Par Nicolas Saudray
Polytechnicien INSEE, ministre successivement de la Santé et du Commerce extérieur, puis inspecteur général des finances, enfin sculpteur et maire du superbe bourg drômois de Grignan (un peu égratigné par les éoliennes), Bruno Durieux a une connaissance particulièrement riche de notre société et de ses ressorts. Il était donc fort bien placé pour disséquer et dénoncer la principale idéologie de notre temps, substitut tant du marxisme que du christianisme : l’adoration aveugle de l’écologie.
Je me permettrai ici une remarque de vocabulaire. En français, on dit psychologue et non psychologiste, cardiologue et non cardiologiste. Le terme « écologiste » devrait donc être remplacé par « écologue ». Encore ne convient-il qu’aux détenteurs d’une connaissance scientifique du sujet, ce à quoi 98 % des militants ne peuvent prétendre. Alors, comment les appeler ? Ce sont, ne leur en déplaise, des écophiles.
Fort bien documenté, Bruno Durieux pointe les divagations de ce mouvement, à commencer par le club de Rome (1972), qui avait prévu l’épuisement de l’aluminium en quinze ans, du cuivre en huit ans, de l’argent en deux ans… On sait ce qu’il en est advenu – ainsi que des autres prédictions apocalyptiques qui se sont succédé. Mais par une sorte d’effet diabolique, ces échecs répétés n’ont nullement entamé la crédibilité de leurs auteurs, et le mouvement écophile est plus puissant que jamais. On ne veut pas voir parce qu’on veut croire.
L’évolution du climat a donné lieu à un belle palinodie. Dans les années 1975-1978, les gourous nous entretenaient du refroidissement inéluctable de la planète. Puis ces gourous se sont retournés sans la moindre gêne, et ne nous parlent plus que de réchauffement.
Bruno Durieux montre que malgré tous les beaux raisonnements, le niveau de vie et le bien-être des hommes ont progressé. La « révolution verte », qui ne doit rien aux écophiles, a donné à manger aux masses, notamment en Inde. Le nombre de personnes souffrant de la faim est évalué aujourd’hui à 10 % de la population mondiale, contre 33 % en 1970. Et pourtant, entre ces deux dates, l’effectif total a plus que doublé. 91 % de la population mondiale ont aujourd’hui accès à des sources d’eau contrôlées, contre 52 % en 1980. La vie s’allonge, l’analphabétisme se résorbe.
Le polémiste se montre spécialement incisif, à bon droit, au sujet de l’énergie. Les écophiles veulent la mort du nucléaire, alors que c’est une forme d’énergie exempte de CO2, et que l’éolien et le photovoltaïque, fortement intermittents, sont incapables de le remplacer. Ces mêmes militants refusent de considérer que les réacteurs à neutrons rapides, dont l’étude – hors de France, hélas – est fort avancée, permettront dans doute, à moyen terme, de produire beaucoup plus de courant avec autant d’uranium et beaucoup moins de déchets. Quant à la fusion nucléaire, qui est, pour parodier Fourastié, le grand espoir du XXIe siècle, ils ne veulent même pas en entendre parler. En favorisant l’éolien au-delà de toute mesure, ils se comportent en ennemis de l’environnement qu’ils prétendent sauver. Sans s’en rendre compte, les écophiles sont devenus écophobes.
Pour une croissance au service de l’environnement : c’est le sous-titre du livre. Bruno Durieux remarque que, dans un premier temps, le développement économique porte atteinte à l’environnement, comme dans l’Europe et l’Amérique industrielles du XIXe siècle ; c’est le stade auquel se trouvent aujourd’hui la Russie, la Chine, l’Inde. Puis la population, quelque peu délivrée des contraintes, devient plus consciente et améliore son cadre de vie.
Il me semble toutefois que la démographie mériterait davantage de réflexion. Certains écophiles en ont parlé de manière atroce. Ehrlich, auteur du livre à succès La Bombe P., a déclaré en 2015 : L’idée qu’une femme puisse avoir autant d’enfants qu’elle le veut est pour moi la même chose que dire que tout le monde est autorisé à jeter autant d’ordures qu’il le souhaite dans le jardin de son voisin. Mais la plupart de ses compagnons de route européens évitent, par lâcheté politique, d’aborder ce sujet. Ils critiquent donc un phénomène, la croissance de la consommation mondiale, sans s’attaquer à sa principale cause, la progression démographique. Si le Niger continue de donner le jour à 7,2 enfants par femme, si ses voisins continuent de faire à peine moins, l’Afrique noire ne pourra décoller. Et un afflux d’Africains peu formés vers l’Europe y fera baisser le revenu par tête, au grand dam des régimes politiques en place.
Faut-il donc, au terme de ce parcours, condamner vertement les écophiles ? Bruno Durieux dénonce, d’une plume alerte et souvent réjouissante – bien que le sujet soit, au fond, très triste – leurs gesticulations, leurs inconséquences, la naïveté des uns, l’hypocrisie des autres. Encore a-t-il la charité de ne pas s’en prendre à Nicolas Hulot, ce bon apôtre, avec ses quatre voitures, sa camionnette, sa moto BMW et son bateau.
Derrière tout cela, néanmoins, je discerne un sentiment honorable que je puis partager : les animaux, les plantes, les paysages, la planète elle-même ont eux aussi des droits. L’homme ne doit pas confisquer la Terre.
Le livre : Bruno Durieux, Contre l’Écologisme – Pour une croissance au service de l’environnement. Éditions de Fallois, 264 pages, 18,50 euros.
En librairie le 22 mai 2019.