Par Jacques Darmon
Novembre 2021
Je reviens d’une visite (commentée) de la Bourse de commerce, rénovée et transformée en salles d’exposition des collections Pinault.
Il faut d’abord remercier François Pinault d’avoir merveilleusement rénové ce bâtiment exceptionnel, abandonné depuis plus d’un siècle. La coupole et les fresques qui l’entourent sont impressionnantes. Le cylindre de béton gris que le fameux architecte japonais Tadao Ando a placé au centre fait l’objet d’appréciations divergentes.
En dépit de la qualité du décor, je reviens de cette visite avec une colère froide.
J’affirme ne pas être un connaisseur en matière d’art. Je reconnais également ma totale ignorance en ce qui concerne l’art contemporain. Je ne porte donc aucun jugement sur la qualité et l’intérêt des œuvres présentées.
Ce qui provoque ma réaction courroucée, c’est ce que notre guide m’a indiqué des intentions des auteurs de ces œuvres.
Il s’avère en effet que la grande majorité de ces « artistes » exposés manient le pinceau, la truelle ou le tournevis pour délivrer « un message ». Ils souhaitent faire partager au visiteur leur réaction face aux souffrances de l’esclavage, aux désordres de la société de consommation, aux déséquilibres du monde capitaliste… Ils philosophent sur la place de l’Homme dans le monde, sur ces rapports à la Nature… Bref, ces « artistes » ne tentent pas de produire une œuvre d’art mais veulent exprimer, avec leurs moyens d’artistes, leur philosophie de la vie. Implicitement, tel le voyant de Rimbaud, ils prétendent faire découvrir au visiteur inculte la véritable nature du monde, lui dévoiler le sens de son futur… Nouveaux Zarathoustra, ils affirment nous arracher le bandeau qui nous empêche de voir, nous délivrer de cette oppression sociale qui nous interdit de penser. Bref, ce sont des libérateurs.
C’est là que le bât me blesse. Je n’ai pas de mépris pour ces tentatives : tout effort de réflexion est louable. Mais je n’ai pas non plus d’admiration automatique pour ce qui n’est souvent qu’un propos de café de commerce au service d’une philosophie de bazar.
C’est, me direz-vous, l’esprit du temps de donner la parole au citoyen. Mme Michu est sans cesse sollicitée par les plus hautes autorités de l’Etat sur les sujets qui troublent la société ou qui menacent la République. Dans le fond, la fondation Pinault s’inscrit dans cette perspective : ici, Mme Michu a abandonné son micro ; elle a pris (avec un talent que je ne puis juger) son pinceau ou son ciseau.
Mais la vraie Mme Michu me demande simplement de l’écouter ; elle n’exige pas de lui construire un mausolée en forme de musée. Elle n’invite pas la foule à défiler, avec un profond respect et en silence, devant ses élucubrations. Bien plus, Mme Michu, femme du peuple, est polie : elle ne cherche pas à insulter ou provoquer le Bourgeois.
Ajoutons que Mme Michu ne prétend pas faire fortune en vendant ses aphorismes.
Je ne peux m’empêcher de penser à cette réflexion du regretté Professeur Fumaroli : « On appelait artiste celui qui avait créé une œuvre d’art ; aujourd’hui, on appelle œuvre d’art la production de quelqu’un qui se dit artiste ».