Ceux qui m’ont influencé au cours de ma vie

Par François Leblond
Juin 2024

François Leblond, préfet de région honoraire, est déjà connu des lecteurs du site Montesquieu par les souvenirs pittoresques  qu’il leur a livrés au sujet de la guerre d’Algérie. Il recense aujourd’hui les influences formatrices dont il a bénéficié.
Leur diversité, leur richesse sont celles de notre pays. .  

La profession un haut fonctionnaire est spécifique. Il s’engage, probablement pour la vie, à servir un État qui change régulièrement d’orientation politique. Il a donc besoin de convictions fortes pour rester lui-même. Dès l’enfance, il est marqué pour la vie par ceux qui l’entourent. Mais chaque étape de sa carrière enrichit son expérience sans remettre en cause les principes qui lui ont été appris dans sa  jeunesse. J’ai toujours beaucoup écouté les conseils qui m’ont été donnés par des hommes et des femmes dont j’appréciais la valeur.

I/ Mon enfance et ma jeunesse à Lyon

Ayant perdu mon père à l’âge de dix-huit mois, mon oncle Arloing quand j’avais 7 ans, mon grand-père Boutmy à 9 ans, j’ai été élevé par des femmes, maman d’abord, les deux sœurs de ma grand-mère Boutmy, Alice et Renée, ensuite. Toutes les trois vivaient dans le souvenir de mon oncle Fernand Arloing, professeur à la faculté de médecine de Lyon, qui avait laissé une place exceptionnelle dans leur cœur.

Mon oncle Fernand Arloing

Il était le fils de Saturnin Arloing, directeur de l’école vétérinaire de Lyon et professeur à la faculté de médecine. Ce dernier était un savant reconnu, Il avait eu une place mondiale dans la lutte antituberculeuse, s’étant opposé victorieusement à Koch sur la transmissibilité du mal de l’animal à l’homme. Veuf, Il était décédé au travail à 63 ans, son fils Fernand, lui-même professeur à la faculté de médecine, en ayant alors 35. Tante Lili, épouse de ce dernier, mariée depuis dix ans, avait vécu ses premières années de couple à l’école vétérinaire de Lyon, entre son mari et son beau-père, et avait assisté à leurs discussions scientifiques. Elle avait gardé de Saturnin Arloing un souvenir ému : « Je n’ai jamais trouvé de défaut à mon beau-père ! »

Oncle Fernand était titulaire de deux chaires à la faculté, ce qui était exceptionnel : médecine expérimentale et bactériologie. Il avait fait de la clientèle mais était, toujours comme son père, passionné par la recherche, notamment contre le cancer dont, malheureusement, il est mort. Il avait eu le temps, avant de mourir, de mettre au point un médicament, l’oxyferiscorbone, qui eut un succès commercial. D’où des moyens financiers substantiels pour les femmes de la famille et, pour maman, la possibilité d’acheter sa maison de Marcy, près de Villefranche-sur-Saône.

Il n’était pas un homme d’argent. Chrétien, il avait des activités sociales nombreuses qui le rapprochèrent du cardinal Gerlier. Il aimait faire passer des messages à cet égard à maman, qui garda toute sa vie un souvenir ému de son extrême générosité. Un jour, il avait dit de son épouse et de sa belle-sœur, lors d’une rencontre personnelle : « Elles n’ont pas l’esprit évangélique ». C’était sans doute un peu vrai à l’époque. Il n’était pas seulement un grand médecin ;  il avait développé, pendant ses loisirs, une activité de photographe, produisant un patrimoine énorme de plaques, que maman a donné à la bibliothèque municipale de Lyon. Il voyageait en Italie avec son épouse et sa belle-sœur pour y retrouver les richesses artistiques des différents siècles. Chaque voyage était précédé d’une étude minutieuse de ce qu’ils allaient voir. Tous les trois avaient ainsi une connaissance exceptionnelle des beautés de ce pays.

Il lisait beaucoup sur tous les sujets, défendant par exemple, Freud, et disant que son œuvre avait été déformée par ceux qui l’ont suivi. Il était parfois moqueur vis-à-vis de ses collègues, traitant l’un d’eux, gynécologue, de sage- femme en culotte.

Très gai, taquin, il était, probablement la personnalité la plus forte de la faculté. On l’appelait « le plus parisien des Lyonnais ».  Il n’avait pas voulu être doyen, pour éviter de faire, disait-il, des discours aux obsèques de ses collègues. J’ai entendu le professeur Dufour, un de ses amis, dire à ma tante : « Depuis qu’il est parti, la faculté dort !»

Il avait été réformé à la suite d’une opération du ventre qui avait laissé des traces et qui a été à la base de son cancer, trente ans plus tard. En 1914, il n’est donc pas parti au front. C’était le moment où son beau-père, Lucien Picard, âgé, eut, avec l’Etat, des problèmes à cause de son entreprise de produits chimiques. Il avait dû, quelques années avant, la vendre à une société allemande concurrente qui l’avait partiellement ruiné. Avec la guerre, l’entreprise risquait d’être mise sous séquestre. C’est Fernand Arloing qui a géré le dossier auprès des autorités et s’est fait, lui médecin, directeur de l’usine sans en avoir la formation.

Pour toute la famille, proche et éloignée, Fernand Arloing passait pour le grand homme, sans le chercher le moins du monde. Je ne l’ai connu que jusqu’à l’âge de sept ans mais j’ai eu le temps, enfant, de l’admirer. Maman avait voulu qu’il soit mon parrain, et après le décès de mon père, il a failli m’adopter. J’étais l’enfant qu’il n’avait pas eu.

Mes deux tantes et maman ont entretenu, en moi, son culte. La tristesse de tante Lili a été que je ne pense pas m’orienter vers la médecine. Elle a donné tous les dossiers de travail de son mari à la faculté ; ce pourrait être un sujet d’étude

Il avait examiné mon père cardiaque quelques temps avant sa mort et avait dit à tante Lili : « il est foutu ! ». Elle n’avait pas rapporté à ces mots à maman.

Quand on demandait à sa femme de chambre, Jeanne Cathenod, pourquoi elle ne s’était pas mariée, elle répondait : « je n’ai jamais trouvé un homme comme monsieur ! »  Elle supportait toutes ses exigences parce qu’il l’avait en haute estime. Elle aussi m’a élevé dans son souvenir. C’est elle qui m’a conduit à l’église d’Ainay pour ses obsèques, me faisant m’incliner devant son cercueil : « Tu vois comme il était grand » ! Elle faisait allusion à sa grande taille, mais c’était plus que cela.

Encore après sa mort, on menait la grande vie au 16 de la rue du Plat, en face de la cathédrale de Lyon : de somptueux dîners avec des convives triés sur le volet. Tante Lili détestait les gens ennuyeux et les faiseurs. On y donnait des concerts, dont l’un avec le Polonais Séverin Turel que tante Lili voulait contribuer à lancer.  L’appartement était vaste, rempli de belles choses. On disait que Louis XIII avait dormi dans la chambre de mon oncle ! Un contraste avec la vie difficile de maman et la mienne, mais que nous acceptions l’un et l’autre sans la moindre jalousie.

Lors de mes fiançailles avec Florence, tante Lili a offert une réception pour nos amis lyonnais. Elle a fait, à cette occasion, connaissance de mon beau-père dont elle a apprécié la personnalité mais a considéré qu’il était « plein de lui-même », ce qui n’était pas, dans sa bouche, vraiment un compliment. Quant à Malo, tante et marraine de ma mère, elle observait que les questions sociales ne semblaient pas beaucoup préoccuper ma belle-famille. Toutes deux avaient été influencées par la multiplicité des activités sociales de maman, elles avaient, désormais, davantage l’esprit évangélique qui leur manquait, sans doute, un peu plus tôt, comme l’avait dit oncle Fernand.

Mon grand-père, Lucien Boutmy, bon-papa

Ma grand-mère Boutmy était décédée au Corbet, sa propriété du Beaujolais, en 1932 à l’âge de 51 ans. Lui-même en avait 56. Il était inconsolable. Maman a voulu que nous portions, Florence et moi, leurs alliances, considérant que c’était un modèle d’union.

Maman était mariée depuis deux ans à la mort de sa mère et son père s’est imposé très largement dans la vie du ménage : ce qui n’était pas bon et que mon père supportait difficilement.

 Je ne suis né qu’au bout de sept ans de mariage et mon grand-père a retrouvé un peu de gaieté à cette occasion. Il écrivait chaque jour, des vers sur un carnet que nous avons, hélas, perdu dans nos déménagements. Il s’est arrêté d’écrire le jour de ma naissance.

Il avait eu d’importantes responsabilités dans la sidérurgie, étant le directeur à Paris des aciéries de l’Arbed, propriété de la grande duchesse du Luxembourg. Dès la mort de sa femme, il a pensé à quitter son emploi et à voyager sans se soucier de ses finances, au grand désespoir de la famille Arloing qui lui était très proche. Après la mort de mon père, il a proposé à maman de venir s’installer avec lui à Cogny-en-Beaujolais, pour être proche à la fois de la maison de famille du Corbet et de Lyon. J’ai donc été élevé par mon grand-père et maman en ce village, attendant l’âge de six ans pour aller en classe. Bon papa se chargeant de mes premiers débuts.

Il avait une maladie de cœur et pesait lourdement sur sa fille, l’empêchant de se remarier. C’était néanmoins un homme d’une grande gentillesse. Lorsque j’étais à Sciences Po, une amie me disait : « Qui n’a pas connu votre grand père ne sait pas ce que c’est qu’un homme aimable avec une femme.  »

Nous sommes installés à Lyon en 1943, en sous-location. La population avait beaucoup augmenté avec la guerre, et n’avons trouvé une location 16 rue du Plat que quelques mois avant la mort de ce grand-père. J’ai été impressionné par le petit discours qu’il a prononcé quand il a pendu la crémaillère : « J’ai trouvé un logement pour y mourir ». Maman y est restée vingt-deux ans.

Pour moi, bon papa, c’était la rigueur morale et l’indulgence à l’égard de ceux qui ne partageaient pas ses idées. Il avait été marqué, à cet égard, par son oncle Émile Boutmy. Il était l’aîné des neveux de ce dernier et son exécuteur testamentaire. Son fils Charles, mort sur le front en 1940, avait épousé Maddy Gainsbourg, une femme insupportable qui a empêché pendant onze ans le règlement de la succession de son beau-père, jusqu’à la majorité de son fils Henri Philippe, dit Poucet, mettant sa belle-sœur, maman, durant de longues années, en grandes difficultés financières.

 À la fin de sa vie, bon papa était très religieux et avait été reçu dans la Confrérie du Saint-Sacrement. Il siégeait dans les stalles de la primatiale Saint-Jean, où j’ai été plus tard enfant de chœur et où se sont tenues les obsèques de maman.

Ma grand-mère Leblond

Elle avait perdu son mari, Louis Leblond, l’année de ma naissance. Elle habitait le château du Vau au sud d’Angers et maman m’y emmenait chaque année au mois d’août pour que je reste un Leblond et que j’y retrouve mes cousins. C’était le reste d’un château féodal brûlé sous la Révolution. Je me suis toujours demandé pourquoi cette famille parisienne avait voulu acheter en 1921 un tel édifice.

Pour cela, il faut faire un peu d’histoire. Louis Leblond, mon grand- père, était un homme, de l’avis de tous, très intelligent. Il avait dirigé très jeune le plus grand hôtel du Havre, le Frascati. Après son mariage, il y associa son épouse, née Piguet, de la famille des horlogers de Genève. Ma grand-mère parlait de cette époque avec émotion. J’ai entendu de nombreuses fois dans sa bouche le mot Frascati. C’était, manifestement, sa marque de fabrique.

Ils avaient, quelques années plus tard, acheté l’hôtel Monsigny à Paris, un hôtel pour voyageurs que mon père dirigea quand son propre père tomba malade. Cet établissement existe toujours.  Louis Leblond était devenu juge au tribunal de commerce de la Seine, ce qui montrait l’image positive qui était la sienne. Malheureusement la maladie de Parkinson a cassé sa vie professionnelle. Cela été très néfaste pour la famille.

L’achat du Vau correspondait, je pense, à la volonté de ce royaliste militant de devenir châtelain et seigneur d’un village. Il laissait entendre qu’il ne s’appelait pas Leblond mais Prévost de Noirfond, nom que ses ancêtres auraient eu quand ils avaient accompagné Louis XVI à l’échafaud, et qu’ils avaient abandonné pour ne pas être, à leur tour, guillotinés. C’est invérifiable mais cela explique la volonté de toute la famille de se comporter en aristocrates, d’aimer les belles voitures et de ne pas lésiner sur les dépenses. Les Leblond étaient flambeurs !  Mes deux tantes Villeminot et Piercy de Vomécourt, deux superbes femmes au caractère trempé, étaient l’une et l’autre, à Paris, arbitres des élégances et le sont restées jusqu’à leur mort.

Ma grand-mère, assez terrible, avait partagé les idées monarchiques de son mari. Elle présidait la table dans la grande salle à manger du Vau, dont les murs étaient couverts d’armures moyenâgeuses qui me faisaient peur. Les Leblond avaient tous de la personnalité et les repas étaient explosifs. Seule maman gardait son calme et en riait.

Je n’ai pas un bon souvenir du Vau où je m’ennuyais, mais ces voyages annuels ont constitué une part de mon expérience d’enfant et de jeune homme. J’étais au premier rang à dix-neuf ans dans le cortège du deuil de ma grand’mère. Tout le village était présent : une procession de deux cents mètres de long conduite par mon oncle, l’abbé Jean Leblond, depuis le château, à travers les vignes « Coteaux du Layon » que nous possédions, jusqu’à l’église. Cela m’a montré la bonne image de la famille et j’en suis encore fier. Je suis, malgré la mort prématurée de mon père, un Leblond. Le Vau a été vendu à ma majorité à la suite de querelles de famille, c’est quand même  dommage.

Les tantes : Lili et Malo

Tante Lili m’a appris à aimer les personnalités exceptionnelles. C’est par elle que j’ai fait vraiment connaissance de son mari Fernand. Celui-ci travaillait jusqu’à minuit presque tous les soirs et elle restait en face de lui, lisant de l’autre côté de la table. Excellente pianiste, elle jouait six heures par jour. A quatre-vingt-cinq ans, elle parlait toujours d’étudier son piano. Elle ne savait pas faire cuire un œuf mais savait imposer le respect, mouchant les fausses valeurs. On la craignait.

Malo, un diminutif du nom de la marraine de maman, a eu sur moi encore plus d’influence que sa sœur. Elle connaissait par cœur l’histoire de sa famille et savait valoriser les personnalités qui s’étaient distinguées.

Les militaires d’abord : son arrière-grand père qui avait suivi Napoléon dans toutes ses batailles de Iéna en 1806  à Waterloo en 1815 en passant par la Russie, son grand-père qui avait eu les mêmes grades d’officier sous Napoléon III et qui n’avait pas supporté les trahisons comme celle de Bazaine en 1870. La carrière d’officier était pour elle la plus méritante et c’est elle qui m’a fait penser durant plusieurs années à entrer à Saint Cyr.

Mais ce fut aussi Malo qui m’initia à la connaissance d’un de nos ancêtres, le comédien du roi Brizard dont elle gardait précieusement les archives. Elle rappelait qu’il était mort en janvier 1791, de chagrin de voir la façon dont on traitait Louis XVI qu’il aimait profondément, tout en souhaitant les changements que son maître Voltaire avait appelés de ses vœux. À sa mort, Brizard était capitaine de la garde nationale sous l’autorité de Lafayette, ce qui montrait son ouverture d’esprit.

Maman (pour mes enfants : grand-mère Marthe)

Elle a connu de grandes difficultés financières, de la mort de son mari pratiquement jusqu’à mon mariage. Cela lui a donné un comportement à part dans la bourgeoisie dont elle faisait partie.

Elle était, en réalité, plus aristocrate que bourgeoise. Elle portait une chevalière aux armes des Boutmy et m’en avait fait faire une que je me suis fait voler. Sa distinction était naturelle et était appréciée de toutes les classes de la société. Elle déroutait un peu mes beaux-parents qui la traitaient de gauchiste, alors qu’elle a toujours voté à droite et que, fondamentalement, ils l’appréciaient.

Elle avait, à la mort de son mari et ne disposant d’aucune pension de réversion, créé une entreprise de tissage à la main. Elle avait vu faire des Africaines à l’exposition coloniale de 1937. Pendant la guerre, elle eut du succès parce que les vêtements étaient rares, elle a employé jusqu’à quinze personnes. Mais au moment de la mort de son père, qui l’aidait beaucoup à vivre, en 1946, il n’y avait presque plus de clients pour une telle activité. Dès 1947, elle chercha un emploi stable. L’entreprise Mérieux lui proposa de la recruter à un bon niveau de salaire, mais elle préféra l’enseignement- elle avait les diplômes voulus- pour avoir les mêmes vacances que moi, tout en sachant que la rémunération des professeurs dans l’enseignement catholique était, avant les lois Debré, très faible et qu’il lui faudrait trouver d’autres ressources. Elle transforma alors son appartement en une pension pour élèves venant de la campagne. J’ai eu ainsi des amis qui le sont restés.

Plus le temps passait, plus elle s’engageait dans toutes sortes d’associations venant au secours des plus pauvres, et aussi en politique, dans le sillage du MRP. Autant mes tantes m’influençaient en rappelant le passé de la famille, autant elle me faisait pénétrer dans un univers de gens modestes que je ne connaissais pas. Elle créa une « maison familiale de vacances » aux Praz de Chamonix où elle recevait des familles catholiques de Lyon chargées d’enfants et aimant la montagne ; les hommes avaient fait leur service dans les chasseurs alpins et atteignaient sans guide les sommets connus. C’est comme cela que j‘ai connu la montagne.

La maladie qui a alors atteinte ma mère, le Basedow – un dérèglement de la glande thyroïde – l’a obligée à quitter toute activité pendant deux ans. J’étais en math-élem, terminale scientifique de l’époque, et mes études en ont souffert. J’allais la voir à l’hôpital et dans les maisons de repos où elle était reçue, elle souffrait de mon absence.  Mon regard sur ceux qui sont en difficulté s’est élargi et cela m’a aidé plus tard dans ma carrière.

On l’a guérie et elle a pu reprendra toutes ses activités jusqu’à un âge avancé. C’est cette période de sa vie qu’ont connue mes enfants avec l’acquisition de la maison de Marcy où elle a été très heureuse. Elle était encore fidèle à ses engagements antérieurs. Elle a même voulu se présenter aux élections municipales mais elle a été battue car elle n’était pas encore depuis assez longtemps dans un village où tout le monde se connaît. Une fois par an, Villefranche-sur-Saône fêtait les conscrits dans la rue Nationale. En avant se situaient les hommes de vingt ans, ensuite ceux de trente, puis de quarante et ainsi de suite jusqu’à soixante-dix ans. Une année, on vit ma mère dans un landau tiré par un cheval, assise derrière le cortège, à côté du vétéran avec un grand chapeau et riant à gorge déployée. Elle ne manquait pas le voyage annuel des pompiers de Marcy, épuisant par sa longueur. À soixante –treize ans, elle partit à Paris avec un pliant pour assister à la grande manifestation de défense de l’école libre ; elle passa quatorze heures dans les rues et me dit le soir qu’elle n’était pas fatiguée parce que c’était formidable.

Après notre mariage, elle vint pendant deux ans à Paris, en train de nuit, pour suivre les cours de madame Borel Maisonny et créer à Lyon un enseignement pour enfants atteints de diverses infirmités les empêchant de progresser dans leurs études, notamment la dyslexie. Elle ne s’arrêta qu’à soixante-quinze ans. Je n’étais pas toujours en phase avec elle mais elle m’a beaucoup influencé.

Le père Bertrand, préfet des études du collège des Maristes de Lyon

Maman avait fait sa connaissance quand il m’a accepté en 9 ème, aujourd’hui CE2, alors qu’il n’y avait plus de place. C’était un homme d’une grande intelligence venant d’un milieu modeste. Dès l’abord elle a été en admiration devant lui, et il a été le confident de ses soucis, même après qu’il fut muté au collège de Vichy. S’il était resté à Lyon, j’aurais, sans doute, poursuivi mes études chez les maristes, bien que devenues trop chères pour elle : il aurait fait quelque chose pour l’aider et je n’aurais pas connu les affres d’écoles nulles pendant deux ans avant d’entrer au Lycée du Parc.

Il était très engagé dans le MRP d’alors, et a fait connaître à maman des députés connus à Lyon à l’époque, notamment Pierre Bernard Cousté, une des figures du mouvement, avec qui elle se lia pendant des décennies, organisant chez elle, pour lui, avenue Berthelot, des réunions, lors de chaque législative.

