Lu par Nicolas Saudray
Mars 2024
Les Français croient souvent que la presse a débuté avec Théophraste Renaudot. En réalité, la Gazette d’Anvers, composée moitié en français moitié en flamand, est apparue dès 1605, donc une génération plus tôt.
Mais l’essor de ce moyen de communication est lent, dans notre pays comme ailleurs. La Révolution multiplie les petites feuilles. Un député de la Constituante fonde le Journal des Débats pour reproduire les discussions de sa Chambre. En 1800, Bertin aîné, trente-quatre ans, rachète ce quotidien, aidé par son frère Bertin de Vaux qui mènera plus tard une carrière politique. Les Bertin sont les fils d’un capitaine qui était attaché au duc de Choiseul. Leur achat est le début d’une belle aventure.
Sous le règne de Napoléon, hélas, le moindre écart de plume se paye cher. Bertin aîné est emprisonné quelque temps. Sa feuille, confisquée, devient le Journal de l’Empire.
En 1814, Bertin récupère son bien et sn titre. Il ne tire qu’à 13 000 exemplaires, et est un peu dépassé en volume par le Constitutionnel de Thiers, mais c’est le quotidien le plus influent du pays. Comme de juste, il soutient le nouveau régime. Cela ne l’empêche pas de s’opposer successivement, sous l’influence de Chateaubriand qui est un grand ami de Bertin, à deux premiers ministres : le modéré Decazes puis l’ultra Villèle. À l’arrivée du ministère Polignac, le Journal des Débats se déchaîne contre lui par la plume de l’excellent Saint-Marc Girardin, et c’est l’un des principaux facteurs de la révolution de 1830. Bertin contribue ainsi à renverser Charles X, sans l’avoir vraiment voulu.
Le lecteur actuel s’étonne en constatant le poids, bien supérieur à celui d’aujourd’hui, que pouvait peser alors un journal, malgré sa faible diffusion. Les gens se prêtaient des exemplaires ou allaient les lire dans des cabinets de lecture. Ils méditaient sur les articles au lieu de les parcourir comme nous le faisons.
Sous la monarchie de Juillet, Bertin suit la ligne officielle et lâche le légitimiste Chateaubriand, tout en restant en bons termes avec lui. Le journal connaît alors son âge d’or. Les rédacteurs sont de haut niveau : Hugo parfois, Champollion, le pionnier des chemins de fer Isaac Pereire…Pour rester compétitif, Bertin se met comme ses confrères au roman-feuilleton, et Balzac publie chez lui son Modeste Mignon. Depuis l’origine, d’ailleurs, le journal accorde une très large place à la littérature.
Cette réussite est symbolisée par le célèbre portrait qu’Ingres peint de Bertin en 1832, aujourd’hui au Louvre. Il dégage un sentiment de puissance. Théophile Gautier a qualifié son modèle de César bourgeois : terme injuste, car l’homme était d’une grande culture, et fort discret dans sa vie quotidienne.
Sa fille Louise, infirme, est semble-t-il la première Française à avoir composé des opéras. Sans succès, malheureusement.
Après la mort de Bertin aîné, en 1841, la direction du journal passe à ses fils, et son influence commence à décliner. Sous le Second Empire, il reste orléaniste, et figure donc dans l’opposition. Ses collaborateurs restent du meilleur niveau : Taine, Renan, Maxime du Camp, Léon Say…
Au début de la Troisième République, le Journal des Débats ne tire encore qu’à 26 000 exemplaires, contre 1 400 000, par exemple, pour le Petit Parisien. C’est un journal élitiste et cher. Financièrement, il survit en faisant payer au prix fort la publicité qu’il accepte. Son nouveau directeur, Étienne de Nalèche, homme estimé, n’a plus guère de prise sur les grands événements.
Lors de sa suppression, en 1944, le journal n’est plus que l’ombre de lui-même.
L’historien Jean-Paul Clément compte parmi les meilleurs spécialistes du XIXème siècle. En faisant revivre, par ce livre, toute la presse de cette centaine d’années, et en rappelant son rôle majeur dans la grande histoire de cette époque, il lui donné un relief peu commun.
Le livre Jean-Paul Clément, La Naissance de l’Opinion – Bertin et le ‘Journal de Débats », collection e-Poche », éditions Michel de Maule. 235 pages. 11,50 €
C’est le premier ouvrage d’une nouvelle collection de poche, à caractère historique.