Politique de l’urbanisme et juge administratif

Par Daniel Labetoulle
Décembre 2022

 

Daniel Labetoulle, président honoraire de la section du conseil d’État, nous a confié ces pages, qui constituent sa contribution à un colloque du 29 novembre 2022. Il a la modestie de se qualifier de grand témoin de l’évolution du droit de l’urbanisme, alors qu’il en a été, avec clairvoyance et persévérance, l’un des auteurs. Mais il n’hésite pas à signaler les problèmes qu’on n’a pu résoudre, et notamment celui des profits privés souvent engendrés par les expropriations.

             

D’un « témoin » – grand ou petit – on attend qu’il dise la vérité, toute la vérité, ou du moins toute sa vérité ; d’un vieux témoin que, sans trop raconter ses campagnes, il contemple le présent avec le passé en arrière-fond. Je me propose ainsi, sans brider ma subjectivité, de livrer quelques remarques suggérées par le regard que je porte sur l’évolution du droit de l’urbanisme au cours  des cinq ou six dernières décennies.

Je distinguerai deux plans : celui, le plus connu, du permis de construire ; celui des politiques foncière et d’aménagement. Ce qui me conduira à une appréciation contrastée :

– s’agissant des permis, l’évolution du  droit et de la pratique du contentieux a eu le grand mérite d’assurer solidement  le respect du principe de légalité,

– sur le bilan des politiques foncière et d’aménagement, je reste sur ma faim.

Et ce rapprochement m’incitera à me demander si la lumière projetée sur le droit du contentieux – qui n’est tout de même que du droit du contentieux et ne touche pas directement au fond  – n’a pas été comme un trompe-l’œil dissimulant une insuffisante réflexion sur les aspects  plus politiques (au sens noble du terme) du droit de l’urbanisme.

I Le permis

-1- Vers la fin des années soixante, la situation du droit du permis de construire et de son contentieux  était critique.

 Du fait de la législation, confrontée aux exigences de l’urgence du développement des villes et qu’une forme compréhensible de réalisme  avait conduite à consentir des accommodements à la vision pure du principe de légalité : il était par exemple légalement possible de déroger à la règle, et on ne s’en privait pas ;  ou d’appliquer par anticipation une règle encore à venir.

Du fait aussi de pratiques déviantes de certaines administrations. Alors que, seul à l’époque  l’affichage en mairie faisait  courir le délai de recours, les permis n’y apparaissaient parfois que sur des panneaux autres que ceux le plus couramment consultés. De façon plus raffinée, il arrivait qu’on prononce le retrait d’un permis attaqué au contentieux et que l’instant d’après on délivre un nouveau permis identique, que le requérant, qui en ignorait l’existence, ne songeait pas à attaquer ou ne le faisait que trop tard, ce qui conduisait alors à un non-lieu sur la première requête et à une irrecevabilité sur la seconde.

J’ai un souvenir très précis  du volontarisme avec lequel cette manœuvre fut déjouée :  en ouvrant le délibéré le président Raymond Odent, président de la section du contentieux, dit en substance : «  Votre solution du non-lieu et de l’irrecevabilité est d’une orthodoxie irréprochable, mais  c’est inacceptable ; il faut trouver autre chose ; je ne sais pas quoi ; cherchez et revenez quand vous aurez trouvé ». Après quoi il fut jugé de façon imaginative que seule la notification par l’administration du second permis faisait courir le délai à l’encontre du requérant initial

Je me souviens également du vice-président Chenot disant à l’issue d’un délibéré : Nous avons annulé ce permis ; c’est bien, mais il faudra en annuler d’autres.

A cette époque, il s’agissait avant tout  de protéger la situation du requérant. Puis, progressivement, le juge a intériorisé  que le contentieux du permis  met  en présence non seulement le requérant et l’administration, mais aussi le bénéficiaire du permis et qu’entre ces trois acteurs s’établit un jeu  subtil et parfois pervers, dont la perception impose tout à la fois de déjouer les obstacles à l’introduction des recours, d’assurer la sécurité juridique du titulaire du permis, qui est un acte créateur de droits, et de lutter contre les recours abusifs.

Mais ce volontarisme du juge n’aurait pas suffi  si on était resté «  à droit constant ». Il fallait innover. À la suite du rapport du Conseil d’Etat (CE)            « L’urbanisme  pour un droit plus efficace » de 1992, la loi du 9 février 1994 a introduit  deux innovations majeures, deux  « ébranlements » : une  limitation de l’exception d’illégalité vis-à-vis des documents d’urbanisme ; l’obligation faite à l’auteur d’un recours de notifier celui-ci au titulaire .

Ces deux règles sont aujourd’hui entrées dans les habitudes mais à l’époque elles ont, dans cette maison et notamment au sein de la section du contentieux, suscité de très vives critiques, au motif, d’ailleurs exact, qu’ elles allaient à l’encontre de principes bien établis du recours pour excès de pouvoir : et ce n’est peut-être pas  par hasard que le rapport qui les proposait ne fut soumis à l’approbation que de la réunion de la section des Travaux publics et de la section du Rapport et des études. Retenons en tout cas que la théorie classique du recours pour excès de pouvoir a payé un lourd tribut à la cause de l’urbanisme.

Le gouvernement et le parlement eurent moins d’états d’âme, du moins pour ce qui touchait au contentieux. En revanche, alors que le rapport du CE  proposait aussi bien d’autres dispositions, qui procédaient  de la même logique de « remède de cheval » mais qui visaient les acteurs et le fond du droit (encadrer les  POS , limiter la possibilité de les réviser  à tout moment,  création sur l’ensemble du territoire de directives d’aménagement à la main de l’Etat, fin de l’applicabilité directe de la loi littoral et de la loi montagne, rationalisation du droit de préemption)  – le gouvernement et le législateur se sont bien gardés de les mettre en débat et ne sont pas allés au-delà du droit du contentieux.

Sans doute touche-t-on là à une donnée permanente : la tentation est grande pour les pouvoirs publics de faire comme si pour résoudre les problèmes de l’urbanisme et notamment du permis, il suffisait de modifier  le droit du contentieux, évitant ainsi d’aborder les sujets politiquement plus sensibles des pouvoirs respectifs de l’État et des collectivités locales ou celui de l’équilibre à trouver entre l’action d’urbanisme et le droit de propriété ; comme si aussi la fragilité de bien des permis ne tenait pas d’abord à l’imprécision de la règle de fond applicable : qu’il s’agisse de bien des dispositions de la loi littoral ou de bien des articles de PLU relatifs à « l’aspect des constructions ».

Pour le droit du contentieux administratif, certains ont  regretté la constitution progressive d’un particularisme des règles applicables en matière d’urbanisme ; mais on peut aussi  penser que les réformes du droit du contentieux de l’urbanisme ont contribué à une maturation des esprits pour faire évoluer le droit du contentieux en général. Ma conviction et mon espérance vont  en ce sens et, du fond de ma retraite il me semble que c’est  par exemple ce qui se passe ou s’annonce pour la  possibilité, introduite par l’ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, qu’a désormais le juge  d’engager une procédure de régularisation.

Quoi qu’il en soit, grâce à la convergence  du gouvernement, du législateur et du juge, le bilan du contentieux du permis – à l’actif duquel il faut bien entendu porter la réduction des délais de jugement et le développement du référé – parait   raisonnablement satisfaisant.

II Les politiques foncière et d’aménagement.

Ici je vous dois un aveu préalable : J’ai la nostalgie de  la façon dont, à peu près au moment où j’entrais dans cette maison, Pierre Racine aménageait le littoral du Languedoc-Roussillon et Paul Delouvrier la région parisienne. Si la fin des 30 glorieuses a sonné le glas d’aussi vastes projets, les principes et la méthode mis en œuvre par ces deux hommes d’exception auraient pu avantageusement être transposés à une échelle plus modeste : d’une part avoir un dessein d’aménagement pour, par exemple, définir clairement, fermement, à une échelle suffisante, une alternance des espaces urbanisés et des espaces naturels, d’autre part,  prévenir la spéculation et introduire un souci d’égalité de traitement  dans la recherche d’une conciliation entre les exigences de l’intérêt général et le droit de propriété.

