Tournée meusienne

Par Nicolas Saudray
Septembre 2022

         Au sortir de la gare TGV Meuse, qui se trouve en plein champ, le car s’engage sur la Voie sacrée. C’est par cette route que les poilus étaient acheminés vers Verdun – vers l’ultime sacrifice – à bord de camions de l’époque dont l’un était conduit par Maurice Ravel. Les territoriaux, ces soldats trop âgés pour aller au front, rebouchaient inlassablement les ornières. Aujourd’hui, les panonceaux à l’entrée des villages rappellent ce titre de gloire, « Voie sacrée ». Mais ce sont des villages-rues, à la lorraine, gris, tristes. L’un d’eux se nomme Regret !

          Malheur supplémentaire, les éoliennes ont envahi la contrée, des deux côtés. Elles s’approprient ce paysage de cultures et de bois, le dépouillent de son histoire. Sacrée, vous avez dit sacrée ?

          Après Verdun, la route monte vers les Hauts-de-Meuse. Là, on ne trouve plus guère de villages, ils sont morts pour la France. L’ossuaire de Douaumont s’inscrit à l’horizon. Il ressemble à une basilique, avec sa longue nef voûtée, appelée cloître, et sa chapelle transversale. C’est d’ailleurs l’évêque de Verdun qui a pris l’initiative de sa construction, financée par une souscription internationale. Aujourd’hui encore, l’œuvre est gérée par une association, sans subventions.

          L’ossuaire abrite les restes de 130 000 hommes, Français et Allemands, ramassés dans les environs et mêlés de façon indistincte. La voûte du cloître, en plein cintre, est revêtue de quatre mille pierres, porteuses de quatre mille noms. Chacune a en effet été achetée par une famille qui savait que l’un des siens était tombé dans les parages. Quelques inscriptions au hasard : abbé Dubouard, Cazalis de Fondouce Pierre, Raoul-Duval Maurice, Tostivint Ange…Des familles allemandes avaient postulé elles aussi, et on n’avait pas donné suite. En 2014, lors du centenaire du début du conflit, on s’est décidé : six pierres ont été gravées de noms allemands, en signe de réconciliation. Et le travail se poursuit.

          Il faut surtout monter au sommet de la tour, qui évoque un  phare. Une mer d’arbres se déploie. La forêt a recouvert les plaies de la guerre. Rien ne heurte le regard : pas une éolienne, pas une cheminée d’usine. On ne pouvait rendre un plus bel hommage à tous ces hommes, français et allemands, qui avaient fait leur devoir jusqu’au bout. Douaumont est l’un des plus forts symboles de notre pays.

          Pourvu que ça dure. Les promoteurs éoliens se pressent, avides de tirer profit de tout cet espace, avec l’aide de certaines banques. Il y a tant d’argent à gagner !

          Redescente vers Verdun. Contre toute attente, c’est une jolie cité, moyennement atteinte par les combats de 1916, car elle se trouvait en arrière du front.  Une grosse forteresse, la tour Chaussée, garde l’entrée de la vieille ville. La sous-préfecture est installée dans une ancienne abbaye de prémontrés. La cathédrale romane et gothique se dresse en haut d’une colline. Ses bâtisseurs, les évêques, princes du Saint-Empire, étaient de puissants seigneurs, jusqu’à l’annexion de leur territoire par Henri II. Au XVIIIe siècle, un incendie a détruit deux des quatre tours romanes, et abattu les flèches des deux survivantes (jamais reconstituées). En contrepartie, l’édifice a été flanqué d’un remarquable palais épiscopal, tout en courbes gracieuses (devenu, non sans naïveté, le Centre Mondial de la Paix).

           Verdun est le théâtre d’un des pires épisodes de la Terreur. En septembre 1792, le duc de Brunswick s’empare de la ville sans difficulté. Pour éviter le pillage, une cohorte de jeunes filles de la ville, poussées par leurs parents, vient au-devant des envahisseurs et leur offre des dragées, spécialité locale. Après Valmy, la ville est réoccupée par l’armée française. Les pauvrettes sont alors accusées d’avoir pactisé avec l’ennemi. Elles sont arrêtées, jugées, guillotinées.

          Après un bombardement de 1916, les deux tours survivantes de la cathédrale sont refaites. Un peu grêles, mais célèbres pour leurs dix-neuf cloches.

          Bien que construite par Gustave Eiffel, la gare de Verdun est assez modeste. On ne dirait pas, devant cette installation proprette, qu’elle a vu passer,  en 14-18, des centaines de milliers de soldats, et permis l’évacuation d’un nombre correspondant de blessés.