 Le père Bertrand, était, quand il était encore à Lyon, aumônier de la prison Saint-Paul où étaient détenus les prisonniers politiques qui avaient été emprisonnés après la Libération. Il m’a emmené au moins une fois au parloir de la prison, je devais avoir dix ans. Il se rendait beaucoup à Paris et s’est lié avec mon oncle abbé Jean Leblond, devenu professeur d’anglais à Stanislas. C’était aussi un habitué des Semaines Sociales de France, créées à Lyon au début du XX° siècle et rassemblant des hommes et des femmes se recommandant du catholicisme social. J’y suis venu pendant toutes mes années d’études à Sciences Po.

Il nous a mariés à la cathédrale de Senlis. Ma belle- mère n’a pas apprécié son homélie pourtant très gentille. Je n’ai pas compris ce qu’elle lui reprochait. Il est décédé quelques années après. Maman l’avait perdu de vue.

2/  Mon arrivée à Paris

Mon passage par Sciences Po. Jacques Chapsal, directeur de l’Institut d’études politiques de Paris

Pour moi, quitter Lyon pour Paris, c’était un peu une aventure. Maman venait d’être bien malade. Elle avait désormais heureusement un peu d’argent, la succession de son père venant d’être réglée, mais c’était dur pour elle de me voir partir. Les tantes, elles, étaient très favorables malgré la distance qui les séparerait désormais de moi, et avaient trouvé pour moi une chambre près de l’école chez une de leurs relations.

Quand j’ai passé la porte de Sciences Po et que j’ai vu le nom d’Emile Boutmy à la porte de l’amphithéâtre qui lui fait face, j’étais un peu ému.

Le jour même, j’ai croisé Jacques Chapsal dans le hall qui se dirigeait, à 13 heures, vers le Solex qu’il garait dans la  rue face à l’entrée pour aller déjeuner en famille. C’était un homme d’apparence austère qui rappelait ce qu’avait dû être Emile Boutmy : une vie entière consacrée à la formation des élèves, vivant de son salaire sans recherche de profits. Il était impressionnant de dignité. J’eus, deux ans après, l’occasion de lui parler quelques instants et pus lui dire mon lien avec le fondateur. Il me dit : « Vous entrerez à l’ENA si vous êtes digne de lui, c’est le seul de mes prédécesseurs dont je m’inspire. » Toute ma vie, j’ai eu présente à l’esprit cette parole qui m’engageait.

C’est un homme comme lui qu’il faudrait mettre à la tête de l’école aujourd’hui.

L’historien Devisse

Nous étions, dès la première année, répartis en groupes de vingt-cinq, en des conférences dites de méthode. L’histoire était la première des disciplines. J’avais entendu dire que Devisse était l’un des meilleurs maîtres de conférence et je m’étais inscrit dans son groupe. Bien m’en a pris : cet homme exceptionnel nous a passionnés toute l’année. Nicole Mialaret en était aussi et nous en parlons encore.

Il était très exigeant. Il nous proposait d’oublier un peu ce que nous avions appris dans nos études secondaires et d’entreprendre avec lui une étude originale des faits marquants de l’histoire depuis la Renaissance. Il nous interrogeait sans cesse sur tel ou tel événement qui lui paraissait fondamental pour la compréhension de l’histoire. Il nous donnait beaucoup de travail. Une forte ambiance régnait dans la conférence. Sciences Po vivait intensément grâce à lui. Il n’avait aucun a priori idéologique.

Alain Trapenard, Olivier Chevrillon, Bernard Gournay, Michel Crozier

Trois d’entre eux étaient sortis de l’ENA quelques années plus tôt. L’un était au Conseil d’État, deux autres à la Cour des Comptes, le quatrième était un sociologue déjà très connu. Ils avaient une vision critique de l’administration de l’époque, considérant qu’elle était beaucoup trop rigide dans son fonctionnement, qu’elle donnait trop de place au contentieux juridique aux dépens d’une réflexion sur la façon dont elle doit correspondre aux besoins du public. Ils avaient trente ans d’avance. Ils sont tous aujourd’hui décédés. S’ils étaient vivants, ils se trouveraient à la pointe du combat. Ce sont eux qui m’ont conforté dans mon désir d’entrer à l’ENA par l’image vigoureuse qu’ils donnaient et la passion qu’ils avaient pour la chose publique. Je me rendais souvent à la Cour des Comptes, où Trapenard et Gournay, jeunes auditeurs, ne disposaient pas de bureaux individuels et se parlaient beaucoup.

3/ Le temps de l’ENA

Le père Godart en Algérie

Après le concours de 1961, je suis parti faire mon service militaire, d’abord à Maisons-Laffitte puis en Algérie. Florence et moi, nous nous sommes mariés en septembre 1962 et elle a pu me rejoindre  pour y enseigner dans le collège des Pères Blancs de Constantine. Le directeur du collège était le père Godart, un Belge qui avait été attiré par la vie des successeurs du Père de Foucauld. C’était un grand seigneur. L’Algérie était désormais indépendante, mais il pensait que la France avait toujours sa place dans l’enseignement.

Il manquait de professeurs et se mit à les recruter dans toutes sortes de pays : Libanais, Égyptiens, Mauriciens. Florence, détentrice d’une licence de physique et chimie, prenait désormais place dans cette communauté internationale qui n’avait pas été la sienne jusque-là. Le père Godart accepta de me convier à tous les repas qui étaient pris ensemble. C’était ma première expérience internationale. Rien de petit dans le comportement du Père. Une vue sur l’Algérie qui, malheureusement n’a guère été suivie par ceux qui, ensuite, eurent à conduire ce pays. Plusieurs Pères blancs furent assassinés. Le Père Godart est rentré en France et nous avons continué à le voir jusqu’à son décès. C’est lui qui a baptisé Olivier.

Comme je l’ai écrit, il eut aussi une influence majeure sur Florence, qui s’est vue dans une situation inédite pour elle. Les postes de préfet étant alors exclusivement confiés à des hommes, les épouses jouaient un rôle majeur auprès de leur mari. L’expérience algérienne a aidé Florence à s’ouvrir aux diverses populations et à ne pas s’en tenir aux publics privilégiés.

4/ Ma carrière 

Raymond Marcellin, ministre de l’Intérieur,

Je n’avais rien fait pour entrer à son cabinet. Il avait appris à me connaître par les rapports que je faisais, quotidiennement, des points de vue des préfets sur l’actualité au lendemain des événements de 1968. Il avait demandé qui écrivait ces textes et avait voulu m’avoir auprès de lui. Ainsi je fus en contact permanent avec un homme, exceptionnel par beaucoup de côtés, et trop mal connu. Il ne battait pas l’estrade pour se fait apprécier, et allait au cinéma sans garde du corps, pensant que son physique de Français moyen ne le faisait pas reconnaître.

Aujourd’hui, un gros livre a paru à l’occasion du cinquantenaire de la mort de Pompidou. Il ne parle guère de lui et c’est dommage. C’était sans doute un de ses plus proches conseillers et un ami fidèle jusqu’à la fin.

Marcellin, résistant dans le sillage de Marie-Madeleine Fourcade, avait commencé une carrière politique dès le début de la Quatrième République sans autre étiquette que la modération. Il avait été  secrétaire d’État de Jules Moch, ministre de l’Intérieur, un homme qui, socialiste, avait joué un rôle majeur en 1948, dans la lutte contre le communisme, en organisant la police de manière à ce qu’elle soit en mesure de résister et en créant à cet effet les compagnies républicaines de sécurité. Jules Moch et Marcellin œuvraient ensemble. Marcellin s’en est souvenu quand il reçut, à son tour, la responsabilité de ce grand ministère. Pour lui, l’ordre public était une priorité, quelle que fût la sensibilité politique du pouvoir. Les hommes politiques des partis de la majorité  n’avaient pas  lui dire ce qu’il devait faire. Il considérait comme une priorité de faire face au danger communiste au niveau international et s’insurgeait contre « les gentils », comme il les appelait.

Il avait prouvé son énergie dès qu’il avait accédé au pouvoir en juin 1968 après les événements de mai, et le général de Gaulle avait approuvé la volonté sans faille de son ministre. Pendant les six ans passés au ministère, il n’a pas pris de vacances, résistant, par sa connaissance exemplaire des dossiers, à l’UNR qui voulait sa place.

Il avait pour principe de défendre les personnels placés sous ses ordres contre les attaques injustes. Il voulait des policiers suffisamment nombreux dans les manifestations, considérant que les bavures venaient le plus souvent de l’infériorité numérique.

 Les discours que je préparais avec lui pour la séance budgétaire relative au budget de l’Intérieur dans un hémicycle très plein étaient marqués par cette volonté sans faille. Pendant que ses collègues étaient en vacances, il assumait sa responsabilité. Je me suis inspiré de lui dans mon métier de préfet : j’ai toujours été là quand la situation le demandait et j’ai, comme lui, hiérarchisé l’urgence des sujets à traiter. « Quand la maison brûle, on n’appelle pas le décorateur ! »

 J’ai appris qu’en matière d’ordre public, un préfet est seul et qu’on ne peut compter sur des administrations centrales. Il faut ne leur demander que le minimum et ne compter que sur soi pour le meilleur et pour le pire.

C’est grâce à Marcellin qu’il n’y a pas eu d’attentat sous Pompidou, le ministère s’étant organisé pour les déjouer.  Il a subi une décision négative du Conseil Constitutionnel qui a annulé son désir d’empêcher la reconstitution des ligues dissoutes. J’ai assisté à sa colère téléphonique avec Alain Poher qui se préparait à saisir ce Conseil et qui l’a fait malgré tout. Ce fut le début de l’entrée du Conseil Constitutionnel dans l’arène politique.

Marcellin n’était pas un homme aimé mais respecté, qui parlait librement avec Pompidou une fois par semaine. Celui-ci l’a conservé, envers et contre tout, pendant six ans parce qu’il avait confiance en lui. Il l’a remplacé un mois avant sa mort, et j’ai compris alors que sa mort était imminente parce qu’il avait cessé de résister à son entourage.

Giscard n’a pas compris suffisamment qu’il pourrait être de bon conseil et a laissé, c’est dommage, se développer des campagnes injustes contre lui.

Jean-Pierre Fourcade

Il ressemblait, d’une certaine manière, à Marcellin parce qu’il montrait la même fermeté à défendre les finances que celui-ci avait exprimée pour l’ordre public.

J’avais auprès de Fourcade une fonction plus large que celle qui était la mienne au cabinet de l’Intérieur, puisque je m’occupais à la fois de la presse et du Parlement. Marcellin avait eu à traiter les lendemains de mai 68, Fourcade, la première grande crise pétrolière. Les deux hommes ont montré les mêmes qualités d’énergie.

L’inflation était alors à deux chiffres et il fallait chercher tous les moyens de la combattre, le premier d’entre eux étant de défendre l’équilibre budgétaire. C’était une question difficile parce que la conscience du danger n’était pas suffisamment partagée, notamment par le premier ministre, Jacques Chirac. Fourcade n’eut pas comme Marcellin des opposants venant de l’extérieur, mais il en eut dans le gouvernement dont il faisait partie. Marcellin tint six ans avec l’appui du président de République. Fourcade seulement deux ans, Giscard l’ayant laissé tomber après l’avoir choisi. Plusieurs fois, sans doute pris de remord par la suite, il a failli lui proposer de revenir, mais cela ne s’est pas fait.

Marcellin comme Fourcade m’ont montré que la rigueur dans les affaires de l’État est une nécessité, quels que soient les obstacles. C’est une leçon que j’ai gardée pendant toute ma carrière et dont on serait bien inspiré de se souvenir aujourd’hui.

Maurice Faure, président du Conseil général du Lot

J’arrivai dans le Lot en 1987 après avoir passé des moments très durs comme préfet de police en Corse Le département qui m’était confié m’avait été décrit comme très beau mais je ne le connaissais pas.

Naturellement, ma première visite a été pour le président du Conseil Général, Maurice Faure. Celui-ci m’accueillit avec méfiance, car nous étions sous la première cohabitation et il était dans l’opposition. Mais il avait bien connu Marcellin pendant de longues années et savait quel homme il était. Cela a immédiatement détendu l’atmosphère.

Quand je suis arrivé dans ce département, je n’avais, à part la Corse, qu’une connaissance limitée de la vie de province et je restais trop administratif malgré mon séjour à Meaux. Maurice Faure, apprécié de toutes les populations du Lot pour son savoir vivre et sa simplicité – il n’avait pas de voiture de fonctions – m’a appris ce qu’un préfet doit savoir pour exercer sa fonction avec une bienveillance qui n’exclut pas la fermeté.

Il me trouvait parfois trop pressé : « Monsieur le préfet, on ne part pas après les discours, on reste avec les gens, c’est cela qu’ils aiment ». La session du Conseil général à laquelle j’étais, par la  volonté de Maurice Faure, le seul préfet qui continuât à assister après la décentralisation de 1982, se terminait par un déjeuner où assistaient, en plus des parlementaires et des conseillers généraux, le préfet et les sous-préfets, les directeurs et les chauffeurs dans une salle étroite et surchauffée. La boisson était, probablement, un peu trop abondante, mais droite et gauche se retrouvaient et, pour un temps, rangeaient leurs armes.

Maurice Faure passait pour proche de François Mitterrand. C’était vrai sous l’angle intellectuel mais des nuances existaient entre les points de vue des deux hommes en des matières fondamentales. Faure a nuancé ma vision de cet homme complexe.

Le samedi matin, Faure traversait la cour de la préfecture pour parler avec moi. Ainsi, un dialogue facile s’établissait sur des dossiers sur lesquels nous n’étions pas toujours d’accord mais qui progressaient grâce à ce dialogue.

Au moment des élections présidentielles de 1988, Maurice Faure me dit : « Dans deux cas sur trois, je suis ministre. Si c’est Barre, il aura besoin d’un homme de gauche comme moi. Si c’est Mitterrand, il aura besoin d’un modéré comme moi. Il n’y a qu’avec Chirac que je ne le serai pas car je ne le considère pas comme un homme d’État.» Mon souvenir du cabinet Fourcade me faisait adhérer à cette dernière observation, même si elle était, à certains égards, exagérée.

 Maurice Faure m’a laissé un grand souvenir. Dans tous les postes que j’ai occupés après le Lot, je me suis efforcé de m’inspirer de son comportement et, plus tard, le dialogue entre nous s’est poursuivi :  je suis venu régulièrement le voir dans son appartement de Paris et  son décès m’a peiné.

Valéry Giscard d’Estaing, président du Conseil Régional d’Auvergne

Dès ma sortie de l’ENA en 1966, j’ai été sensible à la personnalité de Giscard qui venait de quitter le ministère des Finances, poste au cours duquel il avait séduit le Parlement par ses discours budgétaires sans notes. Lorsque j’étais membre du cabinet de Raymond Marcellin qui avait lui aussi l’étiquette « Républicains Indépendants », j’assistais aux réunions du groupe à l’Assemblée Nationale. Giscard venait régulièrement et je l’écoutais avec intérêt. J’avais été présenté à lui mais comme beaucoup d’autres. Lorsque j’ai été nommé préfet de la région d’Auvergne, Giscard, consulté, s’est contenté de dire qu’il ne me connaissait pas. On ne lui avait pas dit, à l’époque des présidentielles de 1974, que son parti m’avait désigné comme son délégué dans l’Oise.

 Lorsque j’ai été nommé en Auvergne, il était un homme différent de celui que j’avais connu vingt-deux ans plus tôt. L’échec de 1981 l’avait profondément marqué et il avait, depuis, accompli une nouvelle carrière qui l’avait rendu plus près des gens. Ceux-ci le reconnaissaient toujours comme l’ancien président de la République mais lui parlaient plus volontiers et continuaient à apprécier sa valeur. Pendant longtemps, il avait cru pouvoir retourner au pouvoir. Quand je suis arrivé, cette perspective n’était plus d’actualité.

Il aimait passionnément sa région d’Auvergne, rappelant que ses quatre grands-parents y étaient enterrés. Il voulait contribuer à la relever, considérant qu’elle était malade. Il tendait la main au préfet pour cela. Cette main, je l’ai saisie.

Il cherchait à faire voter par son assemblé les investissements de nature à favoriser un renouveau économique. L’État et l’Europe étaient concernés. Le premier d’entre eux était le projet de Vulcania contre lequel les écologistes étaient vent debout. C’est un parc pédagogique et touristique mettant en valeur les phénomènes volcaniques d’Auvergne. J’ai moi-même très vite constaté que Giscard avait raison de se battre pour un investissement qui attirerait les visites de la région. La dissolution de 1997 ayant vu l’arrivée des écologistes au pouvoir, on me demanda à Paris de m’opposer au projet. Je n’ai pas obéi et j’ai signé le permis de construire. Ce fut un tollé contre moi et, sans l’appui de Chevènement, alors ministre de l’Intérieur, j’aurais immédiatement perdu mon poste.

J’ai tenu en Auvergne encore deux ans et demi pendant lesquels j’ai contribué à lever tous les obstacles juridiques au projet, sans être le moins du monde aidé par les administrations centrales, Convaincu que Giscard avait raison, j’ai travaillé seul avec l’avocat du Conseil Régional et nous avons gagné au Conseil d’État.  J’ai été invité à l’inauguration quelques temps après avoir quitté la région et Giscard m’a dit ce jour-là : « Nous vous devons beaucoup ! » Pour cela, j’ai dû renoncer à recevoir une région plus importante, mais j’en suis fier.

Giscard, en Auvergne, m’a beaucoup apporté, lors des rendez-vous qu’il me donnait dans son modeste bureau. Il avait gardé un réseau international qui rendait sa conversation passionnante. Grâce à lui, nous avons dîné, Florence et moi, avec Kissinger, avec Helmut Schmidt et bien d’autres. D’ordinaire, un préfet reste trop hexagonal. Je me suis ouvert aux questions extérieures et je m’appuie encore sur les observations de Giscard pour l’analyse de l’actualité.

Michel Charasse 

Lorsque je suis arrivé en Auvergne, il était sénateur du Puy-de-Dôme. Je n’avais pas une opinion positive de lui. Je pensais qu’il avait été de ceux qui m’avaient empêché d’être préfet en 1981, et Giscard m’avait fait un portrait négatif de l’homme quand je lui avais rendu visite à ma nomination.

Une fois sur place, j’ai changé un peu d’opinion. Quand en 1997, la gauche fut à nouveau au pouvoir à la suite d’une dissolution malheureuse, je ne pouvais être persona grata. Charasse a été le seul, à gauche, qui m’ait défendu. Il considérait que je faisais bien mon travail comme représentant de l’État et que je devais être soutenu dans les dossiers difficiles que j’avais à traiter. Il n’a jamais dit de mal de Vulcania, et quand madame Voynet déclara qu’elle ne signerait plus de déclaration d’utilité publique d’autoroutes, il est venu à mon secours.

La question était majeure. La déclaration d’utilité publique (DUP) avait été émise pour toute l’autoroute Clermont-Bordeaux, sauf dans le Puy-de-Dôme. Si la décision n’était pas prise avant le 31 décembre 1997, toute la procédure était à reprendre, avec pour conséquence plusieurs années de retard. Je me déchaînai pour obtenir cette décision en dépit de l’opposition de la ministre, et j’ai gagné. Charasse a été pour moi, un soutien majeur à Paris où il avait un réseau innombrable, et où il était entendu, même si Mitterrand n’était plus là. On le disait franc-maçon. C’était peut-être vrai mais il était d’abord lui-même.

Il me parlait souvent de Mitterrand qui venait de mourir. C’était une passion. Il avait été un des collaborateurs privilégiés, et me montrait des aspects méconnus de ce personnage complexe. Mon point de vue sur Mitterrand étant à l’origine lié aux combats auxquels j’avais été associé, Charasse m’a fait évoluer sensiblement. Je persistais à lui reprocher son alliance en 1981 avec les communistes mais j’étais davantage sensible à ses qualités intellectuelles. Giscard, aussi, qui l’avait combattu, le prenait pour un homme de valeur, à l’inverse de Chirac qu’il méprisait. Mitterrand, malgré tous ses défauts, a quand même été un des présidents qui ont compté, comme De Gaulle, Pompidou et Giscard. On ne reste pas quatorze ans au pouvoir sans en avoir les qualités.

Charasse est décédé. S’il était de ce monde, je continuerais à le rencontrer.

De cette énumération des influences qui m’ont marqué toute ma vie, je retiens que je suis toujours fidèle en politique à ce que j’étais à quatorze ans. Je ne suis pas passé, comme beaucoup, de la gauche à la droite en vieillissant. J’ai toujours eu un comportement de modéré. Les personnalités que j’ai rencontrées au cours de ma vie m’ont conforté dans cette attitude et m’ont enrichi dans ma perception des sujets.

