Par Jean-Paul Frouin
Les 25 et 26 septembre 2020
En 1966, le choix de Montesquieu comme parrain de notre promotion s’était fait de manière très consensuelle. L’impertinence et l’humour des Lettres persanes, la sagesse des Considérations sur les causes de la grandeur des romains et de leur décadence, le talent du juriste et du sociologue de L’esprit des lois, le bon sens et l’à-propos des Pensées, tout dans l’œuvre du grand philosophe nous avait paru plaider pour un patronage que nos parcours divers dans l’administration ou en dehors d’elle, ne nous ont jamais fait regretter. C’est si vrai que devait germer en 2019 l’idée d’un pèlerinage à La Brède et à Bordeaux, là même où naquit, vécut, médita, travailla et écrivit notre illustre parrain. C’est ce voyage de deux journées les 25 et 26 septembre 2020 qui est ici relaté et qui a permis de réunir une douzaine d’entre nous, accompagnés pour certains de leurs conjointes, effectif assez honnête alors qu’il s’agissait de faire se déplacer à partir de différents points de l’hexagone et dans un contexte sanitaire particulièrement contraignant, des retraités sortis de l’école … il y a 54 ans !
LE CHÂTEAU DE LA BREDE
Notre voyage allait commencer par une halte gastronomique et œnologique à Martillac, en plein cœur de la région de Pessac Léognan, au domaine de Smith Haut-Lafitte où nous fumes rejoints par Madame Catherine Volpilhac-Auger, professeur émérite à l’Ecole normale supérieure, présidente de la Société Montesquieu et spécialiste universellement reconnue de la vie et de l’œuvre de l’écrivain. Elle était accompagnée de M. Alain Rieu, ancien conservateur régional des monuments historiques d’Aquitaine, sans aucun doute le meilleur connaisseur du patrimoine bâti de la Brède et des travaux qui y sont menés. Ils se révélèrent bien évidemment, l’un et l’autre, des guides avertis et passionnants. Le déjeuner fut aussi l’occasion d’un débat sur les Considérations….introduit par un exposé de Patrice Cahart et suivi d’une discussion dont on retrouvera le contenu sur notre site Montesquieu.
La Brède est une imposante bâtisse d’allure médiévale, construite sur l’emplacement d’une motte féodale et qui, comme beaucoup d’autres en Guyenne et en Gascogne, a connu bien des transformations au fil des péripéties d’une région où l’histoire n’a pas été avare de rebondissements.
Mais sa célébrité est bien entendu intimement liée à la personne de Charles-Louis de Secondat qui y naquit le 18 janvier 1689 et devint baron de Montesquieu lorsqu’en 1716 son oncle lui céda par testament son nom, son titre et sa charge de président à mortier. Dans l’intervalle, le futur philosophe vécut sa prime jeunesse à La Brède dans la propriété familiale avant de partir à l’âge de 11 ans faire ses humanités chez les oratoriens au célèbre collège de Juilly près de Paris, où il se révéla très brillant sujet.
De retour à Bordeaux pour ses études de droit, il restera toujours très attaché à sa contrée d’origine et notamment à la propriété de son enfance dont il hérita à la mort de son père en 1713, avant de se marier deux ans plus tard avec une protestante, nonobstant les dispositions résultant de la révocation de l’édit de Nantes quelque 28 ans plus tôt. Mais selon une fiction bien établie, nous assura Madame Volpilhac, cela ne pouvait pas faire problème puisqu’il était convenu qu’il n’y avait plus de prétendus réformés dans le royaume.
S’il résida beaucoup à Paris entre 1716 et 1725 (Les Lettres persanes sont publiées anonymement en 1721) et s’il y fut très lancé dans tous les salons à la mode, il revint à Bordeaux en 1725 pour se défaire de sa charge de président à 36 ans. Il va alors beaucoup voyager à travers l’Europe, en Autriche, en Hongrie, en Italie, en Allemagne, en Hollande, en Angleterre, tous pays où il rencontrera un grand nombre d’intellectuels et de responsables politiques, autant d’expériences qui nourriront sa grande œuvre à venir, mais aussi autant de contacts qui démontrent abondamment son goût prononcé pour les affaires étrangères et incontestablement ses regrets de n’être pas entré dans la Carrière.
