec l’Education et la Défense.

     D- Pour conclure cette présentation simplifiée, il faut souligner certaines difficultés méthodologiques qui peuvent conduire à formuler des jugements hâtifs, voire erronés, particulièrement lorsqu’on se livre à des comparaisons internationales.

-Le choix politique de la mutualisation des charges et de leur financement par prélèvements obligatoires ne signifie pas que les pays comparables qui n’ont pas, ou qui ont moins, mutualisé consacrent moins de ressources aux secteurs concernés, ni qu’une autre forme d’obligation n’y est pas mise en œuvre : selon une étude de l’OCDE, les USA, dont le niveau de P.O. est très inférieur à celui de la France, consacraient 16,6% de leur PIB à la santé en 2023 (contre 12,1% en France) financés par des assurances privées. On notera, au passage, que l’espérance de vie des Américains est inférieure à celle des Français (76,4 ans contre 82,4) et que la mortalité infantile est de 5,4°/°° aux USA contre 3,6°/°° en France…

Il existe, en outre, des biais statistiques qui faussent les comparaisons pour des raisons que la normalisation internationale n’a pas toujours réussi à neutraliser :  les dépenses de santé ne sont pas traitées en Allemagne comme en France, ce qui affecte, à la fois, les effectifs d’agents publics et les taux de P.O.

Enfin, le ratio de dépense publique par rapport au PIB doit être interprété avec précaution compte tenu qu’il couvre, à la fois, des dépenses de redistribution et des prestations de services, celles-ci étant, en outre, évaluées au « coût des facteurs », à la différence des prestations privées, évaluées au prix du marché.

Au demeurant, il y a plusieurs années que les économistes se penchent sur ces biais méthodologiques et s’efforcent d’identifier des alternatives afin de mieux comparer l’efficacité et la productivité des politiques suivies par les pays comparables (cf le rapport Fitoussi-Stiglitz de 2009).

Il reste que, si la prudence est de mise en matière d’interprétation des valeurs absolues et des pourcentages, compte tenu des doubles comptes et de l’hétérogénéité des structures et des politiques, l’analyse des soldes et des tendances met en évidence une évolution dramatique de la gestion des finances publiques en France. On peut également s’inquiéter de l’incohérence entre l’évolution des dépenses courantes et celle des prélèvements obligatoires : le fonctionnement courant ne devrait pas être financé par endettement. Si la concurrence internationale et l’intolérance de l’opinion posent des limites à la croissance des P.O., il faut discipliner la socialisation et il ne faut pas organiser la fuite en avant par l’endettement.

  • Mesure de la dérive des finances publiques et pistes de redressement.

  1. Les finances publiques de la France ont dérivé hors de tout contrôle.

Quatre indices permettent de mesurer l’ampleur du dérapage entre 2006 et 2024.

-La dépense publique est passée de 53,4 % à 57,1% du PIB (53,8% en 2019).

-Les P.O. sont passés de 44,2% à 42,8% du PIB (43,8% en 2019).

-Le déficit public est passé de 2,5% à 5,8% du PIB (3,1% en 2019).

-La dette publique est passée de 63,7% à 113% du PIB (97,4% en 2019).

  1. Cette situation est insoutenable.

D’aucuns prétendent le contraire, au nom de la théorie moderne de monnaie et compte tenu de la faiblesse des taux d’intérêt. Ce raisonnement s’appuie, notamment, sur la thèse de certains économistes dont les idées ont été popularisées par Stéphanie Kelton, conseillère économique de Barak Obama. On oublie de préciser, d’une part, que son raisonnement, peut-être applicable aux USA, n’est pas extensible aux autres pays, compte tenu du privilège du dollar (qui n’est peut-être pas éternel), et, surtout, que S. Kelton reconnait qu’il existe, même aux USA, une limite à l’endettement public, liée à la croissance potentielle : un endettement excessif peut enclencher une spirale inflationniste, l’offre ne suivant pas une demande dopée par la dette. La FED y veille avec plus ou moins de succès.