Nicolas Saudray, « L’histoire de France vécue par douze familles »

Un livre lu par François Leblond
Avril 2024

Ce livre d’une France souffrante, inventive et tenace embrasse six siècles. Pour la commodité du lecteur, mon compte-rendu figure sous la rubrique « Histoire du XIXème », mais il aurait pu prendre place plus tôt ou plus tard.

D’assez nombreux ouvrages ont été consacrés à une seule famille. Douze, c’est à ma connaissance sans précédent. Explorant ces douze dont il descend, l’auteur a regardé l’histoire de France se faire par en-dessous. Dans les premiers temps,  les acteurs sont en majorité des humbles, paysans, meuniers, boulangers, aubergistes. Mais dès le XVème siècle, une petite noblesse d’épée apparaît, et elle est rejointe par trois autres variantes de l’aristocratie, tout en restant à un niveau assez modeste : noblesse de cloche (des échevins que le roi a entendu distinguer), noblesse d’office (achat de charges), et noblesse d’Empire.

Quelques figures émergent : un compagnon de Jeanne d’Arc, plébéien anobli (Jean Daneau), un pasteur calviniste de choc, actif dans une grande partie de l’Europe (Lambert Daneau), le principal avocat de l’affaire Calas (Jean Baptiste Élie de Beaumont), un hôtelier fastueux de Rio-de-Janeiro, ancien grognard de Napoléon (Louis Pharoux), l’un des meilleurs manufacturiers de cachemire, fils d’un ouvrier en chambre (Jean Deneirouse), un compositeur excentrique et séduisant (Erik Satie), un général d’armée pionnier de l’arme blindée en parallèle avec De Gaulle (René Prioux), un second compositeur, un peu oublié chez nous mais bien connu à l’étranger (Daniel-Lesur).

L’intérêt de ce livre est non seulement de restituer les vies d’autrefois, mais de montrer que des familles d’origines géographiques et sociales très diverses, voire opposées, ont fini par fusionner. L’ancienne France est souvent décrite comme une société de castes. En réalité, elle était assez ouverte.

Le livre : Nicolas Saudray, L’histoire de France vécue par douze familles, sous-titré Quand la petite histoire se marie à la grande, Édisens, 2024. 496 pages, 29 €. 

Voltaire historien

Par François Leblond
Lu par Nicolas Saudray
Février 2024

 L’historien Voltaire forme la transition entre l’histoire des chroniqueurs, simple série d’évènements, et l’histoire moderne, suite de causes et de conséquences, appuyée par considérations géographiques ou économiques.

En cette spécialité, Voltaire a écrit essentiellement trois livres : dans l’ordre, L’Histoire de Charles XII, Histoire de l’empire de Russie sous Pierre le Grand et Le Siècle de Louis XIV. Soit un millier de pages serrées. Désireux de mettre ce trésor à la portée des lecteurs pressés d’aujourd’hui, François Leblond a réussi à le ramener à 235 pages aérées, et il me revient d’en donner une idée en deux pages.

Charles XII

Le destin météorique de Charles XII a médusé les contemporains. À la tête d’une puissance de moyenne importance, la Suède, il vainc les Russes à Narva en 1700. Il n’a que dix-huit ans ! Dans la foulée, il fait de la Baltique un lac suédois et installe son féal Stanislas Leszczynski (le futur roi de Lorraine) sur le trône de Pologne.

Le tort du jeune roi prodige est de s’être fait trop d’ennemis en même temps : la Russie, la Saxe que suit une partie des Polonais, la Prusse, le Danemark. Profitant d’une pause qui leur est accordée, les Russes se réorganisent.

« L’Ukraine, écrit Voltaire, a toujours aspiré à être libre ». Dominés d’un côté par la Russie et de l’autre par la Pologne, les Ukrainiens font appel à Charles XII, lequel s’enfonce imprudemment avec son armée dans les profondeurs du pays. Il n’a presque pas d’artillerie, alors que les Russes s’en sont richement dotés.  Comment un brillant chef de guerre a-t-il pu commettre une telle erreur ? Les Suédois sont écrasés à Poltava en 1709.

Leur jeune roi se réfugie pendant cinq ans en Moldavie sous contrôle ottoman. Mais il ne parvient pas à entraîner les Turcs dans une guerre de revanche contre l’ennemi commun russe.

Rentré enfin dans son royaume, il se laisse engager par son premier ministre, le baron de Goertz, et le cardinal Alberoni, premier ministre d’Espagne, dans une conspiration chimérique visant à bouleverser l’ordre européen. Il tente de prendre la Norvège au Danemark, et est tué en assiégeant une petite ville.

Si, au lieu de perdre son temps en Pologne, il avait envahi son adversaire le plus dangereux, la Russie, la face de l’Europe en aurait été changée pour longtemps.

Pierre le Grand

Commandé par la tsarine Élisabeth II, cet ouvrage de Voltaire est moins objectif que le précédent. Même en Russie, on le trouve trop élogieux !

En 1688, le jeune Pierre chasse sa sœur aînée Sophie, usurpatrice du trône. La Russie est déjà un vaste empire, qui comprend la Sibérie. Mais elle reste extérieure à l’Europe.

Le jeune tsar va parfaire sa formation en Hollande, où il travaille comme simple ouvrier dans un chantier naval. En somme, c’est l’inventeur du stage ouvrier réinventé plus tard par l’ENA. Puis, non content de vaincre Charles XII, il construit sa nouvelle capitale, Saint-Pétersbourg, sur une terre à peine arrachée aux Suédois, et mate l’Église orthodoxe. Il complète son œuvre par des conquêtes aux dépens de la Perse.

Par bien des traits, le personnage force l’admiration. Mais si l’on considère les suites pour l’Europe, jusqu’à nos jours, mieux eût valu qu’il mourût en son enfance.

Louis XIV

Partisan du despotisme éclairé, Voltaire loue néanmoins, en raison de sa grandeur, le despote non éclairé qu’était Louis XIV.

Il félicite Mazarin et Colbert, applaudit chaque victoire des armées louis-quatorziennes. Au palmarès littéraire, il accorde le premier prix à Racine. Puis, comme nous le faisons nous-mêmes, il condamne le ravage du Palatinat, et se désole des guerres suivantes.

***

François Leblond signe ainsi son treizième ouvrage. Les précédents concernaient plutôt le XIXème siècle français, dont il est devenu un spécialiste.

 

Le livre  François Leblond, Voltaire historien — Charles XII, Pierre le Grand, le siècle de Louis XIV. Éd. Librinova, 2024, 235 pages, 17,90 €.
Peut être commandé sur le site www.librinova.com, ou dans toute librairie.  

Les souvenirs d’un préfet (François Leblond)

Lus par Nicolas Saudray 
Mars 2023

          Les vies des préfets sont, plus que toutes autres, émaillée d’incidents pittoresques et de manifestations de la France profonde. François Leblond en offre un bon exemple.

          Il naît en 1937 dans une famille distinguée : sa mère est une  nièce d’Émile Boutmy, le principal fondateur de Sciences Po (dont il a d’ailleurs écrit la biographie). Mais le père meurt alors que l’enfant n’a que dix-huit mois. C’est presque la gêne.

         François est élevé à Lyon par une mère digne d’éloges, professeure de collège, malade durant deux ans. Il fréquente le fameux lycée du Parc puis, comme boursier, Sciences Po. Reçu au concours de l’ENA de la fin de 1961, le jeune homme s’inscrit dans la grande tradition du mérite républicain.

         Suit un service militaire en Algérie, adouci par la présence de son épouse, et accompli pour partie en qualité de vice-consul de France à Constantine.

         D’abord directeur de cabinet du préfet de la Vendée, François est appelé en 1968 au ministère de l’Intérieur, service de l’information des maires. Ce qui le conduit au cabinet du ministre, Raymond Marcellin, pour presque cinq ans. Dans un article figurant sous la rubrique « Histoire du XXe siècle » du site Montesquieu-avec-nous, « Raymond Marcellin et la Résistance », François rendra hommage à ce personnage, qui incarnait une conception traditionnelle mais souvent efficace du maintien de l’ordre. François s’occupait plutôt de relations parlementaires et devait être présent presque chaque jour dans les couloirs de l’Assemblée ou du Sénat. Il aurait pu, dans la foulée, se faire élire député, mais son ministre n’a pas voulu se séparer de lui.

          Après d’autres tâches de cabinet auprès d’autres ministres, François est nommé sous-préfet de Meaux, chef-lieu d’un gros arrondissement dont le titulaire a vocation à devenir bientôt préfet. Mais le changement de majorité politique de 1981 interrompt pour quelque temps son ascension, et il se doit se contenter d’un poste de directeur-adjoint du cabinet du préfet de police de Paris. Son fait d’armes le plus marquant est l’évacuation de l’îlot Chalon, près de la gare de Lyon, devenu un  repaire du trafic de drogue (et maintenant réhabilité).

          1986 : enfin, à presque cinquante ans, François est nommé préfet de police de Corse. Ce n’est pas une sinécure, car des attentats retentissent toutes les nuits.

         Au retour de Corse, les postes préfectoraux s’enchaînent : Lot, Vaucluse, Indre-et-Loire, Var, Essonne. Nombreuses sont les péripéties pittoresques. Je n’en mentionnerai que deux. Préfet en Avignon, François se voit confier la protection de la petite Mazarine, dont l’existence est encore presque inconnue, et qui est élevée secrètement à Gordes. Un peu plus tard,  dans les mêmes fonctions, il s‘oppose à un tracé du TGV Paris-Marseille qui entaillerait largement les vignes ; il réussit à faire prévaloir le tracé actuel – mis au point dans son bureau, et beaucoup plus respectueux.

          Préfet de la région Auvergne, il œuvre en bonne intelligence avec son président, Valéry Giscard d’Estaing. Malgré l’opposition virulente de la ministre de l’Environnement de l’époque, il signe le permis de construire du parc à thèmes Vulcania, promis à un vif succès (310 000 visiteurs en 2022, avec une durée moyenne de visite de six heures).

         Retraité, François préside et anime un important cercle d’études et de réflexion, la COFHUAT (Confédération française pour l’Habitation, l’Urbanisme, l’Aménagement du Territoire). À présent président d’honneur, il y reste très actif.

        Son cursus confirme l’importance du facteur politique dans ce type de carrières. Le changement de 1981 l’a manifestement retardé. Mais il a su nouer des relations confiantes avec des personnalités socialistes telles que Pierre Joxe ou Michel Charasse, et donner sa mesure à la tête d’une préfecture de région.

          Le corps préfectoral vient d’être supprimé, par une mesure hâtive qu’on regrettera certainement. Il serait temps qu’un chercheur écrive son histoire mouvementée – un élément central de celle de notre pays depuis Napoléon. Les Souvenirs de François Leblond lui fourniront un matériau de choix.

 

Le livre : François Leblond, Souvenirs d’un préfet, Éd. Librinova 2023, 152 pages, 15,90 €. Peut être commandé sur la Toile ou dans toutes librairies. 

Immigration : le grand débat

Par Jacques Darmon
Septembre 2021

 

1)      Ce texte est long, très long, trop long. La brièveté est une qualité. Sauf quand elle se confond avec la superficialité et la légèreté. Le sujet l’interdit.

2)      Le sujet a été et sera abordé par des centaines de bons esprits qui ont déjà formulé des milliers d’observations et de suggestions. Ce texte ne prétend donc pas à l’originalité. Il s’efforce de mettre en ordre des réflexions souvent dispersées et surtout d’articuler des propositions concrètes d’actions.

3)      Ce sujet de l’immigration est explosif, au sens propre et au sens figuré. Chacun l’aborde avec ses propres références, son expérience, ses valeurs, peut-être même sa religion. Je ne prétends donc pas vous proposer une analyse convaincante. J’ai écrit ce texte pour moi-même. Pour savoir où je me situe. Pour m’assurer de la cohérence de mes réactions devant les nouvelles informations qui nous parviennent chaque jour. Pour cesser de m’indigner inutilement. Pour continuer à espérer également.

Sommaire

Immigration : le grand débat 1

I-      Pourquoi un problème ?. 2

1-Le passé : intégration et assimilation. 2

2-Le présent : immigration accélérée et reflux de l’assimilation, montée du séparatisme  3

2-1) L’immigration n’est plus un phénomène marginal 3

2-2) Les immigrés et les descendants d’immigrés changent d’attitude : 5

II – Quelle attitude face à l’immigration ?. 7

1-          Les deux erreurs : 7

1-1 Les « migrations de remplacement ». 7

1-2 Le mirage du « zéro immigration ». 8

2-Réguler l’immigration : Vers une immigration choisie. 9

2-1 Instaurer des quotas d’immigration économique par pays et par qualification. 9

2-2 Corriger les dérives du droit d’asile. 9

2-3 Limiter le regroupement familial : 10

2-4 Limiter le droit du sol 11

2-5 Le cas des mineurs isolés. 11

2-6 Lutter contre l’immigration illégale. 12

III – Quelles solutions pour les immigrés ?. 13

1-Quels buts visés ?. 13

1-1 Des fausses pistes. 13

1-2 Le vrai choix : assimilation ou intégration. 14

2-Des exigences face aux immigrés. 16

2-1 Rompre le lien entre terrorisme et immigration musulmane. 16

2-2 Lutter contre le séparatisme. 17

2-3 Rompre le lien entre immigration et délinquance : 17

2-4 Mobiliser l’opinion musulmane. 19

3-des obligations pour la France, pays d’accueil ?. 19

3-1 Accepter le communautarisme. 19

3-2 Une conception libérale de la laïcité. 20

3-3 L’école, une voie privilégiée pour l’intégration. 20

3-4 La discrimination positive. 21

3-5 Faciliter l’intégration par le travail 22

3-6 Poursuivre la lutte contre les discriminations. 22

Conclusion : Toutes ces mesures sont soumises à deux préalables exogènes : 22

4-1 Retrouver les chemines de la croissance. 22

4-2 Restaurer l’attractivité de la civilisation française. 23

L’immigration, la place des immigrés sont au centre du débat politique français. Trop souvent, les opinions exprimées, parfois violemment, sont des réactions affectives répondant à des idées a priori sommaires. Pourtant l’importance politique de cette question mérite une analyse rationnelle reposant sur une information objective.

I-Pourquoi un problème ?

La réflexion doit partir d’une première constatation : l’immigration n’a pas toujours été un sujet de conflit politique ; ce sont des évènements relativement récents qui ont porté ce sujet au premier rang de l’actualité.

 1-Le passé : intégration et assimilation

La France a toujours été un pays d’immigration. Sans remonter à la préhistoire et à l’arrivée de l’homo sapiens sapiens, les Romains, les Francs, les Wisigoths, les Alains, les Burgondes et bien d’autres ont précédé la naissance de la nation française. Les Bretons, les Provençaux, les Savoyards… les ont rejoints. Puis sont venues des vagues de pays plus lointains mais toujours européens : des Italiens, des Espagnols, des Portugais, des peuples d’Europe de l’est (Polonais …), des Russes (blancs ou rouges déstalinisés) …

Tous ces nouveaux venus se sont assimilés (parfois en conservant des liens très forts avec leur pays d’origine) : ils se considéraient comme français ; ils adoptaient le mode de vie français et s’en réclamaient.

La décolonisation a provoqué de nouvelles vagues d’immigration venues de l’ancienne Indochine, d’Afrique subsaharienne, du Maghreb.

La question de l’immigration a peu à peu changé de nature.

Jusqu’en 1980 environ, les vagues d’immigrés se sont progressivement intégrées. Certes, des différences subsistaient : différence d’origine ethnique, différence de religion (essentiellement l’islam). Certes, des immigrés faisaient état de réactions racistes, de discrimination à l’emploi, au logement… Mais dans l’ensemble, leur intégration à la communauté française (une fois les troubles liés à la guerre d’Algérie éteints) se passait convenablement. Les cas de conflits n’étaient pas rares, mais n’avaient pas un caractère systémique[1]. Les immigrés souhaitaient s’intégrer ; les « Français de souche », dans leur majorité ne le refusaient pas. L’État prônait ouvertement une politique d’assimilation, avec un certain succès. D’ailleurs, une minorité significative acceptait cette assimilation. On trouvait ainsi (en très petit nombre, il est vrai) des personnes issues de l’immigration ou des fils d’immigrés à l’Académie Française, à l’Assemblée nationale, à l’École Normale supérieure, dans les universités, dans les grandes entreprises, dans le milieu culturel et médiatique…

Jusqu’en 1980, la question de l’immigration n’était certainement pas totalement réglée, mais elle ne paraissait pas insoluble. L’État, les citoyens, les immigrés eux-mêmes pensaient qu’un effort supplémentaire de solidarité devait, à moyen terme, lever les dernières difficultés. Lorsqu’en 1975, le président Giscard d’Estaing, dans un geste humanitaire, a décidé de favoriser le regroupement familial, ni lui, ni l’opinion publique n’y ont aperçu un risque ou un inconvénient.

2-Le présent : immigration accélérée et reflux de l’assimilation, montée du séparatisme

Cette période, relativement paisible, a pris fin : l’immigration est devenue un double sujet d’affrontement, entre Français et immigrés mais aussi entre citoyens français.

Ce changement radical est d’autant plus difficile à maitriser que les causes en sont multiples : amplification de l’immigration, modification de l’attitude des immigrés, réaction de l’opinion française.

2-1 L’immigration n’est plus un phénomène marginal

Jusqu’à la fin des années 1970, le flux d’immigrés était constant et relativement faible. Compte tenu de l’intégration progressive des anciens immigrés, le nombre de ceux qui n’avaient pas encore accepté et assimilé les règles de vie de la nation française était faible et pratiquement constant.

Aujourd’hui, la part de la population française qui a des liens directs avec l’immigration ne cesse de croître (source : INSEE) :

En 2019, 6,7 millions d’immigrés[2] (nés étrangers à l’étranger) vivent en France, soit     9,9 % de la population totale[3] (37 % d’entre eux, soit 2,5 millions, ont acquis la nationalité française).

A la même date, le nombre d’enfants nés en France ayant au moins un parent immigré (donc non compris dans le nombre d’immigrés) s’élève à 7,3 millions.

Il y a donc en France près de 14 millions de personnes (20%) qui ont un lien direct avec l’immigration[4].

25% des enfants qui naissent en France ont au moins un parent immigré.

Jamais, dans l’histoire de France, le nombre d’immigrés n’a atteint de tels chiffres sur une longue période.

 

Or le flux annuel ne faiblit pas.

Les titres de séjour officiellement accordés s’élèvent en 2019 à 277 320 [5].

À ceux-ci s’ajoutent les bénéficiaires du droit d’asile qui sont en forte augmentation : un doublement des demandes ces cinq dernières années. La France est devenu le pays d’Europe le plus « attrayant » en 2019, avec 154 620 demandes enregistrées contre environ 120 000 en Allemagne. 38,2 % de ces procédures ont abouti à une décision positive (reconnaissance du statut de réfugié ou protection subsidiaire).

Au-delà de ces bénéficiaires de procédures légales, un aspect essentiel de la question d’immigration est la présence sur le territoire français d’immigrés « illégaux ».

Environ 900 000 étrangers séjourneraient illégalement sur le territoire français, selon Patrick Stefanini – ancien secrétaire général du ministère de l’Immigration. Beaucoup sont entrés en France sans demander de titre de séjour ou sans déposer de demande d’asile, souvent victimes d’un véritable trafic d’êtres humains.

Mais l’arrivée illégale « ferme » ne représente sans doute pas la majorité des situations de présence clandestine en France. Celles-ci résultent plus souvent du détournement de procédures légales d’immigration : à l’expiration de leur statut régulier provisoire, des candidats à l’immigration se maintiennent indûment sur le territoire national.

Si la majeure partie des demandes d’asile sont formellement rejetées, seules 15% des mesures d’éloignement étaient exécutées en 2018, d’où un stock de « déboutés » qui restent sur le territoire.

Le même constat peut être fait pour les titres d’immigration à court-terme, qui permettent de se rendre en France puis d’y rester illégalement à expiration du séjour autorisé. C’est notamment le cas des visas de tourisme et des visas étudiants.

L’entrée et/ou le maintien sur le territoire national de ressortissants étrangers sans titre de séjour adéquat constitue un « angle mort » récurrent des politiques migratoires

Un indicateur permet de mesurer ce phénomène : le nombre des bénéficiaires de l’aide médicale d’État (AME), qui assure aux étrangers en situation irrégulière un accès gratuit aux soins. Depuis la création de l’AME en 2001, le volume de ses bénéficiaires a augmenté à un rythme de 6% par an en moyenne : ils étaient 139 000 durant sa première année d’existence, contre 311 000 en 2018, soit une hausse de 128%. Cet instrument de mesure sous-estime fortement le nombre de clandestins présents sur le territoire, car tous n’utilisent pas ce droit qui leur est ouvert.

