Par Michel Cotten – novembre 2017
Cet article de Michel Cotten est en quelque sorte le testament d’un homme qui avait consacré l’essentiel de son existence professionnelle aux collectivités territoriales. Nous lui avons laissé sa force et son amertume. En effet, notre référence à Montesquieu n’exprime pas une adhésion à une doctrine philosophique précise, mais seulement une exigence de clarté, de rationalité et de bon sens. Elle nous permet de publier des opinions variées, pourvu qu’elles soient exprimées avec décence, et ne tournent pas au forum politique.
Au centième congrès des maires [1], le président de la République n’a pas prononcé une fois le mot « décentralisation ». [2]
Le budget de 2018 prévoit la quasi-suppression de la taxe d’habitation sur trois ans pour 80% des ménages. S’agissant des compensations, il faut se contenter d’affirmations générales et de promesses mirifiques. La remise à plat de la fiscalité locale, destinée selon l’orateur à mieux garantir l’autonomie fiscale des collectivités locales, se traduira dans le budget… 2020, c’est à dire juste avant les élections municipales de mars 2020. Ce changement sera présenté suivant l’exposé des motifs à un machin dénommé Conseil des territoires, alors qu’en vertu de la loi créant la dotation globale de fonctionnement (DGF, mars 1979), les travaux doivent se dérouler devant le Comité des finances locales, composé d’élus désignés par leurs pairs et de fonctionnaires de l’État. Le petit homme qui courait derrière le président Macron, M. Laignel, est l’actuel président de ce comité désavoué.
C’est vrai que la taxe d’habitation est devenue particulièrement injuste. Mais pour la rendre de nouveau présentable, il aurait suffi d’appliquer les textes en vigueur, c’est à dire de procéder à l’actualisation quinquennale des valeurs locatives, que l’on a omis d’effectuer depuis… quarante ans, en étalant sur une durée raisonnable les conséquences de cette actualisation. Quand la taxe foncière sur les entreprises a été créée suite à la suppression de la taxe professionnelle en 2010, les futurs redevables ont demandé et obtenu que les bases de calcul soient préalablement actualisées.
La compensation des ressources ainsi supprimées ne fera par définition que perpétuer les injustices existantes, si elle s’effectue euro pour euro. Ce serait le contraire d’une réforme. Mais l’objectif n’est-il pas en réalité, pour le gouvernement, de remplacer un impôt local par une dotation facile à manipuler au moyen des lois de finances ?
Cela étant, la messe n’est pas dite. Le Conseil constitutionnel, qui sera immanquablement saisi de la loi de finances, pourrait juger, avec un peu de courage, que la suppression de la taxe d’habitation n’est conforme ni au principe de l’égalité devant l’impôt ni à l’article 72 alinéa 4 de la Constitution qui garantit l’autonomie fiscale des collectivités locales.
Dans le même temps, le président Macron a réaffirmé son projet de réduire de 13 milliards d’euros les dépenses locales d’ici la fin de son quinquennat, en s’étonnant, paradoxalement, que les investissements locaux aient déjà baissé de 25% du fait des premières réductions massives de DGF opérées sous le quinquennat précédent.
Le discours a un peu changé, mais pas l’objectif. L’annonce que les dotations de l’État aux collectivités locales ne baisseront plus est une façon habile de dire qu’elles n’augmenteront pas. Il est loin, le temps ou la DGF était indexée sur le produit net de la TVA, à législation constante…
De surcroît, les collectivités les plus importantes seront invitées à signer des contrats limitant à 1,2% par an la progression de leurs dépenses de fonctionnement, dans le cadre, sans doute, d’une conception moderne de la liberté de gestion que leur garantit la Constitution.
On s’occupera aussi de rénover le statut de la fonction publique territoriale, dans un sens facile à imaginer. C’est vrai que les effectifs du bloc communal (communes et surtout groupements) ont explosé depuis le début de l’intercommunalité. Il n’aurait pas été indécent que la loi impose une stabilité des effectifs cumulés (communes plus groupements), pendant quelques années au moins. Mais la méthode bureaucratique envisagée est très déresponsabilisante.
En matière de gestion, l’État devrait prendre exemple sur les collectivités locales au lieu de les dénigrer. Elles votent et réalisent leurs budgets en équilibre réel, et sont contraintes à un redressement rapide en cas de dérapage. Comme les entreprises, elles financent l’essentiel de leurs dépenses d’équipement par l’autofinancement. À la différence de l’État, leurs emprunts ne servent qu’à compléter le financement de leur effort d’équipement, et non à payer leurs fonctionnaires. L’endettement local reste assez modeste, contrairement à ce que colportent des journalistes aux ordres : environ 8% du total de la dette publique.
