Par Bernard Auberger
Novembre 2023
Bernard Auberger, inspecteur général des finances honoraire, a été durant trois ans un avocat bénévole des immigrants sans papiers. Le point de vue qu’il exprime aujourd’hui est le sien, et non celui du site Montesquieu, qui n’a pas à avoir de doctrine. Les lecteurs qui souhaiteraient exprimer un désaccord peuvent cliquer au bas de l’article.
Limiter l’immigration par la loi dans notre pays ! Cette perspective déchaîne les passions. Non pas auprès de nos 67 millions de concitoyens qui songent plutôt à leur pouvoir d’achat, à leur sécurité, à l’éducation de leurs enfants, voire au développement durable ; mais dans notre personnel politique excité par un projet qui divise mais devrait permettre de se différencier.
Ce n’est pas si sûr : le discours de Grenoble n’a pas servi à la réélection du Président sortant en 2012 ; non plus que les positions catégoriques de deux candidats échouant à obtenir le minimum de suffrages nécessaire pour obtenir le remboursement de leurs frais à l’élection présidentielle récente. Autour de nous, Georgia Meloni, qui avait été élue à la tête du gouvernement italien sur un programme de maîtrise des flux migratoires, a dû reconnaître son impuissance devant l’arrivée de dix mille habitants supplémentaires sur l’île de Lampedusa. Quant au chef d’Etat hongrois opposé à tout compromis sur l’immigration, il s’est résolu à admettre qu’un demi – million d’étrangers seraient nécessaires pour faire tourner son économie.
Nous-mêmes avons adopté 29 lois relatives à l’admission et au séjour des étrangers dans notre pays depuis 1980. C’est dire leur pertinence et leur efficacité. Nous sommes tenus par des engagements internationaux depuis trois quarts de siècle, avons inscrits certains d’entre eux dans notre Constitution, acceptons les décisions de la Cour Européenne des droits de l’homme et de la Cour de Justice de l’Union Européenne. Entrés prochainement dans une nouvelle phase de règlementation européenne, nous devrons la transposer dans notre droit. Le Conseil d’Etat ne manquera pas de rappeler, comme pour chaque nouveau projet dans ce domaine, que le recours au règlement et à l’action administrative suffirait pour accroître l’efficacité de la politique gouvernementale, sans besoin d’une législation supplémentaire
Est-ce à dire que nous ne devons rien faire pour calmer notre opinion publique, qui considère que nous sommes excessivement généreux à l’égard des étrangers et que nous tolérons beaucoup trop de refusés du droit d’asile et d’indésirables sur notre territoire ?
Evidemment non ! Mais avant tout, il nous faut reconnaître l’apport de l’étranger à notre société, qu’il s’agisse de travailleurs salariés, d’artistes, de chercheurs. D’autant que des dizaines de millions de Français ne rencontrent pas d’immigrés et moins encore de demandeurs d’asile, car cette population est agglomérée dans moins d’un quart de nos départements, avec des concentrations bien connues comme à Calais ou à la Porte de La Villette. Ces localisations s’expliquent par le besoin de s’assembler de la part d’étrangers ne connaissant ni nos usages ni notre langue.
L’adoption d’une attitude commune positive correspond à notre intérêt .Nos gouvernants en ont pris conscience récemment : deux évolutions sociales se conjuguent pour nous conduire à accepter un apport de population : notre défaillance démographique et la réticence de nos actifs à occuper certains emplois indispensables au bon fonctionnement de notre société.
Comme chez la plupart de nos voisins dans l’Union Européenne et notamment les plus proches et les plus peuplés, notre démographie naturelle est aujourd’hui déficitaire, le nombre des décès annuels l’emportant sur celui des naissances de plusieurs dizaines de milliers d’âmes chaque année. L’arrivée d’étrangers contribue à combler ce déficit, à rajeunir notre population en âge de procréer et accessoirement à financer nos dépenses sociales et même notre régime de retraites par répartition ; il ne faut pas la tarir.
Notre immigration a crû dans les trois dernières années après s’être stabilisée autour de 300.000 par an au cours des trente années précédentes. Un tiers de cet afflux ne se fixait pas sur notre sol. Certains requérants demandeurs d’asile, déboutés, sont néanmoins restés dans notre pays. On les évalue de 300.000 à 500.000, ce qui paraît beaucoup, mais doit être rapporté à une population totale de 67 millions d’habitants.