Pour ce qui est de l’aménagement pris au sens de planification et de répartition de l’espace, on pourrait, sur le mode « qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse »  tenir pour anecdotique qu’il n’y ait plus de ministre de l’aménagement du territoire ;  encore faudrait- il – qu’on me pardonne cette mauvaise métaphore- être sûr qu’il y a encore du liquide dans le flacon. Qu’en est-il ? Les timides directives territoriales d’aménagement dont  la loi de 1995 avait prévu qu’à l’initiative de l’Etat elles pourraient être créées sur « certaines parties du territoire » n’ont guère eu de portée et la loi du 12 juillet de 2010 a acté leur abandon, tout en prévoyant la création d’un nouvel instrument les « directives d’aménagement et de développement durable »  qui, sauf erreur n’a pas été mis en œuvre depuis… En l’absence d’un cadre suffisamment large, la juxtaposition des SCOT et des PLU – ceux-ci apparaissant trop comme le réceptacle de diverses politiques pour que la fonction initiale de répartition de l’espace ne soit pas diluée –  parvient mal à exprimer une vision d’ensemble.

Et si on apprécie – c’est mon cas – la façon dont pour les besoins des prochains JO une action vigoureuse et cohérente est mise en œuvre autour de la Seine- Saint-Denis, on aimerait que l’expérience née de l’occasion d’un évènement  exceptionnel soit mise durablement au service d’une authentique politique d’aménagement.

Si j’en reviens à Pierre Racine et Paul Delouvrier, leur main n’avait pas tremblé lorsque, pour prévenir la spéculation, ils avaient institué un droit de préemption sur des milliers d’hectares (plus de trente mille en Languedoc Roussillon) classés en zone d’aménagement différé.

Il n’y a pas en effet de droit de l’urbanisme sans atteintes au droit de propriété ; et  c’est bien l’intérêt général qui, toujours, doit primer. Encore faut-il que ces atteintes ne soient pas colorées d’arbitraire et – c’est probablement plus difficile – qu’elles respectent une dose minimale d’égalité ou d’équité entre les personnes. C’est que bien souvent la décision d’urbanisme est, par nature, porteuse d’inégalité : tracer la ligne entre une zone constructible et une zone qui ne l’est pas enrichit les uns et désole les autres.

Sans doute est-ce un cas extrême, mais il est significatif : lorsque le souci – légitime – de protection de l’environnement a  conduit à limiter fortement la constructibilité à l’île de Ré, la valeur vénale des terrains constructibles s’est envolée, d’une façon qui a créé un effet d’éviction d’habitants traditionnels : ceux dont le terrain était devenu inconstructible, mais ceux aussi que  la valorisation de leur patrimoine place dans des situations difficiles pour le paiement de l’impôt sur la fortune ou le règlement des successions.

La plus-value est inhérente à la rareté, et elle porte en elle la spéculation. Mais a-t-on suffisamment réfléchi à la question de son attribution et de sa répartition ? Voici près d’un demi- siècle, le professeur Gilli, alors président de Paris Dauphine et qui n’a rien d’un collectiviste, avait publié un livre  – « redéfinir le droit de propriété » – édité par le très officiel « Centre de recherches et de rencontres  de l’urbanisme », dans lequel il proposait de capter certaines plus- values pour alimenter un fonds destiné à indemniser les propriétaires de terrains voisins devenus inconstructibles. La création du plafond légal de densité avait paru reprendre à son compte le raisonnement mais en l’émasculant en l’amputant de l’aspect redistributif.

Je ne méconnais pas la difficulté de la mise en œuvre d’une telle idée. Il est tout de même dommage qu’on n’ait pas cherché plus avant et que d’une certaine façon le droit de propriété soit le paravent à l’abri duquel la totalité de la plus- value est captée : par certains, au détriment d’autres. Peut-être les débats contemporains sur les « profits exceptionnels » liés à la crise de l’énergie ou le partage de la valeur pourraient-ils suggérer que l’ouvrage soit remis sur le métier.

Autre exemple d’une réflexion qui n’a pas progressé et peut être même régressé : celui des réserves foncières. On peut remonter ici à un très intéressant avis de la section des Travaux Publics  du 8 octobre 1964 (n°290 384)  bien connu à l’époque et repris dans la belle étude que le CE a consacrée en 2008 au droit de préemption ; il s’agissait de savoir si l’agence foncière et technique de la région parisienne pouvait utiliser la possibilité qui lui avait été conférée de recourir à l’expropriation pour  constituer des réserves foncières. Le Conseil n’avait pas dit non, mais avait mis en lumière le risque d’un détournement dans la mesure  où ce dispositif «  pourrait conduire, en cas de revente des terrains par l’expropriant, à la réalisation d’une plus-value – peut-être d’ailleurs envisagée comme seul but de l’expropriation – ce qui constituerait un détournement de procédure et par suite un détournement de pouvoir ». C’était identifier clairement le risque de dérive et la nécessité d’y parer par des précautions appropriées.

Pourtant ni la loi d’orientation foncière  de 1967 ni les textes ultérieurs relatifs à la constitution de réserves foncières n’ont fait écho à ce souci ; sans doute parce qu’il s’agissait alors de personnes publiques qu’on n’imaginait pas se livrant à des pratiques spéculatives. Mais aujourd’hui ce sont essentiellement  des opérateurs agissant dans le cadre du droit privé qui dans  des zones d’aménagement concerté, après avoir acquis par  voie d’expropriation des terrains, les revendent à des prix qui peuvent excéder très sensiblement la somme du  prix d’achat et du coût des équipements. Qu’un aménageur spécule et recherche un bénéfice n’est pas en soi anormal, mais qu’avec le relent de détournement de pouvoir mis en relief par l’avis de  1964 ce « business as usual » prospère sur des biens acquis par expropriation et revendus peu après devrait interpeller. Or ne voilà-t-il pas qu’en 2022, tour à tour, le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation mais  même – hélas, hélas, hélas !- le Conseil d’État ont dédaigné l’occasion qui leur était clairement offerte de mettre de l’ordre dans cette pratique déviante.

Dans la même veine, on peut aussi regretter qu’alors pourtant que c’est à la demande du gouvernement qu’en 2008 le Conseil d’État avait mené une étude consacrée au droit de préemption qui mettait en lumière diverses dérives et proposait des clarifications  – comme notamment la distinction entre une « préemption planifiée », à laquelle il peut être pertinent de recourir, et une « préemption d’opportunité », à éviter – ces préconisations ne paraissent guère avoir été suivies d’effets.

Il serait grand temps que je conclue. Mais en vérité je suis revenu à mon point de  départ : une politique du contentieux ne suffit pas à faire une bonne politique publique.

Propositions concernant le logement pour les lendemains du coronavirus

Décembre 2020

I – Le contexte par François Leblond, président de la Cofhuat

  • 1-1.-Les origines du logement social

Dans une grande partie de la France, si beaucoup d’habitants se logent aujourd’hui sans interventions de la collectivité, ce n’est pas le cas de tous.

Historiquement, c’est la croissance industrielle concentrant de nombreux emplois dans d’immenses usines qui a amené à la fois les chefs d’entreprises et les collectivités territoriales à se préoccuper du logement ouvrier. Ceux-ci venaient souvent de loin et à pied au travail. Ainsi sont nées des cités ouvrières dans l’Est avec la sidérurgie, dans le Nord avec le charbon, le textile, en région parisienne, en région lyonnaise avec la construction automobile.