Jusqu’à sa mort à Paris, le 10 février 1755, Montesquieu fera de très fréquents, très longs et très actifs séjours dans son château, notamment pour y retrouver l’important fonds documentaire qui s’y trouvait réuni et pour y travailler. C’est bien évidemment ce sur quoi notre curiosité était le plus éveillée.
Et qu’avons-nous retenu de cette visite ?
1.- Montesquieu, un seigneur en son domaine et un véritable entrepreneur.
Aussi longs et fréquents qu’aient été ses séjours, et aussi archaïque qu’ait été son logis, le philosophe a peu modifié l’architecture de cette austère bâtisse. L’ensemble assez composite donnait (et donne encore) l’image d’une maison forte, entourée de douves, précédée d’un pont-levis devenu pont dormant, aux murailles épaisses dont l’élévation n’enlève rien à son caractère massif, plus puissant et plus grandiose et austère que beau et aimable. En bref, plus près du sévère Combourg de Chateaubriand que de la confortable maison de Voltaire à Ferney. Ajoutons que la propriété de Montesquieu se trouvait dans une zone de marais (une brède), entourée de forêts heureusement agrémentée de vastes vignobles, et nous aurons compris que s’il aimait profondément sa terre, ce n’était pas un lieu de villégiature comme nous l’entendons aujourd’hui.
Mais avant tout, avons-nous appris, Montesquieu s’attacha à y faire prévaloir constamment ses droits, comme à accomplir ses devoirs seigneuriaux. Ses démêlés avec le puissant intendant Claude Boucher ne pouvaient laisser indifférents notre groupe d’anciens fonctionnaires. C’est ainsi qu’il imposa à l’administration royale sa décision d’exercer lui-même la maîtrise d’ouvrage des travaux de voirie dans le ressort de ses domaines, même si au final, les intervenants sur le terrain étaient les mêmes paysans au nom de la « corvée royale ». Mais il était maître chez lui.
De même, et cela est beaucoup plus intéressant, il se trouva en conflit ouvert avec l’intendant à qui il réclamait la possibilité d’augmenter ses surfaces complantées en vigne, au motif que le sol s’y prêtait mieux que la culture des céréales préconisée par l’administration afin d’assurer l’autonomie nourricière de la région. Dans une approche voisine de celle de Turgot quelques années plus tard, Montesquieu défendait l’idée qu’il valait mieux valoriser les meilleures aptitudes locales et faire ensuite librement circuler les produits. Ce point de vue était assez original pour être souligné. Il montre aussi l’intérêt constant que le philosophe portait à l’économie comme on le verra lorsqu’il affirmera, avec le déclin d’une Espagne thésaurisatrice à l’appui de sa démonstration, que la vraie richesse se trouve dans la production et les échanges.
Toujours dans le même esprit, Montesquieu fit édifier des bâtiments agricoles résolument modernes et « hygiénistes » dont l’architecture affirme clairement l’objectif poursuivi et qui ont été préservés jusqu’à nous, au point de faire l’objet de prochains travaux de restauration et de mise en valeur par la Fondation propriétaire du domaine. Si la culture du ver à soie ne semble pas avoir été couronnée de succès, en revanche l’implication de Montesquieu dans les activités viti-vinicoles illustre bien ses racines bordelaises (comme c’était d’ailleurs le cas pour nombre de parlementaires aquitains). Son enfance heureuse avait été fortement marquée par un père qui lui avait appris tous les secrets de la viticulture. Il manifestera toujours un sens concret de l’économie, de l’entreprise et du commerce. Il est piquant de relever, comme l’ont fait nos savants interlocuteurs, que tout en se livrant aux profondes spéculations que nous connaissons, Charles de Secondat suivait avec un soin extrême l’activité de ses terres viticoles, à savoir les 12 hectares de vignes de La Brède, et celles, plus importantes, venues de sa femme à Rochemorin, près de Martillac. Il prêtait également la plus grande attention à la vente de ses barriques, notamment à Londres, sans hésiter à user de ses importantes relations oute-Manche et en Hollande pour en favoriser l’écoulement.
Nos hôtes nous ont également appris que si à Paris les salons de la marquise de Tencin ou de Madame du Deffand lui permettaient aux côtés de Jean d’Alembert de briller et de mener avec l’accent gascon qu’il n’avait jamais perdu, une conversation à l’intelligence, au charme et à l’humour inégalés, dès son retour à La Brède il avait avec son homme d’affaires, le bordelais Latapie qui fut son ami intime, des échanges où la bonne humeur le disputait à la technicité des sujets abordés.