2-2 Les immigrés et les descendants d’immigrés changent d’attitude

Plus récemment, un changement fondamental est intervenu : si une minorité d’immigrés continue de souhaiter une assimilation à la société française traditionnelle et donc adopte les mœurs de cette société, la majorité se tourne aujourd’hui vers l’intégration, c’est-à-dire accepte les lois françaises tout en souhaitant conserver les traditions propres à son pays d’origine. Mais surtout, fait nouveau, une forte minorité s’oppose à la fois à l’assimilation et à l’intégration, faisant ainsi naître un risque de séparatisme. Enfin, une minorité de cette minorité se déclare en conflit avec la civilisation française (ou européenne ou chrétienne) et s’affirme prête à agresser ses représentants (police, pompiers, enseignants…) et ses représentations (drapeau, Marseillaise, Élysée…).

Plusieurs universitaires ou commentateurs attribuent cette évolution aux conditions difficiles rencontrées par ces personnes : chômage, discriminations, voire violences policières… Le sentiment d’être rejeté par la société française provoquerait en retour un refus de s’intégrer dans cette communauté hostile.

Ces facteurs économiques et sociaux ne doivent pas être écartés mais, dans cette évolution, le facteur religieux joue un rôle essentiel.

Environ 75 % des immigrés viennent d’Afrique et du Moyen-Orient. Très majoritairement, ils sont de confession musulmane.

L’islam a toujours montré une réticence particulière à l’assimilation dans un pays qui n’est pas musulman. Le Coran est un texte religieux ; c’est également un code civil. Il définit les règles de la société musulmane. La tradition affirme le destin de la religion musulmane de devenir la religion de tous les peuples (Dar-al-Islam).

Longtemps, ces caractéristiques peu œcuméniques n’ont pas empêché de nombreuses familles musulmanes de vivre en paix en France, pays du Dar-El-Harb.

Récemment, le contexte a changé : ce changement a deux faces qui sont liées.

On voit apparaître chez un nombre significatif de musulmans une conception « salafiste » de la religion. L’islam est professé en suivant une lecture rigide (extrême) des textes.  Les prescriptions de la Charia, qui étaient presqu’ignorées antérieurement, deviennent très présentes.

Simultanément apparaît un « islam politique » c’est-à-dire un courant très actif qui prétend, à l’intérieur du territoire national, imposer un mode de vie propre aux musulmans et, à l’extérieur, défendre une politique internationale proche de certains pays musulmans d’émigration (Maroc, Algérie, Turquie…).

Ces évolutions religieuses s’accompagnent d’une évolution sociale au sein de la population des immigrés intégrés : la mentalité des nouvelles générations change. Loin de chercher à surmonter les incontestables difficultés qu’elles rencontrent, elles s’enferment dans une attitude de refus et se replient dans un environnement communautaire.

Cette attitude est parfois renforcée et soutenue par des partis politiques et des associations qui ont fait du désespoir de ces immigrés (ou fils d’immigrés) leur fonds de commerce… avec l’espoir de nouveaux électeurs.

3) Face à ces transformations, la société française est troublée

 

Une inquiétude se manifeste de plus en plus vigoureusement. Dans la société française, l’immigration devient un sujet majeur d’affrontements politiques.

*La montée de l’insécurité est inévitablement liée à l’immigration.

Bien évidemment, parce que des attentats sont commis très officiellement au nom d’Allah et de l’islamisme.

Mais aussi parce que de nombreux faits divers (mais pas tous bien évidemment !) sont commis par des personnes (françaises ou étrangères) directement liées à l’immigration (immigrés ou enfants d’immigrés).

*La concentration d’une population issue de l’immigration (immigrés et enfants d’immigrés[6]) dans certains quartiers se traduit par un changement brutal d’environnement qui bouscule les habitants plus anciens et incite certains d’entre eux à déménager, dans un processus cumulatif.

*Simultanément, l’attitude séparatiste de certains immigrés ou enfants d’immigrés qui rejettent les signes d’appartenance à la société française encourage les revendications identitaires de ceux qui affirment craindre un « grand remplacement », c’est-à-dire l’effacement des mœurs et des coutumes de la France traditionnelle[7].

Alors que le processus de mondialisation et l’homogénéisation des cultures qui en résulte aurait dû faciliter une approche multiculturelle, on voit bien au contraire s’affirmer des réflexes identitaires. S’agit-il d’un phénomène significatif ou d’une lutte de retardement condamnée à terme ? L’avenir le dira.

Aujourd’hui, cette évolution est source de tensions. Mais les annonces catastrophiques de guerre civile sont exagérées car il existe des lueurs d’espoir.

-La plus importante : toutes les études montrent que les Français dans leur très grande majorité ne sont pas racistes. Ils sont ouverts aux étrangers ; ils soutiennent massivement les efforts de lutte contre les discriminations. Les minorités sont mieux protégées en France que dans tout autre pays.

Symétriquement, il faut constater que les musulmans présents en France, dans leur très grande majorité, ne sont pas hostiles à la France.

Certes, la pratique effective des rites religieux de l’islam par la population musulmane vivant en France est désormais très majoritaire (ce qu’elle n’était pas il y a trente ans). Mais, pour le plus grand nombre, le fait d’adopter des pratiques plus rigoureuses (qu’il s’agisse de la fréquentation des mosquées ou du port du voile), ne signifie pas nécessairement un refus de la France, de ses symboles, de ses mœurs.

Il faut donc également refuser l’angélisme de ceux qui veulent faire croire que le problème n’existe pas, et le catastrophisme de ceux qui suscitent la haine et la peur.

L’immigration pose des problèmes graves qui appellent des solutions urgentes, mais il faut tenter de les mettre en œuvre sans en faire un drame existentiel. C’est une question politique importante et difficile ; ce n’est pas une catastrophe nationale.

En fait, le débat porte sur deux questions différentes, qui sont intimement liées :

-Faut-il interdire, réguler ou encourager l’immigration ? Quelle attitude face aux mouvements migratoires ?

-Que proposer aux immigrés et aux enfants d’immigrés ? Quelle attitude face aux immigrés ?

II – Quelle attitude face à l’immigration ?

1-    Les deux erreurs :

Deux attitudes opposées, toutes deux illusoires, interdisent de rechercher une solution acceptable à la question de l’immigration.

1-1 Les « migrations de remplacement »

De nombreux experts et de nombreuses institutions affirment que la baisse de natalité des pays occidentaux et le vieillissement de la population[8] qui en résulte rendent nécessaire et souhaitable le maintien d’une forte immigration. L’accueil massif d’immigrés permettrait, sinon de reprendre une phase de croissance démographique, mais à tout le moins d’enrayer la baisse attendue.

C’est la position des experts de l’ONU[9] qui, dans un rapport diffusé en 2000, a lancé l’expression « migrations de remplacement ».

C’est la thèse de certains économistes, de partis politiques mais également de la Commission européenne qui diffuse des rapports officiels soutenant la justification économique de l’immigration et met en cause les États de l’Union qui refusent d’accueillir des migrants.

Mais les justifications économiques de l’immigration apparaissent aujourd’hui moins convaincantes.

Il est probable que les prochaines années ne verront pas une augmentation sensible des emplois offerts. La robotisation, l’effet de la mondialisation et de la désindustrialisation qui en résulte, les perspectives écologiques (les emplois verts seront loin de compenser les emplois détruits des industries polluantes !), même dans une hypothèse de croissance, se traduiront au mieux par une faible augmentation de la population active. Notamment, les emplois non qualifiés (ceux-là même qui sont accessibles à la plupart des immigrés) sont appelés à diminuer. Quantitativement, il n’y a pas nécessité de recourir à une immigration massive.

Dans une perspective de croissance faible, qui est pour la France (et sans doute pour l’Europe) l’hypothèse la plus probable pour les prochaines années, l’augmentation significative de la population entrainerait une baisse de niveau de vie[10], une difficulté croissante de logement et d’équipements, l’abandon des politiques de préservation des sols…et probablement l’échec des politiques de réduction des émissions de CO2.

Le remplacement du déficit des naissances par une immigration massive ajouterait à ces difficultés des tensions supplémentaires qui, en l’absence d’une politique (réussie) d’intégration, sont de nature à perturber profondément la société française.

 

Certains se placent, non sur le plan quantitatif, mais dans un souci d’équilibre du marché de l’emploi et du financement de la protection sociale.

L’apport des émigrés serait indispensable pour assurer les emplois dont les Français ne veulent pas. Mais si, en effet, il existe des emplois qui ne trouvent pas preneurs aujourd’hui, c’est que les salaires y sont trop bas : si ces rémunérations étaient plus élevées, les candidats ne manqueraient pas. En fait, l’entrée d’immigrés permet aux employeurs de ces secteurs de maintenir des salaires faibles : les syndicats ont raison de dire que l’immigration est au service du patronat !

Quant au raisonnement qui consiste à appeler à l’entrée d’immigrés jeunes pour, grâce à leur travail et leurs cotisations sociales, permettre à de vieux « citoyens de souche » de prendre jeunes une retraite confortable[11], il constitue une forme particulièrement déplaisante d’exploitation de la misère humaine.

Si l’immigration n’est pas une nécessité économique évidente pour la France, c’est un danger pour les pays d’émigration.

L’immigration se traduit par un appauvrissement des pays de départs. La conscience grandit sur le coût qui en résulte pour ces pays qui se trouvent privés à la fois de leurs élites les mieux formées et de leurs jeunes citoyens les plus actifs.

Dans ces conditions, l’immigration ne doit plus être considérée comme un objectif. Compte-tenu de son caractère inéluctable, c’est une contrainte à laquelle les pays d’accueil doivent faire face.

1-2 Le mirage du « zéro immigration »

Certains partis politiques, certains leaders politiques soutiennent l’objectif d’arrêter totalement l’immigration.

Certes, un flux continu (et éventuellement croissant) d’immigration aggrave les problèmes posés par les nouveaux arrivants (emploi, logement, écoles…). Le nombre sans cesse croissant d’immigrés non intégrés submerge tous les services publics chargés d’accueil (enseignement, justice, police…) et provoque des réactions hostiles qui rendent l’intégration plus difficile.

Néanmoins, il est illusoire de croire à la possibilité de suspendre toute immigration.

Le faible taux de croissance économique des pays à forte démographie (notamment en Afrique qui abritera probablement 2,5 milliards d’habitants en 2100 contre 800 millions aujourd’hui), la multiplication des troubles politiques et des conflits inter-ethnies ou internationaux dans l’environnement géographique de la France, notamment au Maghreb et particulièrement en Algérie et au Moyen-Orient , sans même évoquer les perspectives apocalyptiques -selon certains- du réchauffement climatique, tout concourt à accroître le nombre des candidats à l’immigration. L’Europe, et particulièrement en Europe les pays limitrophes de la méditerranée, sont les plus menacés.

Soumise à une pression croissante, la France, si elle souhaitait s’opposer totalement à ces mouvements migratoires, se trouverait doublement entravée : par son appartenance à l’Europe, par la priorité donnée aux « valeurs » dites de l’État de droit.

L’Europe est à la fois incapable à fermer ses frontières et peu disposée à le faire (à Bruxelles, on recule d’horreur devant ce que certains appellent « une Europe-forteresse » !). La preuve : la décision du Parlement européen de réduire les crédits budgétaires de Frontex, « coupable » de refouler trop énergiquement les migrants illégaux !

Les pays européens dont la France ont d’ailleurs signé en 2018 le pacte de Marrakech qui reconnaît explicitement que « les migrations sont facteur de prospérité et de d’innovation » et que les pays « s’engagent à faciliter et à garantir des migrations ordonnées et régulières ».

Plus encore, la France et l’Europe s’affirment guidées par des « valeurs » qui leur interdisent de fermer les yeux sur ces demandes de populations affamées ou menacées. S’il est clair que la France ne peut « accueillir toute la misère du monde », en revanche il est illusoire et moralement inacceptable de ne pas tendre la main à ceux qui ont besoin de notre aide.

Enfin, en application de ces « valeurs », des contraintes juridiques sévères encadrent l’action des gouvernements : la Cour de justice de l’Union Européenne, la Cour européenne des droits de l’homme, le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat multiplient, parfois superposent, des décisions qui limitent drastiquement la possibilité de lutter contre l’immigration illégale.

2-Réguler l’immigration : Vers une immigration choisie

Bien plus qu’un arrêt de l’immigration, ce qu’il faut rechercher, c’est le principe d’une immigration choisie. Alors qu’aujourd’hui, ce sont les migrants qui décident d’entrer en France, sans que le pays puisse efficacement s’y opposer, il faut se tourner vers une politique dans laquelle c’est la France qui choisit ceux qu’elle veut accueillir, selon ses propres critères.

Plusieurs mesures répondraient à cet objectif.

2-1 Instaurer des quotas d’immigration économique par pays et par qualification

Beaucoup de pays dans le monde ont mis en place des quotas d’immigration économique. : Etats-Unis[12] (depuis 1921), Canada, Nouvelle-Zélande, Australie, Royaume-Uni et 7 pays membres de l’Union Européenne : Autriche, Belgique, Estonie, Hongrie, Irlande, Portugal, Slovaquie.

L’instauration de quotas, non seulement constitue une limitation quantitative, mais permet à la nation d’accueil de choisir les pays d’origine des migrants et leur profil professionnel.

Comme dans plusieurs pays européens, la délivrance de visas long séjour doit être subordonnée à la maîtrise de la langue.

2-2 Corriger les dérives du droit d’asile

Le droit d’asile fait partie des principes de la République, mais sa signification a malheureusement dérapé. Il est urgent et nécessaire de maitriser ce phénomène.

Le droit d’asile, tel qu’il figure dans le préambule de la Constitution de 1946 auquel fait référence le préambule de la Constitution de 1958, donne une définition limitative du droit d’asile : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur le territoire de la République ».

La Constitution de 1958, en son article 53-1, dit que … « les autorités publiques ont toujours le droit de donner asile à un étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour tout autre motif ».

Le droit d’asile a été étendu à tout réfugié dont la vie ou la liberté est menacée (Convention de Genève du 28 juillet 1951). D’abord compris comme une menace physique (par exemple une zone de conflits), cette menace a été étendue aux risques économiques (famine, disette…) et bientôt aux risques écologiques (inondations, sécheresse,) ou même climatiques.

Il ne peut être question de remettre en cause le droit d’asile qui repose à la fois sur des exigences morales, des dispositions constitutionnelles et des conventions internationales. Mais il faut en corriger les dérives.

*Refuser systématiquement les demandeurs de pays considérés comme sûrs.

Il faut revoir la définition des pays sûrs : la Cour de Justice de l’Union Européenne considère que ne sont pas sûrs les pays qui ne garantissent pas un déroulement de la procédure judiciaire aussi protecteur des droits de la défense que les procédures des pays européens, autant dire la quasi-totalité des autres pays du monde [13]!

* Expulser les déboutés du droit d’asile

Sur 150 000 demandeurs d’asile, environ 60 % sont déboutés et donc font l’objet d’une OQTF (obligation de quitter le territoire français), mais 20 000 d’entre eux seulement (20%) sont expulsés ; les autres, soit près de 70 000 personnes, restent en France et deviennent des immigrés illégaux.

Le gouvernement français affiche sa détermination d’expulser la totalité de ces déboutés. L’expérience montre que ces personnes « disparaissent dans la nature » après leur échec et qu’il est alors difficile de les retrouver et encore plus de les appréhender.

Pour éviter les procédures longues et les risques « d’évaporation », il est indispensable de prévoir une expulsion immédiate le jour de la décision de rejet.

*Prévoir le retour des réfugiés

Le droit d’asile est lié aux risques que courent les demandeurs pour leur vie ou leur liberté. Dès lors que ces risques ont disparu, il n’y pas de raison de leur permettre de rester sur le territoire français : il faut les renvoyer dans leur pays. C’est ce que fait aujourd’hui le gouvernement social-démocrate du Danemark qui renvoie ses réfugiés en Syrie ou au Rwanda. Dès lors que les conflits ont cessé, l’asile n’est plus un droit.

*Faire instruire les demandes d’asile dans les pays de départ

Plus radicale est la proposition de faire instruire les demandes d’asile dans les pays de départ (donc avant l’entrée sur le territoire français). Impraticable dans les pays qui sont en état de guerre, cette solution pourrait être adoptée dans tous les pays où les services de l’ambassade de France (ou des consulats) fonctionnent normalement.

2-3 Limiter le regroupement familial :

Le regroupement familial, qui permet à un étranger en situation régulière de faire venir sur le territoire national son conjoint et ses enfants, a été mis en place par un décret du 29 avril 1976. Le Conseil d’Etat, en 1978, a consacré « le droit de mener une vie familiale normale »[14].

Une limitation consisterait à imposer un délai d’au moins deux ans (et non de 18 mois) avant de pouvoir en faire état (c’est ce délai de deux ans qui est prévu par la Directive européenne du 22 septembre 2003, laquelle prévoit même que le délai peut être porté à 3 ans !).

A noter qu’il existe une procédure parallèle dite de réunification familiale qui bénéficie aux réfugiés (les majeurs peuvent faire venir conjoints et enfants ; les mineurs peuvent faire venir leurs ascendants et leurs frères et sœurs) mais qui écarte toute condition de délai de séjour, de ressources ou de logement. Pourquoi ne pas aligner les deux procédures et rétablir les conditions de séjour et de ressources ?

2-4 Limiter le droit du sol

  1. a) Le droit du sol, qui donne la nationalité française à tout enfant né en France, fait partie des principes républicains auxquels la grande majorité des Français est attachée.

Un enfant né en France acquiert automatiquement la nationalité de plein droit à la date de la majorité[15] sous réserve de résider en France depuis au moins 5 ans. Il est vraiment regrettable que la déclaration de la manifestation de volonté ait été supprimée en 1998[16] : cette manifestation était un premier symbole d’intégration.

La question a été posée de supprimer cette automaticité pour les enfants d’étrangers en situation irrégulière. Une telle disposition a toujours été rejetée.

Cependant la situation du département de Mayotte (où 48% des habitants sont étrangers et où la pression de l’immigration illégale est très forte) est si exceptionnelle qu’elle a justifié des mesures particulières : l’enfant né à Mayotte n’obtient la nationalité française que si un des parents, à la naissance, est présent sur le territoire depuis de plus de 3 mois. Il s’agit d’éviter que des mères étrangères viennent accoucher sur l’île !

Il serait souhaitable de porter ce délai à 6 mois et de le généraliser à tout le territoire français.

  1. b) Le conjoint étranger d’un Français, sous réserve d’une durée du mariage de 2 ans (3 ans quand le couple réside depuis moins de 1 an) peut souscrire une déclaration acquisitive de nationalité.

Même si la loi du 26 novembre 2003 a prévu que le « mariage » devait être « une communauté affective et matérielle », les « mariages blancs » pour obtenir la nationalité française ne sont pas rares. L’énergie des préfectures et de la justice pour dépister ces mariages blancs est variable d’un département à l’autre.

2-5 Le cas des mineurs isolés

Les mineurs isolés (en langage administratif, les mineurs non accompagnés : MNA) qui entrent en France font à juste titre l’objet d’une protection particulière : ils ne peuvent être expulsés et sont pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, gérée par les départements.  Cette protection ne suffit pas à les mettre à l’abri des groupes mafieux qui les exploitent : 10% d’entre eux sont condamnés pour des délits[17].

Le nombre de ces MNA est passé de 2 500 en 2004 à 31 009 au 31 décembre 2019[18].

Une proportion significative d’entre eux sont de « faux mineurs isolés » : ces adultes qui feignent d’être mineurs bénéficient d’une protection qui interdit leur expulsion et leur donne automatiquement droit à toutes les prestations de solidarité nationale. De plus, installés sur le territoire national, ils ont la possibilité de faire appel aux dispositions de la « réunification nationale » pour faire venir leurs parents et ascendants !

Le contrôle de l’âge de ces mineurs isolés (notamment par des tests osseux et l’utilisation du fichier biométrique national) devrait être obligatoire et systématique avant de bénéficier de la protection de la loi.

2-6 Lutter contre l’immigration illégale

La lutte contre l’immigration illégale est la condition nécessaire d’une politique d’immigration choisie mais elle dépend de façon significative de deux contraintes qui échappent au gouvernement français : le fonctionnement du traité de Schengen, les règles de droit des juridictions européennes et françaises.

2-6-1 Réviser Schengen

Le traité de Schengen (qui concerne 26 pays dont 22 membres de l’Union européenne) permet à un candidat à l’immigration de pénétrer sur le territoire des pays membres par la plus perméable de ses frontières extérieures, puis de se déplacer librement à l’intérieur de ce territoire ; c’est en quelque sorte le privilège du maillon le plus faible. Ces règles laissent désarmés tous les pays qui souhaitent contrôler l’immigration ; elle encourage les pays qui gardent une frontière extérieure de l’Union à laisser partir au plus vite les migrants qui ont pénétré sur leur territoire.