Cette mutation de la campagne vers la ville a eu aussi pour effet l’essor de taudis dans la ville elle-même devenue surpeuplée. La question du logement intéressait désormais et en même temps les chefs d’entreprises et les collectivités publiques et une réflexion s’est faite avant la guerre de 14, prolongée dans les années 20 sur le thème du logement des catégories modestes de la population.
Si les préoccupations des collectivités territoriales étaient d’ordre hygiénistes, celles des entreprises étaient plutôt dictées par un souci de productivité de leurs salariés qui, célibataires parce que éloignés de leurs familles et enclins la nuit et le week-end à bambocher, étaient peu productifs lors de leur reprise du travail.

Sont nées de cette double initiative les HBM puis les HLM que quelques grands élus comme le maire du Havre, Jules Siegfried ont souhaité soutenir par la loi. Aujourd’hui le parc HLM est constitué pour moitié par 2,6 millions de logements appartenant aux offices publics d’HLM, issus des initiatives des collectivités territoriales, et pour moitié par 2,6 millions de logements appartenant aux « Entreprises sociales pour l’Habitat (ESH), issus des initiatives des entreprises

Cette politique a aujourd’hui une dimension nationale et ne tient pas suffisamment compte de la diversité qui s’est développée au cours des dernières décennies.

  • 1-1.- L’évolution des besoins et leur diversité

Les populations qui ont besoin de l’action publique sont de plus en plus diverses. Citons-en quelques exemples.

Les personnes âgées ou handicapées étaient autrefois gardées jusqu’à leur décès dans la famille. Ce n’est plus le cas et il a fallu construire pour elles des logements spécifiques disposant des services nécessités par la dépendance. Les collectivités départementales sont très engagées à cet égard.

La France a trouvé dans le tourisme le moyen de valoriser des richesses jusque-là peu exploitées : le bord de mer, la montagne. Ce tourisme est un très grand créateur d’emplois, mais on a construit pour les touristes, et rarement pour le logement de ceux qui fournissent des services de tous ordres à ceux qui viennent profiter de sites exceptionnels. La spéculation immobilière s’est emparée de ces zones, et les résidents dits principaux ne trouvent pas à se loger à des tarifs correspondant à leurs ressources. Ce sont les élus qui cherchent des solutions et ils ne sont guère aidés par les règles établies au niveau national

Le nombre d’étudiants a explosé. Les universités, les écoles sont le plus souvent éloignées des domiciles de leurs parents. Les régions doivent mettre en place des programmes pour les loger.

Le tissu industriel de la fin du XIX° siècle a très largement disparu, les logements dont il avait entraîné la construction sont aujourd’hui souvent géographiquement mal placés. Les emplois se sont déplacés, ont souvent changé de nature, mais les rémunérations ont peu changé ce qui empêche beaucoup de se loger à proximité du lieu de travail.

La France aura du mal à se remettre de la pandémie actuelle. Beaucoup d’emplois risquent de disparaître, d’autres naîtront mais obligeront des populations importantes à se déplacer et à chercher à se loger en des endroits où la réponse en matière de logement sera insuffisante. Ce sera aussi aux élus de terrain de chercher des solutions

On pourrait poursuivre cette liste elle montre que notre législation doit faire de la place à l’initiative locale et à mettre en valeur le couple déconcentration, décentralisation. Les changements à proposer en cette matière constituent un sujet difficile. Les propositions de Pierre Carli et de Didier Poussou sont très importantes à cet égard. Je leur laisse la parole.

II – Les droits de construire, par Pierre Carli ancien Président du Logement Français

Alors que les disparités de tous ordres se sont développées au cours des dernières décennies entre les différentes parties du territoire français, force est de constater que le pays est resté très centralisé en matière de décisions, notamment pour ce qui concerne le logement, alors que des solutions territorialement mieux adaptées, au plus près du terrain, mériteraient d’être encouragées.

Ce type d’évolution dans la manière de décider paraît d’autant plus nécessaire que la France, confrontée à la question de la pandémie de coronavirus, va devoir gérer un accroissement de la précarité d’un nombre croissant de familles qui connaîtront des difficultés pour se loger.

–           2-1.- L’état des lieux de la gestion des droits de construire dans les territoires

Alors que l’État continue de projeter sur le logement une vision uniforme et très centralisée au niveau national, sans toutefois considérer ce secteur comme une priorité, force est de constater dans le même temps un recul des orientations politiques sur les territoires en matière de réglementation des droits de construire et de délivrance des autorisations de construire.

L’octroi de la compétence aux collectivités territoriales, et en particulier aux maires, pour l’élaboration des documents d’urbanisme chargés de fixer les droits de construire s’est souvent traduit, essentiellement en zones de marché tendu, par un recul très sensible de ces droits, ceux-ci étant souvent fixés comme devant être inférieurs à l’occupation actuelle des sols par les constructions existantes, ce qui fige toute évolution de l’occupation des sols et neutralise dans les faits le développement de l’offre bâtie.

Même une fois ces droits théoriquement fixés par les plans locaux d’urbanisme, il est devenu de pratique constante qu’au moment de l’élaboration par les promoteurs de projets de permis de construire, les représentants des élus locaux demandent fermement, pour ne pas dire qu’ils exigent, de réduire l’importance des projets bien en deçà des droits fixés par le règlement d’urbanisme.

Cette attitude très malthusienne, qui se rencontre essentiellement en première couronne parisienne et autour des métropoles, paraît avoir pour origine la trop grande proximité qui s’est instaurée entre les élus élaborant les plans d’urbanisme et délivrant les permis de construire et leurs électeurs, lesquels identifient dans ces élus les responsables d’une densification qu’ils rejettent souvent au nom d’une prétendue protection de leur environnement.

Ne dit-on pas chez certains élus : « Maire bâtisseur, maire battu ? »

Cette situation est d’autant plus préoccupante que les attentes qui se développent dans la population, en matière de développement durable et de protection de l’environnement, penchent de plus en plus en direction d’une moindre consommation des espaces périphériques et encore peu urbanisés des villes, et d’une meilleure utilisation des nombreux équipements publics existants, considérés souvent comme sous-utilisés. Cette sous-occupation pose la question du coût de leur investissement de premier établissement mais surtout de leur coût de fonctionnement (personnel de gestion, maintenance, etc.), qui sont actuellement amortis sur une population trop faible et engendrent de ce fait des charges financières fiscales trop élevées sur chaque ménage.

Pourtant ce souci d’une moindre consommation des espaces périphériques et d’une meilleure utilisation des équipements existant par une population plus importante plaide pour un accroissement de l’offre en logements dans les villes et leurs périphéries immédiates déjà urbanisées mais qui le sont insuffisamment.

Les considérations développées ici concernent prioritairement les zones tendues et sont moins fréquemment rencontrées dans le reste des territoires, où l’on observe une meilleure gestion du droit de construire par les élus.

S’agissant des zones tendues, il serait bon de donner à cette notion un caractère évolutif.
En effet, si après l’actuelle crise sanitaire due au covid 19 et ses conséquences économiques, l’occasion devait se présenter d’une construction d’usine ou de services en un lieu qui n’était pas jusqu’ici situé en zone tendue mais qui est de nature à appeler une nouvelle main d’œuvre, il faudrait que, parallèlement, la possibilité de bâtir s’adapte à la situation nouvelle et que les règles relatives aux zones tendues s’appliquent automatiquement dans une telle situation.

  • 2-2.- Les orientations proposées

Afin d’apporter un correctif à la situation existante et de relancer le développement d’une offre de logement dans les zones les plus tendues, il est proposé à la fois de faciliter la refonte des plans locaux d’urbanisme actuels (PLU) afin de majorer les droits de construire octroyés, et de veiller à la possibilité pour les promoteurs d’utiliser véritablement les droits autorisés par la règlementation.

Concrètement, il faudrait :

  • Établir une plus grande distance entre les habitants des agglomérations d’une part et les lieux d’élaboration des plans locaux d’urbanisme ou de délivrance des autorisations de construire d’autre part, afin d’éviter aux élus concernés d’être partagés entre le souci de ne pas mécontenter leurs administrés, afin de ne pas prendre de risque pour leur réélection, et la nécessité d’assurer une bonne gestion de leur territoire, dans l’intérêt général et non celui de leur situation personnelle.

