Une aventure de notre temps : la mise en valeur d’une demeure historique – (Château de la Flocellière en Vendée)

Par Patrice Vignial

I – Les Origines

L’aventure commence au printemps 1978. Une annonce de trois lignes dans « le Monde » :
« A vendre : Château qui rapporte ». L’originalité de l’annonce attire mon attention.
En effet depuis mon enfance, j’étais attiré par les témoignages de notre histoire. Je jouais avec mes petits copains dans les ruines de Vaison-la-Romaine. Je reproduisais en sable, sur la plage, le Château de Tarascon…
Mais, jeune dirigeant d’entreprise de 38 ans, je savais qu’un château avait toujours été un gouffre financier. Gagnant bien ma vie, mais sans fortune, l’aventure me semblait risqué.
« Un château qui rapporte » était une notion qui me parlait. J’avais la conviction que la France dormait sur un capital monumental de grande valeur, mais souvent très mal exploité.
Avec un peu d’imagination et de volonté, il devait être possible de transformer ces belles endormies et de leur donner une nouvelle vie. L’exemple du Château de Saint-Fargeau, dans l’Yonne, me confirmait dans cette idée.
En effet, il y a eu plusieurs périodes dans l’histoire de nos châteaux, et nous entrons dans une ère nouvelle pleine d’espoir :
– pendant l’époque médiévale, et d’une certaine façon jusqu’à la Révolution, le château était
le siège d’un pouvoir local et avait un rôle économique et social. Son coût de construction et d’entretien était financé par les droits seigneuriaux et des ressources agricoles,
– au XIXe siècle et au début du XXe siècle, le château devient une simple résidence, dont les revenus viennent des terres qui l’entourent (fermages ou métayages). Ces revenus ont considérablement diminué après la 1ère guerre mondiale et le phénomène s’est accéléré à partir de 1945,
– après la 2ème guerre mondiale, sauf le cas de quelques familles fortunées, les coûts d’entretien n’étant souvent plus couverts par des revenus propres, et les divisions successorales accentuant le phénomène, nombre de demeures sont vendues ou données à des collectivités (mairies, comités d’entreprise, etc…) pour des usages sociaux. D’autres sont plus ou moins abandonnées ou détruites et beaucoup deviennent de simples résidences secondaires.
Or, le problème est là : le château résidence secondaire est condamné à terme. Soit les familles propriétaires, souvent en indivision, n’ont pas les revenus suffisants pour entretenir leur demeure, et elles abandonnent. Soient elles en ont encore les moyens, mais l’évolution des modes de vie fait que l’on préfère désormais d’autres modes de loisir (voyages, croisières, thalasso-thérapie, location de bateaux, etc…). Les épouses, en particulier, et encore plus les enfants, ne souhaitent plus assurer l’entretien de grandes demeures pour une utilisation de quelques semaines par an.
C’est un fait de société. Il est loin, le temps où les familles de citadins s’installaient pour tout l’été à la campagne, avec grands-parents, enfants et petits-enfants. Les parents sont au Portugal ou en Thaïlande et les petits-enfants en stage de langue aux Etats-Unis ou ailleurs.
Conclusion : pour survivre, et éventuellement se transmettre, nos demeures doivent devenir des outils de travail, procurant à la fois emplois et ressources.