2020, année des élections municipales, aurait pu marquer le point d’orgue de la politique de regroupement des communes engagée par Jean-Pierre Chevènement. Fin 2016, la quasi- totalité des 36.000 communes étaient engagées dans des intercommunalités fortes, au nombre de 1200 environ ; un millier d’entre elles avaient décidé d’aller plus loin encore et de fusionner pour de bon. Avec retard, et de façon parfois chaotique, la France avait fini par faire la réforme réalisée par la plupart des pays d’Europe dans les années 50. Les intercommunalités sont dotées de ressources importantes et exercent désormais de larges compétences. Il ne leur manque plus que l’onction de la légitimité démocratique, c’est à dire l’élection directe de leurs conseils au suffrage universel. La métropole de Lyon est aujourd’hui le seul groupement à avoir, en vertu de la loi « Notre », le statut de collectivité territoriale. Peut-être les quatre à huit métropoles que le président souhaite renforcer pourraient-elles bénéficier aussi de ce statut. Rappelons que la métropole de Lyon exerce dans son périmètre les compétences du département du Rhône. Quant à la soi-disant métropole du Grand Paris, on sent bien que les volontés de réforme du président achoppent sur la perspective d’une autorité métropolitaine dotée de vastes compétences et démocratiquement élue.
D’une manière plus générale, le concept de pouvoir local semble rester un dangereux oxymore. Les communes continueront de coexister à côté des communautés et des départements. Les médias pourront ainsi de se gausser encore longtemps du mille-feuilles territorial.
Aucune mesure de décentralisation de compétences n’apparaît dans le programme présidentiel. L’État continuera donc dc s’occuper avec l’efficacité que l’on sait de la politique de logement. La France dépense deux fois plus que ses voisins (quarante milliards) pour mener une politique du logement qui fait la part belle aux accédants à la propriété et contribue, par l’aide personnalisée au logement (APL) versée dans plus de 70% des cas directement aux bailleurs, à faire grossir les réserves financières des organismes HLM, mais contraint les plus pauvres de nos concitoyens à se loger dans des taudis privés. Plutôt que de stigmatiser les communes qui ne parviennent pas à accueillir des logements sociaux, le moment semblait venu de confier de vraies responsabilités aux groupements de communes travaillant à l’échelle de des agglomérations.
Parmi les oxymores figure en tête de liste la politique de la ville. Depuis des lustres, les administrations de l’État découpent à l’intérieur des villes des quartiers prioritaires, sensibles, difficiles, où ces incapables de maires n’ont pas réussi à éradiquer la pauvreté, à faire cohabiter des populations d’origines variées et à trouver du travail à des gens qui n’en cherchent pas toujours. Au vu des centaines de milliards dépensés et de résultats aussi médiocres, un enfant de trois ans penserait qu’il faut changer de méthode – cette méthode que le monde entier nous envie au point de ne pas l’imiter. Hé non, on va continuer à faire des études théoriques, à découper des zones d’intervention, à multiplier les chargés de mission…. Pourquoi ne pas confier la responsabilité effective de la politique de la ville aux villes, à titre expérimental si on veut, et dans le cadre de vrais contrats ?
Trente ans après la décentralisation de l’urbanisme au profit des communes, la technocratie d’État est quasiment parvenue à récupérer ses pouvoirs, par la multiplication des règles que les plans locaux d’urbanisme (PLU) doivent impérativement respecter.
Lorsqu’on a songé à recréer une police de proximité sous un autre nom, a-t-on imaginé un instant de confier cette tâche, qui appartient aux autorités locales dans tous les États démocratiques du monde, aux maires de France ? L’idée n’a même pas effleuré l’esprit des nouveaux dirigeants.
La décentralisation est donc en marche arrière. Pourtant, ce n’est ni une mode ni un ensemble de concessions aux notables locaux, mais une formule efficace pour que les problèmes soient traités à l’échelon adéquat. Ce qui n’empêche pas les autorités centrales de définir le cadre général et de faire respecter la loi. La décentralisation oblige les administrations centrales à faire preuve de modestie. Est-ce trop leur demander ?
[1] Novembre 2017
[2] Article premier de la Constitution : La France est une République indivisible… Son organisation est décentralisée.