Bien entendu, il ne s’agirait pas de revenir à une recentralisation de ces décisions, qui doivent rester à une échelle locale, mais d’en confier la gestion à des niveaux à la fois proches du terrain et distanciés par rapport aux maires. Quel serait le plus pertinent ? Métropoles ? Communautés de communes ?  EPCI ? Et pourquoi pas les départements ?

  • Réviser les plans locaux d’urbanisme, en vue d’augmenter les droits de construire en zones déjà agglomérées, de limiter le développement en zones peu denses, de mieux utiliser, par conséquent, les équipements publics existants et d’éviter l’étalement urbain ainsi que le « mitage » des zones rurales.

Pour objectiver les orientations à prendre dans l’accomplissement de ce travail, il serait nécessaire de réaliser un état des lieux de l’occupation actuelle des sols et d’évaluer les « indices d’occupation des sols ou « IOS »,  comme cela se pratiquait dans les années 1970 lors de l’élaboration des premiers plans d’occupation des sols (POS).

Il est en effet indispensable, avant de fixer un niveau de développement souhaité d’une zone, d’en connaître l’occupation précédente, afin que les nouveaux droits octroyés puissent rendre compte du projet de l’évolution de son occupation. À cet égard il conviendra de rétablir l’obligation de fixer dans chaque zone une notion de coefficient d’occupation des sols (COS), qui a disparu de beaucoup de plans locaux d’urbanisme, et qui est la seule à permettre de bien quantifier l’importance de l’urbanisation envisagée par le règlement.

Élaborés par les collectivités territoriales, ces plans d’urbanismes révisés ne pourront être soumis à l’enquête publique en vue de leur approbation qu’après validation par le préfet du département, qui devra veiller à la prise en compte du souci de mieux urbaniser les zones déjà agglomérées et d’éviter l’étalement urbain en zones rurales ou peu denses.

  • Lors de l’élaboration de tout permis de construire, rendre obligatoire l’atteinte du coefficient d’occupation des sols prévu par le règlement dans chaque zone, afin d’éviter les pressions actuellement exercées par les instructeurs de l’administration communale sur les constructeurs, qui vont presque toujours dans le sens d’une dissuasion de consommer les droits de construire prévus par le règlement. Tout permis de construire ne respectant pas cette règle serait considéré comme illégal de plein droit et pourrait être annulé par arrêté du préfet.

III – Le logement social par Didier Poussou, directeur général d’ « Entreprises Sociales pour l’Habitat »

3-Le logement social  – propositions de simplifications des procédures applicables

  • 3-1.- L’état des lieux

Le logement et le logement social ont fait l’objet tous les deux ans environ de textes de loi (ALUR en 2014, Égalité Citoyenneté en 2017, Élan en 2018) qui n’ont que rarement eu les effets escomptés tout en sur-complexifiant à outrance les dispositifs existants, ce qui provoque des effets d’externalités négatives et de diminution de la productivité de toute la filière.

Les propositions qui suivent sont de différentes natures. Elles ont pour objectif de supprimer ou de réduire des difficultés actuelles, qui pour certaines d’entre elles peuvent paraître mineures, mais qui n’en constituent pas moins un frein à l’efficacité des dispositifs.

  • 3-2.- Les propositions

3-2-1 Développer le logement intermédiaire en complétant la règlementation.

Plus de 200 000 ménages seraient en attente d’une proposition de logement intermédiaire, selon les études menées en zone tendue et tout particulièrement en Ile de France.

Les organismes d’HLM ne peuvent prendre en gérance que les logements appartenant à des personnes énumérées par les textes. Curieusement ces textes omettent d’inclure dans cette énumération les filiales de logement intermédiaire créées par les organismes d’HLM et imposent à ces filiales d’assurer la gestion de leur patrimoine par leurs propres moyens, sans possibilité d’utiliser les services de l’organisme d’HLM.

Pourtant, lorsqu’elles sont en phase de développement, ces filiales ne sont propriétaires que d’un faible nombre de logement, ce qui ne leur permet pas d’amortir les coûts de gestion qui leur sont imposés. Le fait de ne pas pouvoir utiliser les moyens de gestion de l’organisme d’HLM constitue un frein au développement d’une offre de logement intermédiaire par les bailleurs sociaux. Il convient donc de compléter cette liste afin de permettre aux d’organismes d’HLM de prendre également en gestion des logements intermédiaires appartenant à leurs filiales dédiées au logement intermédiaire ainsi qu’aux sociétés ayant le même objet contrôlé conjointement par plusieurs organismes HLM.

3-2-2 L’attribution des logements sociaux

Les attributions de logements sociaux voient leur nombre annuel diminuer sur la période 2009-2019 de 20 000 unités environ alors même que la taille du parc social total progresse…

L’attribution obéit désormais à la règle dite « du quartile ». Il est proposé de simplifier les obligations issues de la loi dite « égalité et citoyenneté » de janvier 2017, qui visent à l’attribution de 25% des logements situés hors des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) à des ménages dont le niveau de ressources est inférieur à un montant fixé nationalement, sans prendre en compte la nécessité d’une application progressive dans les territoires.

En effet, ces mesures, développées en considération des situations rencontrées en zones tendues, s’appliquent uniformément sur tout le territoire alors qu’en zone détendue on constate de la vacance. Le niveau du quartile, tel qu’il a été calculé, ne reflète pas forcement la problématique des conditions de ressources des ménages, compte tenu d’une difficulté sur le renseignement des informations figurant dans le Système National d’Enregistrement (SNE), opérationnel depuis mars 2011. Or ce système contient des données de type déclaratif qui ne sont pas contrôlées par les services de l’Etat.

Les dispositions sont extrêmement complexes à mettre en œuvre tant pour les bailleurs que pour les collectivités locales. Il serait nécessaire en zones de marché non tendu d’alléger ce dispositif « du quartile » et d’autoriser les élus locaux à gérer les attributions des contingents prioritaires, qui sont jusqu’à présent gérés par les services préfectoraux.

3-2-3 Adapter le système d’attribution des logements locatifs sociaux afin de le rendre plus équitable en définissant la mobilité comme un critère de priorité

À l’occasion de la libération d’un logement, permettre à un ménage une mobilité dans le parc social afin de répondre à un besoin familial ou de mobilité professionnelle, tout en n’obérant pas la capacité d’attribution d’un logement à ceux qui ne sont pas encore logés. L’objectif est de permettre à des ménages qui le souhaitent, lorsqu’ils atteignent l’âge de la retraite, de quitter les zones tendues au profit de ménages plus jeunes débutant leurs propres parcours résidentiels.

3-2-4 Permettre la résiliation de plein droit du bail en cas de condamnation pénale pour dégradations de matériel ou agressions de personnels

La sécurité publique est une compétence régalienne et l’État se doit de maintenir partout l’ordre républicain. Pour autant, les bailleurs ont un rôle à jouer en accompagnement de l’action de la puissance publique, pour contribuer à assurer la qualité du cadre de vie et la tranquillité des habitants dans leur logement.

Pour ce qui relève de leur responsabilité, les bailleurs sociaux sont fortement impliqués dans le champ de la tranquillité résidentielle. Sur le plan de la sécurité, la profession s’est même dotée de dispositifs de prévention ayant fait leurs preuves : observatoire des incivilités, ateliers territoriaux, mise en place de référents sécurité, participation aux conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), prise en compte de la tranquillité dans les dispositifs d’évaluation de la qualité de service, etc.

Cependant, les bailleurs sont particulièrement démunis lorsqu’il s’agit de faire cesser des troubles de jouissance.

Il est donc proposé d’élargir la clause résolutoire du bail locatif aux cas de condamnation pénale du locataire, ou de l’une des personnes de son foyer fiscal au titre duquel le logement est attribué, à raison d’infractions incompatibles avec l’obligation d’occupation paisible du logement : atteintes aux biens du bailleur, atteintes à ses préposés.