Il est de la responsabilité de nos représentants politiques de s’inquiéter de la conservation de notre style de vie issu de notre histoire millénaire ou récente ; mais celui-ci n’est pas en danger du fait de la présence d’un nombre excessif d’étrangers sur notre sol. Il correspond en pourcentage de notre population totale à ce que nous avons organisé, puis accepté au siècle dernier. Ces immigrés deviendront majoritairement des Français de langue et de comportement ; mais volontairement et d’autant plus vite que nous les assimilerons par le mariage, par notre tradition de tolérance, par une politique de logement, de santé, d’éducation et de droits civiques adaptée et conforme à notre état de droit.
Ce n’est pas de mesures d’inspiration policière que nous avons besoin, c’est d’un renforcement des moyens des préfectures pour éviter que les esprits développent rancœur ou découragement, faute de réponses rapides ou de procédures à la portée des requérants.
La France bénéficie d’un groupe de cinq cents chercheurs, démographes et sociologues qui ne cautionnent nullement la menace d’un grand remplacement de notre population actuelle par une population africaine débordante d’ici le demi-siècle. Leurs conclusions sont fondées sur l’observation, le calcul et la raison. Soyons rationnels, considérons la valeur de leurs travaux et rejetons les peurs artificiellement suscitées par des préoccupations d’intérêts à court terme.
Reportons nous aux publications de François Heran, professeur au Collège de France, à ses écrits pour la Documentation Française ou aux analyses de l’OCDE. Considérons aussi que les envois réguliers d’argent dans leur pays par les immigrés au travail contribuent tout autant au développement de leurs pays d’origine que les transferts de capitaux par des mécanismes internationaux d’aide au développement. Enfin, soyons réalistes : renvoyer les intrus dans leur pays d’origine n’est guère praticable, non plus que dans des pays dont ils ignorent tout.
Enfin nos 700.000 bacheliers annuels ne sont pas concurrencés par les immigrés, puisqu’ils souhaitent occuper d’autres fonctions que les postes en souffrance dans la restauration ou dans l’agriculture, voire dans les nouvelles industries que nous nous efforçons de recréer sur les sites autrefois fermés par notre imprévoyance.
Aujourd’hui, adopter une politique de sélection voire d’exclusion à l’égard des immigrés ne serait fondé ni économiquement ni démographiquement. Ce serait l’abandon de toute ambition pour notre pays ; une véritable démission, un grand déclassement.
Réplique de Bernard Auberger
Patrice, il est normal que nous ne soyons pas d’accord. Je te donne acte de tes remarques.
Elles me conduisent à donner une suite à mon papier que j’avais essayé de restreindre pour
ne pas ennuyer ceux qui lisent les journaux sérieux et sont saturés d’une avalanche
d’arguments depuis la discussion parlementaire. Je resterai dans la sobriété.
Je soutiens que le regroupement des ressortissants originaires d’un même pays dans la
banlieue de la capitale, notamment en Seine-Saint Denis, est explicable par la nécessité de
les loger sommairement dans un bassin d’emploi et de résoudre avec des proches les
problèmes de langue, y compris ceux liés aux formalités administratives. L’Office français de
l’immigration et de l’intégration s’emploie à répartir les immigrés sur tout le territoire mais
ne peut lutter contre une tendance naturelle à se regrouper par affinités. D’autre part la
carence des politiques de la ville, de la mixité, du logement et de la police de proximité ne
peut sérieusement être reprochée aux migrants eux-mêmes. Même si le français est une
langue difficile, ils obtiendront une pratique de celle-ci en quelques mois comme l’ont fait
non seulement les ressortissants italiens, espagnols ou portugais mais aussi les Polonais, les
Maghrebins et les boat – people asiatiques ; bien sûr ils n’écriront pas un français
correct,mais ils sauront se faire comprendre.
Considérons maintenant les souhaits de nos législateurs. Filtrer les arrivées se heurte à
l’insuffisance de nos effectifs : La Cour des Comptes a mentionné dans un récent rapport,
cité par le Monde, qu’il n’y avait que soixante douaniers et policiers pour traiter les 117
kilomètres de la frontière franco- italienne. De plus, nous sommes adeptes de l’espace
Schengen et si l’on doit accroitre les effectifs de notre police , je crains que nos compatriotes
consultés ne préfèrent la lutte contre la drogue ou la sécurité publique locale à la lutte
contre l’immigration , d’autant que nous nous considérons comme les défenseurs des droits
de l’homme que nous aurions même inventés.
