Lille entre deux trains

Par Nicolas Saudray
Avril 2024

Une affaire relative à une association me conduit au quartier administratif de Lille – au sud des gares. C’est un petit festival d’architecture moderne. L’hôtel de la région déploie en demi-cercle sa façade de verre. Celui du département, plus ancien, associe une forteresse de briques à une autre courbe de verre. Le bâtiment de l’INSEE, de briques lui aussi, assez vaste, mais plus bas, élégamment assis dans la verdure, donne envie d’y travailler.

Je m’interroge davantage sur l’ancienne cité administrative d’État, construite en deux temps de 1951 à 1971. Elle est démesurée, avec ses 25 étages. Sa structure en équerre et sa combinaison de briques et de pierres, dans le goût du pays, lui évitent toutefois la laideur. Or une nouvelle cité, plus moderne, vient d’être achevée en banlieue sud. La plus vaste de France !  Les occupants de l’ancienne y emménagent de façon progressive. Pour justifier ce changement, l’autorité administrative a invoqué la nécessité d’économiser de l’énergie. Mais l’acquéreur, encore à trouver, de l’ancienne cité qui a été mise en vente, héritera du problème. L’amélioration des conditions de travail a également été mise en avant. Or la nouvelle cité se trouve loin, à la différence de l’ancienne, encore centrale. Alors, quel est le vrai motif du changement ? Une volonté de puissance ? La nouvelle cité va accueillir deux mille fonctionnaires, alors que l’ancienne n’en héberge qu’un millier.

Ayant accompli ma mission, j’explore un autre quartier récent, voué aux affaires, celui d’Euralille, vaste gare remplie de boutiques. La modernité s’y fait plus banale.

J’ai hâte de retrouver le centre historique, où ma dernière visite remonte à 1968. Heureuse surprise : en maints endroits, les façades ont été repeintes, ou même  restaurées. Le visiteur se laisse entraîner dans un lacis de petites voies aux noms  pittoresques : rue des Sept Agaches (sept pies), rue des Chats Bossus, rue des Débris-Saint-Étienne (en souvenir d’une église). Des magasins ont conservé leurs devantures artistiques d’antan. Au fil de la promenade, le baroque flamand, aux teintes rouges et jaunes, que certains appellent maniérisme flamand, évolue vers le classique flamand, plus orné et plus coloré que son homologue de l’intérieur de la France. L’hospice Comtesse, plus ancien, arbore une livrée un peu trop écarlate, mais il se patinera.

À la périphérie de ces quartiers, les mêmes styles ont inspiré avec bonheur, au XIXème siècle voire au XXème (reconstructions d’après 1918), des immeubles résidentiels ou commerciaux de proportions plus vastes. Par l’effet des restaurations, l’austère chef-lieu du Nord est devenu l’une des plus belles villes de France.

Voici le chef d’œuvre, une succession de trois places : la place Rihour, la Grand Place (devenue place du général de Gaulle en l’honneur d’un enfant du pays), la place du Théâtre. La Grand Place est, sur deux côtés, assez disparate. On peut y visiter, notamment, le magasin du Furet du Nord, qu’une plaque, à l’intérieur, proclame la plus grande librairie du monde. Les autres côtés sont homogènes, en baroque flamand. On n’a pas tous les jours l’occasion de voir un joyeux spectacle de cette qualité.

La Vieille Bourse a été construite quelques années avant le rattachement de Lille à la France, advenu en 1668. À l’origine, c’était une réunion de vingt-quatre commerces ; la bourse des valeurs ne s’y est installée qu’en 1861. La cour intérieure, assez étroite mais superbe, est aujourd’hui le repaire des bouquinistes (attention, les grilles sont fermées le matin).

Place du Théâtre, le visiteur trouve une seconde façade de la Vieille Bourse, semblable à la première. En regardant bien, il découvre quelques boulets du siège infructueux de Lille par les Autrichiens en 1792, enchâssés là en souvenir – et beaucoup d’autres, paraît-il, sont encore conservés à l’intérieur des habitations. Mais c’est surtout la Nouvelle Bourse qui s’impose au regard – le palais de la Chambre de commerce, avec son puissant beffroi. Il a été achevé en 1920, dans un style néo-Renaissance flamand qui se marie fort bien avec le baroque d’en face. Vous le verrez aussi depuis les petites rues, au bout desquelles il surgit de toute sa taille. Mieux encore : allez l’observer  depuis l’angle le plus éloigné de la Grand Place, chapeautant victorieusement son amie beaucoup plus ancienne la Vieille Bourse. Une réussite qui n’avait pas été prévue au départ et qui séduit d’autant plus.

Ce beffroi, haut de 76 mètres, a un concurrent malheureux, situé hors du centre historique : celui de l’hôtel de ville, 104 m de haut, record d’Europe, édifié après les destructions de 1914-18, et inscrit par l’UNESCO au patrimoine mondial. Grêle, isolé, il heurte l’œil sans convaincre. On dirait un minaret désaffecté.

Mon pèlerinage inclut encore la belle église Saint-Maurice, halle gothique et néo-gothique à la fois, construite et complétée depuis le XIVème siècle jusqu’au XIXème. Elle est faite de cinq nefs parallèles d’égale hauteur, soutenues par de fortes colonnes. La dernière extension a été réalisée en absorbant le rue des       Os-Rongés. L’ensemble est très clair, très éloquent.

Marchant dans les rues, je perçois à plusieurs reprises des intonations flamandes. On n’a jamais parlé cette langue à Lille, mais la frontière linguistique serpente à quelques kilomètres.

Hélas, je n’ai pas le temps de revoir les restes de la citadelle, où Vauban était le gouverneur, et où il a passé une grande partie de sa vie. La Ville a renoncé à présenter ces vestiges pour inscription à l’UNESCO, car cet honneur lui aurait valu trop de contraintes.

Dernière vision de Lille : un estaminet (appellation encore courante dans le Nord), à demi fermé, et aux vitres taguées, qui s’intitule bravement Un coin de paradis. 

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