La dérive française a été rendue possible par un « équivalent » du privilège du dollar, le privilège de l’euro, sans lequel elle aurait probablement dû dévaluer à plusieurs reprises depuis 2006. Il n’est pas évident que la poursuite de notre dérapage soit éternellement acceptée par nos partenaires, voire ne pose aucun problème au système de l’euro lui-même.

Quoiqu’il en soit, la dérive de notre solde public impacte notre crédibilité et le coût de nos emprunts, supérieur aujourd’hui de 80 points de base à celui de l’Allemagne et donc préjudiciable à notre compétitivité. La croissance de la charge de la dette cannibalise, en outre, les moyens qu’il faudrait affecter à l’investissement (notamment dans la transition énergétique, la productivité), et à la croissance dont dépend le rendement des P.O.

Enfin, notre incapacité à remettre de l’ordre dans nos finances publiques pourrait provoquer une crise comparable à celle qui valut récemment une démission prématurée à l’éphémère Première ministre britannique. Il est vrai que la situation politique actuelle de la France dédramatise, ou relativise, au regard du public, cette possible instabilité gouvernementale due, dans la plupart des exemples étrangers de faillite financière, au jugement des pays tiers, instabilité que nous savons, hélas, organiser nous-mêmes en retombant dans les délices de la Quatrième République…

Il est temps de mette un terme à une dérive qui est largement responsable du relatif déclin de notre pays.

  1. Que s’est-il passé ?

La dépense publique a progressé systématiquement plus vite que le PIB (+68,1% contre +63,2%) entre 2006 et 2023 (données consolidées).

Ce glissement a été principalement le fait des ASSO (+68,3%) et des collectivités locales (+58,4%), alors que les dépenses des administrations centrales ont crû nettement moins que le PIB (+50,3%), ces données étant brutes, par secteur.

Parallèlement, les recettes de P.O. n’ont pas suivi, les gouvernements successifs ayant considéré que la pression fiscale n’était plus tolérée (le discours étant cependant nuancé selon les préférences politiques, surtout quant à la répartition des P.O. entre les entreprises et les ménages).

La dette n’a donc cessé de croître à raison de cette incohérence fondamentale entre une volonté générale et continue de mutualiser, redistribuer, socialiser et le refus de relever les P.O en conséquence.

La dette publique est, en outre, principalement portée par l’Etat, les APUL et les ASSO étant réputées voisines de l’équilibre grâce, notamment, aux transferts venus de l’Etat :

dette brute de l’Etat : 2756,8 Mds, dont 35,4 Mds pour les ODAC ;

dette brute des APUL : 261,9 Mds ;

dette brute des ASSO : 286,6 Mds ;

Cette situation paradoxale nécessite une analyse des comptes de l’Etat.

D-L’analyse du compte général de l’Etat, auquel nos gouvernants et nos parlementaires n’attachent à peu près aucune importance, met en lumière une évolution fondamentale, et sans doute porteuse de nombreux effets pervers, de la politique budgétaire de la France.

Nos parlementaires viennent pourtant de refuser, pour la quatrième année consécutive, d’approuver les comptes de l’Etat, pour des raisons purement politiciennes et sans rapport avec les comptes proprement dits, auxquels je crains qu’ils ne comprennent pas grand-chose. Un tel évènement, s’il concernait une entreprise cotée, provoquerait un séisme boursier. S’agissant de l’Etat, il n’a pratiquement donné lieu à aucun commentaire !

Entre 2006 et 2024, le taux de progression des dépenses par nature a varié de manière considérablement hétérogène selon les rubriques :

-dépenses de fonctionnement (salaires et charges) : +55,4%

-subventions aux ODAC : +126,7%

-transferts aux ménages : +117,7%

                       aux entreprises : +189,5%

                       aux ASSO : +71,7%

Les transferts aux APUL sont non significatifs. Ils sont en apparence en baisse (-10%), mais sont noyés dans un flux illisible de transferts de compétences et de ressources entre Etat et collectivités locales et de réformes fiscales que je n’ai pas été en mesure d’analyser.

