Jean Tulard : L’Empire de l’argent, s’enrichir sous Napoléon

Un livre marquant lu par Nicolas Saudray
Juin 2023

On ne présente plus Jean Tulard, historien, membre de l’Institut. Il sait tout sur le Premier empire, et beaucoup sur d’autres périodes. La liste de ses œuvres tient en quatre pages. Ce qu’il écrit est toujours rigoureux et limpide.

L’Ancien régime ne manquait pas de négociants trop habiles et de financiers rapaces. Mais les appétits devaient se concilier, tant bien que mal, avec des valeurs aristocratiques ou religieuses. La Révolution change tout cela. Elle supprime les contrepoids, et l’on voit, après elle, la majeure partie de la classe dirigeante occupée à s‘enrichir. Malgré sa sympathie pour le monde napoléonien, Jean Tulard a décidé de ne rien cacher.

Bonaparte lui-même, après une jeunesse famélique, se renfloue grâce au pillage de l’armée d’Italie. Devenu premier consul puis empereur, il n’a plus besoin de cela, mais il distribue largement à son entourage, et tolère ses débordements. Pour  financer don empire, il recourt peu à l’emprunt, car le crédit de l’État est encore bas, à la suite des abus de l’Ancien Régime et de la Révolution. Il préfère mettre les États vassaux en coupe réglée.

Les ministres ne sont pas les derniers à se servir. Talleyrand, c’est bien connu, s’est laissé corrompre par les Américains (vente de la Louisiane), puis par l’Autriche et la Russie ; mais il dépense sans compter. Fouché, un peu moins riche, est beaucoup plus économe. Cambacérès, gastronome patenté, éblouit Paris par ses festins.

Les maréchaux ont reçu d’importantes dotations de terres, en Allemagne, en Italie, en Illyrie. Cela ne leur suffit pas (d’ailleurs, ces propriété lointaines leur échapperont en 1814). Ils pillent allègrement. Soult et Masséna se distinguent. Les contemporains nous ont quand même laissé le nom d’un homme intègre : Suchet.

En revanche, les hauts fonctionnaires sont très peu payés en début de carrière. Ils doivent justifier de ressources personnelles, afin de tenir leur rang, et sont incités à épouser des héritières. Cette formule avantageuse pour l’employeur se prolongera jusqu’à la fin du XX ème siècle

Les spéculations du banquier Ouvrard, imprudemment soutenu par le Trésor public, provoquent une crise financière. Son rival Récamier, surtout connu aujourd’hui par son épouse, finit lui aussi par faire faillite, et même deux fois. Plus prudents sont les Le Couteulx originaires de Rouen, déjà connus avant la Révolution, ainsi que le Suisse Perrégaux, qui donne sa fille en mariage au maréchal Marmont, et transmet sa maison de banque au fameux Lafitte.

Dans ce tourbillon, les industriels, notamment ceux du textile – le duo Richard-Lenoir, les frères Ternaux – méritent le respect. Ils prennent de gros risques et créent des emplois. Leur reprochera-t-on d’avoir profité du bas niveau des salaires ? C’était la loi du marché, et s‘ils ne l’avaient pas respectée, ils auraient été évincés par des concurrents. Leur succès, dû dans une large mesure à la protection  offerte par le Blocus continental, a hélas pour contrepartie la ruine des ports français de l’Atlantique et de la Manche, qui vivaient du commerce maritime.

Et la masse des Français, que pense-t-elle de tout cela ? Les rentiers (principalement des retraités) ont perdu les deux tiers de leur avoir sous le Directoire. Napoléon ne leur rend pas leur argent mais assure le maintien de ce qui reste. De même, il n‘indemnise pas ses sujets, fort nombreux, qui ont souffert de l’anéantissement des assignats, mais il dote le pays d’un instrument solide, le franc germinal, qui inspirera la confiance jusqu’en 1914.

Nous déplorons, autour de nous, quelques scandales politico-financiers. Consolons-nous. La moralité publique est quand même meilleure que sous le Premier empire.

Le livre :   Jean Tulard, L’Empire de l’argent – S’enrichir sous Napoléon. Éd. Tallandier, 2023. 208 pages, 19,90 €.