Par Michel Cotten – décembre 2017
Texte prémonitoire de Michel Cotten. Le Conseil constitutionnel n’a pas censuré l’article de loi voté par le Parlement, mais a réservé sa position pour la suite. À ce jour (septembre 2018), les ressources qui seraient nécessaires à un remplacement total de la taxe d’habitation n’ont pas été dégagées. Une nouvelle bataille parlementaire aura sans doute lieu à l’automne de 2018.
La taxe d’habitation a rapporté aux communes et à leurs groupements environ 24 milliards d’euros en 2016 [1], ce qui équivaut au tiers de l’impôt sur le revenu, et a concerné 48 millions de locaux d’habitation.
Rappelons que depuis la spécialisation des impôts locaux, elle est réservée au bloc communal. Elle reste un impôt facultatif ; les communes votent librement son taux et peuvent consentir certains allègements.
L’article 3 de la loi de finances pour 2018 prévoit de dégrever de la taxe d’habitation tous les occupants de résidences principales dont le revenu fiscal est inférieur à un certain montant. Ce dégrèvement, de 30% la première année (2018), atteindrait 100% en 2020. Suivant les estimations officielles, près de 80% des redevables actuels se trouveraient entièrement dégrevés dans trois ans.
Cette mesure, qui figurait en bonne place dans le programme du candidat à la présidence de la République finalement élu, est-elle conforme à la Constitution ?
Un premier recours, déjà déposé devant le Conseil constitutionnel, met en avant la rupture de l’égalité devant les charges que constituerait une mesure à la fois massive et limitée à une partie de la population. Un orfèvre en la matière, ancien directeur de la Législation fiscale au ministère de Finances, le pense et l’a écrit dans le Figaro. Ses arguments sont tout à fait convaincants. On ne comprend pas pourquoi un impôt injuste pour 80% des contribuables ne le serait pas pour les 20% restant…Ajoutons que les injustices actuelles, reconnues dans un rapport récent mais peu diffusé de l’ancienne direction générale des Impôts, tiennent pour l’essentiel à la non-application depuis plus de quarante ans des révisions complètes tous les six ans prévues par le Code Général des Impôts.
Un autre chef d’inconstitutionnalité de l’article 3, directement lié à la liberté de gestion des collectivités territoriales, pourrait être invoqué : le non-respect de l’article 72-2, alinéa 3 de la Constitution, qui garantit la libre administration des collectivités territoriales. Depuis les modifications intervenues en 2003 à l’initiative de Jean-Pierre Raffarin, alors premier ministre, son § 2 détaille les conséquences à tirer de ce principe de libre administration en matière de finances locales, et notamment ceci : Les recettes fiscales et autres recettes propres représentent pour chaque catégorie de collectivités territoriales une part déterminante de leurs ressources.
En application de la loi organique du 29 juillet 2004, la part de ces ressources a été fixée à 60,8% pour les communes et leurs groupements, à 58,6% pour les départements et à 41,7% pour les régions. Ces chiffres correspondent faute de mieux à des constats faits sur l’exercice 2003.
Le Conseil constitutionnel s’est montré très ouvert au sujet de la définition des ressources propres. Cela étant, il a prévenu le législateur qu’il ne pourrait que censurer les actes législatifs ayant pour conséquence nécessaire de porter atteinte au caractère prédominant de la part des ressources propres. Il est clair que le remplacement d’un produit fiscal par une compensation budgétaire de l’Etat dont l’évolution ne serait pas garantie a vocation à faire partie de ces actes législatifs.
Le gouvernement a vu le danger, et c’est sans doute pourquoi un §4 a été ajouté à l’art 3 de la loi de finances, afin de dissuader les parlementaires de former un recours : un rapport spécial doit être établi avant le 1er octobre (2018) pour faire le point sur l’application progressive du dégrèvement des résidences principales, établir un bilan de l’autofinancement des collectivités locales et énoncer les possibilités de substitution d’une autre ressource fiscale. Mais cette solution de rechange est peu crédible.
Où allons-nous ?
[1] Source : Observatoire des Finances locales (créé au sein du Comité des Finances locales)