Le compte de résultat de l’Etat s’est ainsi déformé progressivement : le rapport entre dépenses de fonctionnement brutes et charges d’intervention brutes est passé de    60,6 % vs 39,4 % à 55,3 % vs 44,7% entre 2006 et 2024.

Incidemment, mais je n’ai pas travaillé ce sujet en profondeur, l’interventionnisme débridé de nos gouvernants s’est également épanoui dans la sphère fiscale où prolifèrent les « obligations fiscales », i.e. les niches, qui pervertissent le principe de neutralité génialement promu par Maurice Lauré dans les années cinquante.

Selon les auteurs des études (mais la définition des niches peut prêter à discussion), les plus impactés par celles-ci sont la TVA et l’impôt sur le revenu, dont le produit aurait été réduit dans les proportions suivantes:

                                     2006                              2024

IR                                 16,5%                       25,8%
TVA                              23,7%                       49,1%
IS                                  22,2%                      18,3%

Au total, tout se passe comme si les gouvernements successifs, toutes majorités  confondues, obsédés par le risque d’être accusés d’accroitre les impôts (les P.O. ont diminué en % du PIB pendant cette période de dépense débridée!), mais « en même temps » soucieux d’afficher des « politiques publiques » dynamiques et porteuses en termes de « communication », multipliaient interventions, subventions et transferts. Confrontés au déficit y associé, ils tentent de le réduire en comprimant les charges de l’Etat régalien, tout en se résignant, in fine, à recourir à la dette pour financer des dépenses courantes. Cette « stratégie » explique les difficultés rencontrées par les secteurs tels que l’Education, la Justice, la Police, la Défense etc…Elle a « justifié », pendant plusieurs années, une politique salariale qui a significativement dégradé la situation relative des fonctionnaires, par une application dévoyée de la méthode instaurée dans les années 80 qui distinguait les « mesures générales » (le point d’indice plus ou moins lié à l’inflation) et les mesures catégorielles (le « GVT évoluant en fonction du taux de croissance). Ce déclassement est particulièrement visible dans le secteur de l’Education où ses effets pervers se font cruellement sentir en termes de recrutement et de qualité de l’enseignement, avec des conséquences qui se mesurent déjà à l’aune des évolutions démographiques de long terme.

E- Que faire ?

Il est clair que le redressement des finances publiques est une exigence absolue si l’on veut éviter une crise financière dramatique et réduire le coût d’une nouvelle invention française, « l’interventionnisme de marché », héritier difforme de l’économie administrée des années cinquante et de l’économie de marché progressivement rétablie à partir des années 70, malgré la parenthèse de 1981-1984, interventionnisme qui accompagne, voire nourrit, notre relatif déclin.

-Je ne suis pas expert en ce qui concerne les dépenses des ASSO. S’agissant des retraites, il me parait clair aujourd’hui que les données démographiques imposent un allongement de la durée de vie au travail, nettement plus faible en France que chez la plupart de nos partenaires et concurrents. Il serait idéalement souhaitable, en termes d’équité, d’harmoniser les régimes dont le kaléidoscope défie l’entendement. La réforme du système à points doit être un objectif de moyen terme assorti des mesures appropriées de transition. Il est sans doute également souhaitable d’introduire dans le système une dose de capitalisation, permettant de constituer des fonds de pension aptes à favoriser l’investissement à long terme et à diversifier les placements, notamment par des investissements dans les économies étrangères en croissance rapide. Pour y voir plus clair, il me parait également indispensable de procéder à une vraie consolidation comptable des diverses composantes de notre système de sécurité sociale, aujourd’hui relativement illisible malgré des comptes individuels au meilleur niveau. Cela mettrait peut-être un terme aux obscurs débats sur les chiffres qui opposent les experts des nombreuses parties prenantes et introduirait un continuum entre la loi de programmation de la Sécurité sociale et son exécution par la multitude d’organismes concernés. Malgré les évolutions des dernières années, je ne pense pas que la France soit prête à passer du système bismarckien au système de Beveridge (qui intègre la Sécurité Sociale au le budget de l’Etat), mais il me parait clair que la clarté doit être faite sur la réalité des flux financiers du secteur social.