La pandémie de Covid-19 a conduit tous les pays de l’espace de Schengen à fermer leurs frontières, mais l’Europe est incapable de freiner l’arrivée de centaines de milliers d’immigrés illégaux !

La renégociation de ce traité est une priorité.

2-6-2 Durcir les règles concernant les immigrés illégaux

Ceux qu’on appelle les « sans-papiers » sont en fait des immigrés entrés illégalement en France.

Le fait d’entrer illégalement sur le territoire national doit être qualifié de délit, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui en France (en Grande-Bretagne, ce délit est puni de 4 mois de prison ferme, prochainement portés à 6 mois !).

Il faut cesser les régularisations conditionnelles. La régularisation d’immigrés illégaux (aujourd’hui 12% des titres de séjour accordés soit 30 000 par an) doit devenir exceptionnelle pour des motifs d’intérêt public.

Il faut porter le délai de rétention administrative à 6 mois, comme en Allemagne.

Il faut renforcer les contrôles sur les fraudes à la Carte Vitale[19].

Bien évidemment, la question principale est celle de l’expulsion des immigrés illégaux frappés d’un OQTF (obligation de quitter le territoire français). L’accord des pays d’origine est nécessaire ; il est souvent difficile à obtenir. La France doit utiliser les moyens dont elle dispose : subordonner l’octroi de l’aide publique et l’octroi de visas à cet accord.

2-6-3 Modifier les règles de droit européennes et françaises

Les règles de droit, telles que les interprètent les différentes et nombreuses[20] juridictions compétentes, constituent des obstacles très sérieux à l’application d’une politique de contrôle de l’immigration. Fondées essentiellement sur la protection du droit des individus (en l’occurrence les migrants), elles ont pour effet de laisser désarmés les pays devant l’immigration illégale.

Ainsi, le Conseil constitutionnel a inventé (décision du 6 juillet 2018) un « principe de fraternité » au nom duquel un citoyen peut, au mépris des lois en vigueur, aider un migrant à pénétrer sur le sol français et à se dérober aux recherches de la police. Tandis que la Cour de justice de l’UE interdit à la police d’intervenir au-delà de 20km à l’intérieur des terres : dès qu’un migrant a franchi cette distance, il ne peut être expulsé qu’après une procédure longue.

Une prise de conscience des institutions européennes serait nécessaire pour progresser sur ces deux sujets. Si cette évolution se faisait trop attendre, seul le vote par référendum de dispositions constitutionnelles permettrait de passer outre à ces réserves qui interdisent de maîtriser les flux d’immigration.

III – Quelles solutions pour les immigrés ?

Lorsque l’immigré se trouve sur le sol national en situation régulière, la question est de savoir quel accueil lui réserve la communauté nationale et quelles sont les obligations que cette communauté nationale entend lui demander en retour.

Face à ce choix, il est vain de distinguer immigrés ou enfants d’immigrés (nés en France -donc Français- ou nés à l’étranger). Pour tous, ce choix doit être assumé.

1-Quels buts visés ?

1-1 Des fausses pistes

a) L’échec de la victimisation

Les défenseurs des immigrés jouent parfois un rôle néfaste, contraire à leurs propres intentions.

Des médias, des partis politiques, des associations, des intellectuels, des professeurs d’université, des défenseurs des droits, des Hautes Autorités de n’importe quoi répètent tous les jours aux familles d’immigrés qu’elles sont discriminées, que leur race, la couleur de leur peau, leur religion les condamnent irrémédiablement à une situation de victimes et de dominés !

Il est bien évidemment contre-productif d’inviter les immigrés à s’intégrer à une société dont on ne cesse de dire qu’elle est consubstantiellement mauvaise, raciste, violente, injuste, inégale…

Il est totalement décourageant de répéter à longueur d’émissions de télévision qu’il faut six générations pour sortir de la misère (des dizaines de milliers de cas individuels démontrent le contraire), que leurs chances de sortie de la pauvreté sont faibles.

Il est absurde de laisser croire à partir de quelques très particuliers, sans le démentir, que la police est violente alors que, si elle effectue des contrôles dans des zones et sur des individus qui sont plus fréquemment concernés par des actes de délinquance, c’est par souci d’efficacité[21]non par racisme systémique.

Il est décourageant de ne pas pouvoir expliquer à un jeune qui se prénomme Oussama et porte une barbe noire ou à une jeune femme totalement voilée qu’il ou elle rencontreront nécessairement des réactions négatives qu’ils auront eux-mêmes provoquées.

Enfermer les jeunes issus de l’immigration dans leur statut de victimes n’est pas, en dépit des apparences et des bonnes volontés, leur rendre service.

Qui sont les victimes de ce jeu de rôle ? Les soi-disants « racisés » que ces militants enferment dans leur statut de victimes éternelles, de « dominés », de « vaincus de l’histoire », qui n’ont devant eux qu’une vie de plaintes, d’indignations, de revendications et en définitive de malheurs ? Ou encore ces citoyens de bonne volonté, souvent très jeunes, pleins d’empathie, qui se laissent entraîner dans une sorte de « croisade moderne » au service des droits de l’homme, sans prendre conscience de l’abîme où des manipulateurs les entraînent ?

La vraie voie de solution n’est pas de plaindre les « victimes » mais, bien au contraire, de les aider à sortir de ce statut de victime.

Soutenir les initiatives courageuses d’hommes et de femmes qui ont réussi leur intégration et faire connaître les réussites de l’ascenseur social, alors que trop souvent ceux qui ont échappé à leur malheur de classe et qui ont réussi à atteindre une situation sociale satisfaisante sont considérés par les militants de l’antiracisme comme des traîtres passés dans l’autre camp.

C’est le succès qui fera disparaitre le racisme et non l’écho des plaintes des « racisés ».

b) L’illusion du multiculturalisme

Certains pensent qu’en affirmant ouvertement le caractère multiculturel de la société française, il serait possible de réduire le conflit de civilisation que soulève l’islam.

En tant que solution aux problèmes posés par le développement de l’immigration, cette voie est illusoire.

Bien au contraire, les défenseurs d’un islam rigoriste sont violemment hostiles aux aspects « laxistes » (libertaires) de la société multiculturelle. Loin de souhaiter l’accroissement des libertés de vie et l’élargissement des mœurs, c’est justement cette permissivité qu’ils reprochent à la société française.

Le caractère multiculturel et les valeurs qui l’accompagnent sont un motif de mépris et de rejet par les islamistes qui préfèrent souvent les croyants du Livre aux bobos laïques et consuméristes des démocraties occidentales.

Le multiculturalisme libertaire n’intéresse que des individus appartenant aux classes les plus favorisées, qui sont déjà entrés dans la sphère mondialisée. En revanche, il ne fait qu’accroître le rejet de la civilisation occidentale par la grande majorité des nouveaux entrants.

Le multiculturalisme favorise le réveil de la conscience raciale et pousse les individus à s’affilier sur le mode communautaire (ou ethnique). Censé résoudre le problème de la diversité, il concourt à le rendre insoluble.

En écartant la notion de communauté culturelle nationale pour faire cohabiter des identités différentes, l’Etat crée les conditions de l’affrontement : une société exagérément hétérogène devient ingouvernable, les différentes communautés se disputant les avantages accordés par la puissance publique. L’État est alors requis d’intervenir de façon permanente pour calmer ces oppositions, sans d’ailleurs toujours y parvenir.

1-2 Le vrai choix : assimilation ou intégration

Deux voies s’offrent à un immigré qui souhaite réussir son entrée dans la société française : l’assimilation ou l’intégration.

a)-L’assimilation : une voie royale mais une porte étroite

La définition de l’assimilation a été magnifiquement résumée par Romain Gary : « Pas une goutte de sang français, mais la France coule dans mes veines ».

L’assimilation consiste donc pour un immigré à adopter, non seulement les lois de la France, mais aussi son histoire, ses valeurs, ses mœurs, sa culture…

La possibilité pour un étranger de se fondre par assimilation dans la collectivité nationale constitue un double succès : pour la nation, un citoyen de plus qui se joint à la communauté et l’enrichit de son patrimoine culturel ; pour l’immigré, la sécurité et la sérénité d’appartenir totalement à cette collectivité et la rencontre avec une nouvelle patrie.

C’est ainsi que la nation française a fonctionné dans le passé : les habitants des provinces périphériques d’abord (Bretagne, Savoie…), puis les immigrés venus de l’étranger se sont fondus progressivement dans un même creuset. Évolution accélérée par certaines épreuves communes (au premier rang : la première guerre mondiale).

L’assimilation, contrairement à ce que ces détracteurs laissent entendre, n’est pas un exil : elle ne suppose pas que l’immigré renonce à ses propres racines, à ses références culturelles, familiales, religieuses. Elle lui demande simplement d’adopter sans réserve les modes de vie et les coutumes du pays d’accueil. Et justement, les sociétés occidentales modernes, pays d’accueil, acceptent désormais une certaine diversité et laissent à chaque individualité une marge toujours plus grande d’autonomie ; les mœurs ne sont plus aussi rigides qu’autrefois, les modes de vie sont variés, les opinions encore davantage. Cette diversité est un facteur favorable à la politique d’assimilation. Il est donc inexact d’affirmer que parce que certains immigrés sont différents, ils ne peuvent appartenir à la nation française.

L’assimilation est donc la voie royale de solution du problème de l’immigration[22].

Cela dit, elle ne peut être la seule voie d’accueil des immigrés, pour des raisons qui tiennent les unes aux immigrés eux-mêmes, les autres à la France d’aujourd’hui.

  • La civilisation libérale-libertaire qui est aujourd’hui la nôtre peut heurter les convictions d’immigrés venant des pays de coutumes ou de religions différentes. Ce qui exclut une adhésion sans réserve.

Or si la diversité des mœurs des sociétés occidentales modernes est un facteur favorable pour l’assimilation d’immigrés venus « d’ailleurs », il faut noter que cette diversité de mœurs est plus facilement acceptée lorsqu’elle est le fait de Français de souche que lorsqu’elle apparait comme un signe distinctif de l’immigration. Ainsi, les ménages multiples d’un président de la République ne font pas l’objet de la même réprobation que la polygamie d’une famille africaine ! Le port du monokini ou du bikini est plus largement accepté que celui du burkini ; le voile d’une mariée plus que le hijab d’une musulmane !

Lorsqu’une réserve est exprimée par un Français de souche (par exemple, des croyants convaincus qui s’opposent à l’avortement ou au mariage gay), la démarche est plus facilement acceptée que lorsqu’un immigré affiche son désaccord.

Ce dernier point est particulièrement décisif quand un immigré doit choisir entre intégration et assimilation.

2) L’assimilation réduit, sans pouvoir les faire totalement disparaître, les risques de discrimination, notamment pour les catégories sociales les moins favorisées.

Pour ces raisons, l’assimilation, qui se traduit inévitablement par un choc culturel significatif, est plus fréquemment souhaitée par les personnes disposant d’un niveau de formation ou d’un statut social plus favorable.

3)La France attire toujours l’immigration par le niveau de vie qu’elle offre et les avantages sociaux qu’elle propose à tous les immigrés (légaux ou irréguliers). Mais la société française devient moins attrayante : les immigrés veulent venir (toujours plus nombreux) en France, mais trop souvent ils ne souhaitent plus se fondre dans une civilisation française qui doute d’elle-même et ne les attire plus. Et qui parfois semble les repousser.

L’assimilation qui suppose pour l’immigré d’abandonner une bonne part de son héritage culturel pour adopter les coutumes de son pays d’accueil n’est envisageable que si ce pays d’accueil offre un avantage particulier sur le plan culturel. En revanche, quand le bénéfice attendu de l’immigration se situe uniquement sur le plan économique (emploi, logement, prestations sociales), l’immigré ne sera pas tenté par une assimilation complète.

C’est pour cette raison que l’on observe que, parmi les immigrés ou enfants d’immigrés, ce sont les jeunes filles qui souhaitent l’assimilation (qui leur apporte de nouveaux droits) alors que les garçons, en majorité, restent sur les franges de l’intégration.

Si l’assimilation doit être favorisée et rester l’objectif final d’une politique d’immigration, il faut reconnaître que cette voie est étroite et ne peut être la seule solution proposée aux nouveaux venus.

b) L’intégration

Les immigrés qui refusent le choix de l’assimilation vivent une vie déchirée. S’ils ont émigré –geste difficile, douloureux et cruel- c’est parce qu’ils ne pouvaient plus vivre dans leur pays d’origine, chassés par la guerre, la persécution ou la pauvreté.

Mais si, simultanément, ils refusent de s’assimiler au pays d’accueil, alors ils deviennent psychologiquement apatrides.

C’est le drame de beaucoup d’immigrés et surtout d’enfants d’immigrés en France : ils n’ont aucune envie de retourner vivre dans le pays de leurs ancêtres mais ils refusent d’abandonner tous leurs repères culturels (ou religieux). C’est à eux que la France peut proposer la voie de l’intégration.

L’intégration consiste pour un immigré à accepter sans réserve les lois de la République mais à conserver les signes parfois ostensibles de son origine étrangère : habillement, choix des noms et des prénoms, apparence extérieure, mœurs alimentaires, composition familiale, pratiques religieuses, accès aux médias communautaires ou étrangers…

Elle constitue la voie la plus usuelle d’intégration du flot d’immigration dans la communauté nationale. Elle peut être une étape vers l’assimilation.

2-Des exigences face aux immigrés

 

Simultanément, le pays d’accueil est en droit de demander au nouveau venu d’accepter les règles de la communauté nationale.

2-1 Rompre le lien entre terrorisme et immigration musulmane

La grande majorité des actions terroristes sont le fait de personnes issues de l’immigration (parfois nées en France donc de nationalité française). Sur 41 individus responsables d’attaques terroristes récentes, 15 sont étrangers, 24 sont Français de confession musulmane.

Inévitablement, l’opinion assimile l’insécurité et l’immigration alors que bien évidemment la grande majorité des immigrés ne se reconnaît pas dans ces manifestations de violence.

Cette conviction est renforcée par la présence sur le territoire français des militants islamistes dont le combat vise, à terme plus ou moins éloigné, à assurer la victoire du modèle islamiste et la prééminence de la Charia.

Pour tenter de rompe le lien entre terrorisme et immigration musulmane, il faut lutter sévèrement contre ce qu’on appelle l’islam politique. Cet ennemi de la République doit être fermement combattu.

Il faut surveiller de près les lieux où se diffusent cette idéologie mortifère, expulser les imams dont l’influence est dangereuse, fermer les écoles coraniques dont l’enseignement est suspect…

Bien entendu, pour ne pas aggraver ce phénomène, il est indispensable de vérifier avec beaucoup de soin que, parmi les nouveaux immigrés, ne se glissent pas des individus dangereux.

2-2 Lutter contre le séparatisme

Sans partager ce sentiment extrême d’un véritable combat contre la société française (qui ne concerne qu’une très faible minorité), de nombreux immigrés en revanche, au-delà d’un certain communautarisme et, sans prétendre imposer leurs modes de vie aux Français dits « de souche », sont tentés par un véritable séparatisme : constituer des ensembles, voire des quartiers où les lois de la République s’appliquent peu, où des coutumes religieuses ou sociales étrangères à la France s’imposent.

Le fait que des quartiers entiers  deviennent « des territoires perdus de la République » provoque des conflits, génère des affrontements avec les représentants de l’ordre public et inévitablement des réactions racistes de ceux qui se sentent chassés de leur propre pays.

Le séparatisme compromet les chances d’intégration de tous les immigrés. Il a un effet cumulatif : la naissance de quartiers fermés a pour effet de provoquer le départ des autres habitants et donc d’accentuer l’effet de ghetto.

D’autre part, cette affirmation d’intolérance à l’égard des mœurs françaises rend plus problématique la demande de tolérance envers ceux qui cherchent à s’intégrer. Le refus de la société française affiché par certains immigrés entraine en miroir le refus de l’immigration par certains Français.

2-3 Rompre le lien entre immigration et délinquance :

Si certains s’opposent à l’immigration (notamment musulmane) pour des raisons identitaires, la cause principale de refus tient au lien qui apparaît entre sécurité, délinquance et immigration.

Certes, l’immense majorité des immigrés et des enfants d’immigrés ne sont pas des délinquants.

Mais ce lien ne peut être nié aujourd’hui : le nombre de délinquants appartenant à des familles issues de l’immigration (de nationalité française ou étrangère) est prédominant[23].

Ce lien n’est pas inévitable : il n’y a aucune fatalité à ce qu’un immigré ou un enfant d’immigré (même de nationalité française) devienne un délinquant.

Bien entendu, l’entrée dans la délinquance résulte de multiples facteurs : pauvreté économique, déstructuration familiale, absence de formation ou échec scolaire, tentation de la drogue… Les politiques publiques de développement de l’emploi, de mixité scolaire, de solidarité sociale concourent bien évidemment à cette lutte contre la délinquance.

Mais tous les pauvres ne deviennent pas des délinquants, tous les enfants de famille monoparentale ne deviennent pas des délinquants.

Il y a dans la délinquance des populations immigrées un facteur d’entraînement et de contagion qui leur est particulier et qui rend nécessaires des dispositions nouvelles.

Il faut exclure rapidement de la communauté immigrée ces délinquants pour clairement faire apparaître leur caractère minoritaire et, dans le même temps, réduire l’effet de contagion par lequel un délinquant entraine des jeunes dans son sillage. Le fait qu’un délinquant multirécidiviste reste en liberté nuit non seulement à l’image de la communauté des immigrés mais constitue un risque d’entraînement dans la délinquance de jeunes désœuvrés.

Il faut donc prévoir l’expulsion immédiate de tout délinquant étranger en situation illégale.

Quand le délinquant étranger bénéficie d’un titre de séjour, la réduction, voire la suppression de ce titre en cas d’infraction grave, doit être prononcée par l’autorité administrative.

La décision d’expulsion est aujourd’hui prise par un juge ; il faut la rendre automatique pour les crimes et les délits les plus graves (condamnation égale ou supérieure à 5 ans) ou en cas de multirécidive[24].

Il faut prévoir la déchéance de nationalité pour des coupables de délits graves présents sur le territoire depuis moins de 10 ans (uniquement les binationaux puisque il est interdit de rendre un individu apatride !).

Il faut aménager la politique pénitentiaire pour réduire cet effet d’entraînement. Il faut pouvoir séparer les détenus en fonction de leur dangerosité et de leur âge et éviter que la prison ne soit l’école du crime.

Il faut donc placer dans des centres de détention différents les petits délinquants et les  grands criminels ; de même, il faut disperser et isoler les islamistes.

Une telle politique suppose donc de construire de nouvelles prisons ; un premier objectif de 50000 places est un minimum (les 5 prochaines années verront la création de 5000 places !)[25].

Simultanément, pour réduire les risques de récidive, il faut renforcer la politique d’insertion des détenus en fin de peine.

En résumé, la présence sur le sol français de délinquants ou d’individus dangereux, non seulement menace la sécurité de tous les Français, mais compromet, par ses conséquences négatives, l’intégration de la masse des immigrés qui n’ont rien à se reprocher. La faiblesse de l’État à l’égard de ces perturbateurs rend plus difficile la solution d’intégration de millions d’immigrés honnêtes et pacifiques.

2-4 Mobiliser l’opinion musulmane

Il est clair que toutes ces actions tendant à faciliter l’intégration des immigrés dans la communauté française seraient accélérées si elles bénéficiaient du soutien public de l’immense majorité des immigrés qui ne sont ni des délinquants, ni des terroristes, ni des islamistes dangereux.

Cette mobilisation n’est pas inexistante : de plus en plus d’hommes et surtout de femmes prennent publiquement position, en dépit des risques qu’ils encourent. Mais ces initiatives sont encore peu nombreuses et ne concernent que des personnes ayant souvent atteint des niveaux d’éducation supérieure.

C’est la responsabilité des dirigeants politiques français de tenter de susciter une telle adhésion[26].

Les nombreuses  tentatives d’organisation de la religion musulmane n’ont pas abouti. Peut-être faut-il prendre la question non par l’approche religieuse mais par  la voie communautaire ?

3-Des obligations pour la France, pays d’accueil ?

Une fois l’immigration maîtrisée, la France doit se montrer bienveillante envers ceux qu’elle a laissé entrer sur son territoire.

Arriver dans un pays étranger est une expérience souvent dangereuse, toujours douloureuse. La solitude, le manque de ressources, l’inconnu de l’environnement…sont des obstacles

Dès lors qu’un immigré est sur le sol français, la France se doit de l’accueillir.

3-1 Accepter le communautarisme

Une certaine dose de communautarisme est à la fois inévitable et souhaitable.

Un immigré nouvellement arrivé a besoin de se retrouver dans un milieu qui lui apporte un soutien matériel et moral : il trouvera auprès de compatriotes.