3-2-5 Maitriser la hausse des coûts induits par la multiplication des diagnostics techniques

Un grand nombre de ces diagnostics techniques (constat des risques d’exposition au plomb, état amiante, état de l’installation de gaz, état de l’installation d’électricité, DPE, état relatif à la présence de termites) doivent être réalisés par un professionnel, un diagnostiqueur immobilier, qui engage sa responsabilité et relève d’un statut propre et réglementé (cf. art L.271-6 du CCH). Il doit présenter des garanties de compétence et disposer d’une organisation et de moyens appropriés

La réalisation de ces diagnostics entraine un surcoût annuel très important pour les organismes HLM qui sont des bailleurs professionnels, à la différence des propriétaires individuels de logements du privé.

Il est proposé de permettre aux organismes HLM qui disposent en interne des compétences nécessaires pour la réalisation des diagnostics de les faire réaliser par les collaborateurs concernés. Ceux-ci resteraient soumis aux obligations prévues : qualification, organisation, moyens appropriés, obligation de souscrire une assurance spécifique.

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À l’issue de cette présentation, François Leblond a proposé d’accroître le rôle de la collectivité départementale dans le domaine du logement, dans les termes suivants.

/ Pierre Carli a rappelé que si la décentralisation doit connaître une nouvelle étape dans le domaine du logement, il importe que celle-ci intervienne à un niveau supérieur à celui de la commune pour éviter des pressions excessives sur les élus. Il a évoqué le niveau intercommunal et, pourquoi pas, celui du département. Je penche pour cette option

/ Plus de la moitié des dépenses des départements sont des dépenses sociales. Le département est aujourd’hui compétent dans tous les domaines concernés à l’exception du logement. Cette lacune était déjà regrettable avant le drame que connaît aujourd’hui notre pays avec le coronavirus. Elle le sera encore davantage au cours des mois prochains : le chômage qui va croître et les mouvements géographiques de populations à la recherche d’un emploi rendront encore plus fondamentale la question du logement dans la liste des sujets des difficultés de la personne. Le savoir-faire exceptionnel des agents départementaux améliorera les résultats.

/ Le rôle actuel du département est mal connu. Certains souhaitent sa suppression sans la moindre connaissance de ses fonctions diverses, et notamment d’un rôle social que sa dimension permet. Il suffit de rencontrer les agents concernés pour mesurer les innombrables initiatives qui sont prises à ce niveau d’administration pour faire face aux problèmes humains les plus complexes. Ils viennent de le prouver depuis le printemps en cherchant les solutions les plus adaptées aux différents publics touchés par la pandémie, ne comptant pas leur temps et apportant aux préfets des réponses aussi adaptées que possible aux besoins. Les relations qu’ils établissent avec ceux qui exercent, dans un domaine donné, des fonctions essentielles  (hébergement humain des personnes âgées, des personnes dans la rue, actions auprès de la jeunesse, soutien aux initiatives des communes, font que toutes les catégories de personnes en difficulté s’adressent à un moment donné à ces services.

Il importe donc de sélectionner les changements qui apporteront au département le support juridique dont il a besoin pour être efficace dans une matière qui complètera utilement ses compétences. Les lendemains de la pandémie actuelle exigeront de trouver des solutions à des difficultés nouvelles. Un excès de rigidité serait un ennemi du résultat. Il est temps de libérer de nouvelles initiatives.

Décentralisation : un mot magique

Par Jacques Darmon – Février 2020

Un projet de décentralisation suscite une approbation immédiate et largement partagée.

La décentralisation, en effet, répond à un objectif politique essentiel : le fonctionnement de l’État est mieux assuré quand il s’exerce au plus près des citoyens. Les responsables politiques locaux sont mieux informés des besoins de leurs administrés et plus aptes choisir les solutions à y apporter. Les citoyens, de leur côté, sont plus confiants dans le fonctionnement des institutions quand les décideurs sont plus proches d’eux. L’État doit donc confier aux collectivités locales les compétences que celles-ci peuvent exercées utilement et appliquer systématiquement le principe de subsidiarité : dans la hiérarchie de l’organisation territoriale, un niveau supérieur n’est légitime à intervenir dans un domaine d’activité que si les niveaux inférieurs sont dans l’incapacité de remplir utilement ces responsabilités.

Aborder de façon centralisée la réforme de l’État constitue un défi hors d’atteinte. Ce n’est que dans les périodes exceptionnelles (1790, 1945, 1959) qu’une transformation globale et profonde s’avère possible. Aujourd’hui, il faut être moins ambitieux et plus réaliste en appliquant la méthode proposée par René Descartes dès 1637 : quand un problème est difficile, on doit « le diviser en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour le résoudre ». La décentralisation permet de faciliter les expérimentations, de mettre en œuvre des politiques différenciés adaptées à chaque situation locale et de déterminer ainsi les modes de gestion les plus efficaces.

Mais si l’on veut dépasser le stade de l’incantation et ne pas se laisser abuser par le mot magique « décentralisation », il faut prendre conscience qu’une politique ambitieuse suppose que soient levés deux préalables politiques.

Une véritable décentralisation suppose une transformation profonde de l’organisation territoriale.

La France est le seul pays à superposer quatre niveaux d’administration territoriale : la commune, le département, la région et l’État, auxquels il faut ajouter tous les organismes de coopération intercommunale, les communautés urbaines, les communautés d’agglomération, les communautés de communes, les « pays », plus récemment les métropoles, et les intercommunalités. Sans oublier l’échelon européen dont le rôle est croissant. Mais la complexité est à son comble : il est des communes qui sont des départements (Paris, Lyon), des départements qui sont des régions (Martinique), des collectivités qui ne sont ni des départements ni des régions (Corse, Alsace,..), sans compter bien entendu l’outremer où la Guyane, la Polynésie, la Nouvelle Calédonie ont chacune leur statut propre.

Chaque niveau de compétence, lorsqu’il reçoit une attribution nouvelle, prétend s’équiper des moyens administratifs correspondants. Lorsque la responsabilité des routes départementales a été transférée aux départements, ceux-ci ont constitué des services de voirie, et pendant ce temps, les services de l’Etat qui, symétriquement, avaient abandonné ces compétences, n’ont pas modifié leurs effectifs.

Bien plus, ces différents niveaux d’administration prétendent intervenir dans les mêmes domaines. Si la clause de compétence générale a été retirée aux départements (après de nombreux allers-retours), en fait la liste de compétences particulières qui leur ont été simultanément reconnues est tellement large que la confusion de compétence subsiste.  Pour une même décision, deux, trois ou même quatre collectivités interviennent dans le choix du projet, son financement, sa gestion. Il en résulte une dilution des responsabilités, un alourdissement des procédures, un ralentissement des décisions et une augmentation des effectifs de fonctionnaires. Une décentralisation effectuée dans cette structure complexe ne permet aucune économie et n’entraîne pas toujours un meilleur fonctionnement. Elle ne répond en aucune façon à l’objectif politique de rapprocher les citoyens des décideurs politiques.

De manière plus fondamentale encore, une véritable décentralisation suppose en outre l’acceptation de situations locales différentes.

La décentralisation a pour effet inévitable de rompre la sacro-sainte égalité des citoyens devant le service public, car il n’y a pas de décentralisation sans une certaine diversité. Des services publics fonctionneront mieux dans certaines collectivités. Des régions connaîtront des taux de chômage différents. Les ressources financières et donc le niveau des impôts locaux ne seront pas égaux. Aux États-Unis où la décentralisation est généralisée dans un État fédéral, la différenciation va plus loin encore : la peine de mort est appliquée dans certains États et pas dans d’autres. En Allemagne, l’organisation de l’enseignement relève de chaque Land.