Renvoyer chez eux les intrus qui n’ont pas obtenu dans un de nos consulats l’autorisation
d’être accueillis officiellement dans notre pays me paraît, au-delà des obstacles juridiques,
présenter des difficultés pratiques : dans quel pays les expulser ? La Cour suprême du
Royaume Uni ne s’est pas laissée convaincre d’autoriser le peuplement forcé du Ruanda. Il
semble coûteux et difficile de raccompagner hors de l’UE un immigrant non autorisé : toute
expulsion exige une procédure préalable et la résistance de l’intéressé (e) entraîne
l’accompagnement par des agents de sécurité. Deux sources de dépenses et de délais. Dès
lors le moyen le plus expédient d’aboutir est l’octroi d’un pécule à l’étranger indésirable
pour qu’il rentre chez lui, s’il l’accepte et s’engage à ne pas revenir en France.
C’est pourquoi, acceptant le risque d’être considéré comme un homme de naïve bonne
volonté, je maintiens que faire une loi de plus est inutile et que notre pays a tout à perdre
dans ce combat douteux.
Bernard AUBERGER 21 Janvier 2024
d’accord avec Patrice mais j’ajoute que la très grande différence avec le passé ne réside même pas dans la différence de religion des immigrants actuels mais avec le fait que, depuis une vingtaine d’années, s’est développé au sein des responsables religieux musulmans un fondamentalisme qui n’accepte pas que la loi civile soit au dessus des préceptes du coran dans leur version rigoriste.
aucun “accommodement raisonnabl” n’est acceptable avec notre conception de la laïcité ni avec la défense des droits des femmes
On me permettra deux remarques. Tout d’abord, le nombre d’immigrés ne suffit pas pour évaluer l’incidence sociale et culturelle de l’immigration, car ces immigrés procréent. Et c’est la deuxième génération qui nous pose le plus de problèmes (les garçons davantage que les filles). Elle s’assimile mal et nourrit, trop souvent, des idées de sécession voire de révolte.
Ce qui conduit à la deuxième remarque. Nous ne sommes plus au temps où au temps où les immigrants étaient pour l’essentiel des Polonais, des Italiens, de Espagnols, des Portugais, tous de tradition catholique. Aujourd’hui, ce sont en majorité, eux et leurs enfants, des musulmans, croyants d’une religion travaillée par des extrémismes.
Le défaut d’assimilation s’explique aussi par la politique des grands ensembles. On avait cru, dans les derniers temps de la IVème République, résoudre ainsi, à bon marché, la crise du logement. Au début, les Français de souche étaient, dans ces vastes structures, majoritaires. Déroutés par le genre de vie de leurs voisins immigrés, lassé du tapage des enfants, ils ont fui, et les grands ensemble sont devenus, comme on sait, des ghettos.
Mais alors, que faire ? Le gouvernement a malgré tout raison, quand il plaide pour le maintien presque automatique en France des sans-papiers pourvu d’emplois stables. De toute façon, ces travailleurs ne repartiront pas. Ils sont utiles. Autant leur reconnaître un droit à rester, sauf si leur casier judiciaire n’est plus vierge.
En revanche, il me paraît nécessaire de restreindre le flux des nouveaux entrants. Divers pays (Canada, Australie…) pratiquent une immigration sélective. Pourquoi pas nous ? A défaut de sélection, le chômage est plus répandu chez nos immigrés que dans le reste de la population, et la collectivité en supporte les frais.
Exercée selon le niveau de formation, la sélection devrait également tenir compte des données linguistiques. Est-il raisonnable de continuer d’accueillir des flots d’Afghans, d’Erythréens, de Somalis, qui à l’arrivée ne parlent pas un mot
de notre langue, et n’ont pas la moindre notion de notre
histoire ? Leurs chances d’assimilation sont des plus faibles.
En tout cas, j’insiste sur une bonne idée restée jusqu’à présent sans suite. La nationalité française est imposée aux enfants d’immigrés nés en France. Ce n’est pas un cadeau, mais une contrainte – une invite à cracher dessus. Héritée de la Troisième République, cette règle s’explique par la situation de l’époque : nos législateurs, inquiets de voir la France en état d’infériorité démographique face à l’Allemagne, ont voulu gonfler d’enfants d’immigrés nos effectifs mobilisables.
Ce souci n’étant plus de saison, il serait beaucoup plus correct, et beaucoup plus judicieux, de prévoir que les intéressés peuvent acquérir notre nationalité par un libre choix, à leur majorité. San doute la plupart se prononceraient-ils en ce sens, mais le libre choix changerait leur regard, et influerait sur leur comportement.