2.- La Brède, un lieu de méditation et de travail.
Dès notre visite dans le parc du château, outre la beauté du site champêtre et forestier, nous avons admiré les aménagements réalisés par Montesquieu notamment à son retour d’Angleterre. Dans un domaine qui, du moins dans sa dimension d’agrément, n’était pas très grand, le philosophe fit aménager des perspectives « à l’anglaise », des parterres et des bosquets. Mais surtout il fit compartimenter le terrain en charmilles qui permettaient d’effectuer sur une faible superficie des promenades faisant oublier l’austère bâtisse. Bien qu’il n’ y ait rien de rousseauiste dans son comportement, il nous a été indiqué que le propriétaire avait aménagé ces lieux à dessein pour favoriser la méditation du promeneur solitaire. Ils ont été magnifiquement restaurés par la Fondation selon des plans retrouvés de la main de Montesquieu.
Cette impression de gravité et de travail est encore plus prégnante à l’intérieur du château. Sans le moindre fétichisme, nous avons néanmoins parcouru avec émotion de sobres salons et surtout la sévère chambre du philosophe récemment restaurée avec grand soin et une discrétion respectueuse, et nous avons noté que tout dans la vie de La Brède était conçu autour de l’organisation du travail de l’écrivain, travail de lecture, d’écriture, de dictée à sa fille Denise et à ses nombreux secrétaires.
En réalité, nous avons comme senti la présence de trois personnages distincts et complémentaires: le puissant parlementaire et académicien se rendant à Bordeaux, le seigneur entiché de productivité agricole dans son domaine de La Brède et le penseur reclus dans sa chambre et dans sa bibliothèque, comme Montaigne dans sa tour, et attaché à une tâche immense de réflexion et d’écriture.
Cette dernière impression est encore présente dans la grande bibliothèque, bien qu’elle soit vidée de son contenu. Cette belle et vaste salle ornée de fresques médiévales et chevaleresques, était jusque dans les années 1990 tapissée d’armoires contenant une bibliothèque extrêmement variée. Nos hôtes nous ont ainsi montré, documents à l’appui, que Montesquieu, loin de s’enfermer dans les thèmes où la postérité l’a cantonné, était un esprit d’une grande curiosité, digne de l’équipe pluridisciplinaire de la grande encyclopédie à laquelle il apporta d’ailleurs son concours. En fait, tout l’intéressait, de la géométrie à la botanique, des phénomènes physiques et climatiques à la biologie et la médecine. En font d’ailleurs foi les très nombreuses communications qu’il présenta à l’Académie bordelaise.
Il est tout aussi vrai que ce château a perdu un peu de son âme avec le départ de sa bibliothèque. Mais les décisions prises par ses propriétaires successifs nous ont été expliquées. Elles se sont révélées courageuses, bienvenues pour l’inventaire et la conservation des ouvrages, et fructueuses pour la recherche historique et littéraire.
En effet, le château était resté sans discontinuer dans la famille qui y fit faire d’importants travaux de modernisation intérieure par le grand architecte Abadie au XIX ème siècle, jusqu’à sa dévolution à Madame Jacqueline de Chabannes. Celle-ci n’ayant pas de descendance, pas plus que son frère, décida de créer dans les années 1995, une Fondation reconnue d’utilité publique qui serait désormais le dépositaire de ces lieux de mémoire. S’agissant du fonds documentaire, dès 1889, année du bicentenaire de la naissance de Montesquieu, son arrière petit-fils, prénommé Charles également, s’était, dans un geste courageux et riche de promesse, séparé de plusieurs centaines de documents totalement inédits et auxquels les chercheurs et admirateurs du philosophe n’avaient nullement accès. Ce fut une première révolution dans l’approche du travail de l’écrivain. Un siècle plus tard, parallèlement à la création de sa Fondation, Madame de Chabannes fit don à l’Etat de l’immense fonds d’ouvrages que contenait le château, avec l’obligation de les voir abriter dans les meilleures conditions de sécurité et de conservation à la Bibliothèque de Bordeaux.