La diversité est source d’efficacité, d’innovation, de dynamisme. Elle permet de valoriser les atouts propres de chaque région. Mais le choix du pluralisme régional est un choix éminemment politique qu’il ne faut pas occulter. Les Français, au nom de leur attrait unanime pour le mot magique « décentralisation », sont-ils prêts à renoncer à certaines formes traditionnelles d’égalité? Notons que le Ministre chargé de la réforme de l’État s’appelle également Ministre de l’égalité des territoires, qu’à chaque fois qu’une collectivité bien gérée dispose de ressources financières importantes, une pression politique s’exerce pour venir assurer une péréquation des dotations budgétaires au profit des collectivités moins bien dotées !

A supposer que ces deux préalables politiques soient levés, il reste nécessaire, pour mettre en œuvre une décentralisation ambitieuse, de répondre à deux craintes fondamentales.

La décentralisation présente un risque d’apparition de pouvoirs locaux inefficaces mais puissants. Pour éviter l’apparition de véritables « satrapies » locales, une véritable décentralisation doit s’accompagner de mesures objectives de performance. Déléguer des responsabilités n’a de sens que si les citoyens peuvent s’assurer que leurs élus remplissent leurs devoirs. Il faut pouvoir mesurer et comparer l’efficacité de chacune de ces politiques locales et ainsi clarifier le débat des élus régionaux avec leurs électeurs. Mais les élus locaux sont-ils prêts à remplacer les campagnes électorales classiques fondées sur des poignées de main et des baisers aux enfants par de véritables comptes-rendus de mandats documentés et chiffrés ?

La dispersion des décideurs qu’entraine ce processus de décentralisation peut se traduire par un accroissement des actes irréguliers. Qu’il s’agisse de la délivrance des permis de construire, de l’octroi de subventions aux associations, de la passation de marchés de travaux, des craintes apparaissent déjà aujourd’hui. Les procédures judiciaires mettant en évidence des cas de favoritisme ou de prise illégale d’intérêt ne sont pas rares. Au fur et à mesure de l’élargissement des pouvoirs locaux, les risques peuvent augmenter. La décentralisation suppose donc un renforcement des dispositifs visant à garantir la moralisation de la vie publique. Dans cette matière comme dans d’autres, l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions.

Préfets, sous -préfets et gilets jaunes

Par François Leblond

Au cours des dernières semaines, des actes inadmissibles à l’égard du corps préfectoral ont été commis, le plus dramatique ayant été l’incendie de la préfecture de la Haute-Loire au Puy-en-Velay. Ils doivent être dénoncés avec la plus extrême vigueur.

Cela me conduit à dire quelques mots d’une fonction qui a prouvé son utilité depuis plus de deux siècles, en dépit des attaques dont elle a été l’objet, et qui doit à nouveau faire face à l’adversité

 Un retour sur les cinquante dernières années me parait nécessaire pour proposer quelques changements indispensables à engager dans le cadre du débat qui vient de démarrer.

En 1964, j’étais stagiaire de l’ENA du préfet de la Gironde. Il était à Bordeaux depuis six ans et y resta quatorze ans (le général de Gaulle se trouvant à l’Élysée). Il était socialiste et aimait le rappeler.

En 1966, j’étais nommé directeur de cabinet du préfet de la Vendée, que j’avais connu secrétaire général de la Gironde. Il resta cinq ans dans ce département.

Ce sont des exemples de la stabilité de l’administration préfectorale du temps du Général. Au moment où il a pris le pouvoir, il n’a engagé que très peu de mouvements préfectoraux. Il a conservé cette attitude jusqu’à la fin, faisant confiance à ceux qu’il considérait comme des permanents de l’intérêt général et à qui il donnait mission d’exercer l’autorité en tout point du territoire, quelque soient les circonstances et les majorités du moment.

Cette stabilité s’est poursuivie après son départ, avec Georges Pompidou. Les changements ne sont venus qu’après le décès de ce dernier, avec des élections présidentielles gagnées de justesse par Valéry Giscard d’Estaing. L’approfondissement du fossé entre droite et gauche qui a conduit, en 1981, à l’élection de François Mitterrand, a eu pour effet une rotation des postes qu’on ne connaissait pas jusque-là et qui s’est poursuivie pendant trente-cinq ans. Le corps préfectoral, qui résistait depuis les années 1900 aux excès de la politique, n’a pu se maintenir à ce niveau, chaque majorité voulant « ses préfets ». La situation s’est encore dégradée quand le préfet a perdu son rôle d’exécutif du département et quand la porte de l’hémicycle des débats de l’assemblée départementale lui a été fermée. Le pouvoir actuel assure à nouveau la stabilité du corps ; il faut l’en créditer mais il devrait aller plus loin dans cette direction.

J’ai eu la chance d’être préfet du Lot et d’avoir pour président du conseil général Maurice Faure. Il  poursuivait les relations qu’il avait eues avec le préfet avant la décentralisation, lui demandant, cas unique en France, de siéger à sa droite au conseil général, faisant venir avec lui les sous-préfets et déjeunant ensuite avec les élus. J’ai ainsi pu jouer un rôle très proche de celle de mes prédécesseurs. J’ai retrouvé cela avec Valéry Giscard d’Estaing, président du conseil régional d’Auvergne, qui avait, à l’égard du préfet, la même attitude.

Pour être utile à la France secouée par le mouvement des gilets jaunes, il faut que le préfet retrouve le rôle qu’il avait autrefois dans nos institutions : celle d’un médiateur entre les intérêts de l’Etat et les préoccupations locales.

Trois mesures, qui ne nécessitent pas de lourds changements législatifs, me paraissent s’imposer.

1/ Il faudrait, me semble-t-il, que désormais, dans toute la France, le préfet soit à nouveau à la tribune – à la droite du président du conseil départemental et, pour le préfet de région, à celle du président du conseil régional. Il entendrait en direct les observations des populations et ferait mieux passer les messages utiles au niveau des administrations centrales. L’annonce de ce changement devrait être rendue publique par le président de la République lui-même.

2/ Les projets de lois doivent être aujourd’hui précédés d’une évaluation des effets qu’on attend d’eux. Celle-ci est, la plupart du temps, très insuffisante ; il faut attendre l’application pour qu’on mesure des effets négatifs qu’on ne prévoyait pas. Dans les domaines du logement, de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire, il faut qu’une part de l’évaluation préalable soit conduite sous la présidence du préfet et qu’ainsi les faiblesses probables du texte soient mieux identifiées. Si on avait procédé ainsi, on aurait fait l’économie de la crise liée à l’imposition des carburants.

3/ La décentralisation réclamée par les élus implique qu’on ne demande pas au préfet de décider de façon autoritaire la carte des regroupements de communes. Autrefois, il s’efforçait d’obtenir des changements positifs en cette matière, mais respectait le point de vue des élus. Ce n‘est plus le cas aujourd’hui. Décentralisation et autoritarisme sont antinomiques. Il faut changer de méthode.

Le moment est propice à ces changements : les coupures idéologiques cèdent la place à la revendication de territoires plus homogènes dans leur développement. Préfets et sous-préfets ont un rôle majeur à jouer à cet égard. Ils l’exerceront s’ils sont soutenus.

La Cofhuat au service des territoires

Par François Leblond

Lorsqu’un préfet prend sa retraite, il quitte d’emblée un univers fait d’innombrables centres d’intérêt qui ne lui laissait guère le temps de prendre du recul : un carnet de rendez-vous très rempli, allant du chef d’entreprise en difficulté au plus modeste citoyen en recherche d’emploi et au militant syndical ou associatif se plaignant de n’être pas assez entendu, tous les malheurs du monde défilant dans son bureau. Du jour au lendemain, un agenda vide.

Je ne pouvais supporter une telle perspective et j’ai eu la chance, lorsque je terminai ma carrière comme président de la Société des Autoroutes Escota, de me voir proposer la présidence bénévole d’une institution que je ne connaissais pas, la Confédération Française pour l’Habitat, l’Urbanisme et l’Aménagement du Territoire, mais dont je pressentais l’intérêt : j’aurais, dès ma retraite, une activité.