Certains essaient de retrouver leur culture d’origine par des pratiques vestimentaires, des habitudes alimentaires. D’autres par une pratique religieuse, la consultation de médias communautaires. Pratiqués avec modération (c’est-à-dire sans ostentation ou provocation), ces rites (vestimentaires, alimentaires, religieux) peuvent permettre d’atténuer le traumatisme du déracinement.

De nombreux pays occidentaux (et notamment les États-Unis) vivent avec des communautés officiellement très soudées.

 

Le communautarisme pourrait être une solution transitoire : un sas d’attente avant de plonger dans une culture nouvelle. C’est ainsi que le comprennent les plus évolués des immigrés : lorsqu’ils ont réussi à acquérir une compétence intellectuelle ou professionnelle, ils songent immédiatement à quitter les quartiers où ils sont nés.

Mais, dans le même temps, ce communautarisme ne peut se confondre avec un séparatisme. Il faut notamment éviter la création de véritables ghettos racialisés. À ce titre, la concentration de logements sociaux dans les mêmes commues (parfois les mêmes quartiers) se traduit par un « remplacement » massif et brutal des populations anciennes par les nouveaux venus. Si les lois « SRU » successives ont prévu des minima de construction sociale (sans cesse alourdis), il faut simultanément introduire des maxima !

3-2 Une conception libérale de la laïcité

La laïcité est une valeur fondamentale de la démocratie française.

Aujourd’hui, cette question, qui a de nombreux aspects, est soulevée sur trois sujets essentiels.

Le premier est l’application des lois de la République. Beaucoup d’immigrés (notamment les jeunes) continuent de penser que les règles de Charia l’emportent quand elles sont en conflit avec les lois de la République. Sur ce point, aucun compromis n’est possible. Ceux qui n’acceptent pas les lois françaises doivent partir.

Le second sujet porte sur les pratiques coutumières. Le droit français a atteint un point d’équilibre qu’il faut conserver et défendre.

Si la burqa (ou le niqab) qui couvre totalement le visage de la femme est formellement interdite dans l’espace public depuis 2010, en revanche la loi française autorise le simple voile (hidjab), sauf dans les établissements scolaires.

De même, dès lors qu’il s’agit d’un vêtement destiné exclusivement à la baignade, les tribunaux français ont jugé que le burkini ne pouvait être interdit.

La loi française autorise l’usage de prénoms librement choisis.

La diversité de la mode rendrait proprement ridicule une tentative de condamner certains vêtements exotiques !

Le troisième sujet (qui a conduit à des meurtres) porte sur le droit au blasphème.

La démocratie française autorise (sans s’en réjouir) le blasphème, c’est-à-dire l’injure adressée à Dieu et à ses représentants. Le christianisme (après plusieurs siècles de déchristianisation) et le judaïsme (après plusieurs siècles de persécution) sont deux religions qui sont préparées à ces offenses : tout en en souffrant, elles ont renoncé à condamner le blasphème. L’islam n’est pas dans cette situation : le blasphème heurte violemment la conscience d’un musulman.

Pour tenter de concilier ces deux approches opposées, il est nécessaire de tenter un compromis. Il faut demander aux musulmans de ne pas réagir violemment aux propos tenus par des personnes physiques. Il faut demander aux institutions françaises de ne pas relayer et a fortiori de ne pas prendre à leur compte ces gestes agressifs. Il faut défendre Charlie hebdo qui publie des caricatures de Mahomet mais il était inutile de projeter ces caricatures sur les murs d’un Hôtel de région !

3-3 L’école, une voie privilégiée pour l’intégration

L’écroulement qualitatif du système éducatif français est un drame pour tous les Français ; c’est une catastrophe pour les immigrés et leurs descendants.

L’école certes ne peut à elle-seule combler les insuffisances d’une société toute entière et obtenir l’intégration des immigrés si ni les immigrés ni la société ne le souhaitent. Mais l’école doit jouer un double rôle pour les nouveaux venus.

C’est par l’école qu’un immigré apprend à connaître et à aimer la France. Ce qui signifie ne pas renoncer à leur apprendre la langue française (avec toutes ses exigences en matière d’orthographe et de syntaxe), la littérature française, sa géographie et surtout son histoire. L’abandon de ce qu’on appellet avec mépris « le roman français » est à l’origine du désamour constaté chez ces jeunes immigrés : ils ne l’aiment pas car ils ne la connaissent pas et ils ne la connaissent pas parce que l’école de la République a renoncé à leur apprendre.

C’est surtout par l’école qu’un immigré peut bénéficier d’une forme d’ascenseur social.  C’est par la formation, au niveau le plus élevé que l’élève peut atteindre, que le nouvel immigré trouvera les moyens de rejoindre les autres membres de la communauté nationale et de progresser dans l’échelle sociale.

En revanche, l’échec du système éducatif laisse le jeune immigré ou fils d’immigré totalement démuni car, en l’absence d’un soutien familial, et dans la méconnaissance inévitable des alternatives privées (qui seraient d’ailleurs financièrement hors d’atteinte), rien ne peut remplacer ce double rôle de l’école.

En dépit des efforts de discrimination positive, la politique de diversité sociale de l’éducation nationale est contraire aux intentions qui la motivent. En refusant les classes de niveau, on crée nécessairement des collèges et des lycées de qualité plus faible dans les zones où la proportion d’immigrés est importante. En conséquence, les enfants des classes les plus aisés (et ceux dont les parents pensent qu’ils ont de grandes potentialités) quittent les plus mauvais lycées pour l’enseignement privé[27]. Non seulement le niveau scolaire des classes de ces lycées et collèges est faible, mais la ségrégation sociale s’en trouve augmentée.

Paradoxalement, c’est pour favoriser la diversité sociale et donc notamment l’accueil des enfants d’immigrés qu’ont été mises en œuvre les réformes de structure qui ont conduit à l’effondrement du niveau scolaire. Le résultat est exactement contraire au but poursuivi ! En confondant mixité sociale et mixité scolaire, l’Éducation nationale rate les deux objectifs ! S’il existait des classes de niveau dans tous les établissements scolaires, les parents des classes les plus aisées ne craindraient plus que leurs enfants soient tirés vers le bas, les bons élèves de parents immigrés auraient accès aux meilleures formations et les plus faibles pourraient progresser en bénéficiant d’un taux d’encadrement par les professeurs plus élevé.

L’école ne se relèvera que lorsque les « réformateurs » auront compris que, pour aider les plus défavorisés, il faut tirer le niveau scolaire vers le haut et qu’à cette fin il ne faut plus confondre la mixité sociale (qui est une priorité) et la mixité scolaire qui, mélangeant bons et élèves et élèves en difficulté, est dévastatrice pour les deux catégories d’élèves !

Les enseignants et le système éducatif ont un rôle essentiel à jouer dans la remise en marche de l’ascenseur social et donc dans le succès de l’intégration des immigrés.

3-4 La discrimination positive

Faute de pouvoir s’appuyer sur l’école pour faire progresser les enfants d’immigrés, on tente de généraliser la « discrimination positive », de leur donner un avantage dans le parcours scolaire ou universitaire (points supplémentaires, quotas d’admission…).

La Constitution interdisant d’appuyer cette discrimination sur des critères ethniques, raciaux ou religieux, les mesures reposent sur des critères indirects : boursiers, quartiers défavorisés…

L’intention est louable, mais cet accès privilégié soulève autant de questions qu’il ne résout de problèmes.

On observe que dans les établissements qui pratiquent la discrimination positive à l’entrée, ceux qui en bénéficient rencontrent souvent des difficultés pendant leur scolarité et échouent parfois à la sortie.

La discrimination positive crée une injustice excessive à l’égard des non-discriminés et notamment ceux qui font partie d’autres minorités[28].

Les quotas d’admission équivalents pour tous les lycées pénalisent les élèves moyens des bons lycées (où la notation est souvent sévère) par rapport aux « bons élèves » (ceux qui ont des notes élevées) des lycées faibles qui, pour encourager leurs élèves, pratiquent une échelle de notation plus généreuse.

Par contrecoup, cette discrimination positive risque de provoquer des réactions négatives de la majorité de la population et ralentir l’intégration des immigrés.

C’est donc une politique à employer avec modération et probablement à titre temporaire.

Fondamentalement, les meilleurs des catégories défavorisées émergeront non de la discrimination positive mais du succès aux épreuves de sélection anonymes. C’est l’exemple de ceux qui ont su franchir ces obstacles qui sera encourageant pour les jeunes des générations suivantes.

3-5 Faciliter l’intégration par le travail

Les immigrés veulent travailler. Plus encore que l’aide financière, l’État doit leur faciliter l’accès au travail.

En premier lieu, tout immigré, a fortiori tout réfugié, doit avoir l’obligation et la possibilité d’apprendre à parler, lire et écrire en français. Tout immigré doit se voir proposer (et doit accepter l’obligation de) suivre une formation professionnelle correspondant à ses aptitudes.

Trop souvent, c’est la règlementation française qui leur interdit de travailler au risque de les transformer en SDF ou même en délinquants. Or la France maintient sur son territoire un nombre élevé d’immigrants (légaux ou illégaux) qui n’ont pas le droit de travailler. Cette contradiction est douloureuse pour les personnes concernées et dangereuse pour la nation.

Un accès plus aisé aux « petits boulots » (contrats courts, à temps très partiel…) faciliterait l’intégration de ceux qui sont démunis de tout (notamment les activités de vente à la sauvette). Poursuivre les vendeurs de tours Eiffel ou de glaces sur les plages est une stupidité !).

Ces facilités doivent être accordées non seulement aux immigrés légaux mais aussi aux immigrés illégaux qui ne sont pas expulsables.

3-6 Poursuivre la lutte contre les discriminations

Contrairement à certaines campagnes de presse, la France est bien placée dans la lutte contre les discriminations. Il y a bien peu de pays dans le monde où les représentants des différentes minorités soient mieux traités qu’en France ! Cette lutte contre les discriminations est trop souvent instrumentalisée pour servir des causes politiques !

Cela dit, un tel combat n’est jamais terminé. Il mérite d’être poursuivi, en prenant soin toutefois de ne pas accuser sans discernement les acteurs économiques (c’est-à-dire les entreprises) ou les responsables politiques.

Conclusion : Toutes ces mesures sont soumises à deux préalables exogènes :

4-1 Retrouver les chemins de la croissance

Fondamentalement, le succès de l’ascenseur social est lié à la croissance. Le chômage est la principale cause de rejet de l’intégration et de la montée de la délinquance.

Toute mesure qui freine la croissance économique favorise la situation des privilégiés installés et empêche les nouveaux venus d’améliorer leur situation.

Ce n’est pas un hasard si c’est dans les secteurs de forte innovation et de forte croissance que l’on rencontre le plus grand nombre de dirigeants issus de la diversité et de l’immigration !

Le paradoxe veut que ceux qui prônent la décroissance et mettent des obstacles à tous les projets ambitieux de développement sont aussi ceux qui s’indignent des limitations mises aux mouvements de population et des réactions hostiles de certaines couches de la population (qualifiées de populistes ou même de fascistes).

4-2 Restaurer l’attrait de la civilisation française

Pour que les immigrés se détournent du séparatisme, pour qu’ils acceptent sinon de s’assimiler, à tout le moins de s’intégrer, il faut qu’ils soient convaincus des mérites de notre société.

Souvent, les immigrés nouveaux ne sont plus tentés par l’assimilation certes parce qu’ils restent marqués par leur pays d’origine (parfois phantasmé par des enfants qui ne l’ont jamais connu), même s’ils n’envisagent pas d’y retourner, mais surtout parce que le modèle français ne les séduit pas.

Des Français de souche en sont responsables : les « déconstructeurs » ont peu à peu disqualifié tous les motifs de fierté des Français. Le mouvement « woke » et particulièrement la « cancel culture » a même transformé ce désintérêt en hostilité. Pourquoi s’intégrer à une société où des médias, des universités, des leaders politiques vous expliquent que cette société et d’ailleurs toutes celles qui l’ont précédée sont d’ignobles racistes ou esclavagistes. Nul n’est tenté de rejoindre l’enfer !

Le paradoxe veut que, là encore, ceux qui ainsi incitent les immigrés à vouloir rester dans leur ghetto (et pour une large part dans leur misère) sont justement ceux qui veulent libéraliser l’immigration et lever toutes les barrières aux mouvements de populations !

L’assimilation (ou l’intégration) des immigrés est liée à la capacité de la nation française à progresser, à sa vitalité sociale et culturelle

Mais, comme disait Rudyard Kipling, « Ceci est une autre histoire » !

Un exemple d’intégration réussie

Il est à New York un musée de l’immigration situé dans l’extrême sud de Manhattan. Dans un des immeubles pauvres où logeaient les immigrés au début du XX° siècle, la ville a aménagé à chaque étage deux appartements. Chacun de ces logements est décoré et meublé selon la tradition d’une famille ayant réellement existé en provenance d’origine différente : une famille italienne, une famille irlandaise, une famille juive d’Europe de l’Est…

Ces appartements contiennent des effets et des meubles ayant réellement appartenus à ces familles. On peut également entendre les témoignages de leurs descendants. Ce qui est frappant, c’est que tous les Américains d’aujourd’hui, issus de toutes ces familles d’origine différente, disent tous la même chose : « Le rêve de mon grand-père, le but de sa vie ici, c’était d’être Américain ».

C’est un témoignage magnifique d’une politique d’assimilation réussie.

On sait bien que ces nouveaux immigrés ont connu l’extrême pauvreté, ont souffert de discriminations, ont dû travailler dur dans un pays dont les lois sociales étaient peu protectrices. Mais leur but était clair ; ils étaient prêts à souffrir pour l’atteindre. Ce que disent leurs descendants, c’est que, dans l’ensemble, ils ont réussi.

Mais l’Amérique n’a cessé de leur dire qu’ils pouvaient réussir, que « le rêve américain » était une réalité.

 

 

 

[1]/  En 1986, un major de l’X, d’origine africaine, à la sortie de l’école, ne trouvait pas d’emploi en France. Mais au même moment, une commune bretonne élisait un maire d’origine africaine !
[2]/  On appelle immigré une personne née étrangère à l’étranger. La qualité d’immigré est permanente (même si la personne acquiert la nationalité française). Un enfant d’immigré peut être français (notamment s’il est né en France) ou étranger. ?? Les pieds-noirs rapatriés ont été comptabilisés comme immigrés ??.
[3]/  Ce pourcentage (9,9%) était de 7,4% en 1982 et 8,4 % en 2008.
[4]/  Il faut distinguer immigré et étranger.
La population étrangère vivant en France s’élève à 4,9 millions de personnes, soit 7,4 % de la population totale. Elle se compose de 4,2 millions d’immigrés n’ayant pas acquis la nationalité française et de 0,7 million de personnes nées en France de nationalité étrangère.
Les personnes vivant en France nées à l’étranger représentent 12,6 % de la population (8,4 millions), soit 1,7 million de personnes de nationalité française nées à l’étranger et 6,7 millions d’immigrés.
[5]/  Titres de séjour par motif d’admission (2019) :
Économique  39 131
Familial         90 502
Étudiant         90 336
Humanitaire   37 851
Divers            19 586
Total             277 320
[6]/  37,4% d’enfants d’immigrés en Ile-de France (Paris et première couronne), plus de 70 % dans plusieurs communes de Seine-Saint-Denis, 50% dans le XIX° arrondissement de Paris
[7]/  Il est intéressant de noter que cette crainte n’est pas propre aux « Français de souche » : en Guyane, Mme Christiane Taubira déclare : « Nous sommes à un tournant identitaire. Les Guyanais de souche sont devenus minoritaires sur leur propre terre » (avril 2007). On entend des déclarations analogues en Nouvelle-Calédonie… et en Corse !
[8]/ La population de l’UE diminuerait de 447 millions en 2020 à 420 millions en 2080 (Eurostat). Pour la France, l’effectif serait compris entre 50 et 55 millions en 2060 au lieu de 66 M en 2020.
[9]/ Le rapport de l’ONU (2000) sur « les migrations de remplacement » proposait d’accueillir en Europe 139 millions de migrants d’ici à 2025, soit, 5,6 millions par an ! On notera que le terme « remplacement » n’a pas été introduit par des représentants de l’extrême-droite, mais par un organisme officiel de l’ONU !
Ce n’est que onze ans plus tard que Renaud Camus publie son livre : « Le Grand remplacement ».
[10]/ Le PIB par habitant de la France est passé de 45 334 $ en 2007 à 39 257 $ en 2020 ! Le nombre de chômeurs est passé de 1 million en 1975 à 6 millions aujourd’hui.
[11]/ C’est encore la position de M. François Bayrou, commissaire au Plan, qui déclare : « L’apport des migrations peut améliorer le rapport actifs-retraités ».
[12]/  Fixé à 15 000 personnes par an par le Président Trump, ce quota a été porté à 62 500 par le Président Biden : à comparer aux 39 130 titres de séjour accordés par la France pour motif économique en 2019. Un taux équivalent au taux américain nous conduirait, à population équivalente, à accorder seulement 15 000 titres de séjour pour motif économique (ai lieu de 30 000).
[13]/  A noter la position stupéfiante du Conseil d’Etat qui a censuré un décret ajoutant le Bénin à la liste des pays sûrs, au motif que les lois du pays ne protégeaient pas suffisamment les populations LGBT !
[14]/  Le Conseil constitutionnel a donné valeur constitutionnelle à ce droit d’asile par décision du 9 janvier 1980. Le gouvernement a échoué à en suspendre l’application pendant la pandémie de Covid !
[15]/ Un mineur peut même faire une déclaration acquisitive de nationalité dès 13 ans.
16/ La loi du 16 juin 2011 a rendu obligatoire la signature d’une charte « sur les principes et valeurs de la république ».
[17]/ 76,25% des mineurs jugés en Ile-de-France en 2020 sont des MNA. Ces mineurs non accompagné sont à l’origine, toujours en Île-de-France de 30% des cambriolages et 44% des vols à la tire (rapport parlementaire de mars 2021).
[18]/  Ce chiffre ne concerne que les mineurs pris en charge par les services d’aide sociale à l’enfance des départements. Le nombre de mineurs isolés sur le territoire français est sans doute nettement plus élevé.
[19] 21 millions de personnes nées à l’étranger disposent d’un numéro de Sécurité sociale alors que le nombre d’étrangers vivant en France est de 7,9 millions !
[20] Cour européenne des droits de l’homme, Cour de justice de l’Union européenne, Conseil constitutionnel, Cour de cassation, Conseil d’État…
[21]/ Pendant la guerre d’Algérie, j’ai moi-même, avec ma tête de métèque, été contrôlé par la police, alors que je portais un uniforme d’officier. J’ai conclu que ces policiers manquaient de discernement. Je n’ai jamais vu dans cette erreur une malédiction congénitale !
[22]/  Fernand Braudel : « (L’assimilation) est le critère des critères pour une immigration sans douleurs » (L’Identité de la France).
[23]/  Les statistiques du ministère de l’Intérieur ne concernent que les étrangers ; elles n’incluent donc pas les immigrés naturalisés, ni les enfants d’immigrés nés en France. Les étrangers représentent 24% de la population carcérale en 2020 (7,4% de la population totale). Entre 40 et 60% des prisonniers sont de religion musulmane. En 2019, 93% des mis en cause pour vol dans les transports en commun en Ile-de-France étaient de nationalité étrangère (31% dans la France entière).
[24]/ La réforme, votée à l’initiative du président Sarkozy en 2003, a écarté cette double peine pour des personnes installées en France depuis plus de 20 ans. Cette limitation est logique car, après 20 ans de présence sur le territoire, si la personne garde le caractère statistique d’immigré, elle appartient de fait à la communauté nationale. Cette mesure doit être conservée. En revanche, il serait dangereux de réduire ce délai à 5 ans, comme certains le proposent.
[25]/ Avec une population quatre fois supérieure à celle de la France, les États-Unis comptent 2 000 000 de détenus. Proportionnellement, un chiffre équivalent serait de 500 000 places de prison en France (contre 58 664 en 2021 dans 186 établissements !).
[26] / Napoléon, en 1806, avait su mobiliser autour d’un projet commun toutes les communautés juives, mais c’était Napoléon !
[27]/  Ou contournent les règles de sectorisation !
[28]/  À Harvard, des étudiants asiatiques ont déposé plainte en justice –jusqu’à la Cour suprême- contre la discrimination dont bénéficient les étudiants noirs !

Propositions concernant le logement pour les lendemains du coronavirus

Décembre 2020

I – Le contexte par François Leblond, président de la Cofhuat

  • 1-1.-Les origines du logement social

Dans une grande partie de la France, si beaucoup d’habitants se logent aujourd’hui sans interventions de la collectivité, ce n’est pas le cas de tous.

Historiquement, c’est la croissance industrielle concentrant de nombreux emplois dans d’immenses usines qui a amené à la fois les chefs d’entreprises et les collectivités territoriales à se préoccuper du logement ouvrier. Ceux-ci venaient souvent de loin et à pied au travail. Ainsi sont nées des cités ouvrières dans l’Est avec la sidérurgie, dans le Nord avec le charbon, le textile, en région parisienne, en région lyonnaise avec la construction automobile.

