Le Nouvel Échiquier

Dirigé par Jean-Claude Empereur et Charles Zorgbibe

Lu par Nicolas Saudray
Mars 2022

Jean-Claude Empereur, ENA 1967, s’est distingué dans l’informatique, la finance, l’animation de collectivités territoriales. Charles Zorgbibe, professeur émérite à la Sorbonne, a publié une cinquantaine d’ouvrages. Pour nous offrir un vaste panorama géopolitique sur le monde actuel, ils ont réuni une équipe de trente-six auteurs, dont quatre généraux et sept énarques – les autres étant surtout des universitaires et des chefs d’entreprise.

Paru avant la guerre d’Ukraine, le livre fait la première place à la Chine. En 2016, face aux Philippines, ce pays n’a pas hésité à se soustraire à un arrêt de la cour permanente d’arbitrage de La Haye. Mais son expansion économique et financière va bien au-delà des mers du Sud et des nouvelles routes de la soie. Les Chinois ont planté des jalons jusqu’au Groenland, riche en terres rares. Provisoirement, l’Ukraine et le Covid 19 ont fait passer ce souci au second plan. Tôt ou tard, il reviendra en pleine lumière.

Nos auteurs n’oublient pas la Russie pour autant. En 1997, avant la prise de pouvoir par Poutine, elle a signé un accord de désarmement partiel avec l’OTAN. On voyait poindre une ère pacifique. Les événements du Kossovo, en 1999, l’ont fait voler en éclats : les forces serbes ayant expulsé de ce territoire des centaines de milliers d’Albanais, l’OTAN a réagi en bombardant des objectifs serbes durant 78 jours, ce qui était manifestement excessif. Protecteurs historiques des Serbes, les Russes en ont conçu une solide rancune.

Les événements actuels ne peuvent donc être ramenés à l’ambition personnelle de l’actuel dictateur. Il bénéficie d’ailleurs d’un  soutien massif : le référendum de juin 2020 s’est clôturé avec un taux de participation de 68 %, dont 78 % de oui. Apparemment, le Kremlin estime avoir les mains à peu près libres à l’ouest du fait qu’il a apuré, en 2004, son vieux contentieux territorial sibérien avec la Chine. Combien de temps durera ce compromis ?

En Inde, la politique de Modhi, anti-musulman, anti-chrétien, reconstructeur de l’histoire, appelle le blâme. Elle peut néanmoins s’expliquer par un complexe de forteresse assiégée. Au nord-est, la Chine, qui a conquis une partie du Ladakh (Haut-Cachemire). Au sud, sur les mers, encore la Chine. Au nord-ouest, le Pakistan, détenteur comme l’Inde de l’arme nucléaire et affligé d’une démographie galopante.

L’ouvrage contient aussi un chapitre intéressant sur la Turquie, puissance de second rang, en proie à l’inflation, mais ambitieuse. Les Turcs possèdent une base importante à Mogadiscio en Somalie, pourtant fort éloignée de chez eux.

Face à tous ces trublions réels ou potentiels, que deviennent les États-Unis ? Ils hésitent entre le repli sur eux-mêmes et un essai  de « contenir » la Chine (avec quels moyens ?).

L’Europe fait assez pâle figure. La cour constitutionnelle de Karlsruhe a récemment rappelé que ce n’est pas une fédération, et je pense que le consensus fédéral fait défaut, notamment dans le pays de l’Est. Les politiques de l’énergie, si  importantes, diffèrent beaucoup d’un État à un autre. L’entrée de la Grèce dans la zone de l’euro fort a porté un coup à son tourisme.

La France était bien placée pour se tailler une large place dans l’informatique. Louis Pouzin, qui va avoir 91 ans, est l’un des précurseurs d’internet, avec  le projet Cyclades. Ce rôle de pionnier lui a valu la remise d’une médaille par la reine d’Angleterre. Mais le projet a pris fin en 1978, et les Américains ont ramassé la mise. Quant à Unidata, consortium européen animé par un Français, il avait proposé une gamme de machines. Son aventure a été encore plus brève : lancé en 1972,  il  a  été  liquidé  en  1975,  par  suite de  l’opposition  d’Ambroise Roux, patron de la Compagnie Générale d’Électricité et « parrain » de l’industrie française. L’informatique française est alors tombée sous la coupe d’Honeywell.

Aujourd’hui, néanmoins, une direction de recherche prometteuse, où les Français ont peut-être un rôle à jouer, est la RIMA (Recursive Internetwork Architecture). C’est un moyen d’accroître le volume des transmissions entre ordinateurs, non par des câbles (ils sont déjà assez performants), mais par une amélioration des logiciels.

Le pillage de nos ressources intellectuelles ne s’est pas limité à l’informatique. L’un des auteurs de l’ouvrage, spécialisé dans le capital-investissement, raconte comment des Chinois lui ont subtilisé ses meilleurs collaborateurs.

Le problème de la défense du climat fait l’objet d’un chapitre écrit par un  « climato-réaliste ». Cet auteur, qui n’engage pas ses coéquipiers, tente de prouver que l’accroissement de CO2 est dû à l’activé du soleil plus qu’à celle de l’homme. Cette thèse se concilie mal avec tout ce que je lis depuis dix ans. À noter toutefois que, selon cet auteur, le barrage opposé par le gaz carbonique au rayonnement de la chaleur vers le cosmos étant déjà consistant, les effets ne sont plus proportionnels. Ainsi, un accroissement de 10 % de la masse de carbone présente dans l’atmosphère se traduirait  par un supplément de chaleur très inférieur au dixième. Je ne puis que transmettre la remarque à plus savants que moi. Si elle se confirmait, nous bénéficierions d’un certain soulagement par rapport aux prévisions apocalyptiques qu’on nous assène.

En reposant l’ouvrage, on a une vision de quatre ensembles. La Russie et la Chine se conduisent en termes d’expansion et de puissance. Les États-Unis ne savent  pas très bien ce qu’ils veulent. Les milieux dirigeants de l’Europe, à Berlin et à Bruxelles surtout, ont donné la priorité à la transition énergétique, ce qui peut se concevoir, sauf quand les solutions retenues (l’éolien, le photovoltaïque) sont perverses. Ces différences d’approche qui s’étalent sous nos yeux laissent assez mal augurer de l’avenir.

Le livre  Jean-Claude Empereur et Charles Zorgbibe (dir.), Le Nouvel Échiquier – La société internationale après la crise de la COVID-19, VA Éditions, décembre 2021, 466 pages, 29 euros.
En complément, pour l’informatique Maurice Allègre, Souveraineté Technologique  française,VA Éditions, mars 2022, 202 pages, 18 euros.