Cette association a été créée en 1947, du temps où Eugène Claudius Petit était l’âme du ministère de la Reconstruction. Elle a pour objectif de faire se parler davantage tous ceux qui contribuent à l’acte de bâtir. Mon expérience préfectorale correspondait bien à ce programme. Je succédais à une lignée d’ingénieurs généraux des Ponts et je pouvais ouvrir quelques chantiers nouveaux en fonction de ma formation et de mon expérience de terrain.

Je ne tardai pas à découvrir quelles lignes d’action nouvelles je devrais aborder. Je donnai notamment à la notion d’acte de bâtir une portée plus large que celle portée par les ingénieurs. L’effort de construction, développé dans les années 50, a eu le mérite de répondre aux besoins des mal- logés. En revanche, la précipitation de sa mise en œuvre a laissé des lacunes durables qui expliquent la nécessité, venue très vite, d’une politique de la ville. La Cofhuat, avec sa revue, s’est ainsi engagée dans les réflexions les plus variées, allant de l’enseignement dans les zones défavorisées aux initiatives en matière sportive, culturelle ou économiques et plus récemment, aux questions de sécurité. Nous avons reçu des personnalités s’exprimant en termes concrets grâce à leur expérience. Nous avons regroupé ces collaborateurs volontaires en un « Cofhuat Club » qui constitue une banque d’idées dans les matières objets de nos statuts. Cela nous a aidés, il y a dix ans, à être reconnus d’utilité publique.

Naturellement, nous sommes présents dans d’autres sujets que celui de la politique de la ville, l’environnement par exemple. Nous les abordons en acceptant les points de vue les plus variés sur des questions sensibles comme le gaz de schiste ou les éoliennes. Nous ne demandons pas de subvention à l’Etat ; cela préserve notre entière liberté de parole, même si notre équilibre financier n’en est pas facilité.

L’association, à mon arrivée, était proche du ministère de l’Equipement. J’ai élargi progressivement son réseau en rencontrant d’autres ministères : Intérieur, Culture, Affaires sociales, Éducation. Il est des sujets que je ne peux, à moi seul, traiter, celui du financement du logement, des grands services mis à la disposition des populations et des opérations lourdes d’infrastructures. La promotion Montesquieu, et ses voisines, comprennent parmi leurs membres de bons spécialistes des finances publiques ou de la banque, qui pourraient nous rejoindre et présider de nouveaux groupes de travail.

De même, nous sommes la branche française d’une institution internationale : la Fihuat. Nous voudrions nous en servir davantage pour permettre des comparaisons utiles d’un pays à l’autre. Nos amis diplomates ont de l’expérience en la matière, ils pourraient eux aussi s’associer à nos travaux.

L’initiative que nous avons prise en regroupant des anciens de notre promotion pourrait ainsi déboucher sur quelques actions concrètes comme celles que j’appelle de mes vœux aujourd’hui dans le cadre de la Cofhuat.  Le site internet, heureuse initiative de notre regretté Michel Cotten et aujourd’hui de Patrice Cahart, pourrait faciliter ces échanges entre nous, en constituant, en certains domaines, un lieu privilégié d’échanges.

 

Vers la fin de la taxe d’habitation ?

Par Michel Cotten – décembre 2017

Texte prémonitoire de Michel Cotten. Le Conseil constitutionnel n’a pas censuré l’article de loi voté par le Parlement, mais a réservé sa position pour la suite. À ce jour (septembre 2018), les ressources qui seraient nécessaires à un remplacement total de la taxe d’habitation n’ont pas été dégagées. Une nouvelle bataille parlementaire aura sans doute lieu à l’automne de 2018.  

La taxe d’habitation a rapporté aux communes et à leurs groupements environ 24 milliards d’euros en 2016 [1], ce qui équivaut au tiers de l’impôt sur le revenu, et a concerné 48 millions de locaux d’habitation.

 Rappelons que depuis la spécialisation des impôts locaux, elle est réservée au bloc communal. Elle reste un impôt facultatif ; les communes votent librement son taux et peuvent consentir certains allègements.

 L’article 3 de la loi de finances pour 2018 prévoit de dégrever de la taxe d’habitation tous les occupants de résidences principales dont le revenu fiscal est inférieur à un certain montant. Ce dégrèvement, de 30% la première année (2018), atteindrait 100% en 2020. Suivant les estimations officielles, près de 80% des redevables actuels se trouveraient entièrement dégrevés dans trois ans.

 Cette mesure, qui figurait en bonne place dans le programme du candidat à la présidence de la République finalement élu, est-elle conforme à la Constitution ?

 Un premier recours, déjà déposé devant le Conseil constitutionnel, met en avant la rupture de l’égalité devant les charges que constituerait une mesure à la fois massive et limitée à une partie de la population. Un orfèvre en la matière, ancien directeur de la Législation fiscale au ministère de Finances, le pense et l’a écrit dans le Figaro. Ses arguments sont tout à fait convaincants. On ne comprend pas pourquoi un impôt injuste pour 80% des contribuables ne le serait pas pour les 20% restant…Ajoutons que les injustices actuelles, reconnues dans un rapport récent mais peu diffusé de l’ancienne direction générale des Impôts, tiennent pour l’essentiel à la non-application depuis plus de quarante ans des révisions complètes tous les six ans prévues par le Code Général des Impôts.

Un autre chef d’inconstitutionnalité de l’article 3, directement lié à la liberté de gestion des collectivités territoriales, pourrait être invoqué : le non-respect de l’article 72-2, alinéa 3 de la Constitution, qui garantit la libre administration des collectivités territoriales. Depuis les modifications intervenues en 2003 à l’initiative de Jean-Pierre Raffarin, alors premier ministre, son § 2 détaille les conséquences à tirer de ce principe de libre administration en matière de finances locales, et notamment ceci : Les recettes fiscales et autres recettes propres représentent pour chaque catégorie de collectivités territoriales une part déterminante de leurs ressources.

En application de la loi organique du 29 juillet 2004, la part de ces ressources a été fixée à 60,8% pour les communes et leurs groupements, à 58,6% pour les départements et à 41,7% pour les régions. Ces chiffres correspondent faute de mieux à des constats faits sur l’exercice 2003.

Le Conseil constitutionnel s’est montré très ouvert au sujet de la définition des ressources propres. Cela étant, il a prévenu le législateur qu’il ne pourrait que censurer les actes législatifs ayant pour conséquence nécessaire de porter atteinte au caractère prédominant de la part des ressources propres. Il est clair que le remplacement d’un produit fiscal par une compensation budgétaire de l’Etat dont l’évolution ne serait pas garantie a vocation à faire partie de ces actes législatifs.

Le gouvernement a vu le danger, et c’est sans doute pourquoi un §4 a été ajouté à l’art 3 de la loi de finances, afin de dissuader les parlementaires de former un recours : un rapport spécial doit être établi avant le 1er octobre (2018) pour faire le point sur l’application progressive du dégrèvement des résidences principales, établir un bilan de l’autofinancement des collectivités locales et énoncer les possibilités de substitution d’une autre ressource fiscale. Mais cette solution de rechange est peu crédible.

 Où allons-nous ?

[1] Source : Observatoire des Finances locales (créé au sein du Comité des Finances locales)

Les maires face à l’État

Par Michel Cotten – novembre 2017

Cet article de Michel Cotten est en quelque sorte le testament d’un homme qui avait consacré l’essentiel de son existence professionnelle aux collectivités territoriales. Nous lui avons laissé sa force et son amertume. En effet, notre référence à Montesquieu n’exprime pas une adhésion à une doctrine philosophique précise, mais seulement une exigence de clarté, de rationalité et de bon sens. Elle nous permet de publier des opinions variées, pourvu qu’elles soient exprimées avec décence, et ne tournent pas au forum politique.  