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          Mon itinéraire s’infléchit vers le sud. Trois voyageurs seulement dans le car Transdev. Passage, en pleine campagne, devant l’hôtel du Tigre, nommé en souvenir de Clemenceau. De quoi faire peur aux clients ! Toujours des villages moroses, mais rachetés par d’aimables clochers lorrains.

          Commercy, patrie de la madeleine, est une petite ville en déclin – victime comme tant d’autres, depuis des décennies, d’une politique qui favorise Paris et les métropoles. Heureusement, il y a le château, ce Versailles lorrain, immense, qui pourrait paraître massif sans ses deux avant-bras renfermant les écuries et les chenils, dont la convergence forme un élégant fer à cheval.

          Ce palais digne d’un roi a été bâti en 1708 par un simple comte de Vaudémont, fils naturel d’un duc de Lorraine. Le roi Stanislas y a ajouté de superbes jardins, remplacés aujourd’hui, hélas, par la voie ferrée Paris-Strasbourg et le canal de la Marne-au-Rhin. Le visiteur curieux peut néanmoins se faufiler derrière le château. Il découvre alors l’autre façade, plus sobre mais impressionnante,  dominant des douves.

          L’église Saint-Pantaléon s’associe avec bonheur à cet édifice. Elle se signale par un clocher lorrain – un demi-bulbe surmonté d’une pointe.

         À présent, le palais, restauré avec soin, héberge les services de la mairie. Une grande réussite.

          Un peu plus loin, le prieuré du Breuil, qui vient d’être restauré lui aussi,  montre d’avenantes façades de l’époque des Lumières.

          Et les gens de Commercy, quand vous les croisez dans les petites rues, vous disent bonjour, de confiance, sans vous connaître.

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            Dernière étape : Bar-le-Duc, une belle inconnue. Dès l’arrivée depuis la gare, le visiteur est frappé par un certain art de vivre : il traverse l’Ornain, affluent de la Meuse, peu profond mais bordé de deux lignes d’arbres qui le rendent majestueux.

         Comme beaucoup de cités d’autrefois, Bar se compose d’une ville haute et d’une ville basse. Commençons par la première, juchée sur un replat qui surplombe la vallée. Impitoyable envers quiconque lui désobéissait, Louis XIV a fait raser les remparts. Il n’en reste plus qu’une tour visible de partout, et une promenade assez secrète. Mais la muraille subsiste d’une autre manière : une   falaise de maisons ancienne, regardant la vallée. Malheureusement, comme dans presque toute la France, les hauteurs d’en face sont garnies d’immeubles-barres.

          Dans sa hargne, le Roi-Soleil a également fait démolir le château des ducs de Bar, n’épargnant, ce qui en dit long, que le bâtiment de la Chambre des Comptes du duché : un charmant édifice du début du XVIIe siècle, transformé depuis lors en musée.

         Montons encore un peu. Nous arrivons au cœur de la vieille ville – la place Saint-Pierre et ses alentours. C’est un conservatoire de l’architecture lorraine de la Renaissance. Devant une fière église se dresse une série de façades à meneaux, restaurées ou non – toutes authentiques. Nous devons cet ensemble aux ducs de Bar des XVe et XVIe siècle, dont le fameux « roi » René d’Anjou, et à leurs familiers. Mais, le duché étant réuni à la Lorraine, les ducs ont préféré résider à Nancy, et Bar a décliné. Les commerces ont glissé vers la ville basse, aujourd’hui prépondérante. En contrepartie, la ville haute a quand même eu quelques maisons baroques, très ornées.

          Redescendons nous aussi. L’espace intermédiaire est occupé par des jardins et des prairies pentues. Plus récente que la ville haute, la ville basse ne manque pas d’intérêt. Sur la pente, nous trouvons le collège Gilles de Trèves, renaissant, grandiose, avec une devise en latin : Que cette demeure reste debout jusqu’au jour où la fourmi aura bu l’eau de la mer, et où la tortue aura fait le tour de la terre. Une école communale, aujourd’hui. Les élèves ont bien de la chance.

          Nous arrivons à l’hôtel-de-ville, ancienne résidence d’un enfant du pays, le maréchal Oudinot. À l’arrière, le style Empire s’y montre avec un goût parfait. L’actuelle salle de fêtes forme à elle seule un hôtel particulier, d’aspect Louis XV.

         En haut comme en bas, Bar-le-Duc se caractérise par sa maîtrise des couleurs des volets. Encouragés, je présume, par la municipalité, beaucoup d’habitants ont repeint les leurs : le plus souvent en bleu, parfois en vert ou en rouge foncé. Cela donne un air pimpant qui manque à la plupart des villes de France. Un exemple à imiter, à commencer par Paris.

        Je dois m’arrêter là, car il faut que je monte tout en haut, afin d’interroger  les archives départementales.

          Venez vite à Bar-le-Duc !

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