Par François Leblond
Au cours des dernières semaines, des actes inadmissibles à l’égard du corps préfectoral ont été commis, le plus dramatique ayant été l’incendie de la préfecture de la Haute-Loire au Puy-en-Velay. Ils doivent être dénoncés avec la plus extrême vigueur.
Cela me conduit à dire quelques mots d’une fonction qui a prouvé son utilité depuis plus de deux siècles, en dépit des attaques dont elle a été l’objet, et qui doit à nouveau faire face à l’adversité
Un retour sur les cinquante dernières années me parait nécessaire pour proposer quelques changements indispensables à engager dans le cadre du débat qui vient de démarrer.
En 1964, j’étais stagiaire de l’ENA du préfet de la Gironde. Il était à Bordeaux depuis six ans et y resta quatorze ans (le général de Gaulle se trouvant à l’Élysée). Il était socialiste et aimait le rappeler.
En 1966, j’étais nommé directeur de cabinet du préfet de la Vendée, que j’avais connu secrétaire général de la Gironde. Il resta cinq ans dans ce département.
Ce sont des exemples de la stabilité de l’administration préfectorale du temps du Général. Au moment où il a pris le pouvoir, il n’a engagé que très peu de mouvements préfectoraux. Il a conservé cette attitude jusqu’à la fin, faisant confiance à ceux qu’il considérait comme des permanents de l’intérêt général et à qui il donnait mission d’exercer l’autorité en tout point du territoire, quelque soient les circonstances et les majorités du moment.
Cette stabilité s’est poursuivie après son départ, avec Georges Pompidou. Les changements ne sont venus qu’après le décès de ce dernier, avec des élections présidentielles gagnées de justesse par Valéry Giscard d’Estaing. L’approfondissement du fossé entre droite et gauche qui a conduit, en 1981, à l’élection de François Mitterrand, a eu pour effet une rotation des postes qu’on ne connaissait pas jusque-là et qui s’est poursuivie pendant trente-cinq ans. Le corps préfectoral, qui résistait depuis les années 1900 aux excès de la politique, n’a pu se maintenir à ce niveau, chaque majorité voulant « ses préfets ». La situation s’est encore dégradée quand le préfet a perdu son rôle d’exécutif du département et quand la porte de l’hémicycle des débats de l’assemblée départementale lui a été fermée. Le pouvoir actuel assure à nouveau la stabilité du corps ; il faut l’en créditer mais il devrait aller plus loin dans cette direction.
J’ai eu la chance d’être préfet du Lot et d’avoir pour président du conseil général Maurice Faure. Il poursuivait les relations qu’il avait eues avec le préfet avant la décentralisation, lui demandant, cas unique en France, de siéger à sa droite au conseil général, faisant venir avec lui les sous-préfets et déjeunant ensuite avec les élus. J’ai ainsi pu jouer un rôle très proche de celle de mes prédécesseurs. J’ai retrouvé cela avec Valéry Giscard d’Estaing, président du conseil régional d’Auvergne, qui avait, à l’égard du préfet, la même attitude.
Pour être utile à la France secouée par le mouvement des gilets jaunes, il faut que le préfet retrouve le rôle qu’il avait autrefois dans nos institutions : celle d’un médiateur entre les intérêts de l’Etat et les préoccupations locales.
Trois mesures, qui ne nécessitent pas de lourds changements législatifs, me paraissent s’imposer.
1/ Il faudrait, me semble-t-il, que désormais, dans toute la France, le préfet soit à nouveau à la tribune – à la droite du président du conseil départemental et, pour le préfet de région, à celle du président du conseil régional. Il entendrait en direct les observations des populations et ferait mieux passer les messages utiles au niveau des administrations centrales. L’annonce de ce changement devrait être rendue publique par le président de la République lui-même.
2/ Les projets de lois doivent être aujourd’hui précédés d’une évaluation des effets qu’on attend d’eux. Celle-ci est, la plupart du temps, très insuffisante ; il faut attendre l’application pour qu’on mesure des effets négatifs qu’on ne prévoyait pas. Dans les domaines du logement, de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire, il faut qu’une part de l’évaluation préalable soit conduite sous la présidence du préfet et qu’ainsi les faiblesses probables du texte soient mieux identifiées. Si on avait procédé ainsi, on aurait fait l’économie de la crise liée à l’imposition des carburants.
3/ La décentralisation réclamée par les élus implique qu’on ne demande pas au préfet de décider de façon autoritaire la carte des regroupements de communes. Autrefois, il s’efforçait d’obtenir des changements positifs en cette matière, mais respectait le point de vue des élus. Ce n‘est plus le cas aujourd’hui. Décentralisation et autoritarisme sont antinomiques. Il faut changer de méthode.
Le moment est propice à ces changements : les coupures idéologiques cèdent la place à la revendication de territoires plus homogènes dans leur développement. Préfets et sous-préfets ont un rôle majeur à jouer à cet égard. Ils l’exerceront s’ils sont soutenus.