Flaubert et son éditeur

Un livre lu par Nicolas Saudray

         Durant la majeure partie de sa carrière littéraire, Flaubert a eu pour éditeur le représentant le plus en vue de cette profession, Michel Lévy, fils d’un colporteur de Phalsbourg (Moselle). À l’époque, l’édition enrichissait son homme. Celui-ci possédait un hôtel particulier sur les Champs-Élysées et un château.

         Deux professeurs d’Université émérites ont raconté cette histoire pittoresque. Elle est publiée comme de juste aux éditions Calmann-Lévy, Calmann étant le frère et le continuateur de Michel.

         Madame Bovary figure parmi les grands succès commerciaux du siècle : 38 000 exemplaires vendus avant la fin de Second Empire. Elle ne procure pourtant à son auteur de 800 francs de droits, car il a signé le contrat à la fin de 1856, juste avant le procès pour outrage aux mœurs qui va lui assurer la célébrité – et se terminer par un non-lieu.

          La fois suivante, Flaubert perçoit 10 000 francs, à la fois pour Salambô et la deuxième édition de Madame Bovary.

          L’Éducation sentimentale le nourrit mieux, avec 16 000 francs. Ironie du sort, c’est un échec commercial, contrairement aux deux romans précédents.

          Tout cela est peu de chose à côté des 315 000 francs obtenus par Victor Hugo d’un autre éditeur pour ses Misérables, en 1862. L’empereur, magnanime, a laissé imprimer en France cet ouvrage d’un opposant politique, et a permis que les droits prennent le chemin de Guernesey.

          Même Zola, même Maupassant ont fait beaucoup mieux que Flaubert, financièrement. Et aussi George Sand, qui a obtenu de Michel Lévy un statut de salariée.

          Mais le plus étonnant, dans cette histoire, ce sont les conditions imposées par Flaubert au tout-puissant Michel Lévy. En concluant le « traité » de Salambô, il exige que l’éditeur prenne le livre sans le lire ! Les éditeurs ne sont à ses yeux que de vils commerçants, incapables d’apprécier la vraie valeur d’un ouvrage. On ne saurait donc admettre, de leur part, le moindre conseil, la moindre rectification.

           Michel Lévy se plie à cette exigence stupéfiante. En contrepartie, il obtient que le prochain roman de Flaubert lui soit réservé, et que ce soit un roman « moderne », pour changer du climat antique de Salambô. Ce sera l’Éducation sentimentale, un chef d’œuvre pour les générations futures, un échec dans l’immédiat.

          Deuxième condition extravagante pour l’époque, mais qui fait de Flaubert, cette fois, un précurseur : dans le même « traité », l’interdiction d’illustrer les livres – alors que tout Balzac et bien d’autres romans sont parsemés de vignettes. En effet, sauf à tomber sur un illustrateur de génie, les images banalisent la pensée de l’auteur, et empêchent le lecteur de rêver aux personnages. À présent, hormis les livres pour enfants, les éditeurs du monde entier se sont rangés à l’avis de Flaubert.

         Le bouillonnant Gustave s’est brouillé avec le fastueux Michel Lévy, à cause moins de l’échec de l’Éducation sentimentale que de la répugnance de l’éditeur à publier les ouvrages de son ami et mentor Louis Bouilhet, prématurément décédé.

        Mais Flaubert est resté en bons termes avec le frère, Calmann Lévy. Ce qui nous vaut aujourd’hui cet excellent ouvrage.

Le livre : Yvan Leclerc et Jean-Yves Mollier, Gustave Flaubert et Michel Lévy, Un couple explosif, Calmann-Lévy, 2021 – 178 pages, 18,50 €  

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