Cette mutation de la campagne vers la ville a eu aussi pour effet l’essor de taudis dans la ville elle-même devenue surpeuplée. La question du logement intéressait désormais et en même temps les chefs d’entreprises et les collectivités publiques et une réflexion s’est faite avant la guerre de 14, prolongée dans les années 20 sur le thème du logement des catégories modestes de la population.
Si les préoccupations des collectivités territoriales étaient d’ordre hygiénistes, celles des entreprises étaient plutôt dictées par un souci de productivité de leurs salariés qui, célibataires parce que éloignés de leurs familles et enclins la nuit et le week-end à bambocher, étaient peu productifs lors de leur reprise du travail.

Sont nées de cette double initiative les HBM puis les HLM que quelques grands élus comme le maire du Havre, Jules Siegfried ont souhaité soutenir par la loi. Aujourd’hui le parc HLM est constitué pour moitié par 2,6 millions de logements appartenant aux offices publics d’HLM, issus des initiatives des collectivités territoriales, et pour moitié par 2,6 millions de logements appartenant aux « Entreprises sociales pour l’Habitat (ESH), issus des initiatives des entreprises

Cette politique a aujourd’hui une dimension nationale et ne tient pas suffisamment compte de la diversité qui s’est développée au cours des dernières décennies.

  • 1-1.- L’évolution des besoins et leur diversité

Les populations qui ont besoin de l’action publique sont de plus en plus diverses. Citons-en quelques exemples.

Les personnes âgées ou handicapées étaient autrefois gardées jusqu’à leur décès dans la famille. Ce n’est plus le cas et il a fallu construire pour elles des logements spécifiques disposant des services nécessités par la dépendance. Les collectivités départementales sont très engagées à cet égard.

La France a trouvé dans le tourisme le moyen de valoriser des richesses jusque-là peu exploitées : le bord de mer, la montagne. Ce tourisme est un très grand créateur d’emplois, mais on a construit pour les touristes, et rarement pour le logement de ceux qui fournissent des services de tous ordres à ceux qui viennent profiter de sites exceptionnels. La spéculation immobilière s’est emparée de ces zones, et les résidents dits principaux ne trouvent pas à se loger à des tarifs correspondant à leurs ressources. Ce sont les élus qui cherchent des solutions et ils ne sont guère aidés par les règles établies au niveau national

Le nombre d’étudiants a explosé. Les universités, les écoles sont le plus souvent éloignées des domiciles de leurs parents. Les régions doivent mettre en place des programmes pour les loger.

Le tissu industriel de la fin du XIX° siècle a très largement disparu, les logements dont il avait entraîné la construction sont aujourd’hui souvent géographiquement mal placés. Les emplois se sont déplacés, ont souvent changé de nature, mais les rémunérations ont peu changé ce qui empêche beaucoup de se loger à proximité du lieu de travail.

La France aura du mal à se remettre de la pandémie actuelle. Beaucoup d’emplois risquent de disparaître, d’autres naîtront mais obligeront des populations importantes à se déplacer et à chercher à se loger en des endroits où la réponse en matière de logement sera insuffisante. Ce sera aussi aux élus de terrain de chercher des solutions

On pourrait poursuivre cette liste elle montre que notre législation doit faire de la place à l’initiative locale et à mettre en valeur le couple déconcentration, décentralisation. Les changements à proposer en cette matière constituent un sujet difficile. Les propositions de Pierre Carli et de Didier Poussou sont très importantes à cet égard. Je leur laisse la parole.

II – Les droits de construire, par Pierre Carli ancien Président du Logement Français

Alors que les disparités de tous ordres se sont développées au cours des dernières décennies entre les différentes parties du territoire français, force est de constater que le pays est resté très centralisé en matière de décisions, notamment pour ce qui concerne le logement, alors que des solutions territorialement mieux adaptées, au plus près du terrain, mériteraient d’être encouragées.

Ce type d’évolution dans la manière de décider paraît d’autant plus nécessaire que la France, confrontée à la question de la pandémie de coronavirus, va devoir gérer un accroissement de la précarité d’un nombre croissant de familles qui connaîtront des difficultés pour se loger.

–           2-1.- L’état des lieux de la gestion des droits de construire dans les territoires

Alors que l’État continue de projeter sur le logement une vision uniforme et très centralisée au niveau national, sans toutefois considérer ce secteur comme une priorité, force est de constater dans le même temps un recul des orientations politiques sur les territoires en matière de réglementation des droits de construire et de délivrance des autorisations de construire.

L’octroi de la compétence aux collectivités territoriales, et en particulier aux maires, pour l’élaboration des documents d’urbanisme chargés de fixer les droits de construire s’est souvent traduit, essentiellement en zones de marché tendu, par un recul très sensible de ces droits, ceux-ci étant souvent fixés comme devant être inférieurs à l’occupation actuelle des sols par les constructions existantes, ce qui fige toute évolution de l’occupation des sols et neutralise dans les faits le développement de l’offre bâtie.

Même une fois ces droits théoriquement fixés par les plans locaux d’urbanisme, il est devenu de pratique constante qu’au moment de l’élaboration par les promoteurs de projets de permis de construire, les représentants des élus locaux demandent fermement, pour ne pas dire qu’ils exigent, de réduire l’importance des projets bien en deçà des droits fixés par le règlement d’urbanisme.

Cette attitude très malthusienne, qui se rencontre essentiellement en première couronne parisienne et autour des métropoles, paraît avoir pour origine la trop grande proximité qui s’est instaurée entre les élus élaborant les plans d’urbanisme et délivrant les permis de construire et leurs électeurs, lesquels identifient dans ces élus les responsables d’une densification qu’ils rejettent souvent au nom d’une prétendue protection de leur environnement.

Ne dit-on pas chez certains élus : « Maire bâtisseur, maire battu ? »

Cette situation est d’autant plus préoccupante que les attentes qui se développent dans la population, en matière de développement durable et de protection de l’environnement, penchent de plus en plus en direction d’une moindre consommation des espaces périphériques et encore peu urbanisés des villes, et d’une meilleure utilisation des nombreux équipements publics existants, considérés souvent comme sous-utilisés. Cette sous-occupation pose la question du coût de leur investissement de premier établissement mais surtout de leur coût de fonctionnement (personnel de gestion, maintenance, etc.), qui sont actuellement amortis sur une population trop faible et engendrent de ce fait des charges financières fiscales trop élevées sur chaque ménage.

Pourtant ce souci d’une moindre consommation des espaces périphériques et d’une meilleure utilisation des équipements existant par une population plus importante plaide pour un accroissement de l’offre en logements dans les villes et leurs périphéries immédiates déjà urbanisées mais qui le sont insuffisamment.

Les considérations développées ici concernent prioritairement les zones tendues et sont moins fréquemment rencontrées dans le reste des territoires, où l’on observe une meilleure gestion du droit de construire par les élus.

S’agissant des zones tendues, il serait bon de donner à cette notion un caractère évolutif.
En effet, si après l’actuelle crise sanitaire due au covid 19 et ses conséquences économiques, l’occasion devait se présenter d’une construction d’usine ou de services en un lieu qui n’était pas jusqu’ici situé en zone tendue mais qui est de nature à appeler une nouvelle main d’œuvre, il faudrait que, parallèlement, la possibilité de bâtir s’adapte à la situation nouvelle et que les règles relatives aux zones tendues s’appliquent automatiquement dans une telle situation.

  • 2-2.- Les orientations proposées

Afin d’apporter un correctif à la situation existante et de relancer le développement d’une offre de logement dans les zones les plus tendues, il est proposé à la fois de faciliter la refonte des plans locaux d’urbanisme actuels (PLU) afin de majorer les droits de construire octroyés, et de veiller à la possibilité pour les promoteurs d’utiliser véritablement les droits autorisés par la règlementation.

Concrètement, il faudrait :

  • Établir une plus grande distance entre les habitants des agglomérations d’une part et les lieux d’élaboration des plans locaux d’urbanisme ou de délivrance des autorisations de construire d’autre part, afin d’éviter aux élus concernés d’être partagés entre le souci de ne pas mécontenter leurs administrés, afin de ne pas prendre de risque pour leur réélection, et la nécessité d’assurer une bonne gestion de leur territoire, dans l’intérêt général et non celui de leur situation personnelle.

Bien entendu, il ne s’agirait pas de revenir à une recentralisation de ces décisions, qui doivent rester à une échelle locale, mais d’en confier la gestion à des niveaux à la fois proches du terrain et distanciés par rapport aux maires. Quel serait le plus pertinent ? Métropoles ? Communautés de communes ?  EPCI ? Et pourquoi pas les départements ?

  • Réviser les plans locaux d’urbanisme, en vue d’augmenter les droits de construire en zones déjà agglomérées, de limiter le développement en zones peu denses, de mieux utiliser, par conséquent, les équipements publics existants et d’éviter l’étalement urbain ainsi que le « mitage » des zones rurales.

Pour objectiver les orientations à prendre dans l’accomplissement de ce travail, il serait nécessaire de réaliser un état des lieux de l’occupation actuelle des sols et d’évaluer les « indices d’occupation des sols ou « IOS »,  comme cela se pratiquait dans les années 1970 lors de l’élaboration des premiers plans d’occupation des sols (POS).

Il est en effet indispensable, avant de fixer un niveau de développement souhaité d’une zone, d’en connaître l’occupation précédente, afin que les nouveaux droits octroyés puissent rendre compte du projet de l’évolution de son occupation. À cet égard il conviendra de rétablir l’obligation de fixer dans chaque zone une notion de coefficient d’occupation des sols (COS), qui a disparu de beaucoup de plans locaux d’urbanisme, et qui est la seule à permettre de bien quantifier l’importance de l’urbanisation envisagée par le règlement.

Élaborés par les collectivités territoriales, ces plans d’urbanismes révisés ne pourront être soumis à l’enquête publique en vue de leur approbation qu’après validation par le préfet du département, qui devra veiller à la prise en compte du souci de mieux urbaniser les zones déjà agglomérées et d’éviter l’étalement urbain en zones rurales ou peu denses.

  • Lors de l’élaboration de tout permis de construire, rendre obligatoire l’atteinte du coefficient d’occupation des sols prévu par le règlement dans chaque zone, afin d’éviter les pressions actuellement exercées par les instructeurs de l’administration communale sur les constructeurs, qui vont presque toujours dans le sens d’une dissuasion de consommer les droits de construire prévus par le règlement. Tout permis de construire ne respectant pas cette règle serait considéré comme illégal de plein droit et pourrait être annulé par arrêté du préfet.

III – Le logement social par Didier Poussou, directeur général d’ « Entreprises Sociales pour l’Habitat »

3-Le logement social  – propositions de simplifications des procédures applicables

  • 3-1.- L’état des lieux

Le logement et le logement social ont fait l’objet tous les deux ans environ de textes de loi (ALUR en 2014, Égalité Citoyenneté en 2017, Élan en 2018) qui n’ont que rarement eu les effets escomptés tout en sur-complexifiant à outrance les dispositifs existants, ce qui provoque des effets d’externalités négatives et de diminution de la productivité de toute la filière.

Les propositions qui suivent sont de différentes natures. Elles ont pour objectif de supprimer ou de réduire des difficultés actuelles, qui pour certaines d’entre elles peuvent paraître mineures, mais qui n’en constituent pas moins un frein à l’efficacité des dispositifs.

  • 3-2.- Les propositions

3-2-1 Développer le logement intermédiaire en complétant la règlementation.

Plus de 200 000 ménages seraient en attente d’une proposition de logement intermédiaire, selon les études menées en zone tendue et tout particulièrement en Ile de France.

Les organismes d’HLM ne peuvent prendre en gérance que les logements appartenant à des personnes énumérées par les textes. Curieusement ces textes omettent d’inclure dans cette énumération les filiales de logement intermédiaire créées par les organismes d’HLM et imposent à ces filiales d’assurer la gestion de leur patrimoine par leurs propres moyens, sans possibilité d’utiliser les services de l’organisme d’HLM.

Pourtant, lorsqu’elles sont en phase de développement, ces filiales ne sont propriétaires que d’un faible nombre de logement, ce qui ne leur permet pas d’amortir les coûts de gestion qui leur sont imposés. Le fait de ne pas pouvoir utiliser les moyens de gestion de l’organisme d’HLM constitue un frein au développement d’une offre de logement intermédiaire par les bailleurs sociaux. Il convient donc de compléter cette liste afin de permettre aux d’organismes d’HLM de prendre également en gestion des logements intermédiaires appartenant à leurs filiales dédiées au logement intermédiaire ainsi qu’aux sociétés ayant le même objet contrôlé conjointement par plusieurs organismes HLM.

3-2-2 L’attribution des logements sociaux

Les attributions de logements sociaux voient leur nombre annuel diminuer sur la période 2009-2019 de 20 000 unités environ alors même que la taille du parc social total progresse…

L’attribution obéit désormais à la règle dite « du quartile ». Il est proposé de simplifier les obligations issues de la loi dite « égalité et citoyenneté » de janvier 2017, qui visent à l’attribution de 25% des logements situés hors des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) à des ménages dont le niveau de ressources est inférieur à un montant fixé nationalement, sans prendre en compte la nécessité d’une application progressive dans les territoires.

En effet, ces mesures, développées en considération des situations rencontrées en zones tendues, s’appliquent uniformément sur tout le territoire alors qu’en zone détendue on constate de la vacance. Le niveau du quartile, tel qu’il a été calculé, ne reflète pas forcement la problématique des conditions de ressources des ménages, compte tenu d’une difficulté sur le renseignement des informations figurant dans le Système National d’Enregistrement (SNE), opérationnel depuis mars 2011. Or ce système contient des données de type déclaratif qui ne sont pas contrôlées par les services de l’Etat.

Les dispositions sont extrêmement complexes à mettre en œuvre tant pour les bailleurs que pour les collectivités locales. Il serait nécessaire en zones de marché non tendu d’alléger ce dispositif « du quartile » et d’autoriser les élus locaux à gérer les attributions des contingents prioritaires, qui sont jusqu’à présent gérés par les services préfectoraux.

3-2-3 Adapter le système d’attribution des logements locatifs sociaux afin de le rendre plus équitable en définissant la mobilité comme un critère de priorité

À l’occasion de la libération d’un logement, permettre à un ménage une mobilité dans le parc social afin de répondre à un besoin familial ou de mobilité professionnelle, tout en n’obérant pas la capacité d’attribution d’un logement à ceux qui ne sont pas encore logés. L’objectif est de permettre à des ménages qui le souhaitent, lorsqu’ils atteignent l’âge de la retraite, de quitter les zones tendues au profit de ménages plus jeunes débutant leurs propres parcours résidentiels.

3-2-4 Permettre la résiliation de plein droit du bail en cas de condamnation pénale pour dégradations de matériel ou agressions de personnels

La sécurité publique est une compétence régalienne et l’État se doit de maintenir partout l’ordre républicain. Pour autant, les bailleurs ont un rôle à jouer en accompagnement de l’action de la puissance publique, pour contribuer à assurer la qualité du cadre de vie et la tranquillité des habitants dans leur logement.

Pour ce qui relève de leur responsabilité, les bailleurs sociaux sont fortement impliqués dans le champ de la tranquillité résidentielle. Sur le plan de la sécurité, la profession s’est même dotée de dispositifs de prévention ayant fait leurs preuves : observatoire des incivilités, ateliers territoriaux, mise en place de référents sécurité, participation aux conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), prise en compte de la tranquillité dans les dispositifs d’évaluation de la qualité de service, etc.

Cependant, les bailleurs sont particulièrement démunis lorsqu’il s’agit de faire cesser des troubles de jouissance.

Il est donc proposé d’élargir la clause résolutoire du bail locatif aux cas de condamnation pénale du locataire, ou de l’une des personnes de son foyer fiscal au titre duquel le logement est attribué, à raison d’infractions incompatibles avec l’obligation d’occupation paisible du logement : atteintes aux biens du bailleur, atteintes à ses préposés.

3-2-5 Maitriser la hausse des coûts induits par la multiplication des diagnostics techniques

Un grand nombre de ces diagnostics techniques (constat des risques d’exposition au plomb, état amiante, état de l’installation de gaz, état de l’installation d’électricité, DPE, état relatif à la présence de termites) doivent être réalisés par un professionnel, un diagnostiqueur immobilier, qui engage sa responsabilité et relève d’un statut propre et réglementé (cf. art L.271-6 du CCH). Il doit présenter des garanties de compétence et disposer d’une organisation et de moyens appropriés

La réalisation de ces diagnostics entraine un surcoût annuel très important pour les organismes HLM qui sont des bailleurs professionnels, à la différence des propriétaires individuels de logements du privé.

Il est proposé de permettre aux organismes HLM qui disposent en interne des compétences nécessaires pour la réalisation des diagnostics de les faire réaliser par les collaborateurs concernés. Ceux-ci resteraient soumis aux obligations prévues : qualification, organisation, moyens appropriés, obligation de souscrire une assurance spécifique.

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À l’issue de cette présentation, François Leblond a proposé d’accroître le rôle de la collectivité départementale dans le domaine du logement, dans les termes suivants.

/ Pierre Carli a rappelé que si la décentralisation doit connaître une nouvelle étape dans le domaine du logement, il importe que celle-ci intervienne à un niveau supérieur à celui de la commune pour éviter des pressions excessives sur les élus. Il a évoqué le niveau intercommunal et, pourquoi pas, celui du département. Je penche pour cette option

/ Plus de la moitié des dépenses des départements sont des dépenses sociales. Le département est aujourd’hui compétent dans tous les domaines concernés à l’exception du logement. Cette lacune était déjà regrettable avant le drame que connaît aujourd’hui notre pays avec le coronavirus. Elle le sera encore davantage au cours des mois prochains : le chômage qui va croître et les mouvements géographiques de populations à la recherche d’un emploi rendront encore plus fondamentale la question du logement dans la liste des sujets des difficultés de la personne. Le savoir-faire exceptionnel des agents départementaux améliorera les résultats.

/ Le rôle actuel du département est mal connu. Certains souhaitent sa suppression sans la moindre connaissance de ses fonctions diverses, et notamment d’un rôle social que sa dimension permet. Il suffit de rencontrer les agents concernés pour mesurer les innombrables initiatives qui sont prises à ce niveau d’administration pour faire face aux problèmes humains les plus complexes. Ils viennent de le prouver depuis le printemps en cherchant les solutions les plus adaptées aux différents publics touchés par la pandémie, ne comptant pas leur temps et apportant aux préfets des réponses aussi adaptées que possible aux besoins. Les relations qu’ils établissent avec ceux qui exercent, dans un domaine donné, des fonctions essentielles  (hébergement humain des personnes âgées, des personnes dans la rue, actions auprès de la jeunesse, soutien aux initiatives des communes, font que toutes les catégories de personnes en difficulté s’adressent à un moment donné à ces services.

Il importe donc de sélectionner les changements qui apporteront au département le support juridique dont il a besoin pour être efficace dans une matière qui complètera utilement ses compétences. Les lendemains de la pandémie actuelle exigeront de trouver des solutions à des difficultés nouvelles. Un excès de rigidité serait un ennemi du résultat. Il est temps de libérer de nouvelles initiatives.

Valéry Giscard d’Estaing, souvenirs de François Leblond

François Leblond, ancien préfet de la Région Auvergne
Décembre 2020

J’ai été nommé en septembre 1996 préfet de la région dont Valéry Giscard d’Estaing assumait la présidence depuis dix ans. François Mitterrand était décédé depuis peu. Giscard était donc le seul ancien président de la République vivant. Je savais qu’on lui avait demandé son accord pour ma nomination, et je mesurais l’honneur qui m’était fait.

La nouvelle de sa mort m’a remis en mémoire les trois années que j’ai passées dans la région en relations constantes avec lui. Il refusait le terme « région Auvergne » mais voulait qu’elle s’appelle « Région d’Auvergne ».

Je venais le voir à son petit bureau une fois par mois pour évoquer avec lui les sujets que nous avions en commun. Il m’offrait le thé avec son parler inimitable: « Monsieur le préfet, vous prendrez bien une tasse de thé. Pendant deux heures, dans cette enceinte modeste correspondant à sa volonté d’épargner les deniers publics, il m’entretenait des affaires de la région mais abordait aussi les sujets les plus variés. On sait quelle connaissance exceptionnelle il avait des hommes d’État du monde entier. Il en recevait régulièrement à dîner en son château de Varvasse et ne manquait pas de nous inviter, mon épouse et moi. C’est ainsi que nous avons rencontré le chancelier Schmidt, et Kissinger. Le plus souvent, la conversation était entièrement en anglais, hélas pour moi qui avais passé l’allemand et non l’anglais comme langue étrangère à l’ENA.