 Au centième congrès des maires [1], le président de la République n’a pas prononcé une fois le mot « décentralisation ». [2]

Le budget de 2018 prévoit la quasi-suppression de la taxe d’habitation sur trois ans pour 80% des ménages. S’agissant des compensations, il faut se contenter d’affirmations générales et de promesses mirifiques. La remise à plat de la fiscalité locale, destinée selon l’orateur à mieux garantir l’autonomie fiscale des collectivités locales, se traduira dans le budget… 2020, c’est à dire juste avant les élections municipales de mars 2020. Ce changement sera présenté suivant l’exposé des motifs à un machin dénommé Conseil des territoires, alors qu’en vertu de la loi créant la dotation globale de fonctionnement (DGF, mars 1979), les travaux doivent se dérouler devant le Comité des finances locales, composé d’élus désignés par leurs pairs et de fonctionnaires de l’État. Le petit homme qui courait derrière le président Macron, M. Laignel, est l’actuel président de ce comité désavoué.

C’est vrai que la taxe d’habitation est devenue particulièrement injuste. Mais pour la rendre de nouveau présentable, il aurait suffi d’appliquer les textes en vigueur, c’est à dire de procéder à l’actualisation quinquennale des valeurs locatives, que l’on a omis d’effectuer depuis… quarante  ans, en étalant sur une durée raisonnable les conséquences de cette actualisation. Quand la taxe foncière sur les entreprises a été créée suite à la suppression de la taxe professionnelle en 2010, les futurs redevables ont demandé et obtenu que les bases de calcul soient préalablement actualisées.

 La compensation des ressources ainsi supprimées ne fera par définition que perpétuer les injustices existantes, si elle s’effectue euro pour euro. Ce serait le contraire d’une réforme. Mais l’objectif n’est-il pas en réalité, pour le gouvernement, de remplacer un impôt local par une dotation facile à manipuler au moyen des lois de finances ?

 Cela étant, la messe n’est pas dite. Le Conseil constitutionnel, qui sera immanquablement saisi de la loi de finances, pourrait juger, avec un peu de courage, que la suppression de la taxe d’habitation  n’est conforme ni au principe de l’égalité devant l’impôt ni à l’article 72 alinéa 4 de la Constitution qui garantit l’autonomie fiscale des collectivités locales.

Dans le même temps, le président Macron a réaffirmé son projet de réduire de 13 milliards d’euros les dépenses locales d’ici la fin de son quinquennat, en s’étonnant, paradoxalement, que les investissements locaux aient déjà baissé de 25% du fait des premières réductions massives de DGF opérées sous le quinquennat précédent.

 Le discours a un peu changé, mais pas l’objectif. L’annonce que les dotations de l’État aux collectivités locales ne baisseront plus est une façon habile de dire qu’elles n’augmenteront pas. Il est loin, le temps ou la DGF était indexée sur le produit net de la TVA, à législation constante…

De surcroît, les collectivités les plus importantes seront invitées à signer des contrats limitant à 1,2% par an la progression de leurs dépenses de fonctionnement, dans le cadre, sans doute, d’une conception moderne de la liberté de gestion que leur garantit la Constitution.

On s’occupera aussi de rénover le statut de la fonction publique territoriale, dans un sens facile à imaginer. C’est vrai que les effectifs du bloc communal (communes et surtout groupements) ont explosé depuis le début de l’intercommunalité. Il n’aurait pas été indécent que la loi impose une stabilité des effectifs cumulés (communes plus groupements), pendant quelques années au moins. Mais la méthode bureaucratique envisagée est très déresponsabilisante.

 En matière de gestion, l’État devrait prendre exemple sur les collectivités locales au lieu de les dénigrer. Elles votent et réalisent leurs budgets en équilibre réel, et sont contraintes à un redressement rapide en cas de dérapage. Comme les entreprises, elles financent l’essentiel de leurs dépenses d’équipement par l’autofinancement. À la différence de l’État, leurs emprunts ne servent qu’à compléter le financement de leur effort d’équipement, et non à payer leurs fonctionnaires. L’endettement local reste assez modeste, contrairement à ce que colportent des journalistes aux ordres : environ 8% du total de la dette publique.

2020, année des élections municipales, aurait pu marquer le point d’orgue de la politique de regroupement des communes engagée par Jean-Pierre Chevènement. Fin 2016, la quasi- totalité des 36.000 communes étaient engagées dans des intercommunalités fortes, au nombre de 1200 environ ; un millier d’entre elles avaient décidé d’aller plus loin encore et de fusionner pour de bon. Avec retard, et de façon parfois chaotique, la France avait fini par faire la réforme réalisée par la plupart des pays d’Europe dans les années 50. Les intercommunalités sont dotées de ressources importantes et exercent désormais de larges compétences. Il ne leur manque plus que l’onction de la légitimité démocratique, c’est à dire l’élection directe de leurs conseils au suffrage universel. La métropole de Lyon est aujourd’hui le seul groupement à avoir, en vertu de la loi « Notre », le statut de collectivité territoriale. Peut-être les quatre à huit métropoles que le président souhaite renforcer pourraient-elles bénéficier aussi de ce statut. Rappelons que la métropole de Lyon exerce dans son périmètre les compétences du département du Rhône. Quant à la soi-disant métropole du Grand Paris, on sent bien que les volontés de réforme du président achoppent sur la perspective d’une autorité métropolitaine dotée de vastes compétences et démocratiquement élue.

D’une manière plus générale, le concept de pouvoir local semble rester un dangereux oxymore. Les communes continueront de coexister à côté des communautés et des départements. Les médias pourront ainsi de se gausser encore longtemps du mille-feuilles territorial.                  

Aucune mesure de décentralisation de compétences n’apparaît dans le programme présidentiel.         L’État continuera donc dc s’occuper avec l’efficacité que l’on sait de la politique de logement. La France dépense deux fois plus que ses voisins (quarante milliards) pour mener une politique du logement qui fait la part belle aux accédants à la propriété et contribue, par l’aide personnalisée au logement (APL) versée dans plus de 70% des cas directement aux bailleurs, à faire grossir les réserves financières des organismes HLM, mais contraint les plus pauvres de nos concitoyens à se loger dans des taudis privés. Plutôt que de stigmatiser les communes qui ne parviennent pas à accueillir des logements sociaux, le moment semblait venu de confier de vraies responsabilités aux groupements de communes travaillant à l’échelle de des agglomérations.

Parmi les oxymores figure en tête de liste la politique de la ville. Depuis des lustres, les administrations de l’État découpent à l’intérieur des villes des quartiers prioritaires, sensibles, difficiles, où ces incapables de maires n’ont pas réussi à éradiquer la pauvreté, à faire cohabiter des populations d’origines variées et à trouver du travail à des gens qui n’en cherchent pas toujours. Au vu des centaines de milliards dépensés et de résultats aussi médiocres, un enfant de trois ans penserait qu’il faut changer de méthode – cette méthode que le monde entier nous envie au point de ne pas l’imiter. Hé non, on va continuer à faire des études théoriques, à découper des zones d’intervention, à multiplier les chargés de mission…. Pourquoi ne pas confier la responsabilité effective de la politique de la ville aux villes, à titre expérimental si on veut, et dans le cadre de vrais contrats ?

Trente ans après la décentralisation de l’urbanisme au profit des communes, la technocratie d’État est quasiment parvenue à récupérer ses pouvoirs, par la multiplication des règles que les plans locaux d’urbanisme (PLU) doivent impérativement respecter.

Lorsqu’on a songé à recréer une police de proximité sous un autre nom, a-t-on imaginé un instant de confier cette tâche, qui appartient aux autorités locales dans tous les États démocratiques du monde, aux maires de France ? L’idée n’a même pas effleuré l’esprit des nouveaux dirigeants.

La décentralisation est donc en marche arrière. Pourtant, ce n’est ni une mode ni un ensemble de concessions aux notables locaux, mais une formule efficace pour que les problèmes soient traités à l’échelon adéquat. Ce qui n’empêche pas les autorités centrales de définir le cadre général et de faire respecter la loi. La décentralisation oblige les administrations centrales à faire preuve de modestie. Est-ce trop leur demander ?

[1] Novembre 2017
[2] Article premier de la Constitution : La France est une République indivisible… Son organisation est décentralisée.