Décembre 2015 (legs de Michel Cotten)
Le canal de Nantes à Brest a été décidé par Napoléon Ier, pour pouvoir ravitailler Brest en matériaux sans risque d’être attaqué en chemin par la flotte britannique. Mais, les travaux ayant traîné, c’est Napoléon III qui a inauguré l’ouvrage, alors que le risque avait à peu près disparu.
S’agissant d’un canal reliant deux ports maritimes, nous plaçons cet article dans notre rubrique La Mer, dédiée tout spécialement à la mémoire de Michel Cotten – en espérant que des contributions d’autres auteurs viendront bientôt l’enrichir.
Depuis la construction du barrage hydroélectrique de Guerlédan en 1930, le canal de Nantes à Brest est coupé en deux ; on peut naviguer de Nantes à Lorient, mais plus de l’Iroise à la Loire.
Le décret du 30 août 1923 accordant la concession à la Compagnie générale d’électricité prévoyait bien le rétablissement de la navigation après la construction du barrage (1), mais cette obligation, dont EDF a hérité au moment de la nationalisation de l’électricité en 1945, est restée jusqu’à ce jour lettre morte.
L’arrivée du chemin de fer a marqué le début du déclin du transport par voie d’eau. La généralisation du transport par route a sonné le glas du transport fluvial, mais aussi des voies ferrées d’intérêt secondaire. Le plan routier breton a parachevé l’évolution ; dans les années 60, l’idée de faire un « plan fluvial breton » aurait paru saugrenue.
Alors l’Etat s’est désengagé progressivement de ce passé jugé encombrant. En 1953, le canal de Nantes à Brest a été déclassé comme voie d’eau et la vente des maisons éclusières a commencé ; il y en a exactement 325 sur les 364 km du canal initial. Le lac de Guerlédan en a englouti 17. Suite à l’acte 2 de la Décentralisation, piloté par JP Raffarin premier ministre, le canal a été confié à la région Bretagne, sauf la section Brest-Châteaulin, gérée par le département du Finistère, et la partie située hors de la Bretagne administrative, dévolue au département de la Loire-Atlantique.
Les collectivités territoriales assument leurs responsabilités avec sérieux. La région de Bretagne s’est dotée d’une direction des voies navigables, qui fait un excellent travail. L’entretien du canal et des écluses a repris, sauf entre l’écluse de Quénécan et le barrage cul-de-sac. Le chemin de halage est devenu une piste cyclable très praticable. Bref, un tourisme vert, sportif et familial a trouvé sa place autour du canal. Sans atteindre les proportions du canal du Midi et latéral à la Garonne, la batellerie de plaisance se développe doucement.
Ce statu quo a semblé jusqu’ici convenir aux différents acteurs de l’économie locale. La seule menace sérieuse est venue des conclusions d’un atelier du Grenelle de l’Environnement, des écologistes intégristes ayant réussi à glisser une recommandation sur le rétablissement du cours naturel des rivières utilisées par le canal. Ils visaient la destruction des ouvrages liés au canal, sans toutefois oser demander celle du barrage de Guerlédan. Courageux mais pas téméraires.
Le rétablissement de la continuité du canal de Nantes à Brest donnerait un nouvel élan au tourisme en Bretagne centrale. Il stimulerait à la fois le tourisme fluvial proprement dit et les activités sur les berges ou les plans d’eau.
Mais il ne faut pas tout miser sur le tourisme. Une modeste reprise d’activités commerciales est envisageable, malgré les caractéristiques anciennes du canal. Il s’agirait de transporter des pondéreux tels que matériaux de construction, ardoises, gravats. Les routiers n’ont rien à craindre, rassurons-les ! Le projet pourrait être réalisé dans des conditions financières acceptables, en respectant les légitimes préoccupations de toutes les parties prenantes.
Alors que la Bretagne couvre à peine 15% de ses besoins en électricité, il n’est évidemment pas question de proposer de supprimer le barrage existant. Celui-ci, avec ses 20 GWh annuels, constitue la quatrième source d’énergie électrique de la région. L’interruption de sa production pendant plus de six mois en 2015, liée au vidage du barrage, n’a pas causé de difficulté notable, la région recevant son courant des centrales nucléaires du Cotentin.
Un contournement fluvial du barrage coûterait horriblement cher et mécontenterait une multitude de propriétaires et d’usagers. Une solution envisageable serait de réaliser un ascenseur à péniches et à bateaux de plaisance, accolé au barrage. Il en existe plusieurs en Europe, notamment aux Pays-Bas et en Belgique. Un collectif est prêt à organiser des visites pour ceux qui voudraient voir avant de se prononcer. L’un de ces équipements compense 75 m de dénivellation alors qu’au barrage de Guerlédan elle ne dépasse pas 45 m.
L’ouvrage de 75 m a coûté l’équivalent de 30 millions € 2015. Il n’y a pas de raison que l’ascenseur de Guerlédan coûte plus cher. Son financement pourrait être assuré comme suit :
-1/3 par EDF au titre de ses obligations non assumées jusqu’ici (1) ; l’entreprise publique pourrait en parler avec son comité d’entreprise hors normes, qui perçoit 1% du produit des ventes d’électricité ; sa vocation n’est-elle pas de participer au développement des activités de loisir destinées au personnel de l’électricien historique ?
-1/3 au titre des fonds structurels européens, Feder notamment ;
-1/3 par les collectivités territoriales, surtout la région Bretagne, qui pourrait, d’après les indications fournies par sa Direction des voies navigables de la Région, reprendre en gestion la partie du canal gérée par le département du Finistère ; les fonds pourraient provenir d’un emprunt, dont l’essentiel serait remboursé par les droits de péage institués pour utiliser l’ascenseur.
[1]« Le concessionnaire sera tenu d’assurer à travers la chute de Guerlédan, à ses frais et sous sa responsabilité, le passage des bateaux fréquentant le canal de Nantes à Brest…..»