Laon entre deux trains

Par Nicolas Saudray
Décembre 2022

         Au sujet de Laon, préfecture de l’Aisne, je serai moins disert que sur les villes précédentes, car j’ai disposé de moins de temps sur place. Cela ne signifie pas qu’elle présente moins d’intérêt, bien au contraire.

          Laon, c’est Lugdunum, comme Lyon et Londres : la citadelle du dieu gaulois Lug. Juchée sur une butte-témoin, fragment de la côte d’Île-de-France, la ville haute domine la plaine de Picardie d’une centaine de mètres. Relativement épargnée par les guerres, hormis l’explosion d’une poudrière en 1870, c’est aujourd’hui un heureux legs des siècles. À ses pieds, la ville basse, détruite en 1944, a été rebâtie de façon correcte, mais sans grand attrait.

          Cette opposition du haut et du bas, les butineurs du site Montesquieu ont pu aussi l’observer à Bar-le-Duc, autre cité remarquable. Mais contrairement à sa sœur lorraine, dont le commerce est depuis longtemps descendu dans la plaine, la ville haute picarde a conservé à peu près son animation.

          Ici, du bas vers le haut, on peut monter par une route et entrer sous une porte fortifiée, vestiges de remparts qui comptaient une quarantaine de tours (il en reste une dizaine). On peut aussi grimper tout droit, par des escaliers. On ne peut plus emprunter le funiculaire, arrêté en 2016 pour cause de coût excessif.

          Arrivé à l’une de plates-formes du sommet, le visiteur jouit de deux vues panoramiques. Au nord, la vaste plaine de Picardie, avec dans le lointain un bataillon d’éoliennes, dont une légère brume, en ce début d’hiver, tempère l’acrimonie. On se demande si elles ne vont pas attaquer, comme un corps de lanciers. Mais non, elles restent là-bas en ordre de bataille, fantomatiques. Au sud, l’espace grand ouvert est moins habité, plus boisé.

          Qui dit Laon dit cathédrale. Gothique, un peu plus ancienne que Notre-Dame de Paris, elle est curieusement plus ornée.  Mais c’est le bouquet de tours qui frappe le visiteur. Paris, Reims et Chartres l’ont habitué à n’en voir que deux, plus à l’arrière une mince flèche ou une statue. Cette fois, il y a quatre tours carrées d’égale importance et, au-dessus du transept, une tour-lanterne à la normande. Les anciens architectes en avaient même prévu sept, dont six auraient porté une flèche. Il en manque deux, et une seule des six coiffures prévues a été réalisée. Grêle, elle troublait l’harmonie. Les révolutionnaires l’ont abattue et, pour une fois, ils ont bien fait. Les quatre tours carrées sans flèche mesurent 56 mètres de haut, contre 69 mètres à Paris.

          Des bouquets de tours, il y a eu d’autres en Europe, et on en voit encore. La fameuse abbatiale de Cluny en comptait sept, toutes pourvues de flèches. Quatre d’entre elles subsistent, dont une petite. Sans sourciller, Napoléon a laissé abattre les autres. La cathédrale de Tournai, en Belgique, montre aujourd’hui cinq tours fléchées, dont les plus hautes mesurent 83 mètres. Cluny et Tournai, il est vrai, , sont romanes pour l’essentiel, contrairement à Laon. Mais ces trois sanctuaires partagent un même dessein architectural.

          Laon a un solide passé carolingien. Vers 1250, lors de l’achèvement de la cathédrale, elle comptait quelque dix mille habitants, et figurait donc parmi les grandes villes du royaume. Le roi de France et l’évêque en étaient co-seigneurs. Mais l’homme à la mitre manifestait davantage sa présence, et s’appuyait sur un chapitre, particulièrement nombreux, de 83 chanoines. Si bien que la ville a vécu  dans une ambiance cléricale. À la fin du XVIème siècle, elle a pris le parti de la Ligue. Pour l’en punir, le bon roi Henri IV a rasé tout un quartier et y a bâti une citadelle, dont ne subsistent que divers éléments. En 14-18, pendant quatre ans, Laon a été occupé par les Allemands mais, située à l’arrière du front, n’a pas subi de dommages. Puis cette cité administrative, sans industrie, a échappé au déclin subi par tant d’autres et a pu, depuis 1962, maintenir sa population aux alentours de 25 000 habitants.

          La cathédrale est flanquée d’un spacieux palais épiscopal, devenu tribunal. De là jusqu’à l’église Saint-Martin, la vieille ville s’étire sur l’échine rocheuse :  arcades, colombages, logis à tourelles, soit au total quatre-vingts monuments inscrits ou classés. À défaut de la richesse économique, les Laonnais ont la meilleure, la richesse culturelle.

         Ainsi se clôt un cycle de visites à de petites ou moyennes villes trop peu connues du nord-est de la France, que j’avais entrepris pour accompagner des recherches familiales. Le lecteur du site Montesquieu trouvera ces portraits cavaliers dispersés dans la rubrique « Patrimoine ». Un ordre géographique pourrait consister à partir de Paris vers l’est (Bar-le-Duc, Commercy), et à revenir par une grande boucle au nord-ouest (Verdun, Sedan, Charleville-Mézières, Laon, Saint-Quentin. Bonne route !