Si j’écris aujourd’hui ces lignes, c’est d’abord pour saluer l’influence majeure qu’il a eue dans les destinées de l’Auvergne. Il avait voulu, après son échec aux présidentielles, consacrer une grande partie de son temps à cette région. Il  me dit à mon arrivée : « L’Auvergne est malade, il faut tout faire pour son soutien. L’État et le Conseil Régional doivent œuvrer ensemble à cette fin. »

Il se fixait des objectifs et souhaitait me les faire partager. C’est ainsi qu’ont été conçus de grands équipements dont le plus symbolique a été le parc Vulcania. Les services placés sous mes ordres, ainsi que les administrations centrales, étaient souvent peu enclins à apporter leur concours à des initiatives qui n’émanaient pas d’eux. J’étais souvent bien seul à le suivre et ce fut encore plus vrai après les élections qui ont suivi la dissolution de 1997.

Mais il a gagné parce que toutes les forces économiques de l’Auvergne étaient derrière lui. Vulcania a été un combat dont j’ai pris ma part. J’ai signé le permis de construire, et sans l’appui de Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur, cet acte m’aurait été fatal. Sa réélection à la présidence du Conseil Régional en 1998 (il était pratiquement le seul réélu) lui a permis de mener à bien toutes opérations qu’il avait conduites pour soutenir l’Auvergne. Il a été sans conteste un grand président de région.

Je ne veux pas achever cet hommage sans une pointe d’humour. Une de nos tâches conjointes était d’acheter des œuvres d’art contemporaines financées conjointement par l’État et la Région. Nous présidions ensemble une réunion composée, en dehors de nous, des experts reconnus en la matière. Les œuvres qu’ils nous conseillaient étaient souvent étranges. Nous nous regardions en souriant avant d’accepter, non sans hésitations. Je ne suis pas sûr que ce que nous avons acquis traversera le temps.

Un nouveau regard sur la réforme de l’ENA

Par François Leblond
Ces remarques réagissent à l’article du Monde du 16 décembre 2019 dévoilant, à titre provisoire, les propositions de  Frédéric Thiriez. Elles sont à mettre en rapport avec la note adressée à celui-ci le 6 octobre par la promotion Montesquieu, et publiée ci-dessous à la même rubrique du site.  

 

Je traiterai successivement du respect des règles constitutionnelles et des préoccupations nouvelles qui s’expriment pour le recrutement des hauts fonctionnaires.

1/ Le respect des règles constitutionnelles

Le principe de la séparation des pouvoirs inscrit dans la Constitution oblige à garantir l’indépendance de l’autorité judiciaire. Cela a d’abord pour conséquence d’assurer un recrutement spécifique des magistrats de l’ordre judiciaire. La réaction violemment négative des magistrats à la sortie de leur audition par Frédéric Thiriez est tout à fait justifiée. La juridiction administrative échappe partiellement à cette contrainte, mais son statut doit protéger son indépendance. Il en est de même de la Cour des Comptes – nous devons le rappeler en tant qu’anciens élèves de l’ENA.

Pour l’élaboration de la loi par le Parlement, les administrations centrales concourent à l’élaboration des projets de lois et sont pour cela en relation régulière avec les fonctionnaires des deux assemblées. Il n’y aurait donc pas d’inconvénient à assurer un recrutement commun, à l’inverse de ce qui se passe aujourd’hui, et les passerelles pourraient se développer.

Les changements politiques réguliers intervenus au cours des dernières décennies imposent en France, à l’inverse des Etats Unis et de son spoil système, de lutter contre une politisation de l’administration et de défendre la permanence de l’État, une des bases de  notre Constitution. Cela est vrai pour tous les corps recrutés  par la voie de l’ENA comme pour les autres modes de recrutement des hauts fonctionnaires, notamment ceux des corps techniques. Cela est vrai autant de l’Inspection Générale des Finances, que des  administrations centrales,  du Corps Préfectoral ou du Quai d’Orsay.

Les conditions rigoureuses qui régissent le recrutement par l’ENA sont, aujourd’hui, à ces égards, satisfaisantes et leur remise en cause par un bouleversement de ces  modes de recrutement tel qu’il semble envisagé, ne saurait garantir ce que les pères fondateurs de l’école ont eu à cœur de développer : le respect rigoureux des règles du service public  par ceux qui concourent à l’autorité.

2/ Des préoccupations nouvelles

Lorsque l’ENA a été créée au lendemain de la guerre, la France connaissait une centralisation rigoureuse. L’État était sollicité dans les domaines les plus variés, les préfets étaient l’exécutif du Conseil Général, les administrations techniques de l’État fonctionnaient dans une stricte hiérarchie. Les élus locaux ne pouvaient compter que sur les jeux d’influence pour orienter des décisions en leur faveur.

Des préoccupations nouvelles se sont exprimées, qui  remettent en cause, dans notre République,  l’équilibre entre l’État et les collectivités locales. Les besoins exprimés par les populations ont changé de nature, le développement du territoire n’est pas seulement affaire de l’État. Beaucoup d’interventions qui font l’objet d’une forte demande, sont aujourd’hui de la compétence des collectivités locales : régions, départements, communes et leurs intercommunalités. Les administrations centrales ne sont pas toujours en mesure d’y répondre. Les collectivités territoriales ont des besoins en personnels qualifiés qui exigent des formations sensiblement les mêmes que celles qui sont aujourd’hui données par l’ENA. La première réforme à réaliser est d’ouvrir un nombre de postes important, à la sortie, aux collectivités territoriales, en veillant à garantir à tous les mêmes droits.

La vie économique n’est plus celle du lendemain de la guerre. Les grands secteurs du service public sont souvent assurés par des entreprises privées au personnel  très nombreux, aux compétences variées. Les hauts fonctionnaires peuvent y  exercer un rôle utile, si leur formation inclut les nouveaux défis auxquels notre pays a à faire face. Plutôt que de maintenir une situation dans laquelle ceux-ci attendent plusieurs décennies pour offrir leurs services pour des postes qui ne correspondent pas toujours à leur expérience professionnelle, pourquoi ne pas instituer des allers- retours entre public et privé dès les premières années de fonction publique, avec des règles statutaires qui garantissent le bon fonctionnement du système ? Le secteur privé comprendrait mieux les préoccupations d’intérêt général défendues par la haute fonction publique, et celle-ci s’ouvrirait aux évolutions rapides que connaît l’univers international dans lequel nous vivons.

Pour la mise en œuvre de ces changements, il faut s’appuyer sur ce qui fonctionne bien aujourd’hui.  L’ENA peut avoir de nouvelles ambitions, et s’appeler autrement, pourquoi pas ? Son système de sélection peut être amélioré. Mais on ne raye pas d’un trait de plume une expérience de 75 ans. Cela est aussi vrai des écoles d’application de l’École Polytechnique. Le changement oui, la changite non.

Raymond Marcellin dans la Résistance

Par François Leblond

L’origine d’une longue carrière politique

Les lecteurs des générations récentes, que nous espérons nombreux à butiner sur le site Montesquieu, se demanderont peut-être qui était Raymond Marcellin (1914-2004). On se souvient surtout de lui comme ministre de l’Intérieur en mai 1968. Un affreux flic, estiment certains. Mais c’est peut-être grâce à sa fermeté que l’appareil de l’État ne s’est pas écroulé, durant ces chaudes journées. Après cette performance, Marcellin est resté encore près de six ans place Beauvau, et il a été le père de la décentralisation – aujourd’hui remise en cause, pour partie, par la réforme de la taxe d’habitation.   

Les biographies de Raymond Marcellin indiquent que ses activités de résistance se sont passées aux côtés de Georges Loustaunau-Lacau et de Marie-Madeleine Fourcade  au sein du réseau «  Alliance ». Pour comprendre l’importance de cette étape de sa vie, alors qu’il s’est peu exprimé publiquement sur le sujet, Il importe de rappeler ce qu’étaient ces deux personnalités, ce qu’elles ont réalisé, quelle a été son rôle auprès d’elles et quelles leçons il en a tiré pour la suite.

Georges Loustaunau-Lacau, un officier au passé glorieux, très connu dans le monde des armées de l’entre- deux guerres, apprécié du général de Gaulle comme du maréchal Pétain, a appelé auprès de lui Marie-Madeleine Fourcade quand il a créé, en 1936, le réseau Corvignolles. Ce nom bucolique constituait un hommage à Vauban, grand serviteur de l’État (et plus tard, parrain d’une promotion de l’ENA), dont la mère, fille d’un marchand assez modeste, était née Edmée Corvignolle.

L’objectif de Loustanau-Lacau était de débusquer les cellules mises en place dans l’armée par le parti communiste, qui pouvaient être la source de désertions massives en cas de conflit, et de les neutraliser. Les résultats ont été spectaculaires. Quinze cents officiers ont fait partie de ce réseau. Un dialogue s’est instauré avec le plus hautes autorités de l’Etat ainsi qu’avec d’autres mouvements, principalement les Croix de Feu du colonel de La Rocque, en la personne de son délégué général, mon oncle René Piercy, surnommé Etienne le Balafré, arrêté à Lyon par Barbie en 1943 et mort en déportation. Les historiens ont démontré qu’il n’y avait pas de lien entre Corvignolles et la Cagoule.

Loustanau-Lacau, personnage haut en couleurs, a été emprisonné en 1939 pour insubordination, sur ordre de Daladier. Mais bientôt libéré. Et cela ne retire rien à son dévouement.

 Beaucoup de ceux qui ont participé à son réseau, une fois démobilisés après la défaite de 1940, étaient disponibles pour poursuivre le combat. Ils ne distinguaient pas, à l’inverse d’autres mouvements de résistance, la lutte contre Hitler du combat contre les bolcheviques, ses alliés du moment. Loustaunau-Lacau avait connu avant- guerre le maréchal Pétain et attendait de lui qu’à titre personnel, il lui permette d’aider l’Angleterre dans sa lutte contre le Reich allemand. Celui-ci lui apporta discrètement des moyens financiers lors d’un entretien en tête-à-tête.  En 1940, Loustaunau- Lacau fut, trois mois, délégué de la Légion du combattant avant d’être mis en prison par le régime de Vichy qu’il avait jusque-là soutenu mais dont il dénonçait les dérives. Il convainquit alors de nombreux de ses anciens amis du réseau Corvignolles, résidant un peu partout en France, de le suivre dans la clandestinité et de constituer le réseau « Alliance » qui se mit, dès 1941, à la disposition de la Grande-Bretagne. Beaucoup d’autres parmi les personnes présentes à Vichy, notamment les « compagnons de France » suivirent leur exemple.  L’objectif était de quadriller le territoire français pour communiquer aux armées alliées se préparant à l’offensive les renseignements dont elles avaient besoin pour cibler les actions prioritaires et de localiser les nouvelles armes de destruction massive qu’il fallait neutraliser.

 En théorie, l’action conduite pouvait être reconnue internationalement comme militaire, et les membres du réseau, en cas d’arrestation par la Gestapo, insistaient, sans succès, pour se voir appliquer les lois de la guerre à cet égard. Tous observaient les règles qu’ils avaient apprises au sein de l’armée, ce qui donnait à leur action une rigueur que d’autres mouvements de résistance avaient de la peine à respecter. Ainsi, ceux d’entre eux qui avaient pu servir Vichy à ses débuts entraient désormais dans la clandestinité.

 L’attitude de Loustanau-Lacau à l’égard de Pétain est bien résumée dans son témoignage à son procès : « Je ne dois rien au maréchal Pétain mais je suis écœuré par le spectacle des hommes qui, dans cette enceinte, essayent de refiler à un vieillard presque centenaire l’ardoise de toutes leurs erreurs »

 Loustaunau-Lacau poursuivit sa carrière politique sous la Quatrième République. En 1955, peu avant sa mort à soixante ans, le président de la République, Vincent Auriol, le fit passer général (de réserve). Belle revanche pour l’emprisonné de 1939 et de 1941. Il était  resté jusqu’à ses derniers jours très lié à Raymond Marcellin.

 Il avait désigné Marie Madeleine Fourcade, toujours à ses côtés en 1940, pour le remplacer s’il était empêché. C’est ce qui s’est passé dès 1941 avec son arrestation par Vichy puis plus tard sa déportation par la Gestapo. Elle devenait la première femme chef d’un réseau de résistance. Cette personne, appartenant à la haute bourgeoisie, avait alors 32 ans. Séparée d’un officier qu’elle avait épousé très jeune, elle était mère de deux enfants qu’elle avait mis en sûreté en Suisse pendant toute la guerre.

Loustaunau-Lacau, qui avait pu apprécier ses exceptionnelles qualités, l’avait fait connaître avant-guerre aux officiers qu’il engageait dans son réseau en la prenant comme collaboratrice de tous les instants. Il l’avait ainsi préparée à être reconnue en son absence comme la responsable incontestée d’« Alliance ». Ce fut désormais à elle que revint pendant trois ans la responsabilité d’ensemble. Elle le fit en acquérant une grande compétence. Initiée à toutes les techniques de transmission d’information dans la clandestinité, elle fit preuve d’une audace raisonnée et d’un courage de tous les instants. Elle passa une partie de son temps en Angleterre pour y défendre le rôle qu’entendait jouer « Alliance » dans la victoire attendue. Elle utilisa un avion monomoteur Lysander qui pouvait se poser et décoller dans un champ, voler à basse altitude et ainsi échapper aux tirs ennemis.

Une anecdote la définit parfaitement. Arrêtée par la Gestapo à un de ses retours, elle constate que sa cellule donne sur l’extérieur de la prison, elle attend trois heures du matin, se met entièrement nue pour se glisser entre deux barreaux ; la tête a du mal à passer, d’où de violentes douleurs ; elle parvient néanmoins à l’extérieur et bénéficie de quelques heures avant d’être recherchée. En fin de compte, elle échappe à ses bourreaux de la Gestapo après un parcours rocambolesque ponctué de grands dangers.

 La Grande-Bretagne l’a reconnue comme chef et l’a soutenue aux yeux des autres résistants, notamment les services rattachés au Général de Gaulle. Dans un premier temps, elle eut pour objectif de promouvoir le général Giraud qu’elle aida à partir pour l’Algérie depuis la Côte d’Azur. Quand de Gaulle prit le pas sur lui, après la concurrence qui s’était développée entre les deux hommes, elle s’en rapprocha et ne le quitta plus jusqu’à la fin de la guerre, malgré la méfiance dont elle était parfois l’objet de la part de l’entourage de ce dernier.

Elle avait recruté auprès d’elle un brillant normalien, agrégé de mathématiques, âgé de vingt-huit  ans, Georges Lamarque, connu désormais sous le pseudonyme de Pétrel, que Georges Loustaunau-Lacau connaissait bien car il l’avait rencontré chez les  « Compagnons de France », une des institutions créées par Vichy qui venait d’être dissoute. Elle attendait de lui qu’il étoffe son équipe en recrutant des personnalités de haut niveau dont il garantissait la loyauté.

 C’est ainsi qu’il lui présenta quelqu’un de son âge, un avocat, qui s’était rendu à Vichy où se trouvait son père, après une évasion très risquée quelque temps après avoir été fait prisonnier, Raymond Marcellin. Celui-ci avait eu une jeunesse difficile, source de volonté. Il avait été en pension à l’âge de neuf ans et avait conduit ses études à la force du poignet. Georges Lamarque, qui l’avait retrouvé à Vichy mais devait le connaître depuis longtemps, disait de lui à Marie-Madeleine en le lui présentant qu’il était comme son frère. Celle-ci eut pour Marcellin, d’emblée, une estime dont elle fait état dans son livre L’Arche de Noé : « Un homme remarquable »

Pour Lamarque, « seul compte le sens de la mission, les nazis ne comprennent que les coups au but, je vais leur en administrer ». On croirait entendre Marcellin en 68 face à ceux qui voulaient mettre à mal les lois de la République

 Lamarque et Marie-Madeleine étaient en en contact quasi-quotidien. Elle avait besoin de ses conseils dans tous les domaines. Lui-même parcourait sans cesse la France par tous les moyens à sa disposition, sans s’arrêter aux risques qu’il courait. Dans son livre de mémoires paru en 1968, elle évoque Lamarque plus de cinquante fois en des termes élogieux.

L’action à conduire était très compliquée.  Lamarque et Marcellin, en relations régulières quelles que fussent les distances géographiques, pouvaient rechercher ensemble les moyens de porter des coups majeurs aux nazis en sélectionnant méthodiquement des informations précieuses, notamment sur les armes nouvelles en préparation sur le sol français, et en localisant de façon précise les lieux à bombarder. Les bavures qui se produisirent notamment à Lyon et à Marseille, lors des bombardements des 26 et 27 mai 1944, sont nées d’opérations extérieures aux réseaux « Alliance » et insuffisamment préparées.

 Les Allemands faisaient tout pour détruire le réseau, en utilisant des moyens radios très sophistiqués. Un tiers de l’effectif a disparu, souvent dans des souffrances extrêmes. Lamarque a été fusillé en septembre 1944 après s’être infiltré dans les lignes ennemies pour apporter des renseignements utiles aux alliés dans leur progression vers l’Allemagne. Marcellin en a été sûrement très peiné ; il était désormais seul. Cela a dû beaucoup compter dans sa décision de se consacrer en entier à la politique et de poursuivre l’idéal de son ami trop tôt disparu.

Le réseau « Alliance » avait eu une place à part dans la Résistance, en ne transigeant jamais sur l’objectif à atteindre, le retour à la souveraineté. Certains de ses membres ont eu du mal à admettre la décision hautement politique du général de Gaulle d’accepter le retour d’URSS de Maurice Thorez, qu’ils considéraient comme un déserteur.

 En se proclamant indépendant pendant un demi-siècle de vie politique, Marcellin a voulu rester libre de défendre les valeurs auxquelles il croyait, sans être contraint par la discipline d’un parti. Son ami Lamarque avait eu la volonté constante, comme Loustaunau-Lacau, de lutter contre les nazis tout en contenant le parti communiste. L’action conduite par Marcellin sous la Quatrième République d’abord, sous la Cinquième République ensuite, visait ce dernier objectif : pour lui plus que pour d’autres, la place trop forte de ce parti au lendemain de la guerre était une menace pour la République. Il l’a montré en 1948 aux côtés de Jules Moch et en 1968 quand le ministère de l’Intérieur lui a été confié, mais beaucoup de ses prises de position entre ces deux dates ont été marquées par la volonté de combattre tout ce qui fait la faiblesse d’un pays et de remettre en cause certaines pratiques nées de la présence des communistes au gouvernement jusqu’en 1947. Quelles que fussent les fonctions ministérielles qui lui étaient confiées, il a toujours privilégié la continuité de l’État républicain et la défense des libertés politiques et économiques qui n’existaient pas derrière le Rideau de Fer.

 Sa proposition de loi d’instituer pour la France, à l’image de ce qui existe en Angleterre, le scrutin uninominal à un seul tour, procédait de cette volonté d’éliminer les extrêmes et de construire un système d’alternance respectant les institutions au lieu de les combattre. Il n’a pas été écouté malgré l’intérêt que cette proposition suscitait.

 Suivant toujours le même objectif d’équilibre social, il s’est opposé avec colère aux initiatives de Valéry Giscard d’Estaing de regroupement familial, pour lui source d’une immigration qui ne pourrait être maîtrisée.

 Marcellin a mis, dans tous ses actes, l’énergie qui avait été la sienne pendant la guerre. La politique est un combat permanent, il l’a montré jusqu’à la fin.

Après son départ du ministère de l’Intérieur, il a soutenu au Sénat la politique de rigueur nécessaire après chacun des deux chocs pétroliers, conduite par Jean-Pierre Fourcade puis Raymond Barre. La défense de la monnaie restait pour lui un préalable.

Il avait bien connu François Mitterrand pendant la Quatrième République. L’élection de ce dernier à la présidence de la République avec l’appui des communistes ne pouvait lui convenir mais, connaissant l’homme, il ne doutait pas de son habileté à s’affranchir de cette contrainte et ses relations avec lui sont restées cordiales. Il disait même que celui-ci lui avait proposé l’Intérieur.  Une telle nomination était impossible en 1981 ; elle aurait pu constituer une solution après le retour aux attentats qu’a connus notre pays au cours des deux premières années de la Gauche au pouvoir. Ceux qui ont été nommés alors se sont inspirés des méthodes qu’il avait mises en œuvre durant six ans et ont bien souvent, confié l’action quotidienne aux hommes dont Marcellin avait favorisé la carrière. La nomination de Guy Fougier à la Préfecture de Police en 1983 en est l’expression.

C’est bien la Résistance qui a été la source de cette carrière tout entière consacrée à la France. L’omerta dont il a été victime après son départ du ministère de l’Intérieur s’explique par l’ombre que sa réussite aurait pu faire à ceux qui l’ont suivi.