Les cloches de Nagasaki – Takashi Nagai

Décembre 2023 – Les cloches de Nagasaki
Lu par Nicolas Saudray

          Fondé au XVIème siècle par des commerçants portugais, Nagasaki devient alors le principal port du Japon. Sous l’influence de jésuites, une importante communauté de convertis au catholicisme s’y constitue. Mais les Portugais sont bientôt remplacés par des Hollandais, d’ailleurs cantonnés à un îlot, et le culte catholique est interdit à compter de 1614. Ses fidèles plongent dans la clandestinité.

          En  1867, l’ère Meiji leur rend la liberté, non sans une certaine suspicion. Au XXème siècle, bien qu’éclipsé, comme port, par Yokohama, Nagasaki se mue en une ville industrielle. Le Franciscain Maximilien Kolbe fonde un couvent dans la montagne attenante, puis repart vers la Pologne…vers Auschwitz.

          Takashi Nagai est né en 1908 dans un autre district. Vingt ans plus tard, il vient faire ses études à la Faculté de médecine de Nagasaki, dans le quartier chrétien d’Urakami. Les catholiques qu’il fréquente le convertissent. De 1937 à 1940, il officie comme médecin militaire durant les campagnes de Chine, puis revient à Nagasaki, y achève son doctorat, devient le doyen de la Faculté.  Spécialité : la radiologie. Il manipule donc des matières radio-actives. En juin 1945, on lui découvre une leucémie, qui le place en quelque sorte parmi les héritiers de Marie Curie. La Bombe, survenue moins de deux mois plus tard, n’en est donc pas la cause, mais elle va aggraver le mal.

       Est–il nécessaire, ce bombardement ? Le cas d’Hiroshima prête déjà à controverse.  Mac Arthur et Eisenhower déconseillent cette opération ; ils estiment que le Japon est déjà battu. Soucieux de terminer la guerre au plus tôt, et donc d’épargner des vies américaines, le président Truman tranche en sens inverse.

          Le 6 août 1945, donc, un appareil parti des îles Marianne lâche « Little Boy » sur Hiroshima. La Maison Blanche attend le lendemain pour révéler au monde la nature de cette arme.

         Le 9 août aux premières heures, l’armée soviétique envahit la Mandchourie, alors sous contrôle japonais. Durant la conférence de Yalta, Staline avait promis de le faire, mais il ne se montrait pas pressé. Constatant, au lendemain d’Hiroshima, que le Japon est aux abois, il se précipite à la curée.

           Dès lors, monsieur Truman, pourquoi bombarder si vite une seconde ville ? Sévèrement attaqués du côté de l’Asie, menacés, de l’autre côté, d’une réédition d’Hiroshima, les Japonais ne peuvent que céder, sans qu’il soit besoin d’une nouvelle catastrophe. Il faudrait leur laisser au moins le temps de se concerter. Ils ont un héritage confucéen, leurs décisions sont toujours collectives. S’ils ne se soumettent pas tout de suite, c’est parce que les Américains exigent une capitulation sans conditions : solution d’une extrême rigueur, pour un pays qui n’a  même pas été envahi encore. Par comparaison, la France, largement envahie en 1940, a pu assortir l’armistice d’assez nombreuses conditions. Le bombardement de Nagasaki est donc une erreur.

          Le 9 août 1945, dans la matinée, un nouveau bombardier décolle des Mariannes, avec à son bord un objet baptisé « Fat Man ». L’objectif est une ville industrielle appelée Okura. Des nuages la couvrent, le pilote rebrousse chemin. Plus au sud, la nuée s‘écarte, une autre ville apparaît : Nagasaki. Les aviateurs larguent la bombe.

          C’est là que commence le livre. Takashi Nagai le terminera en 1946, mais ne pourra le faire imprimer qu’en 1949, en raison des réticences des autorités américaines d’occupation, qui exigeront des compléments de nature à atténuer la responsabilité de leur pays. Ces distorsions n’empêcheront pas un succès mondial. Tout récemment, des Japonais éclairés revoient l’ouvrage, le débarrassent des ajouts. Nous disposons enfin d’un témoignage authentique, qui fait l’objet d’une nouvelle traduction en français, publiée par les éditions onTau, d’inspiration catholique.

          Lors de l’explosion, le docteur Takashi Nagai se trouve dans son  bureau de radiologue de l’hôpital, vaste établissement qui se confond avec la Faculté. Le nucléaire, il connaît, de par sa spécialité médicale. Mais il ne se doutait pas de sa puissance de destruction. Il décrit avec minutie, sans pathos, tout ce qu’il voit, les innombrables cadavres, l’amoncellement des décombres. Il évoque  les disparus – ces infirmières rieuses qu’il aimait bien, et qui ne reviendront plus. Lui-même a eu une veine sectionnée par un éclat de verre, il faut le panser à plusieurs reprises.

         Le sinistre a atteint tout particulièrement le quartier chrétien. Takashi ne retrouve plus sa maison, ni sa femme, pulvérisée. Heureusement, leur fils et leur fille, partis à la campagne, sont sains et saufs.

          Des secours sont improvisés. Takashi se dévoue, à la limite de ses forces. La plupart de ceux qu’on avait cru sauver meurent, par l’effet des radiations. Et bien des sauveteurs tombent malades à leur tour. C’est le cas du docteur Nagai, qui s’en tire de justesse. Il attribue ce miracle à l’intercession de Maximilien Kolbe.

          L’effectif des morts a donné lieu à diverses estimations. L’éditeur japonais actuel retient un chiffre de 70 000 – plus les effets des séquelles, au cours du temps.

          Le docteur passe son temps libre à réconforter ses compatriotes. Il dissuade quelques jeunes qui commençaient à rêver d’une revanche sur les États-Unis. À son avis, le sacrifice des innocents de Nagasaki prolonge celui de Jésus ; c’était une prière adressée à Dieu pour qu’il convainque l’empereur Hiro-Hito d’arrêter la guerre, et l’empereur l’a arrêtée, sitôt après le bombardement de la ville. Cette présentation, difficile pour un lecteur de 2023, les survivants chrétiens l’acceptent. Nagasaki mon amour.

          En 1946, les jambes de Takashi cessent de le soutenir. Il se réfugie dans une cabane de quatre mètres carrés, où il vit couché. Son plaidoyer incessant pour la paix  lui vaut le surnom de Gandhi japonais. Des personnalités de marque lui rendent visite.

          En 1949, consécration de la cathédrale d’Urakami rebâtie. On y suspend une cloche retrouvée intacte dans les cendres. D’où le titre du livre. Mais Takashi en rédige d’autres.

          Il s’éteint en 1951, entouré d’affection et de respect. En 2021, le procès de béatification de ce grand témoin et de son épouse s’ouvre à Rome.

         Deux ans plus tard, le secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Guterres, se rend sur les lieux des bombardements atomiques et, naïvement, réclame la suppression de toutes les armes nucléaires. Se rend-il compte qu’elle livrerait la planète aux possesseurs des plus grosses troupes ? Durant l’immédiat après-guerre, qu’est-ce qui nous a sauvés, nous autres Européens de l’Ouest, des entreprises de Staline ?  Sans doute la menace de la bombe A.

Éditions onTau, 208 pages, 20 €