Un service militaire inattendu, en Algérie

Par François Leblond

J’ai été incorporé le 2 janvier 1962 au 3ème RIMA à Maisons-Laffitte. Ayant eu pendant mes études à Sciences Po une crise de rhumatisme articulaire aigu, j’avais alors interrompu la PMS et ne pouvais d’emblée être élève officier. Le médecin qui m’a examiné à mon arrivée au camp a considéré que le peloton EOR serait trop fatigant pour moi mais que je pourrais faire tout de même un bon soldat. C’est ainsi que je me suis retrouvé élève-caporal ! Le service durait alors vingt-huit mois.

Lors des quatre mois de classes qui suivirent, notre fusil était, lors des gardes de nuit, cadenassé à notre poignet par crainte qu’il nous soit arraché par l’OAS. L’atmosphère était lourde. J’ai été embarqué vers l’Algérie le 1° mai 1962. Notre départ eut lieu de nuit dans une gare de triage près de Versailles. A Marseille, nous avons été hébergés quelques jours au camp Sainte-Marthe puis mis dans un bateau pour Bône, de là dans un train de marchandise pour Constantine. Les portes restaient ouvertes à cause de la chaleur, et des enfants nous envoyaient des pierres tout le long du parcours ; ils étaient doués ! Les accords d’Evian avaient été signés, mais l’indépendance ne le serait qu’à compter du I° Juillet. De là une grande incertitude sur notre affectation. Nous allions d’abord être réunis dans un camp de passage sous d’épaisses tentes.
Un matin, je me réveille entièrement rouge, ayant été dévoré par les punaises au cours de la nuit, je suis envoyé en traitement à l’hôpital, lui-même infesté de punaises, ce qui ne facilitait pas la guérison. J’en sors enfin au bout de deux semaines. Je retourne au camp de passage pour constater que mes camarades avaient été, entre temps, tous affectés. J’erre seul jusqu’à ce que je rencontre le chef de cabinet du général, le chef d’escadron Gérald de Castelnau, petit-fils du grand général de la guerre de 14, qui me fait nommer secrétaire du général Frat commandant la Division de Constantine.
Fort de cette bonne nouvelle et de la réduction du service à dix-huit mois, j’écris à ma fiancée Florence que nous pouvons nous marier et qu’elle pourra sûrement utiliser ses diplômes de chimie physique acquis à la Sorbonne pour faire de l’enseignement, les professeurs étant repartis en masse en métropole. Nous nous marions à Senlis le 15 septembre 1962. Au bout de quinze jours, je repars seul en Algérie sans savoir dans quelles conditions je pourrai la faire venir. Insouciance de la jeunesse !

À mon retour, cherchant une solution rapide, je constate que des enfants jouent en récréation à l’intérieur même du camp militaire. Il m’est dit qu’il s’agit d’un collège de Pères Blancs. Je rencontre le directeur, un Belge, le père Godard, une personnalité exceptionnelle. Il me dit qu’il prend Florence si elle veut bien faire la huitième. Je réponds : qui peut le plus peut le moins !
Florence arrive dans les huit jours. Nous sommes logés dans trois cellules destinées à des religieuses espagnoles qui avaient refusé de venir. Je prendrai mes repas avec Florence à la table des professeurs. Ceux-ci viennent du monde entier. Les Pères Blancs ne sont pas là par hasard, leur présence est appréciée depuis bien longtemps des nouveaux maîtres de l’Algérie.
Au bout de quelques jours, Florence a instruction du père Godard d’ajouter à la huitième l’enseignement de la chimie en quatrième, troisième, seconde et première au lycée technique de Constantine. Elle y sera conduite en voiture par des soldats de l’ALN. Une expédition : ils se retournent sans cesse dans la voiture, faisant craindre à leur passagère un accident sur le pont qui enjambe les gorges du Rhummel, pour lui dire avec force : « Des personnes comme vous, il faudrait les porter sur nos épaules ! » Le proviseur du lycée est un Algérien énergique. Florence s’étant plainte à lui un jour d’un manque de respect de la part d’un élève, il jette celui-ci dans l’escalier. Elle ne recommencera plus ! J’ajoute qu’elle n’a jamais été payée pour cette tâche !
Tout allait bien quand j’apprends que l’armée française doit quitter Constantine au cours des prochains mois. Que deviendrons-nous ? Le chef de Corps, le colonel de Vallée, polytechnicien, un grand monsieur, décide de m’y laisser seul quand le reste de l’armée sera partie pour Philippeville. J’aurai le titre de consul- adjoint du nouveau consul général Joseph Lambroschini, un baroudeur qui avait été consul à Saïgon puis à Oran, qui se révèle pour moi un excellent patron et que je reverrai de nombreuses années plus tard quand je serai préfet de police en Corse où il a pris sa retraite. Pour faire bonne mesure, j’assurerai des cours de droit à la faculté de droit de Constantine, récemment créée. Je quitte le camp militaire pour un ancien hôtel qui abrite le consulat général, avec un bureau muni d’une somptueuse salle de bains !
C’est ainsi que Florence et moi avons passé l’année scolaire 1962-63 en Algérie ; c’est là qu’a été conçue notre fille aînée. C’était une époque de luttes à l’intérieur du pouvoir algérien. Des hommes se battaient souvent autour du collège, il arrivait au père Godard de soigner les blessés. Nous étions à la merci d’une balle perdue, mais la chaleureuse ambiance qui régnait autour de lui nous faisait oublier le danger. L’Algérie reste un mauvais souvenir pour beaucoup d’appelés. Pour nous, c’est différent car nous avons la conviction de n’avoir pas été inutiles, et nous y avons beaucoup appris.

Un service militaire peu banal, mais un service militaire tout de même

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