II – La renaissance du château de la Flocellière

On comprend donc pourquoi l’annonce d’un « château qui rapporte » avait attiré mon attention. En fait, je découvris bientôt la faiblesse du prétendu revenu, mais l’idée y était.
Etant assez occupé à l’époque par ma profession et par l’aménagement d’un nouvel appartement à Paris, la première visite du château n’eut lieu qu’en novembre 1978. Une catastrophe.
Par un jour froid et brumeux, arrivant par les petites routes du bocage vendéen, nous visitons cette grande demeure d’origine médiévale et transformée au cours des siècles, vide, avec ses tours, ses escaliers et ses grandes pièces. Electricité hors d’âge, pas de chauffage, pas d’eau courante, sauf dans une cuisine et une salle de bains. Mon épouse était accablée, à juste titre. J’étais séduit.
J’ai tout de suite aimé cette demeure, ses dépendances, son parc et son environnement. J’ai aussi imaginé ce qu’on pouvait en faire, ceci pour plusieurs raisons :
– malgré le froid, les murs étaient secs et la structure générale paraissait saine ;
– le château était constitué de plusieurs bâtiment contigus mais indépendants, permettant un aménagement progressif et, à terme, un usage différencié ;
– les anciens communs, transformés en locaux scolaires (le fameux revenu, très faible…) à une certaine distance du château pouvaient être facilement transformés en locaux de réception de groupes ;
– enfin et surtout, il y avait un beau parc bordant d’un côté le village (doté de tous les commerces de base) et de l’autre côté dominant un charmant paysage bocager de champs et de bois, sans nuisances visuelles ou sonores.
Je me suis dit qu’un jour – dans vingt ans, dans trente ans – nous pourrions lui donner une nouvelle activité économique et que nous pourrions y habiter, le lieu de vacances initial devenant une résidence principale et un véritable outil de travail. C’est ce que nous fîmes.
Nous avons commencé par restaurer la tour centrale, l’ancien donjon médiéval, qui nous servit de maison de vacances pendant de nombreuses années. Pendant ce temps-là, nous avons progressivement restauré, aménagé et meublé les autres parties du château, année après année, en faisant en sorte que chacune des parties reste indépendante des autres, pour rendre l’exploitation plus souple et plus facile :
– installation du chauffage,
– réfection complète de l’installation électrique et installation de salle de bains,
– toitures et ouvertures extérieures,
– décoration et mobilier.
Enfin, nous avons progressivement réaménagé le parc sur une dizaine d’hectares (création de nouvelles allées, de terrasses, d’un parking à l’abri des regards, d’une piscine discrète, etc…)
Au fur et à mesure, tous les bâtiments ont été restaurés et ouverts à la location, sauf l’aile principale que nous habitons.
Détail juridique et financier, qui a son importance : il a été créé dès le départ une société d’exploitation, dont je suis actionnaire et dirigeant, à qui nous louons le domaine et qui procure des revenus fonciers dont sont déduits les travaux réalisés par le propriétaire. Cette société a également pour objet des activités de conseil, bénéficiant ainsi d’une partie de mes revenus professionnels. Ces revenus ont permis pendant plus de vingt ans de compenser les déficits d’exploitation du domaine. Bien entendu, tout cela est parfaitement régulier et a résisté à quelques contrôles, qui n’ont soulevé aucune question à ce sujet.

III – Le Château de la Flocellière aujourd’hui

Les activités d’accueil et d’hébergement touristique ont beaucoup progressé ces dernières années, en partie grâce à la proximité et au succès du Puy du Fou, distant de quelques kilomètres, et que nous n’avons évidemment pas prévus à l’origine !
Ces activités sont de trois types :
– des chambres d’hôtes, dans l’aile que nous habitons. Elles sont aux nombres de cinq et reçoivent une clientèle en grande partie internationale, attirée par l’envie de vivre dans une demeure privée. Ils sont reçus un peu comme les amis des châtelains, partagent quelquefois notre table, et ne seraient certainement pas aussi attirés par un hôtel,
– des locations saisonnières, dans des bâtiments indépendants (le donjon, le pavillon Louis XIII, etc…) ;
– dans les anciens communs, accueil de groupes familiaux, mariages, associations, scolaires, etc… soit en location simple, soit avec la fourniture de repas. Ces locaux comprennent des salles de réception (jusqu’à 200 personnes assises) et des pièces d’hébergement (chambres familiales, petits dortoirs) pour environ 100 lits.

Les revenus générés par le château équilibrent aujourd’hui l’entretien courant, les dépenses de personnel (5 employés, outre des saisonniers en été) et permettent chaque année de réaliser les quelques dizaines de milliers d’euros de travaux d’amélioration nécessaires.
Bien sûr, cela nécessite de notre part une présence sur place pendant la période d’ouverture (avril à fin octobre, et quelques jours en fin d’année). Il s’agit d’une activité de retraite que nous aimons. Mais le château est devenu un véritable outil de travail qui a incité l’ainé de nos enfants, Frédéric, à en faire sa profession. L’avenir semble assuré pour quelques décennies.

IV – Bienvenue au Château

Une association regroupant des demeures anciennes qui offrent des hébergements touristiques a été créée il y a une quinzaine d’années. Elle regroupe aujourd’hui environ 130 châteaux, manoirs, anciennes abbayes, etc… et participe à la promotion commerciale de ses adhérents par l’édition d’un guide tiré à 18.000 exemplaires ainsi que par un site internet.
Créée à l’origine comme un label de qualité par le Comité Régional du Tourisme (CRT) des Pays de la Loire, elle s’étend aujourd’hui progressivement sur l’ensemble du territoire. Seule organisation de ce type au niveau national, elle est particulièrement appréciée par une clientèle étrangère, intéressée par l’histoire et la culture des régions françaises.
L’association « Bienvenue au Château » est en train de mettre en place un réseau européen regroupant d’autres associations de ce type, notamment en Irlande et aux Pays-Bas.
Elle contribue à développer auprès des autorités régionales et nationales l’image d’une préservation du patrimoine dynamique, moins dépendante des aides et subventions et jouant un rôle non négligeable dans l’activité économique des zones rurales, tout en contribuant à la préservation de l’environnement. Les châteaux retrouvent ainsi dans nos campagnes et nos bourgs ruraux le rôle qu’ils avaient perdu.
Le propriétaire du château de la Flocellière est actuellement le président de « Bienvenue au Château ». Il s’efforce de faire partager son expérience à ses partenaires châtelains du XXIème siècle.

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