C’était ainsi que se dessinait la deuxième étape de notre pèlerinage.
LE FONDS MONTESQUIEU A BORDEAUX
La matinée du 26 septembre était consacrée à la Bibliothèque de Bordeaux où nous accueillit avec érudition et courtoisie son Directeur général, M. Nicolas Galaud. Notre camarade Alain Juppé, ancien Premier ministre et maire de Bordeaux, s’était joint à nous pour passer cette matinée studieuse et passionnante, pour partager notre déjeuner dans les beaux locaux de la Place de la Bourse construits par Gabriel et pour participer au débat introduit par Patrice Cahart sur le thème de l’équilibre des pouvoirs. L’exposé de Patrice fut suivi d’une longue intervention d’Alain Juppé, auteur d’un très intéressant Montesquieu le moderne. Ces deux interventions sont reproduites par ailleurs sur notre site Montesquieu.
La grande bibliothèque de Bordeaux inaugurée en 1991 dans le cadre de la rénovation du quartier de Mériadeck constitue un exemple remarquable d’architecture contemporaine en verre et aurait mérité une visite extérieure détaillée …si le mauvais temps ne s’y était pas montré peu favorable. Si elle ne conserve pas le manuscrit de l’Esprit des Lois qui se trouve à la BN à Paris, en revanche la bibliothèque de Bordeaux dispose d’un fonds considérable d’ouvrages et de manuscrits, provenant essentiellement des initiatives prises par les descendants en 1889 et en 1995, évoquées à l’occasion de la visite de La Brède. Nous avons ainsi bénéficié pendant près de trois heures de la présentation d’une sélection très judicieusement choisie et commentée par deux jeunes chartistes, chargés du fonds ancien, Madame Clotilde Angleys et M. Matthieu Gerbault, notamment autour des deux thèmes que nous avions suggéré, à savoir les Considérations sur les Romains…et la méthode de travail de l’écrivain.
Qu’en avons-nous retenu? Un auteur extraordinairement prolifique, une métode de travail très élaborée, un monde de l’édition très particulier à la veille de la Révolution.
1.- Un auteur prolifique et à l’appétit intellectuel sans limite.
La bibliothèque de Montesquieu a toujours été considérée comme un joyau de bibliophilie, ne serait-ce que parce qu’elle est une des seules bibliothèques d’écrivain du XVIIIème siècle qui nous soit parvenue, contenant à la fois ce qu’il écrivait et ce qu’il lisait. En effet, notre auteur a beaucoup acheté de livres pour la rédaction de ses oeuvres et pour la préparation de ses nombreux voyages à l’étranger. De plus, comme nous l’avons déjà noté à La Brède, son immense curiosité et sa propension à beaucoup communiquer à l’Académie de Bordeaux, l’a conduit à travailler sur de nombreux thèmes de sciences naturelles, de médecine, de physique, de biologie, de géophysique…
Si l’on connait évidemment les grands titres qui ont fait la gloire du philosophe (Les lettres persanes, L’esprit des lois, Les considérations sur les Romains) on est parfois moins conscient du caractère foisonnant de sa production, ne serait-ce que les 250 pages de Mes pensées dont le bon sens, l’humour et la sagesse rendent la lecture délicieuse ou ses innombrables communications à l’Académie de Bordeaux. D’autres ouvrages sont encore moins connus, comme les Réflexions sur la monarchie universelle en Europe dont nous avons pu feuilleter avec émotion un exemplaire de l’édition princeps conservée par l’auteur, mais qui ne fut jamais diffusée de son vivant, tant l’inquiétaient les réactions que pourrait susciter un ouvrage qui ne fut publié que cent ans après sa mort. Tout au long de cette matinée, nous eumes donc le loisir de toucher physiquement, de compulser ce qui constitue le coeur même de l’oeuvre magistrale.
Son immensité est telle qu’il suffit d’indiquer que la nouvelle édition complète, dirigée par notre hôte de La Brède, Madame Catherine Volpilhac-Auger, compte …pas moins de 22 volumes. Nos camarades pourront également se reporter au Dictionnaire Montesquieu dirigé par cette même professeur à l’Ecole normale supérieure et qui permet une approche de l’oeuvre et des idées de notre illustre parrain.
2.- Une méthode de travail très élaborée.
