2011, legs de Michel Cotten
Cette note n’a guère perdu de son actualité. On nous dit que les rejets d’azote par l’agriculture bretonne ont été divisés par deux en dix ans. Mais un retour offensif des algues vertes s’est manifesté au printemps de 2019 dans la baie de Saint-Brieuc.
L’État français a déjà été condamné deux fois, par le tribunal administratif de Rennes en 2007 puis par la cour administrative de Nantes en 2009, pour non-respect des règles qu’il a lui-même fixées en matière de qualité des eaux, concernant notamment les teneurs en nitrates. Cette cour a stigmatisé le « laxisme et les carences des préfets » en matière d’installations de porcheries et de suivi des décisions.
Cette fois, c’est l’Union européenne qui envisagera de condamner la France à une amende de 300 millions d’euros au vu des réponses évasives et incomplètes au questionnaire de dix pages adressé par la Commission en juillet 2011.
Cette condamnation ferait suite à de nombreuses mises en garde prises à la légère par le gouvernement français. Elle serait assortie d’astreintes particulièrement lourdes. L’épisode des 36 sangliers intoxiqués à mort par des émanations d’hydrogène sulfuré à proximité d’algues vertes incite l’Europe à réagir très fortement.
C’est peu de dire que le « Plan Algues » adopté par le gouvernement en février 2010, après la fin des travaux de la commission interministérielle créée à suite de la mort d’un « petit cheval » dans la baie de Saint-Brieuc, n’a pas convaincu les autorités européennes.
Malgré ce plan, ou à cause de lui, le volume d’algues ramassé sur les plages bretonnes a augmenté d’une année sur l’autre. Il avait atteint 90.000 tonnes en 2009. On va vers 100.000 tonnes en 2011.
Le « Plan Algues » porte essentiellement sur le ramassage des algues, c’est-à-dire sur les effets. Il ne comporte aucune mesure de prévention contraignante visant à supprimer les causes du phénomène, c’est à dire l’excès de nitrates dans les eaux arrivant jusqu’à la mer. À ce jour, seules deux « chartes de baies » pleines de bonnes intentions ont été signées sur les huit prévues.
Au Cap Coz (La Forêt-Fouesnant, Finistère), calme plage où j’ai appris le dériveur dans ma jeunesse, il a fallu récemment déployer plusieurs compagnies de CRS pour éviter que le cortège des défenseurs de la qualité de l’eau en colère n’entre en contact musclé avec celui des agriculteurs outrés. Va-t-on vers la guerre des algues ? Non, si on prend la peine de réfléchir un peu à partir de trois données incontestables et si on se décide à agir vraiment.
L’agriculture bretonne réalise un chiffre d’affaires de 18 milliards d’euros. En cinquante ans, elle est devenue à marches forcées le premier espace agricole français : sur 6% de notre superficie agricole, on trouve 57% des porcs français, 30% des gros bovins, 25% des vaches et 34% des volailles. On produit 42% des œufs et bien sûr 86% des choux-fleurs français.
Cette agriculture à bon marché, encore orientée vers la consommation de masse, rapporte peu aux 63.000 paysans bretons, mes frères, qui se démènent pour survivre. La concurrence est rude. Le nez au ras de l’eau, la plupart des exploitants ne sont pas en mesure de supporter les coûts supplémentaires qu’entraînerait une stricte application du principe pollueur-payeur; quand on lutte pour sa survie, le premier souci n’est pas celui de l’objectivité ni celui de l’intérêt général.
Les chercheurs d’Ifremer, Alain Menesguen notamment, ont établi clairement que la prolifération des algues vertes (Ulva) était liée à l’excès de nitrates arrivant dans les eaux côtières. Le mauvais fonctionnement de stations d’épuration et les eaux domestiques portent leur part de responsabilité, mais à 90% ces apports inopportuns résultent de l’épandage en trop grandes quantités du lisier de porc et de vache ainsi que des méthodes culturales peu économes.
Le phénomène se développe particulièrement dans les baies fermées où les eaux sont claires et les courants faibles. La baie de Saint-Brieuc, qualifiée parfois par les « écolos » en colère de « baie des cochons » en est le parfait archétype. Les algues vertes ne sont pas en elles-mêmes toxiques, mais lorsqu’elles pourrissent, ce qui arrive nécessairement en haut de l’estran entre deux grandes marées, elles dégagent de l’hydrogène sulfuré, gaz très toxique, et diverses toxines redoutables.
Suivant l’étude réalisée par Ifremer, 108 baies bretonnes, pour la plupart en Manche, sont concernées et risquent de devenir à terme des déserts touristiques.
Troisième donnée objective : la teneur en nitrates des eaux de rivières bretonnes continue d’augmenter (>33mg/litre). Au dessus de 10mg/litre l’eutrophisation est garantie.
Il ne reste plus beaucoup de temps avant d’arriver au fond de l’impasse. Il est donc plus que temps d’agir. Trois propositions:
1/ Les algues vertes restent considérées comme des déchets. Et si on les traitait comme une ressource à valoriser?
Pour marquer les esprits, un appel d’offres exceptionnel pourrait être lancé dans le cadre du pôle de compétitivité «Mer-Bretagne» sur la culture et le traitement des algues vertes.
Depuis toujours, les pêcheurs d’algues de l’Iroise rentrent à l’Aber-Ildut avec leurs barques remplies à ras bord d’algues prises autour d’Ouessant et de Molène. Ça se vend bien au Japon et en Chine, malheureusement le plus souvent à l’état brut.
S’agissant des « Ulva », il s’agirait de les cultiver comme des huîtres plutôt que de les ramasser comme des ordures, de les faire sécher avant qu’elles ne pourrissent et de les vendre sous forme d’engrais riche en nitrates. Le Centre de valorisation des algues (Ceva), créé par le département des Côtes d’Armor et Ifremer, travaille sur ces questions depuis 1982. Une petite société près de Paimpol a déjà obtenu des résultats économiquement prometteurs. C’est bien, mais il faut changer de braquet.
2/ Ensuite, il s’agit de mieux respecter la nature en améliorant les pratiques culturales. Les apports d’engrais pourraient être mieux dosés. Normalement, presque tout devrait s’intégrer aux cultures ; seul un petit reliquat s’échapperait vers les rivières, ce qui mettrait rapidement fin à l’eutrophisation des eaux côtières.
Un territoire donné ne peut pas supporter un nombre illimité de porcs ou de volailles. Seules la démagogie ou la misère peuvent faire dire le contraire. Bonne nouvelle : il ressort d’une étude engagée dans le cadre du « Plan Algues » que 25% seulement des exploitations produisent des rejets trop nitratés.
Les 75% qui restent prouvent que l’on peut produire proprement : ce sont des exemples à suivre.
3/ Les arrêtés préfectoraux fixant la taille des exploitations sont en général bien adaptés. C’est au niveau de la mise en œuvre et du contrôle que cela se gâte.
Un comité de suivi indépendant pouvant être saisi par toute personne y ayant intérêt et statuant dans des délais très brefs devrait être constitué. Au terme d’un délai de régularisation de trois mois, l’exploitation contrevenante serait purement et simplement fermée par décision de justice.
Le véritable progrès viendra lorsque les agriculteurs, ne se sentant plus culpabilisés ou menacés dans leur survie mais compris et aidés, accepteront de voir les réalités scientifiques en face et accessoirement quand les associations écologistes cesseront de considérer l’ensemble des paysans bretons comme des délinquants potentiels.
Je crois les descendants des paysans bretons, qui ont hissé leur région au premier rang de l’agriculture française, capables de voir la vérité en face et de s’adapter.