En ce qui concerne les collectivités locales, il faut sortir de l’ambigüité de la « déconcentralisation », continument pratiquée depuis le début des années 80. L’Etat n’a cessé de transférer des compétences aux collectivités locales, et, parallèlement, de réduire leur responsabilité fiscale, tout en maintenant sa tutelle et en laissant se développer le mille-feuilles qui complexifie la gestion, éloigne les élus des électeurs et offre aux élus de nombreuses opportunités d’améliorer leur situation financière, dans une opacité à peu près totale. Le « dialogue » entre l’Etat et les collectivités locales s’inscrit dans la philosophie du « je t’aime, moi non plus ». Là encore la comptabilité, qui devrait être le principal outil de contrôle, est incomprise ou malmenée. La consolidation comptable des différentes entités en lien étroit est inconnue. La discipline formelle du « monisme » qui réunit de manière « bi-univoque » comptabilité budgétaire et comptabilité générale sous la contrainte de l’équilibre obligatoire des budgets de fonctionnement, est source de nombreux dysfonctionnements, particulièrement en ce qui concerne la gestion du patrimoine et des risques. Les organisations d’élus renâclent devant la nécessaire modernisation de leur systèmes comptables et rejettent à tort la discipline de certification des comptes qui pose des questions parfois embarrassantes.

Quant à l’Etat, il relève d’un exercice systématique de réexamen de la dépense, comparable au dernier exercice de redressement effectif conduit en 1986-1988 dans un contexte aussi tendu politiquement, mais beaucoup moins alarmant économiquement.

Budget en base zéro, réduction progressive des transferts et subventions (particulièrement celles qui polluent le jeu normal du marché,  affectent la rationalité des choix individuels et provoquent l’émergence de rentes de situation dont il est quasi impossible de sortir), réformes de structure permettant de réduire le nombre des « opérateurs » et de tirer pleinement parti des gains de productivité rendus possibles par la digitalisation, en parallèle d’un renforcement des services régaliens essentiels, Education, Sécurité intérieure et extérieure, Justice, Santé, Equipements publics structurants. Cet exercice particulièrement difficile et exigeant devrait être conduit dans la durée, selon une stratégie de moyen- long terme, pour éviter les chocs et les révoltes. Il devrait être piloté par un ministère des Finances exclusivement concentré sur sa mission financière (comme il était de tradition séculaire) et doté de l’autorité nécessaire à des arbitrages difficiles.

Une anecdote pour conclure. Antoine Pinay, interpellé en 1958 par un parlementaire qui lui reprochait de refuser une dépense nouvelle, lui aurait répondu : « Je ne suis pas loin de penser comme vous, mais le directeur du budget ne veut pas !». Ce devait être l’immense Roger Goetze…D’aucuns pourraient stigmatiser l’influence trop forte des technocrates, mais les comptes de la France étaient alors tenus !

Nous avons tous les outils nécessaires pour conduire ce redressement, à dire vrai des outils nettement plus performants qu’à l’époque : une loi de programmation, un programme de stabilité, des lois de finances, un Haut conseil des Finances Publiques, un système comptable du meilleur niveau (hormis les lacunes de la consolidation, les bizarreries du « monisme » local et la rareté de comptabilités analytiques branchées sur la comptabilité générale). Il ne nous manque que la gouvernance et la volonté politique. C’est bien sûr l’affaire du Gouvernement et du Parlement, mais c’est aussi l’affaire des Français qui ne semblent pas avoir encore pris conscience du danger. Il faut espérer qu’ils se réveillent sans attendre la crise et la venue des docteurs de l’Europe et du FMI.

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