Nous avions été frappés à La Brède par l’atmosphère austère et laborieuse des lieux et par l’organisation des locaux qui entre la chambre de l’auteur, celle de sa fille Denise, fidèle collaboratrice, les pièces de travail de ses secrétaires, et l’immense bibliothèque, était à l’évidence consacrée à la réflexion, à la dictée et à l’écriture.
Le Fonds de la bibliothèque de Bordeaux conforte le visiteur dans cette impression d’un travail parfaitement ordonné, et l’on en a mille preuves: le catalogue de la bibliothèque révèle l’énorme stock documentaire dont disposait l’écrivain à portée de la main et l’on a trace de ce que la tâche était répartie avec un jeu de lettres majuscules entre les différents collaborateurs. Notre émotion ne fut pas mince d’avoir également sous les yeux ces volumes reliès dans lesquels Montesquieu regroupait des textes qui l’intéressaient, y compris des coupures de presse, et qui pourraient servir à de futurs travaux, comme le ferait aujourd’hui un étudiant un peu organisé (…mais qui a la chance de disposer d’un ordinateur et de méthodes de classement!) ou un journaliste de quelque talent.
Dans sa remarquable préface à l’édition des Oeuvres de Montesquieu dont nous fîmes réaliser un tirage à part aux éditions du Seuil, lors du choix de notre nom de promotion, le doyen Georges Vedel s’interrogeait avec malice sur la propension de l’auteur à amasser des matériaux et à les réunir parfois de façon mal ordonnée au risque de ne pas construire « un édifice » et d’encourir une note moyenne devant un jury de thèse en faculté de droit où ses professeurs lui reprocheraient une « érudition compilatoire » de « boeuf de labour ». Mais le célèbre doyen se reprend aussitôt pour écrire que « ces défauts de composition, cette prestidigitation intellectuelle, se trouvent abolies, que dis-je? transfigurées, transcendées par le génie. Par le génie de l’écriture, et par le génie de la découverte ».
3.- Montesquieu et l’édition de ses œuvres.
L’approche des œuvres de Montesquieu conservées à Bordeaux nous a fait toucher du doigt les problèmes rencontrés à son époque par les auteurs, du fait notamment de la censure. Les Lettres persanes furent publiées anonymement en 1721 à Amsterdam, même si le nom de l’auteur semble avoir été un secret de Polichinelle. Les Considérations…parurent anonymement à Amsterdam chez Jean Desbordes, en 1734. Nous avons eu entre les mains la première édition de L’esprit des lois paru à Genève chez Barillot à la fin de 1748. Au contraire, à la même époque, Montesquieu achetait à Londres des ouvrages édités localement sans recours à des imprimeries-refuges, comme en fait foi l’exemplaire des œuvres de Swift édité à Londres que nos chartistes nous ont malicieusement présenté.
Outre la frustration intellectuelle que pouvait constituer cette situation, nos bibliothécaires bordelais nous ont montré que les problèmes étaient de ce fait vite compliqués. Une première édition devait tourner autour d’un millier d’exemplaires, mais la correction des nouvelles éditions n’était pas chose facile. Par ailleurs, si l’auteur n’était pas intéressé au tirage, puisqu’il se défaisait en quelque sorte de son œuvre en en vendant le manuscrit, les contre-façons étaient fréquentes lorsque l’ouvrage avait quelque succès. Nos chartistes ont ainsi exhumé pour nous quelques tirages frauduleux, diffusés au détriment des éditeurs …et des écrivains puisque la législation sur les droits d’auteur n’était pas encore en vigueur.
Cette matinée de découverte bibliographique était une heureuse introduction au déjeuner partagé avec nos hôtes et avec Alain Juppé. Il en est rendu compte par ailleurs.
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Notre visite à La Brède et à Bordeaux a été studieuse et passionnante, grâce à l’hospitalité de la Fondation Jacqueline de Chabannes, grâce à l’érudition de Madame Volpilhac et de M. Rieu, grâce enfin au savoir de M. Galaud et de ses jeunes collaborateurs.
Mais surtout, nos deux déjeuners tout comme les visites organisées au cours de ces journées ont montré que dans l’esprit lumineux et modéré de Montesquieu, les liens sont restés forts entre des camarades de promotion sans considération de temps ou de carrière. Sans doute notre parrain nous avait-il heureusement inspirés.